A l’occasion de l’entrée en vigueur, le 8 décembre 2015, des nouvelles normes canoniques simplifiant le processus de reconnaissance des nullités de mariage, un rescrit du pape François a été rendu public le 11 décembre, dans lequel il affirme que les nouvelles lois abrogent l’ensemble des lois antérieures et doivent être observées. Ce n’est pas sans résistance, a reconnu le doyen du tribunal de la Rote romaine, Mgr Pio Vito Pinto, que certains diocèses ont accueilli le choix du pape d’accélérer les procédures, en passant par un seul jugement au lieu de deux jusqu’alors, et en établissant une procédure plus rapide pour certains cas de nullité.
Le 30 novembre, Paolo Pasqualucci, professeur émérite de philosophie du droit à l’Université de Pérouse et collaborateur de la revue Courrier de Rome, avait adressé – sur le blog Chiesa e post concilio – une lettre au pape pour lui demander de surseoir à la mise en application de cette réforme périlleuse pour la foi. Voici les extraits les plus significatifs de sa demande très argumentée, malheureusement restée lettre morte.
« Très Saint Père, je suis un des 790.190 catholiques du monde entier qui ont signé la Supplique qui vous a été adressée au début du mois d’octobre 2015, demandant à Votre Sainteté « une parole d’éclaircissement », qui dissipe la grave confusion répandue dans l’Eglise sur des enseignements fondamentaux, suite aux ouvertures faites par le synode des évêques sur la famille de l’automne 2014. Ces « ouvertures » n’impliquaient pas moins que la légitimation de l’adultère et du péché, car elles visaient, entre autres choses, à admettre à la Sainte Communion les catholiques divorcés remariés civilement. Et pas seulement : elles auraient pu même conduire à l’acceptation des cohabitations homosexuelles, toujours catégoriquement condamnées par l’Eglise car expressément contraires à la loi divine et naturelle.
« Mais cette parole magistérielle, la parole du Souverain Pontife, le Vicaire du Christ Notre Seigneur sur terre, on ne l’a pas entendue. Et la Supplique est restée non entendue. En revanche, il y a eu, le 12 septembre 2015, le Motu Proprio Mitis Judex Dominus Jesus, « sur la réforme du processus canonique pour les causes de déclaration de nullité de mariage dans le Code de Droit canonique ». Ce Motu Proprio institue, au Titre V, « le procès matrimonial plus bref devant l’Evêque », une nouveauté absolue pour l’Eglise – qui a beaucoup fait parler –, mise en œuvre avec référence explicite à l’esprit de Vatican II.
« Le Motu Proprio abolit l’institution de la « double sentence conforme » (toujours défendue par les meilleurs canonistes) avec l’objectif de simplifier les procédures tendant à obtenir une déclaration de nullité ; simplification qui ne semble toutefois pas être en harmonie avec la tradition séculière de présomption de validité du mariage, à défendre avec tous les instruments du droit.
« Par ailleurs, la nouvelle procédure « plus brève », en plus d’attribuer aux évêques une compétence tout à fait inhabituelle, présente (à l’art. 14 § 1) une liste de « circonstances qui peuvent permettre un traitement de la cause de nullité par le moyen d’un procès plus bref ». La liste de ces circonstances est vaste : entre ces circonstances se distinguent « le manque de foi des époux » au moment de l’acte du mariage et la « brièveté de la vie commune conjugale ». L’admission de ces « circonstances » a créé beaucoup de perplexité, induisant certains à parler de « divorce catholique » de fait, garanti justement pas cette procédure « plus brève » ; d’autant plus que la liste de ces « circonstances » s’achève en restant ouverte, y ayant été apposé un « etc. », comme si une liste de ce genre pouvait être allongée à l’infini. Une façon tout à fait singulière de présenter le droit, et a fortiori le droit canonique, autrefois phare de vraie civilisation juridique même pour le monde laïque.
« Cette manière informelle de procéder est justifiée par Votre Sainteté par le recours au principe de la miséricorde. Elle ne peut pas s’arrêter à la lettre, doit saisir et mettre en acte l’esprit des normes, des lois, des commandements divins. Celui qui aujourd’hui défend avec ténacité les principes fondamentaux de la doctrine est stigmatisé par Votre Sainteté comme un hypocrite, quelqu’un qui veut « endoctriner l’Evangile en des pierres mortes à lancer contre les autres ». Certes, comme Votre Sainteté l’a rappelé, « le premier devoir de l’Eglise n’est pas celui de distribuer condamnations ou anathèmes, mais celui de proclamer la miséricorde de Dieu, d’appeler à la conversion et de conduire tous les hommes au salut du Seigneur (cf. Jn 12, 44–50) ».
