« Le Pape … en prison ! »

Voilà bien le mot d’ordre des enne­mis de l’Église depuis la fon­da­tion de notre Sainte-Mère.

Bien évi­dem­ment, le prin­ci­pal but de cette incar­cé­ra­tion est d’en­rayer, d’ar­rê­ter, si cela était pos­sible, l’ex­pan­sion de l’Église, le royaume de Jésus-​Christ dans les âmes par sa grâce. Pour cette fin, le grand et puis­sant moyen sera d’empêcher de par­ler, de prê­cher au Nom de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, bref, de trans­mettre la foi. En leur temps, les Apôtres avaient déjà reçu cet aver­tis­se­ment du Sanhédrin : « Mais afin que la chose ne se répande pas davan-​tage par­mi le peuple, défendons-​leur avec menace de par­ler désor­mais en ce Nom-​là. » (Actes des Apôtres 4/​17)

Pour mettre en échec le salut des âmes, les enne­mis du Christ s’at­taquent donc à la foi, prin­cipe de toute vie chré-​tienne. « Or sans la foi, il est impos­sible de plaire à Dieu » (Héb. 11/​6) Mais aus­si, en bonne logique dia­bo­lique, ces mêmes enne­mis s’en pren­dront aux moyens de pro­pa­ga­tion de la foi, le pre­mier étant le sou­ve­rain pon­tife. Saint Pierre étant par sa pro­fes­sion de foi, « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant », le fon­de­ment de l’Église « sur cette pierre je bâti­rai mon Église » (St Matthieu 16/​16), ses suc­ces­seurs par­ti­cipent à cette charge pétri­nienne de gar­der la foi catho­lique, de confir­mer leurs frères dans la foi, pour conti­nuer d’é­le­ver l’Église de Jésus-​Christ. Par ce fait-​là, le Saint Père se trouve dans cette guerre en pre­mière ligne. De sur­croît, l’Église, comme toute socié­té, a pour prin­cipe d’u­ni­té son chef. Le chef incarne la socié­té qu’il dirige. Détruire donc le chef, anéan­tir le pape, c’est anni­hi­ler du même coup, la socié­té qu’il gou­verne. Voilà le plan dia­bo­lique tra­mé contre l’Église, et donc contre son chef visible. Notre-​Seigneur avait bien pré­ve­nu Saint Pierre de cela : « Simon, Simon, voi­ci que Satan vous a récla­més pour vous cri­bler comme le fro­ment ;… » (St Luc 22/​31) Ainsi en sera-​t-​il de tous les temps, jus­qu’à la consom­ma­tion des siècles.

Le pre­mier à avoir expé­ri­men­té cet empri­son­ne­ment fut bien évi­dem­ment Notre-​Seigneur, Fondateur de l’Église, mis en pri­son afin d’être ensuite cru­ci­fié pour avoir affir­mé sa divi­ni­té devant Caïphe. En vrai dis­ciple, Saint Pierre sui­vra le divin Maître et subi­ra le même sort. Saint Pierre fut mis deux fois en pri­son à Jérusalem par le san­hé­drin, et une troi­sième fois par le roi Hérode, nous disent les actes des apôtres « voyant que cela fai­sait plai­sir aux juifs ». (12/​3) Rien de nou­veau sous le soleil… Le pre­mier pape ter­mi­ne­ra sa vie dans la pri­son Mamertine de Rome avant son glo­rieux martyr.

Bien évi­dem­ment, tou­jours pour enrayer l’ex­pan­sion de l’Église nais­sante, la pri­son sui­vie du mar­tyr sera le lot de nom­breux suc­ces­seurs de Saint Pierre pen­dant les siècles de per­sé­cu­tions. Pensons entre autres, au pape Saint Marcel 1er, fêté le16 jan­vier, qui mou­rut de mau­vais trai­te­ments sous l’empereur Dioclétien qui l’a­vait atta­ché au ser­vice de ses écuries.

