La néo pastorale de François (II)

Crédit : Sebastien Desarmaux / GODONG

Retour sur les pro­pos scan­da­leux tenus par le Pape François le 13 sep­tembre dernier.

1. Les pro­pos – scan­da­leux – tenus par le Pape François le 13 sep­tembre der­nier[1] peuvent être com­pris dans le sens d’une forme sub­tile d’indifférentisme, si on les entend à la lumière du concile Vatican II. La consti­tu­tion Lumen gen­tium sur l’Eglise, com­plé­tée par le décret Unitatis redin­te­gra­tio sur l’œcuménisme et la décla­ra­tion Nostra aetate sur les reli­gions non chré­tiennes récusent en effet le prin­cipe même du plu­ra­lisme reli­gieux, c’est-à-dire l’idée de l’é­gale digni­té, véri­té et effi­ca­ci­té en matière de salut de toutes les reli­gions. Pour admettre la valeur sal­vi­fique de toutes les reli­gions, les ensei­gne­ments de Vatican II veulent l’entendre de façon dif­fé­ren­ciée, en réfé­rence à la pri­mau­té de l’Eglise du Christ, sub­sis­tant dans l’Eglise catholique.

2. L’idée du plu­ra­lisme reli­gieux enten­du au sens strict fit d’ailleurs l’objet d’une éva­lua­tion cri­tique de la part de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, alors diri­gée par le car­di­nal Joseph Ratzinger, dans une Notification que publia l’Osservatore Romano du 26 février 2001. Le Saint Siège prit alors occa­sion de la paru­tion du livre du Père jésuite Jacques Dupuis, Vers une théo­lo­gie chré­tienne du plu­ra­lisme reli­gieux sor­ti en librai­rie en 1997, pour réagir et indi­quer le véri­table sens des textes du Concile cen­sés auto­ri­ser le dia­logue inter­re­li­gieux[2]. La reli­gion catho­lique, et elle seule, repré­sente la plé­ni­tude, ou l’état par­fait, de l’économie salu­taire, alors que les reli­gions non chré­tiennes et les confes­sions chré­tiennes non catho­liques n’en repré­sentent qu’un état par­tiel, à des degrés certes divers, mais néan­moins réels. Autrement dit, et pour reprendre l’exemple uti­li­sé par le Pape François dans sa cau­se­rie avec les jeunes de Singapour, la reli­gion catho­lique et elle seule repré­sente le lan­gage le plus abou­ti pour par­ve­nir à Dieu, tan­dis que les autres reli­gions n’auraient pas la même pré­ci­sion. Mais il reste que toutes les reli­gions sont autant de che­mins qui mènent à Dieu. Pour être miti­gé, le plu­ra­lisme reli­gieux reste ce qu’il est : une forme nou­velle de la même erreur, ou une variante.

3. La pen­sée du Pape François correspond-​elle à cette variante, dans la conti­nui­té de Vatican II ? La suite de son pro­pos, il faut bien le dire, per­met­trait d’en dou­ter. « “Mais mon Dieu est plus impor­tant que le vôtre !” », objecte-​t-​il. « Est-​ce vrai ? Il n’y a qu’un seul Dieu, et nous, nos reli­gions sont des langues, des che­mins vers Dieu ». Si aucune reli­gion ne peut pré­tendre à conduire vers un Dieu plus impor­tant que celui des autres, où est la miti­ga­tion du plu­ra­lisme ? Et où est la continuité ?

4. Fort oppor­tu­né­ment, en ce mar­di 17 sep­tembre, le Souverain Pontife régnant vient de reve­nir sur ces pro­pos tenus à Singapour pour en pré­ci­ser la por­tée. Le Pape François a décla­ré en effet à un groupe œcu­mé­nique de jeunes que la diver­si­té de leurs iden­ti­tés reli­gieuses « est un don de Dieu ». Dans un mes­sage vidéo dif­fu­sé le 17 sep­tembre, il s’est adres­sé aux jeunes réunis à Tirana dans le cadre de la ren­contre « Med24 », qui a pour thème « Pèlerins de l’es­pé­rance, bâtis­seurs de paix ». S’adressant à l’as­sem­blée dans sa vidéo, François a décla­ré : « Dieu aime chaque homme, il ne fait pas de dif­fé­rence entre nous ». Appelant à une crois­sance de « l’u­ni­té », François a décrit la diver­si­té des ori­gines reli­gieuses des par­ti­ci­pants comme un « don de Dieu ». Il a ajou­té : « Je vous invite à apprendre ensemble à dis­cer­ner les signes des temps. Contemplez la dif­fé­rence de vos tra­di­tions comme une richesse, une richesse que Dieu veut être. L’unité n’est pas l’u­ni­for­mi­té, et la diver­si­té de vos iden­ti­tés cultu­relles et reli­gieuses est un don de Dieu. L’unité dans la diver­si­té. Que l’es­time mutuelle gran­disse entre vous, en sui­vant le témoi­gnage de vos ancêtres ».

