La Concélébration de Monseigneur Rifan

En exa­mi­nant ma col­lec­tion incom­plète de Fideliter, je suis tom­bé sur l’éditorial signé par mon­sieur l’abbé Aulagnier dans le numé­ro 96. Il y parle de Dom Gérard : je vous livre ici quelques extraits de cet édi­to­rial mais je vous invite à le relire entiè­re­ment (NDLR : C.F. infra). C’est ins­truc­tif ! Précisons que ce numé­ro est celui de novembre-​décembre 1993 et qu’à cette époque, le père-​abbé du Barroux n’a pas encore concélébré.

Après avoir décrit l’évolution subie par la mou­vance Ecclesia Dei en direc­tion d’un ral­lie­ment rapide, mon­sieur l’abbé Aulagnier désigne un responsable :

« Celui qui, aus­si soli­de­ment armé, a entraî­né hors du droit che­min des prêtres qui n‘avaient ni sa for­ma­tion, ni la pro­tec­tion de sa clô­ture monas­tique, celui-​là est le véri­table, le pre­mier, le prin­ci­pal res­pon­sable de leurs chutes misé­rables et nous devons lui deman­der des comptes. Oui, c’est bien vous, Dom Gérard, que j’interpelle aujourd’hui : qu’avez-vous fait de ces prêtres que Monseigneur Lefebvre a for­més pour la Tradition, pour la messe de tou­jours, pour la foi catho­lique ?… Qu’avez-vous fait de ces prêtres, et de tous les autres, dont cer­tains sont déjà au cœur du moder­nisme, dont les autres s’en rap­prochent à grande vitesse ? Ne les voyez-​vous pas, sous vos yeux, en train de lâcher sur un point, puis sur un autre, en voie de se trans­for­mer len­te­ment pour finir par dire la messe de Luther, cette nou­velle messe abo­mi­nable qui « s’éloigne de façon impres­sion­nante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théo­lo­gie catho­lique de la sainte messe ? »

Le style est vigou­reux, notre ancien supé­rieur du District, à juste titre, ne mâchait pas ses mots pour dénon­cer les déviances déjà net­te­ment visibles de la mou­vance « Ecclesia Dei » et de ses ténors. Il avait rai­son car le moine béné­dic­tin qui, en 1988, avait pro­cla­mé son accep­ta­tion d’un accord, « nulle contre­par­tie doc­tri­nale ou litur­gique n’étant exi­gée », concé­lé­bra avec le pape en 1995 tan­dis que son père Basile deve­nait le plus valeu­reux défen­seur de la liber­té religieuse.

Je n’ai pas recher­ché les textes que mon­sieur l’abbé Aulagnier a sans doute écrits pour stig­ma­ti­ser la concé­lé­bra­tion du jeu­di 27 avril 1995. Mais j’imagine que Dom Gérard, s’il avait été déjà ain­si étrillé en 1993, a dû être « lais­sé pour mort » après sa concé­lé­bra­tion dans les écrits de notre ancien supérieur.

Cette même réfé­rence à l’éditorial de 1993, me per­met éga­le­ment de pen­ser que mon­sieur l’abbé Aulagnier a dû être sai­si d’une indi­gna­tion ter­rible en appre­nant que mon­sei­gneur Rifan, à son tour, à l’occasion du cen­te­naire du cou­ron­ne­ment de Nossa Senhora Aparecida. Mais cette réaction-​là ne s’est pas pro­duite. Je vous com­mu­nique tout sim­ple­ment celle qu’il vient d’avoir et je vous avoue qu’elle me bou­le­verse car, à l’évidence, il ne s’agit plus du même homme :