Même après la recon­nais­sance et la li-​berté don­née à l’Église en 313 par l’Empereur Constantin, les pon­tifes romains auront sou­vent à batailler pour main­te­nir leurs droits et la liber­té de l’Église. Les princes tem­po­rels, même chré­tiens, ver­ront fré­quem­ment d’un mau­vais oeil la place pré­pon­dé­rante réser­vée au pou­voir spi­ri­tuel dans le plan divin. Dans le cours de l’his­toire, l’op­po­si­tion menée par les princes tem­po­rels contre le rayon­ne­ment poli­tique de la papau­té, glis­se­ra petit à petit vers une confron­ta­tion idéo­lo­gique et doc­tri­nale pour écla­ter au grand jour au moment de la Révolution « dite fran­çaise », selon le juste mot du Pape Pie XII.

Ainsi, au XVIII siècle, ce sera au tour du pape Pie VI de subir l’emprisonnement. Ayant refu­sé de reti­rer sa condam­na­tion de la consti­tu­tion civile du cler­gé, le Saint Père vit ses États enva­his par les armées fran­çaises. Puis, par les révo­lu­tion­naires, il subit la dépor­ta­tion à Valence, en Dauphiné, où il mou­rut en 1799.

Après Pie VI, ce sera le tour de Pie VII de goû­ter, lors d’un exil en France, les geôles de l’Empereur Napoléon pour avoir résis­té un peu trop aux idées des temps modernes. Dans ses trac­ta­tions avec Rome pour une révi­sion du concor­dat de 1801, Napoléon trouve insuf­fi­santes les conces­sions du pape Pie VII. Alors, pour ame­ner le sou­ve­rain pon­tife à un meilleur dia­logue, tou­jours à sens unique, et à sous­crire à tou-​tes les pré­ten­tions de l’empereur, celui-​ci fait trans­por­ter Pie VII à Fontainebleau le 19 juin 1812. Ce n’est que le 10 mars 1814 que Pie VII retrou­ve­ra sa pleine liber­té et retour­ne­ra dans ses terres romaines.

Ainsi, en ces temps de per­sé­cu­tion, les vicaires du Christ qui se suc­cé­daient sur le trône de Pierre, bien convain­cus de leur charge, résis­taient à la pres­sion de l’i­déo­lo­gie révo­lu­tion­naire. Ces saints pon­tifes, vou­lant gar­der la foi sans tache et imma­cu­lée, s’op­po­saient éner­gi­que­ment aux prin­cipes de 1789 et les dénon­çaient publi­que­ment « Urbi et Orbi ». Malgré tous les moyens mis en œuvre par ses enne­mis, l’Église résiste. Ses per­sé­cu­teurs, fai­sant fi de l’en­sei­gne­ment du Christ : « Les portes de l’en­fer ne pré­vau­dront pas contre Elle », ne com­prennent pas que l’Église est une ins­ti­tu­tion divine dont l’une des carac­té­ris­tiques est l’in­dé­fec­ti­bi­li­té. Mûs par un entê­te­ment digne de pha­raon, ils ne sai­sissent tou­jours pas que la grâce est « ce levain mêlé dans deux trois mesures de farine et fait lever la pâte ». Le Christ a beau leur susur­rer à l’o­reille les mêmes paroles dites à Saint Paul sur le che­min de Damas : « Il t’est dur de regim­ber contre l’ai­guillon » (Acte des Apôtres) rien à faire, l’a­veu­gle­ment demeure et la rage fait rage.

Alors, devant cette indé­fec­ti­bi­li­té de l’Église, va naître, au début du XIXème siècle, à l’es­prit des membres des sectes maçon­niques, geô­liers de nos papes, l’i­dée d’une autre pri­son, bien plus redou­table que celle faite de pierres et de bar­reaux : « un pape selon nos besoins ». Ils veulent le « triomphe de l’i­dée révo­lu­tion­naire par un pape » (Ils L’ont décou­ron­né, page 146–148.)

