La communion pour tous

La théo­lo­gie est la science des mys­tères de Dieu. Or, qui dit science, dit appli­ca­tion de la rai­son à un cer­tain objet pour mieux le connaître. Dans la consti­tu­tion Dei Filius (ch. 4), le concile Vatican I a pré­ci­sé le rôle de la rai­son dans la connais­sance des mys­tères révé­lés en évo­quant trois pro­cé­dés théo­lo­giques spécifiques :

  • com­pa­rer les réa­li­tés natu­relles et les réa­li­tés sur­na­tu­relles (par exemple, l’amitié et la charité),
  • cer­ner les liens qui unissent les mys­tères entre eux (par exemple, le péché ori­gi­nel et la rédemption),
  • mettre en rap­port les mys­tères avec la fin der­nière de l’homme (par exemple, la grâce sanc­ti­fiante et le bon­heur du ciel).

Si la théo­lo­gie fait son miel de la connexion qui existe entre les mys­tères, à l’inverse la com­pré­hen­sion inadé­quate d’un mys­tère finit tou­jours par cor­rompre l’intelligence des mys­tères qui lui sont connexes. Ainsi, les erreurs sur le péché ori­gi­nel conduisent logi­que­ment à mécon­naître le mys­tère de la rédemption.

Ce mystère est grand

Selon saint Paul, les rela­tions entre l’époux et l’épouse dans le mariage sont com­pa­rables à celles du Christ et de l’Eglise :

« Mes frères, que les femmes soient sou­mises à leurs maris comme au Seigneur, car le mari est le chef de la femme comme le Christ est le chef de l’Eglise, lui le sau­veur de son corps. De même donc que l’Eglise est sou­mise au Christ, de même aus­si les femmes à leurs maris, en toutes choses.

« Et vous, époux, ché­ris­sez vos femmes comme le Christ aus­si ché­rit l’Eglise et s’est livré pour elle, afin de la sanc­ti­fier en la puri­fiant dans le bap­tême de l’eau par la parole de vie, pour la faire paraître devant lui pleine de gloire, n’ayant ni tache ni ride, ni rien de pareil, mais bien plu­tôt sainte et immaculée. 

« Ainsi les maris doivent aimer leur femme comme leur propre corps. Qui aime sa femme s’aime soi-​même ; car jamais per­sonne n’a haï sa propre chair, mais il la nour­rit et l’entoure de soins, comme le Christ fait pour l’Eglise, puisque nous sommes les membres de son corps, for­més de sa chair et de ses os. 

« C’est pour­quoi l’homme quit­te­ra son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et ne plus faire à eux deux qu’une seule chair. Ce mys­tère est grand : je dis cela par rap­port au Christ et à l’Eglise. Bref, que cha­cun de vous aime sa femme comme soi-​même, et que la femme révère son mari. » (Eph 5, 22–33)

Selon l’enseignement de l’Apôtre, l’union entre le Christ et l’Eglise est :

  • une : le Christ s’est choi­si une seule Eglise, fon­dée sur Pierre, à laquelle il a confié tous les tré­sors du salut (véri­tés de foi, prière, com­man­de­ments, sacre­ments) en sorte que ni le Christ n’a plu­sieurs épouses ou concu­bines simul­ta­nées, ni l’Eglise n’a plu­sieurs sauveurs.
  • indis­so­luble : le Christ et l’Eglise sont unis de façon indis­so­luble et per­ma­nente, comme Notre Seigneur l’a pro­mis à ses apôtres (Mt 28, 20).
  • féconde : de l’union du Christ et de l’Eglise naissent à la vie sur­na­tu­relle les enfants de Dieu qui sont aus­si enfants de l’Eglise.

De même, l’union des époux dans le mariage est :

  • une : le mariage lie un seul homme et une seule femme,
  • indis­so­luble : les conjoints sont unis pour tou­jours par les liens du mariage,
  • féconde : l’union des époux est ordon­née à la géné­ra­tion et à l’éducation des enfants.

Mais que se passe-​t-​il lorsque la théo­lo­gie altère les rela­tions entre le Christ et l’Eglise ? La ques­tion est loin d’être oiseuse depuis le der­nier concile.

