Chers parents, Les vacances sont toujours une excellente occasion d’éprouver le travail d’éducation entrepris chez les enfants : leur avons-nous donné les moyens de grandir selon le meilleur d’eux-mêmes ? Sont-ils capables de prendre en vainqueur leur place dans le monde ?
Devant l’esprit qui souffle aujourd’hui sur le monde, on peut être inquiet, déconcerté ; mais rien ne légitime la fuite par le repli sur soi et la clandestinité ou le ralliement par l’adhésion sans frein au progrès et à la modernité. Ce temps, ce monde de consommation est-il vraiment pire que le monde de la Renaissance, le temps des schismes politiques et religieux du XVIème ou de l’explosion scientifique du XVIIIème ?
Chaque époque a ses tensions, ses ruptures de mentalité : mais aussi et surtout, chaque époque a ses conquêtes. Il ne s’agit pas de relativiser, de même qu’il ne s’agit pas de porter des jugements de valeur en condamnant ou en acquittant péremptoirement. Il ne s’agit pas non plus de désespérer : nous savons que la vie du chrétien est une entreprise divine et nous avons grande confiance en la miséricorde divine. Si le Bon Dieu nous a placés dans ces temps de révoltes, notre place est dans ce monde.
Éprouvez tout et de ne retenez que ce qui est bon. Le fruit de la lumière consiste en tout ce qui est bon, juste et vrai.
Comme le demande saint Paul, si nous voulons être sages, il convient de prendre notre monde tel qu’il est, de l’analyser d’un cœur serein, d’en peser sans panique mais aussi sans illusion les faiblesses et les grandeurs ; ainsi nous aiderons nos enfants à déchiffrer peu à peu à travers les signes du temps les orientations de leur destin, à scruter sans cesse les moments de la Providence.
Notre époque est peu confortable pour les éducateurs et spécialement pour les parents chrétiens : il semble que tout s’accélère au point que les écarts entre les générations se creusent de plus en plus. N’est-il pas fréquent d’entendre dire que les enfants s’adaptent plus facilement aux nouvelles technologies, ordinateurs, téléphones, etc. Ce qui est vrai pour les techniques, l’est malheureusement encore plus pour les moeurs, les idées, les modes vestimentaires, la tenue : à tel point que, parfois, la vision du monde par l’enfant et celle par son père ne se recoupent plus. parlent-ils le même langage ? Leurs sensibilités, leurs sens s’accordent-ils ? On comprend, sans les approuver, que certains parents perdent pied, démissionnent, renoncent à conseiller leurs enfants, et abandonnent aux forces aveugles le soin d’arranger les choses.
Dans les temps de révolution, la véritable révolution n’est pas à confondre avec la violence ou le désordre, en fait, elle signifie même le contraire : revolvere se traduit par « revenir au point de départ » et s’applique parfaitement au soleil et aux astres. La révolution est une mutation assez radicale pour que les choses soient réenvisagées à leur point-origine, reprises à leur source, pour qu’elles redeviennent ce qu’elles doivent être. La vraie révolution est une fidélité à une loi de nature.
A la source : non au point zéro comme le veulent certains excessifs qui prétendent que rien de neuf ne peut naître si l’on n’évacue d’abord totalement l’ancien. Au point d’origine, c’est-àdire à l’ordre que Dieu a mis en toutes choses, à la vie, à la nature, au désir même de l’homme. Il faut recentrer notre attention sur les valeurs permanentes, celles que Notre Seigneur a prises pour refaire toutes choses.
Le point-origine est la famille, et heureusement, il existe encore des foyers où parents et enfants peuvent converser ensemble, comme des êtres normaux. Les technologies, la décadence morale, la mondanité et toutes les formes de libéralisme ne remplaceront jamais la famille. Elle demeure en dépit de toutes les contestations juvéniles de notre temps.
Converser et pas seulement dialoguer : parce que le dialogue oublie souvent la vérité pour laquelle il est fait et ne garde que l’échange dialectique. Parce qu’aussi, le dialogue tel que nous le concevons aujourd’hui est toujours synonyme de reconnaissance de l’autre et donc mise à égalité des opposés. Converser veut dire échanger et s’enrichir de ce que m’apporte l’autre : la conversation semble être le propre de ceux qui ont quelques choses à partager, des amis. Ce n’est pas le fait d’avoir raison qui l’emporte dans la conversation, c’est l’échange, la paix. La conversation, du latin conversari a une dimension de vie « ensemble », de communauté d’existence, de silence accordé, de familiarité qui dépasse de beaucoup en valeur réelle l’échange des paroles et lui donne un sens plus largement humain.
Cela implique un climat favorable à l’entente, un désir sincère de comprendre l’autre, de s’enrichir de ses richesses, enfin une volonté de rester ensemble, même si l’on n’est pas tout de suite d’accord sur les propos ; mais surtout cela implique quelques conditions.
