Depuis la dernière Lettre, la Fraternité Saint-Pie X a connu des changements importants. Ils sont la conséquence d’un événement qui s’est déroulé en juillet dernier et qui n’a lieu que tous les douze ans : le Chapitre général de notre congrégation.
Le Chapitre général est la réunion d’une sélection de membres de la Fraternité Saint-Pie X, désignés par les Statuts mêmes de la Fraternité, réunion pendant laquelle des décisions doivent être prises, concernant tant les années écoulées depuis le dernier Chapitre que les années à venir.
L’acte principal du Chapitre général est l’élection (pour douze ans) du Supérieur général et de ses Assistants. En juillet, a donc été élu comme Supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X, en remplacement de Monseigneur Bernard Fellay qui achevait son deuxième mandat (élu la première fois en 1994), Monsieur l’abbé Davide Pagliarani, prêtre italien né en 1970 et ordonné prêtre en 1996.
À la suite de cette élection, ont été élus Monseigneur Alfonso de Galarreta comme premier Assistant, en remplacement de Monsieur l’abbé Niklaus Pfluger ; Monsieur l’abbé Christian Bouchacourt comme second Assistant, en remplacement de Monsieur l’abbé Alain-Marc Nély ; Monseigneur Bernard Fellay et Monsieur l’abbé Franz Schmidberger comme Conseillers. Sous l’autorité de Monsieur l’abbé Pagliarani, ils constituent pour les douze années à venir le Conseil général, chargé d’éclairer le Supérieur général et de prendre avec lui les décisions majeures concernant la vie de la Fraternité Saint-Pie X.
Monsieur l’abbé Bouchacourt, Supérieur du District de France, ayant été promu comme second Assistant, il convenait qu’il soit remplacé à la tête du District. C’est ainsi que Monsieur l’abbé Pagliarani en son conseil m’a nommé Supérieur du District, fonction que j’avais déjà exercée entre 1994 et 1996, et grâce à laquelle je retrouve désormais la France, après vingt-deux ans passés à Écône.
Comme vous pouvez le constater, et comme il est naturel pour tenir compte de l’écoulement du temps, le Chapitre général a entraîné des changements dans les hommes, le renouvellement des instances de direction. Mais il n’a aucunement entraîné un changement dans la Fraternité Saint-Pie X elle-même, dans sa nature, sa mission, son fonctionnement, ses positions doctrinales, liturgiques, morales et pratiques.
La Fraternité Saint-Pie X a toujours pour objet principal, et en quelque sorte unique, « le sacerdoce et tout ce qui s’y rapporte et rien que ce qui le concerne », comme l’expriment ses Statuts. Son œuvre première est donc la formation des prêtres dans les séminaires et, pour cela, en second lieu, la culture des vocations, le soutien aux écoles vraiment catholiques où pourront germer des vocations et de vrais chrétiens, l’apostolat paroissial où la grâce sacerdotale pourra rayonner le Christ et aider à la sanctification des baptisés et de leurs familles.
Vous pouvez d’ailleurs le constater aisément vous-mêmes : vos prêtres, avant comme après le Chapitre général, réalisent chaque jour avec fidélité leur ministère de prédication de l’Évangile, d’adoration et de louange de Dieu, de vie liturgique, de célébration de la messe et des sacrements, de visite des malades et personnes âgées, d’aide aux pauvres, etc. Bref, ils se montrent les « bons et fidèles serviteurs » de Jésus-Christ et des âmes qui leur sont confiées.
On entend dire ici ou là, et spécialement sur internet, que la Fraternité Saint-Pie X dévie, qu’elle trahit, qu’elle est infidèle à Monseigneur Lefebvre et au combat de la foi, que sais-je ! Il suffit d’ouvrir les yeux et les oreilles pour constater qu’il n’en est rien : les prêtres de la Fraternité demeurent sur la même ligne de crête que leur a indiquée leur Fondateur, avec le même attachement à la Rome catholique et à sa Tradition, et le même rejet des nouveautés délétères qui continuent, hélas !, de détruire l’Église.
Et c’est ce qui explique nos relations avec la Rome actuelle. Nous avons des relations avec Rome et nous en aurons toujours, car le Siège apostolique est la pierre fondamentale de l’Église catholique sur cette terre : un catholique ne peut rester catholique en se coupant de Rome.
Dans le cadre de ces relations, les autorités romaines ont, depuis quelques années, progressivement élaboré les linéaments d’une structure canonique pour la Fraternité Saint-Pie X. Et il faut reconnaître que, sur un certain nombre de points, cette structure canonique aurait de réels avantages pour nous, dans la mesure où elle s’adapterait bien à l’apostolat spécifique de la Fraternité Saint-Pie X. Nous apprécions donc à sa juste valeur ces efforts et ces propositions, qui diffèrent évidemment de la persécution sauvage que subissait la Fraternité Saint-Pie X, sous Paul VI par exemple.
