L’Eglise dans la tempête

2020, Jubilé d’or de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X

Chers amis et bienfaiteurs,

L’Église est aujourd’hui prise dans une ter­rible tem­pête. Cette image, cette com­pa­rai­son, si nous l’approfondissons, nous per­met­tra, je pense, de mieux savoir quelle doit être l’attitude catho­lique à suivre aujourd’hui.

Lorsqu’on est sur un bateau en pleine mer, la tem­pête se carac­té­rise d’abord par des bour­rasques qu’on ne peut pas pré­voir et qui se suc­cèdent de façon aléa­toire, mais néan­moins rap­pro­chées. Ces bour­rasques sont dan­ge­reuses et des­truc­trices pour le navire aus­si bien que pour ses occupants.

Tempête dans la sainte Eglise

C’est ce que nous voyons dans la sainte Église. A inter­valles rap­pro­chés, sur­gissent des scan­dales moraux rava­geurs, mais aus­si des ini­tia­tives doc­tri­nales et pra­tiques venant du som­met même de la hié­rar­chie. Modification des lois du mariage, abo­li­tion au moins par­tielle du céli­bat ecclé­sias­tique, « éco­lo­gisme » for­ce­né, trans­for­ma­tion de la Curie romaine, décla­ra­tions aux médias éton­nantes, épous­tou­flantes, effrayantes par­fois, appui à une immi­gra­tion incon­trô­lée, dia­logue inter­re­li­gieux tous azi­muts sont quelques-​unes des ini­tia­tives trou­blantes jetées dans le public et dont nous avons été abreu­vées depuis plu­sieurs années.

Dans une tem­pête, la puis­sance des bour­rasques dépasse lar­ge­ment les capa­ci­tés des marins, et il ne faut pas s’illusionner au point de croire qu’on pour­ra empê­cher réel­le­ment par ses propres forces leur action des­truc­trice. La seule chose pos­sible et rai­son­nable est d’essayer de pré­ser­ver tant bien que mal à la fois les hommes sur le bateau, et le bateau lui-​même, prin­ci­pa­le­ment ses capa­ci­tés de manœuvre. Dans cette situa­tion de l’Église, nous ne devons donc pas pré­tendre, à nous seuls, chan­ger radi­ca­le­ment la situa­tion, qui nous dépasse et nous échappe, étant don­né la dis­pro­por­tion entre nos petites œuvres et la puis­sance de la hié­rar­chie ecclé­sias­tique (même si elle est, mal­heu­reu­se­ment, bien affai­blie aujourd’hui) ren­for­cée de celle du monde.

Nous sommes ain­si condam­nés à souf­frir de ces bour­rasques et, même si nous ten­tons de nous mettre à l’abri du mieux que nous pou­vons, pour ne pas être empor­tés inopi­né­ment par une vague ou un coup de vent impré­vu, nous subis­sons les consé­quences inévi­tables de la situa­tion. Le minis­tère des prêtres est ren­du plus dif­fi­cile, et il ren­contre de plus en plus sou­vent des situa­tions morales rigou­reu­se­ment incon­nues il y a encore vingt ans. La vie chré­tienne des fidèles se heurte à des obs­tacles mul­ti­pliés, à des ten­ta­tions insoup­çon­nées il y a peu.

Il faut songer à nous protéger

Il faut donc son­ger d’abord et avant tout à nous pro­té­ger des influences délé­tères, sans ces­ser évi­dem­ment de prê­cher l’Évangile et de témoi­gner du Christ, cha­cun selon notre voca­tion. C’est un équi­libre tou­jours mou­vant, pas for­cé­ment facile à trou­ver, qu’il faut conser­ver, afin de ne pas être détruit par une situa­tion mora­le­ment dan­ge­reuse, tout en ne « s’enkystant » pas de façon lâche et égoïste. C’est ain­si, par exemple, que Mgr Lefebvre a eu cette magni­fique intui­tion des prieu­rés, où les prêtres sont pro­té­gés du monde et peuvent refaire leurs forces phy­siques, men­tales et spi­ri­tuelles, avant de repar­tir en apos­to­lat pour appor­ter aux âmes la lumière du Christ.

Il est indé­niable que cette situa­tion tem­pé­tueuse est comme l’effet de souffle de l’ouragan que fut le concile Vatican II. C’est pour­quoi il conve­nait que la Fraternité Saint-​Pie X ait deman­dé que soit de nou­veau réa­li­sé un tra­vail doc­tri­nal sur les ques­tions contro­ver­sées. Or Rome nous a clai­re­ment répon­du il y a peu qu’il n’était pas envi­sa­gé pour le moment de reve­nir sur les ques­tions doc­tri­nales, qui sont pour­tant le nœud de la ques­tion et ver­rouillent la ques­tion cano­nique, laquelle ne peut être que subséquente.

Bien enten­du, cela ne nous empêche nul­le­ment de pro­fi­ter de la bien­veillance de tel ou tel évêque dio­cé­sain, qui nous per­met d’exercer plus lar­ge­ment et dans des condi­tions meilleures notre apos­to­lat entiè­re­ment fon­dé sur la Tradition, et ce sans aucune com­pro­mis­sion de notre part. Puisque, selon la sen­tence de Louis Veuillot, « tout ce qui est catho­lique est nôtre », nous n’avons aucune rai­son de nous pri­ver, si enfin on nous l’accorde sans contre­par­tie, de ce qui appar­tient au patri­moine de l’Église et peut pro­fi­ter au bien spi­ri­tuel des âmes.