Tout d’abord une présence. Trop souvent, les parents et les enfants sont absents les uns pour les autres. Ce n’est pas la pension qui éloigne l’enfant de la famille. Les liens tissés entre les parents et l’enfant en pension sont souvent plus forts, parce qu’ils répondent à une véritable recherche de conversation. Cette absence est le fait du travail qui abstrait le père du foyer soit physiquement soit mentalement, mais aussi du fait de l’indépendance laissée aux enfants dans la famille. Indépendance choisie par l’enfant dans des habitudes égoïstes qu’on lui a consenties (les jeux électroniques et toute la technologie développe ces formes d’égoïsme : téléphones portables, lecteurs de musique, ordinateur etc.) ou encore, et c’est pire, indépendance choisie par les parents dans le confort excessif de chacun dans la famille. Avant, on disait que les enfants des familles nombreuses étaient plus généreux que les autres : aujourd’hui, avec tous les gadgets modernes, les critères sont modifiées : on peut être très égoïste dans une famille nombreuse.
Une autre condition de base de la conversation familiale est la détente. L’énervement, la panique, l’antipathie préalable ou systématique et autres attitudes sentencieuses irrationnelles faussent les rapports, surtout lorsque les enfants adoptent, par quelques penchants louables ou non, des positions autres que leur parents. C’est alors qu’il ne faut pas perdre pied : il faut même avoir le pied marin parce que l’existence n’est pas la terre ferme. Il faut que vos enfants sentent que vous maîtrisez les vagues autour de vous ; sinon, comment voulez-vous que vos enfants grandissent, rencontrent de nouveaux camarades et en fin de compte soient des témoins. On n’affronte pas les tempêtes en fulminant contre elles : il faut les affronter avec le désir d’en comprendre les causes et la conviction de les dominer à force d’intelligence. Ce calme prouvera à vos enfants que les évolutions échevelées ne vous désarçonnent pas : vous leur montrerez votre capacité à garder et à leur transmettre le patrimoine : à leur montrer la voie. Vous leur montrerez surtout l’exemple du calme stable, inaltérable, qu’aucune contrariété ne menace ou n’émeut. Cette grandeur évitera que vos enfants ne se cachent pour faire ce que vous leur interdisez. Comment se fait-il que certains de nos garçons écoutent de telles musiques ? Comment se fait-il qu’il y ait à l’école un tel trafic de musiques dont certaines sont franchement inacceptables ?
Ne pas réagir de façon passionnelle témoigne déjà d’une volonté d’accueil de la vérité, de recherche de la beauté : deux réponses essentielles à la décadence actuelle. Renoncer à édicter des jugements de valeur donne de la valeur aux jugements. Nous-mêmes, n’avons-nous pas accédé à la vérité, à la notion de bien, du beau, du juste que peu à peu, au fil de nos expériences, souvent à coup d’erreurs ? Certainement notre intention est de préserver, d’épargner à nos enfants nos erreurs. Si bienveillant qu’il soit, ce vœu n’est-il pas utopique ? On ne possède la vérité qu’en la conquérant. Alors aidonsles à réfléchir, à se positionner, et à trouver en nous les repères : parce que si la vérité se conquiert, comme les autres biens intellectuels et spirituels, elle est incommunicable en dehors d’une hiérarchie des esprits et des âmes. Qu’ils comprennent la nécessité de l’hérédité, de la filiation a une grande importance. L’art d’écouter et de recevoir consiste simplement à savoir se faire aider par les gens et par les choses : c’est l’art de gagner du temps.
Leur apprendre à savoir gagner du temps, c’est souvent pour nous savoir leur laisser le temps : c’est souvent un étonnement que de voir qu’audelà d’un certain jugement élémentaire, le discernement du bien et du mal, du vrai et du faux, du juste et de l’injuste soit si lent à s’établir dans une conscience d’adolescent.
Enfin, une autre condition semble s’imposer aux parents, surtout aux pères de famille, s’ils veulent maintenir au foyer la vigueur et la valeur de la conversation : c’est qu’ils s’engagent eux-mêmes, qu’ils se compromettent et prouvent par leurs actes la sincérité de leurs propos. Plus qu’avant, on ne se satisfait pas des paroles.
En décrivant ce climat de conversation familiale, en la présentant comme quelque chose de réalisable et de nécessaire, j’espère que beaucoup d’entre nous reprendront pied dans l’éducation et que les enfants, même s’ils sont attirés par le chant des sirènes de ce monde sauront refuser d’eux mêmes d’écouter « Madonna » (entres autres) ou d’aller voir le « Da vinci code ».
Parents chrétiens, vous souhaitez que vos fils soient fidèles à leur tour à leur vocation baptismale : ne vous faites pas d’illusion, ce qui menace le plus la Foi de vos enfants, c’est cette atmosphère désintégrante. S’ils ne partagent pas les valeurs de ce monde, ils devront un jour les respirer, ils ne peuvent pas ne pas les respirer. Il leur faut croire qu’ils sont une personnalité réelle, que tout ce qui fait que l’homme existe, que le Bon Dieu est, que la société humaine est, est possible. Notre éducation aujourd’hui consiste à apprendre des choses à des êtres humains qu’ils devraient savoir depuis longtemps. par exemple « à se tenir debout », à ne pas s’abandonner aux maux qui les minent, à résister à ce qui les dégrade, à vivre.
Abbé Vincent BETIN †
En la fête de Notre-Dame de l’Assomption 15 août 2006
Source : Lettre aux parents de l’Ecole Saint-Michel