5. Que dire de plus ? Si l’unité n’est pas l’uniformité, et si elle doit se réa­li­ser dans la diver­si­té, la miti­ga­tion du plu­ra­lisme ne devrait-​elle pas s’en trou­ver sin­gu­liè­re­ment … miti­gée ? Et la conti­nui­té avec Vatican II d’en deve­nir tou­jours plus problématique.

6. Mitigé ou pas, le plu­ra­lisme – ou l’indifférentisme – reli­gieux repré­sente en tout état de cause une héré­sie contraire aux ensei­gne­ments divi­ne­ment révé­lés, tels que les a constam­ment pro­po­sés à l’assentiment de notre foi le Magistère de l’Eglise. Celui-​ci affirme constam­ment la néces­si­té de l’Eglise pour le salut, en recou­rant à une expres­sion très pré­cise qui laisse entendre que cette néces­si­té est abso­lue : en dehors de l’Eglise, c’est-à-dire de par l’efficace d’une reli­gion non catho­lique, nul ne peut être sau­vé. Telle est la Profession de foi pres­crite aux Vaudois sous le Pape Innocent III, en 1208 (DS 792). Telle est la Profession de foi du qua­trième concile de Latran, en 1215 (DS 802). Telle est l’enseignement de la Bulle Unam sanc­tam du Pape Boniface VIII, en 1302, celui de la Lettre du Pape Clément VI au catho­li­cos des Arméniens Mekhitar, en 1351 (1051), celui encore du Décret pour les Jacobites, dans la Bulle Cantate Domino du Pape Eugène IV, en 1442 (DS 1351). Telle est la véri­té rap­pe­lée par le Pape Pie IX dans l’Allocution Singulari qua­dam en 1854 (1647), dans son Encyclique Quanta confi­cia­mur mae­rore en 1863 (où le Pape dit que cette véri­té est un dogme et des plus connus) et enfin dans le Syllabus en 1864, sous la forme des deux pro­po­si­tions condam­nées n° 16 (DS 2916) et n° 17 (DS 2917). Le Pape Léon XIII rap­pelle lui aus­si cette véri­té dans son Encyclique Satis cogni­tum en 1896 (DS 3304) et le Pape Pie XII la rap­pelle encore à trois reprises, dans l’Encyclique Mystici cor­po­ris en 1943 (DS 3821), dans la Lettre du Saint-​Office adres­sée en 1949 à Mgr Cushing, arche­vêque de Boston (DS 3868) et dans l’Encyclique Humani gene­ris, en 1950 (DS 3891). Certes, oui, les âmes de bonne volon­té, demeu­rées dans l’ignorance invin­cible, peuvent rece­voir des grâces salu­taires, où qu’elles soient, mais il s’agit ici de tout autre chose. La grâce du salut est tou­jours reçue par l’Eglise, même lorsque, de manière extra­or­di­naire, elle ne l’est pas dans l’Eglise. Et quand bien même cer­tains se sauvent dans une reli­gion autre que la reli­gion catho­lique, nul ne se sauve par une reli­gion autre que la reli­gion catho­lique. Ce qui revient à dire que, à l’exception de la reli­gion catho­lique, nulle autre reli­gion ne sau­rait repré­sen­ter un che­min ou un lan­gage menant à Dieu.

7. Tout cela est par­fai­te­ment clair et évident. A tel point que, en ce jour de grâce du 16 sep­tembre 2024, le car­di­nal Burke, dans un mes­sage X, estime qu’il semble bien que nous soyons « dans les der­niers temps »[3]. François serait-​il donc l’Antéchrist ? Au-​delà de ces réac­tions bien com­pré­hen­sibles, avouons tout de même notre per­plexi­té. Jusqu’ici, en effet, la Fraternité Saint Pie X s’entendait repro­cher de nier l’indéfectibilité de l’Eglise, sous pré­texte qu’elle consi­dé­rait le concile Vatican II et le Magistère post conci­liaire comme enta­chés d’erreurs graves. Tel est en sub­stance l’argument déve­lop­pé et mis en relief ces der­niers mois par les apo­lo­gètes de la mou­vance Ecclesia Dei, qu’encouragent les pré­lats conser­va­teurs de l’envergure d’un car­di­nal Burke, et sur les­quels nous revien­drons : Mathieu Lavagna, par exemple sur sa chaine Youtube[4] ou l’abbé Hilaire Vernier sur le site de la Fraternité Saint Pierre[5]. Comment dès lors ceux-​ci peuvent-​ils se posi­tion­ner vis-​à-​vis de ces récentes décla­ra­tions du Pape François ? S’ils affirment – à l’instar de la Fraternité Saint Pie X – qu’elles sont gra­ve­ment erro­nées, ne nieraient-​ils pas, eux aus­si, l’indéfectibilité de l’Eglise ? Et s’ils affirment qu’elles ne le sont pas, com­ment n’affirmeraient-ils pas que les ensei­gne­ments d’Innocent III, de Boniface VIII, de Clément VI, d’Eugène IV, de Pie IX, de Léon XIII et de Pie XII sont gra­ve­ment erro­nés ? Et dès lors, ne nieraient-​ils pas aus­si, quoique d’une autre manière, l’indéfectibilité de l’Eglise ? Sans doute devrait-​il y avoir là matière à grave réflexion, chez les théo­lo­giens de la mou­vance Ecclesia Dei.

