Soyez rationnels : devenez protestants !

Les observateurs protestants ayant participé à la réunion du « Consilium » de liturgie pour l'élaboration de la nouvelle messe. De gauche à droite : Dr. George; Canon Jasper; Dr. Shephard; Dr. Konneth; Dr. Eugene Brand et le Frère Max Thurian, le pape Paul VI. Photo Felici, 10 avril 1970, en couverture de la DC n° 1562.

Que dire d’autre à tous ceux qui veulent res­ter fer­me­ment atta­chés au Motu pro­prio fon­da­teur de la mou­vance Ecclesia Dei, et qui consi­dèrent pour autant les fidèles de la Fraternité Saint Pie X comme des schismatiques ?

La célé­bra­tion de la messe dans le cadre du pèle­ri­nage de Chartres pour­rait deve­nir pro­blé­ma­tique, écrivions-​nous[1]. En effet, même dans le meilleur des cas, où les auto­ri­tés ecclé­sias­tiques ne refu­se­raient pas aux prêtres pre­nant part à ce pèle­ri­nage de célé­brer selon le Missel de saint Pie V, il reste tout de même que les orga­ni­sa­teurs de ce même pèle­ri­nage n’entendent pas qu’y soit célé­brée la messe selon le Missel de Paul VI. Ce refus enferme les catho­liques de la mou­vance Ecclesia Dei dans un dilemme. Car de deux choses l’une : soit les rai­sons de ce refus rejoignent celles pour les­quelles la Fraternité Saint Pie X n’accepte pas non plus la célé­bra­tion du Novus Ordo, rai­sons qui font de ce refus une atti­tude de prin­cipe, et alors la mou­vance Ecclesia Dei verse dans le sup­po­sé schisme qu’elle a vou­lu ini­tia­le­ment évi­ter en refu­sant de suivre Mgr Lefebvre ; soit la dite mou­vance entend res­ter fidèle à ses ori­gines, en se démar­quant par prin­cipe de l’attitude adop­tée par la Fraternité Saint Pie X et alors elle ne peut faire siennes les rai­sons pour les­quelles la dite Fraternité refuse par prin­cipe le nou­veau Missel de Paul VI, ce qui la conduit, pour refu­ser ce nou­veau Missel, à décou­vrir d’autres rai­sons introu­vables, qui se donnent pour l’heure l’alibi d’un impro­bable « ADN »…

2. La même logique d’évitement du sup­po­sé schisme devrait conduire à décon­si­dé­rer le refus de la même messe de Paul VI, mais tel qu’il est jus­ti­fié par la Fraternité Saint Pie X. Le moyen uti­li­sé est iden­tique chez tous les détrac­teurs du com­bat mené par Mgr Lefebvre : c’est le recours au seul argu­ment extrin­sèque d’autorité, tant il est vrai que la cri­tique interne du nou­veau rite de la messe, dont le Bref exa­men cri­tique des car­di­naux Ottaviani et Bacci repré­sente la réa­li­sa­tion la plus par­faite, ne laisse que peu d’espoir aux éven­tuels apo­lo­gistes du Missel de Paul VI.

La Fraternité Saint-​Pie X refuse par prin­cipe la célé­bra­tion de la nou­velle messe, on lui oppose l’au­to­ri­té des papes d’a­vant le Concile Vatican II.