« Las ! Las ! sur un site « offi­ciel » de la FSSPX, on nous montre Mgr Rifan, aube et mitre en mains, au milieu d’autres évêques. On nous le dit « concé­lé­brant » dans le rite nou­veau. On crie au scan­dale, à la tra­hi­son. La Maison Générale de la FSSPX, sans plus attendre, donne de la voix sur le site de La Porte Latine . « Il était là », il est vrai, les cir­cons­tances expli­quaient sa pré­sence : le renou­vel­le­ment de la consé­cra­tion du Brésil à Notre-​Dame. Mais un jour aus­si Mgr Lefebvre, pour des cir­cons­tances par­ti­cu­lières, dut assis­ter à la nou­velle messe. Ses « dis­ciples d’aujourd’hui », si sûrs d’eux-mêmes, seraient bien capables de condam­ner sa pré­sence. Crieraient-​ils le même « il a tra­hi » ? Allons donc. Tout cela n’est pas sérieux. Figurez-​vous que comme Mgr Lefebvre, ce jour-​là, lui aus­si avait déjà dit la messe. Et puis la nou­velle messe, contrai­re­ment à ce que dit M. l’abbé de Jorna n’est pas intrin­sè­que­ment per­verse . Serait-​ce un péché d’y assis­ter occa­sion­nel­le­ment et pour des rai­sons excep­tion­nelles ? Le Père Vinson le sou­te­nait. Jamais Mgr Lefebvre. Serait-​on deve­nu, dans la FSSPX, dis­ciple du Père Vinson ? Moi ! Non ! »

Alors ? Je suis, quant à moi, plus navré encore de la réac­tion de mon­sieur l’abbé Aulagnier à la concé­lé­bra­tion de Monseigneur Rifan que de la concé­lé­bra­tion elle-même.

Quel che­min par­cou­ru en 11 ans pour l’amener à se pla­cer désor­mais aux côtés de ceux qu’il accu­sait naguère avec tant d’énergie ! Puisse mon­sieur l’abbé Aulagnier de 2004 relire son édi­to­rial du numé­ro 96 de Fideliter et prou­ver ensuite, s’il le peut, que ses belles convic­tions d’alors n’ont pas été ébranlées….

Est-​ce à moi de lui expri­mer la confu­sion lamen­table, géné­rée par sa réac­tion, entre une par­ti­ci­pa­tion active (a for­tio­ri une concé­lé­bra­tion !) et une pré­sence pas­sive à la nou­velle messe ? De lui dire que l’expression de l’abbé de Jorna pour dési­gner la nou­velle messe vaut bien celle de « messe de Luther » qu’il employait allè­gre­ment naguère ?

Puisse-​t-​il enfin, à l’aune du signe déci­sif de ral­lie­ment don­né par l’évêque bré­si­lien, recon­naître, pour le plus grand bien de la Tradition, que la voie dans laquelle il s’est enga­gé était bel et bien une impasse !

Abbé Régis de Cacqueray †, Supérieur du District de France

(1)Editorial de l’abbé Aulagnier – Fideliter n°96 – Novembre/​décembre 1993

La grande illusion des ralliés

« Celui qui m’a livré à toi est coupable d’un plus grand péché »

Etat d’esprit des ralliés et leur avenir prochain. (*)

Chaque jour qui passe apporte son lot de récits, de décla­ra­tions, d’in­ter­views qui nous informent sur les sou­bre­sauts agi­tant actuel­le­ment le milieu des « catho­liques Ecclesia Dei ». Par ces écrits, nous sommes désor­mais clai­re­ment ren­sei­gnés sur la Rome conci­liaire, sur l’é­tat d’es­prit des ral­liés et sur leur ave­nir prochain.

Ces docu­ments montrent d’a­bord au grand jour l’in­croyable dupli­ci­té de la Rome actuelle, qui a trom­pé et conti­nue de trom­per les âmes au pro­fit d’une manœuvre de pure poli­tique ecclé­sias­tique. On est stu­pé­fait et hor­ri­fié de voir avec quelle désin­vol­ture sont trai­tées les réa­li­tés les plus saintes de la foi, de la messe, de la Tradition.