Cependant, une structure juridique, canonique, serait-elle parfaite, ne peut par elle-même faire disparaître le dissentiment objectif qui sépare les autorités romaines actuelles de la Fraternité Saint-Pie X. Et la proposition même de cette structure canonique le manifeste clairement. Car, en même temps que les autorités romaines actuelles nous font connaître les avancées (tout à fait intéressantes) de ce projet de structure canonique, elles nous disent, elles nous rappellent, elles nous soulignent, et encore récemment, que cette structure juridique ne pourra être envisagée que dans la mesure où la Fraternité Saint-Pie X acceptera le concile Vatican II et les réformes qui en sont issues.
Oh !, nous dit-on, rassurez-vous, il s’agirait du concile « interprété dans le sens de la Tradition », du concile « authentique » et non point du « concile des médias », du concile à propos duquel il serait loisible de faire avec respect des remarques critiques et des propositions d’amélioration, etc. Mais pourtant, dans le fond, au-delà des habillages et même de certaines corrections superficielles, il s’agit bel et bien « d’avaler le concile ».
Et cela, nous ne le pouvons pas, et nous ne le pourrons jamais. Pour deux raisons coordonnées. La première est que ce concile, dans la lettre même de ses textes (et non seulement dans des interprétations abusives), comprend des affirmations et des omissions qui sont directement contraires à toute la Tradition catholique, à l’enseignement des Papes et des conciles antérieurs. De telles affirmations et omissions contribuent largement à la ruine de la foi : or, il nous est absolument impossible de mettre en danger notre foi catholique, racine du salut éternel.
La seconde raison est que le concile Vatican II, ainsi que les réformes qui en sont issues, ont contribué et contribuent encore aujourd’hui à la ruine de l’Église, ruine dont nous sommes les témoins attristés et effrayés. Donnons un simple exemple, très parlant. La Fraternité Saint-Pie X a été fondée en 1970, cinq ans après la clôture de Vatican II. À l’époque, certains estimaient que la crise ne serait que passagère, un « coup de folie » accompagnant des changements nécessaires, mais que bientôt l’Église retrouverait toute sa force et toute sa splendeur. Or, en 1970, les ordinations sacerdotales annuelles en France étaient d’environ 500 prêtres ; aujourd’hui, elles sont d’environ 100 prêtres, un chiffre très inférieur au simple maintien du clergé. Qui a vu juste, à l’époque, Monseigneur Lefebvre fondant une société pour former des prêtres selon les principes de la Tradition (société qui compte aujourd’hui 650 prêtres), ou ces éternels « optimistes » qui continuent à vouloir appliquer aujourd’hui les principes et les réformes qui ont depuis un demi-siècle ruiné le sacerdoce et fait disparaître les vocations ?
« C’est pourquoi sans aucune rébellion, aucune amertume, aucun ressentiment, nous poursuivons notre œuvre de formation sacerdotale sous l’étoile du Magistère de toujours, persuadés que nous ne pouvons rendre un service plus grand à la sainte Église catholique, au Souverain Pontife et aux générations futures. C’est pourquoi nous nous en tenons fermement à tout ce qui a été cru et pratiqué dans la foi, les mœurs, le culte, l’enseignement du catéchisme, la formation du prêtre, l’institution de l’Église, par l’Église de toujours et codifié dans les livres parus avant l’influence moderniste du concile en attendant que la vraie lumière de la Tradition dissipe les ténèbres qui obscurcissent le ciel de la Rome éternelle. Ce faisant, avec la grâce de Dieu, le secours de la Vierge Marie, de saint Joseph, de saint Pie X, nous sommes convaincus de demeurer fidèles à l’Église catholique et romaine, à tous les successeurs de Pierre, et d’être les « fidèles dispensateurs des mystères de Notre Seigneur Jésus-Christ dans l’Esprit-Saint » » (déclaration de Mgr Lefebvre le 21 novembre 1974).
Chers bienfaiteurs, cette œuvre de la Fraternité Saint-Pie X, qui est aujourd’hui la même qu’hier, à savoir garder et proclamer la foi catholique, et transmettre les sacrements de la foi dans leur intégrité, cette œuvre de la Fraternité Saint-Pie X est toujours, et je dirais de plus en plus, manifeste et nécessaire.
Mais elle a besoin, pour se réaliser pleinement, des conditions matérielles indispensables pour que nos séminaires, nos prieurés, nos chapelles, nos aumôneries et toutes nos maisons, qui sont aussi les vôtres, puissent permettre cet apostolat vraiment catholique. C’est pourquoi nous n’avons aucune honte à implorer votre aide toujours et encore. L’enjeu est considérable, la bataille est titanesque, et nous comptons sur vous pour nous aider à maintenir ce cap de la bonne espérance, notre salut par Marie.
Abbé Benoît de Jorna, Suresnes, le 16 janvier 2019, en la fête de saint Marcel, Pape et Martyr
Sources : LAB n° 87 de janvier 2019