Voilà le nou­veau plan des loges, par­ti­cu­liè­re­ment de la Haute-​Vante ita­lienne. L’Église est une socié­té et, comme toute socié­té, le chef, prin­cipe d’u­ni­té, incarne sa socié­té. Nous com­pre­nons donc qu’a­voir « un pape ral­lié à nos besoins », c’est du même coup le ral­lie­ment de toute sa socié­té aux idées des sectes occultes. Le pape pri­son­nier des idées du siècle des lumières, c’est toute l’Église qui sera pri­son­nière des idées du monde moderne. Entrées dans l’Église, ces erreurs rece­vront le nom de moder­nisme par Saint Pie X. Ce sera la sécu­la­ri­sa­tion de l’Église par son chef visible, tant dési­rée par ses enne­mis mul­ti­sé­cu­laires, mais condam­née par le Pape Pie IX dans le Syllabus : « Le Pontife romain peut et doit se récon­ci­lier et tran­si­ger avec le pro­grès, le libé­ra­lisme et la civi­li­sa­tion moderne ». (pro­po­si­tion condam­née n°80)

Le même saint Pontife par­le­ra d’ailleurs en juin 1868 à ses car­di­naux de ce plan des sectes maçon­niques, un des coups de maître de Satan : « … détruire le centre de l’u­ni­té catho­lique, afin d’y éta­blir le centre de l’a­bo­mi­na­tion. » (Pie IX par Y. Chiron, p381)

Ce plan dia­bo­lique com­men­ce­ra sur le ter­rain, au milieu du XIX siècle, par une guerre ouverte et sans mer­ci des par­ti­sans de l’u­ni­té ita­lienne contre le pape Pie IX. Contre toute jus­tice, ces der­niers remettent en cause le pou­voir tem­po­rel du pape sur ses États. Privée de tout pou­voir tem­po­rel, l’Église se trouve du même coup bien affai­blie, c’est sa liber­té qui est mena­cée. Le Pape Pie IX n’é­tait pas dupe, il ne sépa­rait pas la guerre faite à son pou­voir tem­po­rel de celle faite à l’Église. « Dans son esprit tout était lié : sa sou­ve­rai­ne­té tem­po­relle, poli­tique, était la condi­tion d’un exer­cice libre de sa mis-​sion spi­ri­tuelle… » (Pie IX par Y. Chiron, P379)

Par la per­ver­si­té des hommes, d’un Victor-​Emmanuel II et d’un Napoléon III, et par per­mis­sion divine pour un plus grand bien, cette spo­lia­tion des États pon­ti­fi­caux se conclu­ra en 1870 par l’en­trée des troupes de Garibaldi dans Rome. Le gou­ver­ne­ment tem­po­rel de Pie IX sera réduit à 42 hec­tares. Il devient alors le pre­mier pri­son­nier du Vatican.

« Un pape selon nos besoins », telle est bien notre situa­tion depuis le der­nier concile, par lequel nous avons effec­ti­ve­ment assis­té au « triomphe de l’i­dée révo­lu­tion­naire par un pape ». Le pape Paul VI n’a-​t-​il pas expli­ci­te­ment affir­mé, dans son dis­cours de clô­ture du concile le 7 décembre 1965, cette sécu­la­ri­sa­tion de l’Église, cet huma­nisme chré­tien, lors­qu’il déclare : « La reli­gion du Dieu qui s’est fait homme s’est ren­con­trée avec la reli­gion (car cela en est une) de l’homme qui s’est fait Dieu. Qu’est-​il arri­vé ? Un choc, une lutte, un ana-​thème ? Cela pou­vait arri­ver ; mais cela n’a pas eu lieu » ? Et un peu plus loin : « … nous aus­si, nous plus que qui­conque, nous avons le culte de l’homme ». Ainsi se réa­lise l’a­ver­tis­se­ment de Saint Paul : « Tous ceux qui veulent gagner les bon-​nes grâces des hommes, ce sont ceux-​là qui vous contraignent à vous faire cir­con­cire, à l’u­nique fin de n’être pas per­sé­cu­tés pour la croix du Christ. » (Galat. 6/​12) Les consé­quences de tout cela sont fatales : « De fait, depuis 1970 envi-​ron, le pape n’a­git plus comme pape. L’Église est atteinte d’u-​ne sclé­rose géné­ra­li­sée, le démo­cra­tisme libé­ral, qui Lui fait perdre sa liber­té d’ac­tion et sa force de frappe. » (Cent ans de moder­nisme P. 11.) Dans cet empri­son­ne­ment doc­tri­nal des papes depuis Jean XXIII, il est très cer­tain que les socié­tés occultes ont oeu­vré, mais la pre­mière res­pon­sa­bi­li­té vient des hommes d’Église eux-​mêmes. « L’Église a sciem­ment et de plein gré ligo­té son propre pilote : le pape règne mais ne gou-​verne plus » (Cent ans de moder­nisme P. 13)

Cette pri­son de l’es­prit, de l’in­tel­li­gence papale est d’au­tant plus redou­table qu’elle laisse le Saint Père libre de ses mou­ve­ments pour annon­cer au monde entier cette « bonne nou­velle » moderne, assai­son­ne­ment 1789. Ici, nous pen­sons bien évi­dem­ment aux nom­breux voyages du Pape Jean-​Paul II par­cou­rant les cinq continents.