Ces docu­ments prouvent ensuite la naï­ve­té des « catho­liques Ecclesia Dei » ou leur aveu­gle­ment en face de la réa­li­té la plus avé­rée. Les auto­ri­tés de Rome, les évêques, répètent sur tous les tons qu’il n’est pas ques­tion de remettre en cause le Concile, confirment que la réforme litur­gique est tou­jours norme de foi, assurent qu’une coexis­tence des deux rites à l’é­chelle de l” Eglise est impen­sable. Pourtant, les ral­liés conti­nuent imper­tur­ba­ble­ment de croire et d’af­fir­mer que Rome revient à la Tradition, que la messe tra­di­tion­nelle devient désor­mais par­fai­te­ment libre dans l’Église et que la res­tau­ra­tion de la foi va bon train.

Ces docu­ments révèlent enfin la rapide évo­lu­tion des « catho­liques Ecclesia Dei » et notam­ment des membres de la Fraternité Saint-​Pierre. Ceux-​ci sont en train de virer de bord et de se ral­lier, non plus seule­ment à la Rome du moder­nisme, mais bien au moder­nisme de Rome. Le cas navrant de l’ab­bé Laffargue, se fai­sant publi­que­ment une gloire de célé­brer la nou­velle messe, est le signe le plus tan­gible de cette dra­ma­tique transformation.

En lisant ces docu­ments, dont nous ne pou­vons publier qu’une par­tie, tant ils sont nom­breux, notre cœur se serre. Ces prêtres ont été nos confrères, nos com­pa­gnons, nos amis. Ils ont por­té haut et fier le dra­peau de la Tradition, de la messe catho­lique, du sacer­doce intègre. Les fidèles comp­taient sur eux, nous comp­tions sur eux, ils par­ti­ci­paient de l’es­poir du renou­veau de l’Église. Et voi­ci qu’ils vont se perdre dans les méandres du conci­lia­risme, qu’ils se laissent sur­prendre par les trom­pe­ries de la Rome actuelle et qu’ils aban­donnent, les uns après les autres, la messe de leur ordi­na­tion. Quel gâchis lamentable !

La dérive logique des « ralliés » : compromissions, concessions…

Leur évo­lu­tion actuelle ne doit pas nous éton­ner, tou­te­fois. Car elle était ins­crite iné­luc­ta­ble­ment dans leur des­tin dès 1988, du jour où ils ont accep­té ces funestes accords. Ayant fon­dé la Fraternité Saint-​Pierre ou l’ayant rejointe, ils étaient for­cés de prendre posi­tion. Membres d’une socié­té de for­ma­tion sacer­do­tale, ils devaient avoir des ordi­na­tions et donc trou­ver des évêques qui consentent à les faire. Membres d’une socié­té apos­to­lique, ils devaient trou­ver des dio­cèses qui les accep­te­raient. Membres d’une socié­té qui sou­haite se déve­lop­per, il leur fal­lait les res­sources finan­cières néces­saires. Membres d’une socié­té clé­ri­cale, le contact avec les repré­sen­tants du cler­gé était une obli­ga­tion de leur état.

Or, dans l’é­tat actuel des choses, alors que ni Rome, ni les évêques, ni le cler­gé « recy­clé » dans son ensemble n’ont la moindre inten­tion de faire un retour sérieux à la Tradition, ces prêtres devaient néces­sai­re­ment se trou­ver, du fait des accords, pris entre deux feux. S’ils résis­taient au moder­nisme ambiant de l’Église conci­liaire, c’é­tait un com­bat épui­sant de tous les ins­tants sur chaque détail, qui aurait miné la confiance réci­proque, aurait abou­ti à des mes­qui­ne­ries sor­dides et fini par blo­quer toute la dyna­mique des accords « Ecclesia Dei ». Il leur fal­lait donc se rési­gner à des com­pro­mis­sions, à des conces­sions, et mettre la main dans l’en­gre­nage fatal qui les a hap­pés et qui fini­ra par les broyer tous, pour en faire de vrais ral­liés aux erreurs du Concile, à la nou­velle messe et à tout ce qu’ils ont com­bat­tu jus­te­ment dans le pas­sé. Ce sont donc sur­tout les accords de 1988 qu’il convient de leur repro­cher, car ils sont la cause de tout le mal, et non leur atti­tude actuelle, qui n’en est que la conséquence.

