Quiconque entend raisonnablement se soustraire aux injonctions étatiques et sanitaires sans cesse variantes et contradictoires se trouve lui aussi mis à l’écart comme un paria
Il est étonnant que le mot même de contagion n’apparaisse qu’au XIVe siècle. Or bien avant, évidemment, des maux graves se transmettaient déjà de proche en proche et devaient nécessiter des mesures de protection. Le dictionnaire nous apprend en effet que contagion est un « nom féminin datant de 1375 qui vient du latin tangere, toucher ». Et si l’on fouille un peu plus, on découvre que l’idée d’une transmission d’un mal par contact n’est pas issue de la science de la médecine. Eh non ! Dès l’antiquité chrétienne, on a craint grandement la propagation du mal.
D’abord le premier des maux, et le pire, celui qui se transmet à tous de génération en génération et prive la nature de son ordination, c’est le péché originel ; il désordonne toute nos facultés livrées à leur propre plaisir, au détriment du gouvernement de la raison. C’est même la raison de notre vie mortelle et de tous nos maux. Le seul remède c’est la passion de Notre-Seigneur Jésus- Christ, dont le sacrifice est renouvelé sur l’autel, à la messe, qui est un vrai sacrifice propitiatoire (ce que ne manifeste plus d’ailleurs la nouvelle messe de Paul VI remise au goût du jour). « Qui me délivrera de ce corps de mort ? », se demande l’Apôtre.
Mais, outre cette corruption native, quel est donc ce mal que tous les Pères de l’Église ont tant combattu parce qu’il était justement très contagieux ? C’est l’hérésie. Le charitable Augustin est féroce lorsqu’il s’agit d’endiguer ce fléau, celui des donatistes en particulier. Et pourquoi, sinon parce que les hérétiques de tout poil refusent les canons de la foi et dissolvent l’unité politique et sociale à l’image des effets du péché originel ? Comme ils refusent les règles de croire et d’agir qui obligent tous les membres d’un corps social organisé, ils doivent être exclus.
Saint Paul demande à Tite comme à Timothée que les fidèles évitent les hérétiques. Et les empereurs chrétiens n’ont pas badiné sur un sujet aussi grave ; ils imposaient que l’on confisquât leurs biens ou même qu’on les exilât. On comprend l’inquisition mise en place par les papes Innocent XI et Grégoire IX après que les cathares ou les albigeois avaient montré qu’ils étaient dangereux. Tous ceux qui les défendaient étaient déclarés infâmes et suspendus de leurs fonctions. Le droit canon frappe d’excommunication les hérétiques publics : ils sont retranchés de la vie commune sacramentelle et n’ont pas le droit à la sépulture ecclésiastique.
Pertinemment l’hérétique ne veut plus croire à Dieu son Sauveur en raison de son autorité ; il prétend, par son jugement propre, atteindre au mystère divin ; il est un fléau pour ceux qui l’entourent et l’écoutent, car il détruit résolument leur béatitude. Il est bien juste qu’il soit exclu : la fin de l’homme est en péril. Dans un édit de 425, l’empereur romain Théodose II exige que soient exclus les hérétiques : « pour que Rome ne soit pas souillée par la contagion due à la présence de ces criminels ».
Pour saisir la gravité de ce mal et sa contagion, les Pères de l’Église l’ont comparée à la lèpre, cette maladie qui suscite crainte et rejet. La laideur de leurs visages et la déformation de leurs corps entraînaient les lépreux à vivre quasiment comme des morts-vivants, des parias. « La lèpre est en effet un défaut de couleur, et non la privation de la santé ou de l’intégrité des nerfs et des membres. Il est donc permis de voir dans les lépreux le symbole de ces hommes qui, n’ayant pas la science de la vraie foi, professent ouvertement les divers enseignements contradictoires de l’erreur. Car ils ne voilent pas même leur inhabileté, mais ils font tous leurs efforts pour produire l’erreur au grand jour et mettent à son service toute la pompe de leurs discours. Or, il faut que l’Église évite de tels hommes », explique saint Augustin.
Et aujourd’hui ? Quiconque entend raisonnablement se soustraire aux injonctions étatiques et sanitaires sans cesse variantes et contradictoires se trouve lui aussi mis à l’écart comme un paria. Celui qui entend garder raison et ne pas adhérer au code de vie républicain douteusement fondé, en vient vite à être regardé comme abject et marqué d’une souillure légale : il se met en état d’hérésie laïque et doit donc être exclu. Rien de nouveau sous le soleil.
Au temps de Notre-Seigneur, le législateur hébraïque contraignait les lépreux à porter un voile sur le menton et à avertir les passants de leur approche en criant : « Tâmé, tâmé, impur, impur ». Quelle prophylaxie la République va-t-elle imposer à ces nouveaux hérétiques ? Devront-ils comme autrefois, déambulant, porter une clochette, ces nouveaux lépreux ?
Source : Fideliter n°260