3. Cet argu­ment d’autorité invo­qué contre la Fraternité Saint-​Pie X est en l’espèce celui de l’autorité de la loi de l’Eglise, qui, diri­gée qu’elle est par l’Esprit de Dieu, ne sau­rait jamais, par prin­cipe, éta­blir une dis­ci­pline dan­ge­reuse ou nui­sible pour la foi ou pour les mœurs des fidèles. La réfé­rence de pré­di­lec­tion est la pro­po­si­tion condam­née n° 78 dans la Constitution apos­to­lique Auctorem fidei du Pape Pie VI. Celui-​ci entend condam­ner ici ceux qui vou­draient se don­ner la liber­té de faire le tri, par­mi les lois de l’Eglise, entre « ce qui est néces­saire ou utile pour main­te­nir les fidèles dans l’esprit, et ce qui est inutile ou plus pesant que ce que sup­porte la liber­té des enfants de la nou­velle alliance, plus encore ce qui est dan­ge­reux ou nocif parce que condui­sant à la super­sti­tion ou au maté­ria­lisme ». L’idée pré­ci­sé­ment condam­née est celle d’après laquelle il serait loi­sible de sou­mettre à l’examen « la dis­ci­pline éta­blie ou approu­vée par l’Eglise – comme si l’Eglise, qui est régie par l’Esprit de Dieu, pou­vait éta­blir une dis­ci­pline non seule­ment inutile et plus pesante que ne le sup­porte la liber­té chré­tienne, mais même dan­ge­reuse, nocive, condui­sant à la super­sti­tion et au maté­ria­lisme ». Pareillement, dans l’Encyclique Mirari vos, le Pape Grégoire XVI déclare que « ce serait donc un atten­tat, une déro­ga­tion for­melle au res­pect que méritent les lois ecclé­sias­tiques, de blâ­mer […] la dis­ci­pline que l’Eglise a consa­crée, qui règle l’administration des choses saintes ». Et enfin, dans l’Encyclique Mediator Dei, le Pape Pie XII rap­pelle contre ceux qui vou­draient s’en tenir intem­pes­ti­ve­ment aux usages litur­giques anciens, que « les rites litur­giques plus récents eux aus­si, sont dignes d’être hono­rés et obser­vés, puisqu’ils sont nés sous l’inspiration de l’Esprit Saint, qui assiste l’Eglise à toutes les époques jusqu’à la consom­ma­tion des siècles ».

La réac­tion de la Fraternité Saint Pie X n’est pas celle d’une Eglise ensei­gnée qui se prend pour l’Eglise ensei­gnante, mais celle de l’Eglise déjà ensei­gnée depuis des siècles et qui doit refu­ser une doc­trine mani­fes­te­ment oppo­sée à celle qui lui a été déjà enseignée. 

4. L’inadéquation de ce type d’argument a été signa­lée dès le début par Mgr Lefebvre, dans toutes les réponses qu’il oppo­sa au Pape Paul VI[2]. L’erreur condam­née par Pie VI, Grégoire XVI et Pie XII est celle où la conscience indi­vi­duelle du fidèle entend juger par elle-​même les déci­sions de l’autorité, en impu­tant à celle-​ci une carence que rien ne sau­rait pré­su­mer. Réaction d’une Eglise ensei­gnée qui se prend pour une Eglise ensei­gnante. La réac­tion de la Fraternité Saint Pie X s’explique et se jus­ti­fie pour une tout autre rai­son[3]. Il peut arri­ver, dit saint Hilaire, que « les oreilles du peuple soient plus saintes que les cœurs des prêtres »[4]. Précisément, ce sont les « oreilles » qui sont plus saintes, et elles le sont parce qu’elles ont déjà enten­du la parole de la véri­té qui sanc­ti­fie, même si pour l’heure le cœur et la bouche des prêtres ne la fait plus entendre comme jusqu’ici. Redisons ces évi­dences[5]. L’Eglise reste tou­jours ce qu’elle est, même en temps de crise, même dans la période de l’après Vatican II : une socié­té par essence inégale, où l’Eglise ensei­gnée réagit tou­jours dans la dépen­dance de la pré­di­ca­tion de l’Eglise ensei­gnante. La résis­tance de Mgr Lefebvre et de la Fraternité Saint Pie X à l’égard du Novus Ordo Missae de Paul VI se jus­ti­fie en rai­son du cri­tère énon­cé par saint Paul, dans l’Epître aux Galates, cha­pitre I, ver­set 8 : « prae­ter­quam quod evan­ge­li­za­vi­mus vobis ». L’Eglise ensei­gnée doit consi­dé­rer comme ana­thème une doc­trine oppo­sée à celle qui lui a déjà été ensei­gnée. Le refus du Novus Ordo est pré­ci­sé­ment le refus d’une Eglise ensei­gnée, refus d’une Eglise déjà ensei­gnée pour avoir reçu de ses pas­teurs l’inaltérable expres­sion du culte divin et de la foi catho­lique divi­ne­ment révé­lée, à tra­vers la litur­gie du Missel de saint Pie V. Le refus du nou­vel mis­sel de Paul VI est le refus de ce qui « s’éloigne » de cette litur­gie du Missel de saint Pie V, le refus de ce qui « s’éloigne » de « la dis­ci­pline que l’Eglise a consa­crée et qui règle l’administration des choses saintes », pour reprendre les propres termes du Pape Grégoire XVI.