Même sous ce rap­port, d’ailleurs, je ne crois pas que ces prêtres soient les prin­ci­paux res­pon­sables de leur accep­ta­tion de ces accords désas­treux. Certes, ils ont gar­dé leur liber­té per­son­nelle et donc leur part de res­pon­sa­bi­li­té. Mais ils béné­fi­cient de cir­cons­tances expli­ca­tives, sinon atténuantes.

D’abord, ils sont pour la plu­part assez jeunes et nous savons que la jeu­nesse est ver­sa­tile, rem­plie d’illu­sions, trop confiante en ses forces, ce qui l’ex­pose à des erreurs.

Ensuite, ils sont les fils du concile Vatican II et de mai 68, c’est-​à-​dire de la sub­ver­sion reli­gieuse et sociale. Le milieu fami­lial, parois­sial, cultu­rel, social où leur jeu­nesse s’est dérou­lée a été agi­té par la crise contem­po­raine et n’a guère pu favo­ri­ser l’ac­qui­si­tion de ces qua­li­tés de sta­bi­li­té, de per­sé­vé­rance, d’é­qui­libre, de pro­fon­deur qui carac­té­ri­saient les hommes d’autrefois.

Par ailleurs, du fait des cir­cons­tances, de l’ur­gence de la situa­tion, du besoin des âmes, de l’in­suf­fi­sance des prêtres, ils ont reçu une for­ma­tion, certes sérieuse et suf­fi­sante, mais tout de même bien courte, sur­tout pour gué­rir ces défauts de l’homme moderne qu’ils avaient pu contrac­ter. Entraînés dans le tour­billon de l’a­pos­to­lat juste à l’is­sue de leur sémi­naire, ils n’ont mal­heu­reu­se­ment guère eu le temps de rumi­ner cette for­ma­tion, de la revoir à loi­sir, de se l’in­cor­po­rer au plus intime de leur être.

Enfin, ils étaient plon­gés dans un minis­tère dif­fi­cile, usant phy­si­que­ment et mora­le­ment, au milieu d’un monde apos­tat et cor­rom­pu dont ils subis­saient, mal­gré leur vigi­lance, les influences délétères.

Toutes ces cir­cons­tances ont sans doute contri­bué à dimi­nuer leur capa­ci­té de résis­tance face à l’ad­ver­si­té. Ils ont pu être fati­gués phy­si­que­ment, ner­veu­se­ment ou mora­le­ment, ce qui les ren­dait plus per­méables aux embûches de l’en­ne­mi. Ils ont pu voir gran­dir en eux le sou­hait d’être déli­vrés de cette pres¬sion psy­cho­lo­gique constante que font peser à la fois le monde anti­chré­tien et l’Église conciliaire.

Lorsqu’un Mgr Perl s’est pré­sen­té à eux, les bras char­gés de pro­po­si­tions allé­chantes, il leur a sem­blé que désor­mais ils pour­raient conti­nuer leur com­bat avec plus de faci­li­té, plus de sécu­ri­té, plus d’ef­fi­ca­ci­té en se ral­liant à Rome et ils n’ont pas trou­vé en eux-​mêmes la force de dire non.

Toutes ces cir­cons­tances peuvent contri­buer à expli­quer, sans l’ex­cu­ser com­plè­te­ment, leur triste défec­tion et les conces­sions de plus en plus graves qu’ils vont être ame­nés à faire.