8. Pour sa part, la Fraternité Saint Pie X s’en est tou­jours tenue à la Déclaration du 21 novembre 1974, où Mgr Lefebvre posait dès le départ les dis­tinc­tions fon­da­men­tales, héri­tées de la Tradition de l’Eglise[6]. L’Eglise n’est pas le Pape. L’indéfectibilité de la socié­té visible fon­dée par Jésus-​Christ est celle du triple lien de pro­fes­sion de foi, de culte et de sou­mis­sion au gou­ver­ne­ment des pas­teurs divi­ne­ment ins­ti­tués. Autres sont les actes de ces pas­teurs, dont cer­tains peuvent poser de graves pro­blèmes à la conscience des catho­liques, sans que, pour autant, l’Eglise cesse de demeu­rer ce qu’elle doit être dans l’unité de ce triple lien qui la défi­nit comme telle[7]. L’histoire est là pour en témoi­gner. Et la viva­ci­té de la Tradition catho­lique, sous toutes ses formes aujourd’hui, est là pour attes­ter l’indéfectibilité de ce triple lien. La per­ma­nence de la vraie messe catho­lique, célé­brée selon le rite de saint Pie V, non­obs­tant les foudres de Traditionis cus­todes, est l’une des expres­sions les plus sen­sibles de cette indé­fec­ti­bi­li­té de l’Eglise.

9. L’archevêque émé­rite de Philadelphie, le capu­cin Charles Chaput, a décla­ré que les com­men­taires du Pape François sur le plu­ra­lisme reli­gieux étaient « extra­or­di­nai­re­ment erro­nés » et « vidaient le mar­tyre de son sens »[8]. Qui, par­mi les catho­liques de la mou­vance Ecclesia Dei, ose­rait accu­ser ce saint homme de nier l’indéfectibilité de l’Eglise ? Réjouissons-​nous, disait en son temps Mgr Lefebvre, de voir se dres­ser de bons prêtres et de bons évêques déci­dés à résis­ter aux erreurs pour le salut des âmes.

Notes de bas de page
  1. « La néo pas­to­rale de François » sur la page du 16 sep­tembre 2024 de La Porte Latine.[]
  2. Voir l’article « Le signe de contra­dic­tion » dans le numé­ro de mai 2024 du Courrier de Rome.[]
  3. https://​www​.life​si​te​news​.com/​n​e​w​s​/​c​a​r​d​i​n​a​l​-​b​u​r​k​e​-​a​r​e​-​t​h​e​s​e​-​t​h​e​-​l​a​s​t​-​t​i​m​e​s​-​i​t​-​c​e​r​t​a​i​n​l​y​-​s​e​e​m​s​-​t​h​a​t​-​w​a​y​/​?​u​t​m​_​s​o​u​r​c​e​=​f​e​a​t​u​r​e​d​-​n​e​w​s​&​u​t​m​_​c​a​m​p​a​i​g​n​=​usa[]
  4. https://​www​.you​tube​.com/​w​a​t​c​h​?​v​=​m​u​h​Z​0​q​L​f​iQA[]
  5. https://​claves​.org/​p​e​u​t​-​o​n​-​e​t​r​e​-​s​e​d​e​v​a​c​a​n​t​i​s​t​e​-​s​a​n​s​-​l​e​-​d​i​re/ ; https://claves.org/peut-on-etre-prudentiellement-ecclesiovacantiste‑2–2/[]
  6. Voir l’article « 21 novembre 1974–2024 » dans le numé­ro de sep­tembre 2024 du Courrier de Rome.[]
  7. Voir l’article « L’Eglise est indé­fec­tible » dans le numé­ro de sep­tembre 2024 du Courrier de Rome.[]
  8. https://​www​.life​si​te​news​.com/​n​e​w​s​/​a​r​c​h​b​i​s​h​o​p​-​c​h​a​p​u​t​-​s​l​a​m​s​-​p​o​p​e​s​-​e​x​t​r​a​o​r​d​i​n​a​r​i​l​y​-​f​l​a​w​e​d​-​c​o​m​m​e​n​t​-​t​h​a​t​-​e​v​e​r​y​-​r​e​l​i​g​i​o​n​-​i​s​-​a​-​p​a​t​h​-​t​o​-​g​o​d​/​?​u​t​m​_​s​o​u​r​c​e​=​m​o​s​t​_​r​e​c​e​n​t​&​u​t​m​_​c​a​m​p​a​i​g​n​=​usa[]

FSSPX

M. l’ab­bé Jean-​Michel Gleize est pro­fes­seur d’a­po­lo­gé­tique, d’ec­clé­sio­lo­gie et de dogme au Séminaire Saint-​Pie X d’Écône. Il est le prin­ci­pal contri­bu­teur du Courrier de Rome. Il a par­ti­ci­pé aux dis­cus­sions doc­tri­nales entre Rome et la FSSPX entre 2009 et 2011.