Devant cette situa­tion désas­treuse, devant cet empri­son­ne­ment sans pré­cé­dent des papes dans l’i­déo­lo­gie révo­lu­tion­naire, le moder­nisme étant la ver­sion ecclé­sias­tique, plu­sieurs réac­tions ont été émises : la pre­mière, c’est la thèse des sédé­va­can­tistes. Puisque le pape erre dans la foi, il perd sa juri­dic­tion uni­ver­selle et donc ne peut plus être consi­dé­ré comme pape. C’est une opi­nion théo­lo­gique, mais qui, bien exa­mi­née, pose plus de pro­blèmes à la théo­lo­gie qu’elle ne donne de solu­tion. La deuxième réac­tion est d’al­ler en pri­son avec le Saint Père, puis­qu”« il faut suivre le pape ». C’est un adage bien connu, comme celui d’ailleurs des catho­liques à teinte tra­di­tion­nelle : « Je pré­fère me trom­per avec le pape, que d’être dans la véri­té contre le pape » ! Là sont les thèses des conci­liaires et des ins­ti­tuts ral­liés, à l’exemple des autruches.

Encore ! Aller en pri­son avec le pape pour l’en sor­tir, c’est, il est vrai, une thèse assez cha­toyante et attrayante, sur­tout pour les com­man­dos, fana­tiques de coups-​de-​main. Aller en pri­son avec lui, oui, mais pour que la chose soit envi­sa­geable deux choses nous semblent préa­la­ble­ment néces­saires. La pre­mière condi­tion, c’est que le pri­son­nier veuille bien sor­tir, et là, visi­ble­ment, une telle bonne nou­velle n’est pas encore à l’ordre du jour. La seconde, qui s’a­joute à la pré­cé­dente, c’est que ce com­man­do inédit ait la volon­té abso­lue de faire sor­tir le noble pri­son­nier.

Ici, nous voyons l’in­com­pré­hen­sible posi­tion du cler­gé ral­lié. Celui-​ci, bien conscient de cer­tains aspects de la crise de l’Eglise, a rejoint la pri­son pon­ti­fi­cale, puis­qu”« il faut suivre le pape ». Il s’est fait pri­son­nier avec le Saint Père, adop­tant publi­que­ment les faux prin­cipes de 1789 émis et ins­tal­lés dans l’Église par les nova­teurs lors du der­nier concile. Ici nous recon­nais­sons et véri­fions la vraie fina­li­té du décret « Ecclesia Dei » du 1er juillet 1988, faire goû­ter et ava­ler aux tra­di­tion­na­listes les prin­cipes et les fruits empoi­son­nés du concile.