« Quelqu’un qui les a entraînés dans cette voie de perdition »

En revanche, il existe quel­qu’un qui porte la part prin­ci­pale de res­pon­sa­bi­li­té dans la rup­ture de ces prêtres avec Mgr Lefebvre et avec leur famille reli­gieuse et spi­ri­tuelle. Il existe quel­qu’un qui assu­me­ra devant l’Histoire le poids de leurs défec­tions déjà réa­li­sées et à venir. Il existe quel­qu’un qui les a entraî­nés dans cette voie de per­di­tion par ses exhor­ta­tions, par son exemple, par son aide maté­rielle et morale. Et celui-​là ne peut pré­tendre béné­fi­cier des mêmes excuses que ces prêtres, ni pour le pas­sé, ni pour le présent.

Pour le pas­sé, il était plus âgé qu’eux, donc plus expé­ri­men­té et plus sage. Il avait reçu une édu­ca­tion fami­liale solide dans une Eglise ferme et dans un pays qui n’é­tait pas encore tota­le­ment déca­dent. Il avait pro­fi­té d’une forma¬tion monas­tique et sacer­do­tale longue et appro­fon­die pour se créer des habi­tudes intel­lec­tuelles, morales et reli­gieuses extrê­me­ment robustes. Il avait connu la splen­deur de l’Église, ce qui lui don­nait des points de réfé­rence que les jeunes nés après Pie XII ne peuvent avoir.

Pour le pré­sent, retran­ché dans son monas­tère comme dans une for­te­resse spi­ri­tuelle, loin du monde et de ses vaines agi­ta­tions, ayant tout loi­sir de se consa­crer à la prière, à l’é­tude, à la réflexion, il n’a­vait aucune rai­son valable, aucune cause excu­sante pour tom­ber dans des pièges gros­siers et ouvrir l’o­reille aux pro­messes fal­la­cieuses des envoyés de Rome. Sa posi­tion, son état de vie lui don­nait le recul, la tran­quilli­té d’âme, la luci­di­té néces­saires pour voir clair.

Celui qui, aus­si soli­de­ment armé, a entraî­né hors du droit che­min des prêtres qui n’a­vaient ni sa for­ma­tion, ni la pro­tec­tion de sa clô­ture monas­tique, celui-​là est le véri­table, le pre­mier, le prin­ci­pal res­pon­sable de leurs chutes misé­rables et nous devons lui deman­der des comptes.

Oui, c’est bien vous, Dom Gérard, que j’interpelle aujourd’hui :

Qu’avez¬vous fait de ces prêtres que Mgr Lefebvre a for­més pour la Tradition, pour la messe de tou­jours, pour la foi catho­lique ? Qu’avez-​vous fait de l’ab­bé Laffargue ? Qu’avez-​vous fait de l’ab­bé Gouyaud ? Qu’avez-​vous fait de l’ab­bé Hausheer ? Qu’avez-​vous fait de l’ab­bé Jacquemin ? Qu’avez-​vous fait de l’ab­bé du Fay ? Qu’avez-​vous fait de ces prêtres, et de tous les autres, dont cer­tains sont déjà au cœur du moder­nisme, dont les autres s’en rap­prochent à grande vitesse ? Ne les voyez-​vous pas, sous vos yeux, en train de lâcher sur un point, puis sur un autre, en voie de se trans­for­mer len­te­ment pour finir par dire la messe de Luther, cette nou­velle messe abo­mi­nable qui « s’é­loigne, de façon impres­sion­nante, dans l’en­semble comme dans le détail, de la théo­lo­gie catho­lique de la sainte messe ? ».

Non, Dom Gérard, vous n’a­vez pas le droit de faire comme si vous n’a­viez aucune part dans ces contre­par­ties doc­tri­nales, dans ces conces­sions et fina­le­ment dans ce renie­ment. C’est sur votre parole qu’ils se sont enga­gés dans cette voie, c’est à vos assu­rances qu’ils ont cru en signant des accords, c’est votre exemple qui a ache­vé de les déci­der à nous quit­ter pour rejoindre la Rome conciliaire.