5. Telle est la véri­table – et la seule – rai­son sus­cep­tible de rendre légi­time le refus de la nou­velle litur­gie de Paul VI. Raison qui découle elle-​même de la nature essen­tielle de l’Eglise catho­lique, socié­té inégale par essence, où la pro­fes­sion de foi de l’Eglise ensei­gnée se fait conti­nuel­le­ment l’écho inal­té­ré des direc­tives de l’Eglise ensei­gnante. Continuellement, c’est-à-dire tout au long des siècles, depuis saint Pierre jusqu’au der­nier des Papes de l’histoire, et sans contra­dic­tion pos­sible. Or, prise dans son essence, la nou­velle litur­gie de Paul VI est en contra­dic­tion mani­feste avec la litur­gie sécu­laire de l’Eglise : dans son essence, c’est-à-dire en tant que signe et donc dans ce qu’elle est cen­sée signi­fier. La signi­fi­ca­tion de la messe de Paul VI s’éloigne d’une manière trop consi­dé­rable de ce que l’Eglise ensei­gnante a tou­jours enten­du signi­fier dans sa litur­gie pour que l’on puisse consi­dé­rer la réforme du Novus Ordo Missae comme l’expression légi­time de la foi et de la dis­ci­pline à laquelle l’Eglise ensei­gnée devrait se confor­mer. L’éloignement signa­lé ne rend pas seule­ment la nou­velle messe moins bonne ou impar­faite ou sus­cep­tible d’amélioration ; il la rend mau­vaise, car dan­ge­reuse et néfaste pour la foi des fidèles et déplai­sante aux yeux du Tout-​Puissant. Elle repré­sente pour autant un scan­dale, c’est-à-dire une occa­sion de ruine spi­ri­tuelle. La refu­ser est donc non seule­ment légi­time mais néces­saire : c’est un devoir qui s’impose à la conscience de tout catho­lique déci­dé à demeu­rer fidèle aux pro­messes de son baptême.

6. Ce vrai motif du refus n’est que trop sou­vent pas­sé sous silence par les fidèles de la mou­vance Ecclesia Dei et ce n’est pas celui qui est avan­cé par les orga­ni­sa­teurs du pèle­ri­nage de Chrétienté. Faute d’y recou­rir, il devient de plus en plus dif­fi­cile, voire impos­sible, à ces der­niers de gar­der leur cré­di­bi­li­té face aux exi­gences des auto­ri­tés ecclésiastiques.

Comment se pré­va­loir, pour refu­ser la nou­velle messe et les réformes issues de Vatican II, du motu pro­prio Ecclesia Dei afflic­ta dont le fond est d’empêcher toute oppo­si­tion de prin­cipe à ces mêmes réformes ? 