Les ins­ti­tuts ral­liés gardent cette mal­heu­reuse inten­tion de ne pas faire sor­tir le pape de sa pri­son, parce que, ber­cés par l’illu­sion libé­rale, ils sont imbus d’un paci­fisme décon­cer­tant pour des membres de l’Église mili­tante. « Aimant la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu. » (St Jean 12/​43), ils ne com­prennent pas la situa­tion actuelle. Ils ne sai­sissent pas cette oppo­si­tion radi­cale, cette guerre sans mer­ci, entre l’Église de tou­jours et le monde, monde pour qui Notre-​Seigneur n’a pas prié. (Saint Jean 17/​9) Leur manque de prin­cipes leur fait adop­ter ce mau­vais choix. Ne pourrions-​nous pas appli­quer au monde ral­lié, et d’ailleurs pas à lui seul, les paroles du Pape Pie XII en 1951, au sujet de la prise du pou­voir par les révo­lu­tion­naires en France : « Faute de prin­cipes doc­tri­naux, pré­cis et fermes, le monde intel­lec­tuel, sur­tout depuis la fin du XVIIIème siècle, était mal pré­pa­ré à décou­vrir les infil­tra­tions dan­ge­reuses, à réagir contre leur péné­tra­tion insen­si­ble­ment pro­gres­sive » ? (PQR p. 123) Par cette posi­tion, il est aisé de com­prendre que ces mêmes ins­ti­tuts ral­liés n’ont aucune effi-​cacité, bien au contraire, pour une contre-​révolution et une res­tau­ra­tion de l’Église. Après avoir pas­sé en revue les agents de la Révolution, Jean Ousset, dans son livre « Pour qu’Il règne », réserve un cha­pître à une cin­quième colonne : « Après ceux qui se pro­clament cyni­que­ment adver­saires du chris­tia­nisme qui agissent en enne­mis décla­rés de l’ordre chré­tien, il ne faut pas oublier ceux qui, dans la place même, se com­portent per­fi­de­ment en agents très effi­caces de la cause enne­mie, d’au­tant plus redou­tables qu’il sont plus dif­fi­ciles à démas­quer et conti­nuent à se dire catho­liques. Agents plus ou moins conscients – dont il n’est pas ques­tion de pré­ci­ser le degré de res­pon­sa­bi­li­té, vic­times, très sou­vent des idées fausses qui obs­cur­cissent plus que jamais l’at­mo­sphère intel­lec­tuelle du monde entier et que nous vou­drions ici beau­coup plus éclai­rer que com­battre, afin de les rame­ner au seul servi-​ce du Christ-​Roi,- agents non moins réels cepen­dant, de la Révolution uni­ver­selle qui tou­jours eut soin de favo­ri­ser au sein du peuple chré­tien tous les élé­ments pos­sibles de désa­gré­ga­tion. »

Il nous faut bien nous per­sua­der que la Révolution, dans les socié­tés civiles comme dans l’Église, « est une doc­trine, un ensemble de doc­trines, en matières reli­gieuse, phi­lo­so­phique, poli­tique et sociale » (Mgr Freppel cité par PQR p.122). La Révolution qu’elle est-​elle ? Lui lais­sant la parole pour se défi­nir elle-​même, Mgr Gaume disait : « Je ne suis ni l’é­meute, ni le chan­ge­ment de la monar­chie en répu­blique, ni le trouble momen­ta­né de l’ordre public, ni … ni … Je suis la haine de tout ordre que l’homme n’a pas éta­bli et dans lequel il n’est pas roi et Dieu tout ensemble. » (PQR p.122) Véritable relent du péché ori­gi­nel, voi­là la vraie pro­blé­ma­tique, l’é­tat de la ques­tion bien posée : Qui est roi de la créa­tion et de toute socié­té, Dieu ou l’homme ? Il en va de-​même pour la Révélation : est-​ce Dieu qui se révèle aux hommes, ou l’homme qui se révèle à lui-même ?

Toute révo­lu­tion étant donc une doc­trine, fusse-​t-​elle conci­liaire, la seule solu­tion est d’op­po­ser doc­trine à doc­trine. Envisager une autre solu­tion, comme les ins­ti­tuts ral­liés le font naï­ve­ment, c’est se ris­quer à rece­voir cette invec­tive de Jean Jaurès lan­cée aux catho­liques libé­raux après les débats sur la sépa­ra­tion de l’Église et de l’État : « Nos adver­saires ont-​ils oppo­sé doc­trine à doc­trine, idéal à idéal ? Ont-​ils eu le cou­rage de dres­ser contre la pen­sée de la Révolution, l’en­tière pen­sée catho­lique, de récla­mer pour le Dieu de la Révélation chré­tienne, le droit non seule­ment d’ins­pi­rer et de gui­der la socié­té spi­ri­tuelle, mais de façon­ner la socié­té civile ? Non, ils se sont déro­bés, ils ont chi­ca­né sur des détails d’or­ga­ni­sa­tion. Ils n’ont pas affir­mé net­te­ment le prin­cipe même qui est comme l’âme de l’Église. » (La conju­ra­tion anti­chré­tienne de Mgr H. Delassus p. 308.)

Alors devant cette catas­trophe, cet empri­son­ne­ment de notre père, que nous faut-​il faire, membres de la hié­rar­chie ou fidèles ?