N’avez-​vous pas décla­ré publi­que­ment, juste après les sacres de 1988, que les pro­po­si­tions romaines

« éta­blis­saient la somme de nos requêtes sou­mises au Saint-​Siège depuis 1983. Ce que nous deman­dions depuis le début (messe de saint Pie V, caté­chisme, sacre­ments, le tout conforme au rite de la Tradition sécu­laire de l’Église) nous était octroyé, sans contre­par­tie doc­tri­nale, sans conces­sion, sans renie­ment ? » N’avez-​vous pas pré­ten­du mettre à l’ac­cord signé par vous la condi­tion sui­vante : « Que nulle contre­par­tie doc­tri­nale ou litur­gique ne soit exi­gée de nous et que nul silence ne soit impo­sé à notre pré­di­ca­tion anti­mo­der­niste ? » N’avez-​vous pas affir­mé sans sour­ciller : « Nous res­tons, nous-​mêmes, arc-​boutés aux impé­ra­tifs de la foi inté­grale et à la tra­di­tion immuable de l’Église ? ».

Comment ces prêtres, qui avaient tant d’ad­mi­ra­tion légi­time pour le moine cou­ra­geux de Bédoin, tant de confiance dans le défen­seur de la litur­gie et de la tra­di­tion monas­tique authen­tiques, tant d’en­thou­siasme pour le construc­teur du Barroux, tant d’af­fec­tion pour le père de nom­breux moines, auraient-​ils eu des doutes quand vous leur affir­miez qu’on pou­vait sans dan­ger accep­ter les pro­po­si­tions de Rome ?

Comment n’auraient-​ils pas été éblouis lorsque vous leur pro­met­tiez qu’ils pour­raient désor­mais défendre la Tradition dans l’Église conci­liaire, et ceci « sans contre­par­tie doc­tri­nale, sans conces­sion, sans renie­ment ? ». Comment ces prêtres n’auraient-​ils pas été entraî­nés par votre exemple lors­qu’ils se sou­ve­naient de votre com­bat anté­rieur, du sou­tien sans faille que vous aviez jus­qu’i­ci appor­té à Mgr Lefebvre, de votre fer­me­té à gar­der la litur­gie tra­di­tion­nelle, de votre amour de l’é­tat monas­tique, de votre zèle doc­tri­nal ? Votre long et magni­fique com­bat anté­rieur ne désarmait-​il pas leur méfiance lorsque vous leur mon­triez un ave­nir radieux, celui d’une pré­di­ca­tion anti­mo­der­niste et d’une fidé­li­té abso­lue à la litur­gie tra­di­tion­nelle avec l’ac­cord de Rome, avec la béné­dic­tion du Saint Père, avec le sou­tien de la curie et dans le res­pect des lois canoniques ?

Bien enten­du, vous étiez trop lucide pour croire que tout allait vrai­ment s’ar­ran­ger par des accords entre vous et une Rome qui n’a­vait pas réel­le­ment chan­gé. Seulement, enfer­mé dans votre monas­tère comme dans un châ­teau fort, vous vous esti­miez peu vul­né­rable. S’agissait-​il des prêtres ? Vous en aviez vingt-​et-​un (ordon­nés par Mgr Lefebvre) (**)”, qui vous suf­fi­raient pour de longues années, même si aucun évêque conci­liaire n’ac­cep­tait d’en ordon­ner de nou­veaux. S’agissait-​il de l’a­pos­to­lat exté­rieur ? Après tout, il ne fai­sait pas par­tie inté­grante de votre voca­tion monas­tique, vous pou­viez donc l’a­ban­don­ner si la pres­sion deve­nait trop forte. S’agissait-​il des res­sources finan­cières ? Votre monas­tère était désor­mais ache­vé de payer (avec l’argent des tra­di­tio­na­listes). S’agissait-​il des contacts avec le cler­gé local ? Mais le moine est un contem­pla­tif, il ne lui est nul­le­ment néces­saire de ren­con­trer qui que ce soit.