« Garder le Nord »

Une autre carac­té­ris­tique des tem­pêtes est de faire « perdre le Nord ». Les nuages empêchent de voir le soleil, la lune, les étoiles, et de se repé­rer par rap­port à eux. Bien plus, les vagues étant si éle­vées, la pluie emplis­sant l’horizon, les nuages des­cen­dant très bas font que tout se confond, qu’on ne sait plus où est le haut et le bas, la droite et la gauche, le devant et le der­rière : on est per­du si on pré­tend uti­li­ser sim­ple­ment ses sens, dont les repères sont pro­vi­soi­re­ment abo­lis. La seule solu­tion rai­son­nable est de faire confiance aux ins­tru­ments et de pour­suivre obs­ti­né­ment sa route selon ce qu’ils nous indiquent, même si nous avons à chaque ins­tant la ten­ta­tion de suivre ce que nous croyons que nous indiquent nos sens, au risque de nous perdre nous-​mêmes et le navire avec.

Dans la situa­tion actuelle de l’Église, nous avons des ins­tru­ments cer­tains, qui sont l’Écriture, le caté­chisme, saint Thomas d’Aquin, le Code de droit cano­nique de 1917, le Magistère authen­tique des Conciles et des Papes, les écrits des théo­lo­giens recon­nus et des saints, etc. La ten­ta­tion serait de croire que, parce que le monde change à cer­tains égards (et cela est vrai), nous devons aban­don­ner ces ins­tru­ments fiables pour inven­ter une nou­velle doc­trine, une nou­velle morale, une nou­velle pas­to­rale, pré­ten­du­ment mieux adap­tées à ce nou­veau monde moderne.

En réa­li­té, il y a dans le dépôt de la Tradition, dont je viens d’énumérer les élé­ments prin­ci­paux, toutes les res­sources néces­saires pour adap­ter dans un sens par­fai­te­ment tra­di­tion­nel notre pas­to­rale, lorsque des pro­blèmes maté­riel­le­ment nou­veaux se pré­sentent à nous. Car l’homme reste tou­jours le même, qu’il voyage à pied, en voi­ture ou en fusée ; qu’il écrive sur des papy­rus, des par­che­mins, des livres ou des écrans. Et si l’Église, par exemple, a su s’adapter, sans être alté­rée dans son essence, au cour­rier, au télé­graphe, au télé­phone, au fax, elle peut faire face à l’internet avec les res­sources que lui ont trans­mises les siècles passés.

L’homme reste le même

On dit volon­tiers de la Fraternité Saint-​Pie X qu’elle est « figée ». Pourtant nous uti­li­sons, à bon escient j’espère, tous les moyens modernes sus­cep­tibles de faci­li­ter notre apos­to­lat. Mais l’homme res­tant le même, la Révélation res­tant la même, « Jésus-​Christ étant le même hier, aujourd’hui et éter­nel­le­ment » (cf. He XIII, 8), les solu­tions doc­tri­nales et morales que nous pro­po­sons ne peuvent être que les mêmes. Oui, il n’y a pas de salut en dehors de l’Église ; oui, Jésus-​Christ doit régner sur les per­sonnes, les familles et les socié­tés ; oui, le mariage valide est indis­so­luble ; oui, la messe domi­ni­cale est un com­man­de­ment de l’Église, par­ti­cu­la­ri­sa­tion d’un com­man­de­ment de Dieu, etc. Et ceci, pour l’homme moderne comme pour l’homme du Moyen-Âge.

Ce qu’on veut faire pas­ser, en réa­li­té, lorsqu’on nous dit qu’il faut savoir « évo­luer », ce ne sont pas des chan­ge­ments pure­ment maté­riels (tout le monde sait que nous ne vivons pas comme des Amish), mais bel et bien des chan­ge­ments de fond, qui contre­disent ce que l’Église a ensei­gné et fait durant vingt siècles. Et cela, nous ne le vou­lons pas, nous ne le pou­vons pas, nous ne le ferons pas, avec la grâce de Dieu.

Ceci étant, là où la Providence nous a pla­cés, nous essayons de faire avan­cer l’œuvre de Dieu, nous cher­chons à prê­cher le Christ et à faire rayon­ner sa lumière et sa grâce. Ce que nous demande le bon Dieu, c’est de témoi­gner chaque jour de lui dans un monde qui s’éloigne chaque jour davan­tage du bon sens, de la foi et de la grâce.

Vos prêtres font leur tra­vail, vous apportent le secours de leur minis­tère, conti­nuent à bâtir les prieu­rés, les églises, les écoles où dès aujourd’hui et encore plus demain vous pou­vez vous sanc­ti­fier, édu­quer chré­tien­ne­ment vos enfants, reprendre des forces spi­ri­tuelles pour conti­nuer à être fer­me­ment chré­tiens et catho­liques quand tout se ligue pour nous détour­ner de la voie droite.

C’est pour cette tâche dif­fi­cile aus­si bien qu’exaltante que nous avons besoin de votre aide, y com­pris maté­rielle. Je confie toutes nos inten­tions, toutes vos inten­tions, qui se confondent, à la bien­heu­reuse Vierge Marie, « forte comme une armée ran­gée en bataille ».

Abbé Benoît de Jorna, Supérieur du dis­trict de France

Sources : LAB n° 88

FSSPX Supérieur du District de France

L’abbé Benoît de Jorna est l’ac­tuel supé­rieur du District de France de la Fraternité Saint Pie X. Il a été aupa­ra­vant le direc­teur du Séminaire Saint Pie X d’Écône.