« Mais, justement, je me permets de l’observer, il doit y avoir « la conversion » pour pouvoir obtenir le salut. Nous savons bien ce que cela signifie. « Conversion » du cœur au Christ avec l’aide de la grâce et donc repentir et changement de vie de façon à pouvoir devenir son disciple dans la foi et les œuvres ; de façon à devenir cet homme nouveau, re-né dans le Christ, et à qui seul sera donné de « voir le Royaume de Dieu » (Jn 3, 3). Vivre dans le Christ (et donc selon les enseignements traditionnels de l’Eglise) dans les œuvres de sa propre sanctification quotidienne ne signifie-t-il pas devoir prendre sa propre croix à l’imitation du Christ ? Il est vrai que l’Eglise a la mission de conduire « tous les hommes au salut du Seigneur ». Nous savons toutefois que pas tous, voire beaucoup ne se sauveront pas. Le Verbe incarné lui-même l’a dit : « Entrez par la porte étroite ; car large est la porte, et spacieuse la voie qui conduit à la perdition, et nombreux sont ceux qui y passent. Car étroite est la porte et resserrée la voie qui conduit à la vie et il en est peu qui la trouvent ! » (Mt 7, 13–14).
« Tous ceux qui préfèrent « la voie spacieuse » des fils du siècle athée et mécréant ont refusé la miséricorde divine. En persévérant dans le refus, ils seront condamnés par la justice divine, sans que cela représente une contradiction avec sa miséricorde. L’article 55 de la Relatio finale du récent Synode des évêques sur la famille rappelle une phrase chère à Votre Sainteté, dont l’article lui-même est pratiquement l’exégèse : « La miséricorde est le centre de la révélation de Jésus Christ ». En effet, avec le sacrifice de sa mort sur la Croix, Notre Seigneur ne nous a‑t-il pas obtenu miséricorde (propitiatio) pour nos péchés ? Votre Sainteté cite également saint Thomas qui, dans la Somme théologique, a écrit : « C’est justement dans sa miséricorde que Dieu manifeste sa toute-puissance » (IIa-IIae, q. 30, art 4). Concept très exact. Toutefois saint Thomas, je me permets de l’ajouter, après avoir cité saint Augustin, pour qui la miséricorde est une vertu qui doit toujours être conforme à la raison et donc « conserver la justice », a aussi écrit que « la miséricorde, entendue comme passion soustraite à la raison, fait obstacle à la délibération [rationnelle], faisant disparaître la justice » (ibidem, art. 3 ad 1).
« Autrement dit : une miséricorde mal entendue (même si elle est animée par les meilleures intentions) conduit au latitudinarisme et au laxisme, acheminant beaucoup de personnes vers la « voie large » de la perdition. Et ceux qui utilisent le principe de la miséricorde prôné par Votre Sainteté pour administrer la Sainte Communion à des personnes qui vivent dans le péché et continuent d’y vivre, ou bien pour accepter les cohabitations de fait et d’un autre type ; auprès de ceux-là la « miséricorde » n’est-elle pas devenue un principe irrationnel qui les amène à une « délibération » non conforme à la raison, violant ainsi la justice ? Qui est ici en premier lieu la justice divine. Raison pour laquelle saint Paul nous enseigne, à propos d’une Sainte Communion sacrilège : « C’est pourquoi celui qui mangera le pain ou boira le calice du Seigneur indignement, sera coupable envers le corps et le sang du Seigneur » (1 Cor 11,27), tombant ainsi sous la hache de sa justice. (…)
Pour toutes ces raisons, Paolo Pasqualucci concluait sa lettre sur cette supplique pressante : « J’implore Votre Sainteté de rejeter les demandes d’ouverture qui ont été présentées, y compris celles aux divorcés remariés, et de surseoir à l’entrée en vigueur du motu proprio sur la réforme des procédures pour obtenir la nullité du mariage : de suspendre ce Motu Proprio, voire de le retirer. (…) »
Sources : apic/imedia/chiesaepostconcilio – Traduction française à partir de Benoit et moi – Passages soulignés par la rédaction – DICI n°327 du 18/12/15