Vous pen­siez ain­si que le moder­nisme met­trait des années à vous réduire à mer­ci et que ces années pour­raient être uti­li­sées pour for­ti­fier votre posi­tion, sau­ver votre œuvre et fina­le­ment tra­vailler au bien de la Tradition. Tel était votre but en signant ces accords équi­voques : mettre à pro­fit le temps gagné par ces accords afin de réus­sir à main­te­nir et à déve­lop­per la Tradition.

Mais vous avez fait ce cal­cul sans consi­dé­rer que vous aban­don­niez en plein com­bat des com­pa­gnons de lutte ; en oubliant qu’un tel choix vous obli­geait à effa­cer le carac­tère essen­tiel­le­ment doc­tri­nal de nos récla­ma­tions, au pro­fit de simples pré­fé­rences per­son­nelles ; mais sur­tout, en accep­tant de jeter des âmes en pâture aux loups dégui­sés en bre­bis de l’Église conci­liaire. Car des prêtres, de nom­breux fidèles, qui ne pos­sé­daient pas votre for­ma­tion, avaient le regard fixé sur vous. Ils atten­daient votre déci­sion et se tenaient prêts à l’i­mi­ter, à la suivre.

Comment avez-​vous pu alors signer en conscience ces accords ?

Comment avez-​vous pu sans fré­mir trom­per les fidèles et les mettre sur la voie du ral­lie­ment aux erreurs de Vatican II ? Comment avez-​vous pu entraî­ner les jeunes moines qui vous avaient fait confiance dans une telle voie sans issue ? Comment avez-​vous pu prendre la res­pon­sa­bi­li­té d’embarquer à votre suite ces prêtres qui sont en train de tom­ber les uns après les autres ?

N’auriez-​vous pas dû, comme le saint vieillard Éléazar dont parle le deuxième livre des Maccabées (VI, 18–3 1), « consi­dé­rer la haute digni­té de votre âge et les actes de votre vie sans tache depuis votre enfance » et vous sou­ve­nir qu’il n’é­tait pas digne de vous d’u­ser de fic­tion et ain­si être cause que de nom­breux jeunes gens soient trom­pés ? N’était-​il pas de votre res­pon­sa­bi­li­té de père, Abbas, Pater, de leur lais­ser plu­tôt un exemple de fer­me­té, de per­sé­vé­rance, de fidélité ?

Oui, Dom Gérard, cette lettre ouverte que mon col­la­bo­ra­teur adresse dans ce numé­ro à l’ab­bé Coiffet, c’est vous qu’elle touche de plein fouet. Ces docu­ments que nous publions, c’est vous qu’ils accusent. N’y a‑t-​il pas, d’ailleurs, un sym­bole sans équi­voque dans cette lettre de la com­mis­sion Ecclesia Dei adres­sée à votre propre frère et qui reste à ce jour la plus acca­blante pour les accords de 1988 ?

Pensez‑y bien, mon Révérend Père : chaque fois qu’un de ces prêtres glisse, perd pied, aban­donne la Tradition, tra­hit la messe catho­lique pour ral­lier misé­ra­ble­ment les erreurs conci­liaires, c’est à cause de vous qu’il le fait, c’est sous votre impul­sion et en croyant suivre votre exemple. Ce prêtre qui cède au moder­nisme peut dire en toute véri­té à votre pro­pos : « Celui qui m’a livré à toi est cou­pable d’un plus grand péché » que moi.

Abbé Paul AULAGNIER †

Notules

(*)Les sous­titres sont de la rédac­tion de La Porte latine
(**) Neuf d’entre eux ont quit­té Dom Gérard après son reniement.

Capucin de Morgon

Le Père Joseph fut ancien­ne­ment l’ab­bé Régis de Cacqueray-​Valménier, FSSPX. Il a été ordon­né dans la FSSPX en 1992 et a exer­cé la charge de Supérieur du District de France durant deux fois six années de 2002 à 2014. Il quitte son poste avec l’ac­cord de ses supé­rieurs le 15 août 2014 pour prendre le che­min du cloître au Couvent Saint François de Morgon.