7. Le prin­cipe pre­mier de l’existence même de la mou­vance Ecclesia Dei, sa rai­son d’être radi­cale, est d’éviter le sup­po­sé schisme de Mgr Lefebvre. Ce prin­cipe est clai­re­ment énon­cé dans le point c) du para­graphe 5 du Motu pro­prio Ecclesia Dei afflic­ta :
« Je désire avant tout », dit Jean-​Paul II, « lan­cer un appel à la fois solen­nel et ému, pater­nel et fra­ter­nel, à tous ceux qui, jusqu’à pré­sent, ont été, de diverses manières, liés au mou­ve­ment issu de Mgr Lefebvre, pour qu’ils réa­lisent le grave devoir qui est le leur de res­ter unis au Vicaire du Christ dans l’unité de l’Eglise catho­lique et de ne pas conti­nuer à sou­te­nir de quelque façon que ce soit ce mou­ve­ment. […] A tous ces fidèles catho­liques qui se sentent atta­chés à cer­taines formes litur­giques et dis­ci­pli­naires anté­rieures de la tra­di­tion latine, je désire aus­si mani­fes­ter ma volon­té – à laquelle je demande que s’associent les évêques et tous ceux qui ont un minis­tère pas­to­ral dans l’Eglise – de leur faci­li­ter la com­mu­nion ecclé­siale grâce à des mesures néces­saires pour garan­tir le res­pect de leurs aspi­ra­tions. » Autrement dit, la pos­si­bi­li­té lais­sée aux fidèles qui le sou­haitent d’assister à la célé­bra­tion de la messe selon le Missel de saint Pie V n’est, dans l’intention du Pape, que le moyen de faci­li­ter à ces fidèles la com­mu­nion ecclé­siale désor­mais fon­dée sur l’adhésion aux réformes consé­quentes au concile Vatican II et de les détour­ner des orien­ta­tions sui­vies par la Fraternité Saint Pie X ; le moyen, par consé­quent, de les empê­cher de refu­ser la célé­bra­tion de la messe selon le nou­veau Missel de Paul VI, lequel fait péné­trer, len­te­ment mais sûre­ment, le moder­nisme dans les esprits, accom­plis­sant peu à peu la pro­tes­tan­ti­sa­tion géné­ra­li­sée de l’Eglise.

8. Que dire, dès lors, à tous ceux qui veulent res­ter fer­me­ment atta­chés au Motu pro­prio fon­da­teur de la mou­vance Ecclesia Dei, et qui consi­dèrent pour autant les fidèles de la Fraternité Saint Pie X comme des schis­ma­tiques ? Que leur dire, sinon : « Soyez ration­nels : deve­nez moder­nistes ou même, mieux encore : protestants ».

Source : Courrier de Rome n° 681 – décembre 2024

Notes de bas de page
  1. Voir l’article « Un pèle­ri­nage schis­ma­tique ? » dans le pré­sent numé­ro du Courrier de Rome.[]
  2. Voir le numé­ro de la revue de l’Institut Universitaire Saint Pie X consa­cré à ce point, sous le titre « Vatican II. L’autorité d’un concile en ques­tion », Vu de haut n°13, 2006.[]
  3. Voir en par­ti­cu­lier les numé­ros de juillet-​août 2011 (« Magistère et foi ») et de février 2012 (« Magistère et Tradition vivante ») du Courrier de Rome ain­si que l’article inti­tu­lé « Une Eglise ins­pi­rée » dans le numé­ro de novembre 2024 du Courrier de Rome.[]
  4. Saint Hilaire, Contre Auxence, n° 6 dans Migne latin, t. X, 613[]
  5. Cf. « Une Eglise ins­pi­rée » dans le numé­ro de novembre 2024 du Courrier de Rome.[]

FSSPX

M. l’ab­bé Jean-​Michel Gleize est pro­fes­seur d’a­po­lo­gé­tique, d’ec­clé­sio­lo­gie et de dogme au Séminaire Saint-​Pie X d’Écône. Il est le prin­ci­pal contri­bu­teur du Courrier de Rome. Il a par­ti­ci­pé aux dis­cus­sions doc­tri­nales entre Rome et la FSSPX entre 2009 et 2011.