Pour sor­tir le pape de pri­son, trois choses à faire sont expli­ci­te­ment révélées. 

La pre­mière, prier. « Alors que Saint Pierre était ain­si gar­dé dans la pri­son, l’Église ne ces­sait d’a­dres­ser pour lui des prières à Dieu ». (Actes Apôtres 12/​5) Ensuite, la deuxième chose à faire, tou­jours révé­lée dans les Saintes Écritures, « prêche la parole, insiste à temps et à contre­temps » ; et cela par­tout où des oreilles de bonne volon­té, ou pru­dem­ment pré­su­mée telle, fussent-​elles romaines, vou­dront bien écou­ter. Nous recon­nais­sons ici les pro­pos de Saint Paul à son fidèle dis­ciple Timothée (2ème lettre 4/​2) : « reprends, menace, exhorte en toute patience et doc­trine ».

Nous l’a­vons dit, le pro­blème étant doc­tri­nal, sa solu­tion est doc­tri­nale. Ainsi la Fraternité Saint Pie X a bien rai­son de pla­cer la cognée à ce niveau-​là avant toute chose.

Un exemple tiré de l’his­toire de France nous fera bien com­prendre la ferme posi­tion de la Fraternité vis-​à-​vis de la Rome moder­niste et nous confor­te­ra dans ses vues.

En 1814, la Restauration voit le jour en France. Louis XVIII monte sur le trône. Mais, influen­cé par les socié­tés de pen­sée qui déte­naient effec­ti­ve­ment le pou­voir, le sou­ve­rain laisse dans la consti­tu­tion fran­çaise les prin­cipes de la pen­sée libé­rale. Le pape Pie VII s’en plain­dra. Le pon­tife romain adres­se­ra ces mots à l’é­vêque de Troyes lors de l’a­vè­ne­ment et des com­pro­mis de Louis XVIII : « Notre éton­ne­ment et notre dou­leur n’ont pas été moindres quand Nous avons lu le 23ème article de la consti­tu­tion, qui main­tient et per­met la liber­té de la presse, liber­té qui menace la foi et les moeurs des plus grands périls et d’une ruine cer­taine. … C’est un fait plei­ne­ment consta­té : cette liber­té de la presse a été l’ins­tru­ment prin­ci­pal qui a pre­miè­re­ment dépra­vé les moeurs des peuples, puis cor­rom­pu et ren­ver­sé leur foi, enfin sou­le­vé les sédi­tions, les troubles, les révoltes ».

Charles X fera la même erreur que son frère. Lui-​même recon­naî­tra celle-​ci, mais trop tard, et fini­ra par dire, après avoir cédé sur un point puis sur un autre : « Je suis confir­mé dans la foi de toute ma vie : toute conces-​sion aux libé­raux est inutile ». (La conju­ra­tion anti­chré­tienne P. 228–229) Effectivement, le monarque vou­lant régle­men­ter la liber­té de la presse le 25 juillet 1830, la secte des maçons déclen­che­ra une Révolution au mois de sep­tembre de la même année. La seule solu­tion pour Charles X sera d’a­ban­don­ner le pou­voir. Quelques décen­nies plus tard, Napoléon III ayant abdi­qué, le Comte de Chambord est contac­té par le pou­voir occulte pour reprendre les rênes de notre pays avec, comme forme du gou­ver­ne­ment, une monar­chie consti­tu­tion­nelle. En toute luci­di­té, ce prince catho­lique bien né veut impré­gner toute la consti­tu­tion de son pays de la loi de Dieu. « Je dois faire tous les efforts pour que Dieu règne dans ce royaume, pour que mes com­man­de­ments soient subor­don­nés aux siens, pour que mes lois fassent res­pec­ter ses lois ». (La conju­ra­tion anti­chré­tienne P. 275) Il résu­me­ra sa pen­sée sou­ve­raine par ses mots : « Faire ren­trer Dieu en Maître dans la socié­té, afin que lui-​même pût y régner en roi. »(ibi­dem) Tout était dit, et bien dit. Ces vues n’é­tant pas du goût du pou­voir occulte du moment, ce grand prince, tirant les leçons du pas­sé, écon­dui­ra les avances des réels déci­deurs de l’é­poque. La même réponse fut faite en 1918 par l’Empereur Charles 1er de Habsbourg, empe­reur d’Autriche-​Hongrie, aux mêmes per­sonnes. Cela lui vau­dra l’exil avec sa femme Zita et leurs enfants. Honneur et gloire à ces géants !