La nouvelle théologie

Tout en recon­nais­sant que l’union entre le Christ et l’Eglise est une, indis­so­luble et féconde, Vatican II affirme dans le décret Unitatis redin­te­gra­tio que :

- « par­mi les élé­ments ou les biens par l’ensemble des­quels l’Eglise se construit et est vivi­fiée, plu­sieurs et même beau­coup, et de grande valeur, peuvent exis­ter en dehors des limites visibles de l’Eglise catho­lique » (n° 3),

- « ceux qui croient au Christ et qui ont reçu vali­de­ment le bap­tême, se trouvent dans une cer­taine com­mu­nion, bien qu’imparfaite, avec l’Eglise catho­lique » (ibid.),

« ces Eglises et com­mu­nau­tés sépa­rées, bien que nous les croyions vic­times de défi­ciences, ne sont nul­le­ment dépour­vues de signi­fi­ca­tion et de valeur dans le mys­tère du salut » (ibid.).

De cette nou­velle théo­lo­gie de l’Eglise, il s’ensuit logi­que­ment une nou­velle théo­lo­gie du mariage que d’aucuns pré­tendent appli­quer au cas des divorcés-remariés :

« Le second mariage, bien sûr, n’est pas un mariage dans notre sens chré­tien. Et je serais contre sa célé­bra­tion à l’Eglise. Mais il y a des élé­ments de mariage. Je vou­drais com­pa­rer cette situa­tion à la façon dont l’Eglise catho­lique voit les autres Eglises. L’Eglise catho­lique est la vraie Eglise. Mais il y a d’autres Eglises qui ont des élé­ments de la vraie Eglise et nous recon­nais­sons ces élé­ments. De la même façon, nous pou­vons dire : le vrai mariage est le mariage sacra­men­tel. Le second mariage n’est pas un mariage dans le même sens, mais il en pos­sède des élé­ments : les par­te­naires prennent soin l’un de l’autre, ils sont liés exclu­si­ve­ment l’un à l’autre, il y a une inten­tion de per­ma­nence, ils élèvent des enfants, ils mènent une vie de prière, etc. Ce n’est pas la meilleure situa­tion, c’est la meilleure situa­tion pos­sible. De façon réa­liste, nous devrions res­pec­ter de telles situa­tions, comme nous fai­sons avec les pro­tes­tants. Nous les recon­nais­sons comme chré­tiens. Nous prions avec eux. » (Interview du card. Walter Kasper au maga­zine Commonweal, 7 mai 2014)

Le tout et l’ordre des parties

Nul doute qu’un tas de briques et une mai­son construite avec ces mêmes briques sont iden­tiques d’un point de vue maté­riel. Mais, d’un point de vue for­mel, l’ordre et la fina­li­té des élé­ments qui la com­posent dis­tingue clai­re­ment une mai­son d’un mon­ceau ou d’un agglo­mé­rat désor­don­né de briques.

En quit­tant l’Eglise catho­lique, schis­ma­tiques et héré­tiques ont certes empor­té avec eux quelques élé­ments de salut : la Bible, le bap­tême, l’épiscopat, etc. Mais ces élé­ments sont chez eux iso­lés de l’ordre et de la fina­li­té qu’ils ont dans l’Eglise catho­lique : la Bible est lue hors du contexte de la Tradition, le bap­tême est reçu sans être ordon­né à l’eucharistie, l’épiscopat est exer­cé indé­pen­dam­ment de la pri­mau­té du pape.

Que l’union des divorcés-​remariés pré­sente quelques simi­li­tudes maté­rielles avec celle des couples légi­times (amour mutuel, sta­bi­li­té de la rela­tion, soin des enfants, vie de prière, etc.), nul n’en dis­con­vient. Mais ces élé­ments sont pri­vés de l’ordre et de la fina­li­té qui sont propres au mariage chré­tien. Cette vie pseudo-​maritale consti­tue objec­ti­ve­ment un état de péché dans lequel les dis­po­si­tions fon­da­men­tales indis­pen­sables pour com­mu­nier avec fruit font défaut aux pseudo-conjoints.

D’ailleurs, en pous­sant ce faux prin­cipe jusqu’à ses ultimes consé­quences, ne pourrait-​on pas dire que l’union des per­sonnes de même sexe jouit des mêmes simi­li­tudes avec le mariage légi­time ? S’agit-il pour autant d’une forme impar­faite de mariage dont il fau­drait s’accommoder et dont les membres devraient pou­voir accé­der à la com­mu­nion ? Après le mariage pour tous, la com­mu­nion pour tous ?

Abbé François KNITTEL, in la « Lettre de saint Florent » du mois d’août 2014