Devant la Rome moder­niste, c’est bien la même atti­tude et la même fer­me­té qu’a­dop­te­ra Monseigneur Lefebvre. Le pré­lat ne voit, mal­heu­reu­se­ment, pour sa Fraternité que la pos­si­bi­li­té d’une illé­ga­li­té cano­nique, illé­ga­li­té appa­rente mais dont le motif est de res­ter catho­lique. La rai­son qu’il donne est très simple. Les auto­ri­tés offi­cielles du moment, la hié­rar­chie romaine actuelle, les lois et le droit canon agissent et sont faits pour sou­te­nir les moder­nistes contre les catho­liques, contre la tra­di­tion (Mgr Lefebvre dans COSPEC cas­sette 29‑b). Ainsi la Fraternité, com­pre­nant l’en­jeu de la situa­tion et ne vou­lant, pour le bien de l’Église, aucune com­pro­mis­sion avec l’er­reur, expose depuis plus de 40 ans à la Rome moder­niste les rai­sons de son inva­riable conduite : « Faire régner inté­gra­le­ment Jésus-​Christ en Maître abso­lu dans son Église ». La situa­tion est en faite très simple et n’ad­met pas d’al­ter­na­tive. On ne par­ti­cipe pas à la construc­tion d’un édi­fice avec un archi­tecte avec lequel on n’est pas d’ac­cord sur les prin­cipes et les lois de la phy­sique et des mathé­ma­tiques, comme deux plus deux font quatre. On ne joue pas au Monopoly avec un rou­blard, sur­tout si ce der­nier joue le rôle du banquier.

Enfin, la troi­sième chose tou­jours révé­lée dans les Saintes Lettres pour sor­tir le Saint Père de sa pri­son, c’est encore Saint Paul qui nous en donne l’exemple : « Mais lors-​que Céphas vint à Antioche, je lui résis­tai en face, parce qu’il était digne de blâme. » (Galat 2/​11) Il nous faut donc dénon­cer les erreurs et les fau­teurs d’er­reurs quels qu’ils soient.

Tout mutisme est impos­sible. Mgr Castro-​Mayer, dans une de ses lettres pas­to­rales de 1953, nous aver­tit des consé­quences d’une telle atti­tude : « Et si, pour évi­ter de telles dis-​cussions, les bons font ces­ser l’op­po­si­tion, plus grand encore est le triomphe de l’en­fer qui peut, à l’in­té­rieur même de la Cité de Dieu, plan­ter son éten­dard et déve­lop­per rapi­de­ment et faci­le­ment ses conquêtes. » (PQR p. 258)

C’est donc seule­ment avec ces trois prin­cipes, joints une grande fer­me­té, que l’es­poir d’une sor­tie de pri­son nous est per­mis, avec ses consé­quences iné­luc­tables : la renais­sance de la socié­té chrétienne.

Soyons bien convain­cus que Dieu aura son heure, mais aus­si, à nous d’y coopé­rer droi­te­ment et sain­te­ment. Alors, quand il plai­ra à Dieu, quand les deux chaînes du libé­ra­lisme et du moder­nisme tom­be­ront des mains du sou­ve­rain Pontife pour lui rendre sa vraie liber­té, quand la voix inté­grale du bon Pasteur par l’en­tre­mise des suc­ces­seurs de Saint Pierre reten­ti­ra à nos oreilles, croyons qu’un miracle est tou­jours pos­sible. Alors dans notre joie, et après avoir suf­fi­sam­ment « éprou­vé les esprits s’ils viennent de Dieu » selon le mot de Saint Jean (1ère Epî. 4/​1) puisque « Satan lui-​même se déguise en ange de lumière. » (II Cor. 11/​14), alors dans cette joie indi­cible n’ou­blions pas de lui ouvrir notre porte (Actes Apôtres 12/​14) .

Abbé Nicolas Jaquemet, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X

Source : La Sainte Ampoule n° 233 de septembre-​octobre 2015