La nouvelle messe n’a pas été le fruit d’une création spontanée.
Pour comprendre comment elle a été élaborée et acceptée par les autorités religieuses en place, il est nécessaire d’en connaître les fondements éloignés et prochains.
De la Révolution protestante à la Révolution française
Tous les papes, de Pie VI à Benoît XV, ramènent la crise actuelle de la foi à la lutte engagée contre l’Église au XVIe siècle par le protestantisme et au naturalisme, dont cette hérésie a été la cause et la première propagatrice
Mgr Lefebvre, Ils l’ont découronné, Clovis
Le naturalisme exalte la nature humaine au point de nier les séquelles du péché originel héritées d’Adam, et de refuser l’ordre surnaturel que Dieu communique à l’homme par les sacrements. Les deux dogmes fondamentaux du péché originel et de la grâce sanctifiante sont donc anéantis par les tenants de cette théorie pernicieuse.
En s’attaquant à l’ordre surnaturel, le démon avait pour but la destruction de la civilisation chrétienne, puis celle de l’Église catholique. Le naturalisme a été véhiculé au XVIIIe siècle par la Franc-maçonnerie dans la société civile et a conduit à la Révolution. Les droits de l’homme ont remplacé les droits de Dieu avec la trilogie : liberté, égalité, fraternité ; liberté étant synonyme de licence, l’égalité éliminant le principe d’autorité et la fraternité supplantant la charité. Une fois la société déchristianisée, des catholiques ont cherché au cours du XIXe siècle à faire des compromis entre les principes de la religion catholique et ceux de la société nouvelle imprégnée de libéralisme : les papes leur ont donné le nom de catholiques libéraux. Le rêve de nos ennemis allait pouvoir se concrétiser.
Les papiers de la Haute-Vente, des Carbonari, tombés entre les mains du pape Grégoire XVI ont révélé les différentes étapes de leur plan diabolique : « Le pape, quel qu’il soit, ne viendra jamais aux sociétés secrètes : c’est aux sociétés secrètes à faire le premier pas vers l’Église, dans le but de la vaincre. Le travail n’est ni l’œuvre d’un jour, ni d’un mois, ni d’un an ; il peut durer plusieurs années, un siècle peut-être ; mais dans nos rangs le soldat ne meurt pas et le combat continue. Nous n’entendons pas gagner le pape à notre cause, ce serait un rêve ridicule (…). Ce que nous devons demander, ce que nous devons chercher et attendre, comme les Juifs attendent le Messie, c’est un pape selon nos besoins (…). Nous ne doutons pas d’arriver à ce terme suprême de nos efforts (…). Or donc, pour nous assurer un pape dans les proportions exigées, il s’agit d’abord de lui façonner, à ce pape, une génération digne du règne que nous rêvons (…). Vous voulez que le clergé marche sous votre étendard en croyant toujours marcher sous la bannière des chefs apostoliques. Vous voulez faire disparaître le dernier vestige des tyrans et des oppresseurs, tendez vos filets au fond des sacristies, des séminaires et des couvents. Si vous ne précipitez rien, nous vous promettons une pêche plus miraculeuse que celle de Simon Barjona. Le pêcheur de poissons devint pêcheur d’hommes ; vous, vous amènerez des amis autour de la Chaire apostolique. Vous aurez prêché une révolution en tiare et en chape, marchant avec la croix et la bannière, une révolution qui n’aura besoin que d’être un tout petit peu aiguillonnée pour mettre le feu aux quatre coins du monde. »
Le plan est clair : il ne s’agit plus d’attaquer l’Église de l’extérieur, mais de la pénétrer, et de gravir peu à peu les degrés de la hiérarchie pour finalement mettre sur le trône de Pierre « un pontife qui, comme la plupart de ses contemporains, sera nécessairement plus ou moins imbu des principes humanitaires [1] ».
L’intrusion moderniste
Cette instruction donnée en 1820 a été publiée sur l’ordre du pape Pie IX dans le but de mettre en garde les prêtres et les fidèles. Malheureusement, son avertissement n’a pas suffi à conjurer le danger puisque, près d’un siècle plus tard, saint Pie X constate que « les artisans d’erreurs, il n’y a pas à les chercher aujourd’hui parmi les ennemis déclarés. Ils se cachent, et c’est un sujet d’appréhensions et d’angoisse très vives, dans le sein même et au cœur de l’Église, ennemis d’autant plus redoutables qu’ils le sont moins ouvertement. Nous parlons d’un grand nombre de catholiques laïques, et, ce qui est plus encore à déplorer, de prêtres, qui, sous couleur d’amour de l’Église, absolument courts de philosophie et de théologie sérieuses, imprégnés au contraire jusqu’aux moelles d’un venin d’erreur puisé chez les adversaires de la foi catholique, se posent, au mépris de toute modestie, comme rénovateurs de l’Église [2]. »
L’ennemi a donc bel et bien réussi à pénétrer dans l’enceinte de l’Église, et si saint Pie X a réussi à en limiter l’influence, il ne l’a pas totalement enrayée. L’allocution prononcée quelques mois avant sa mort aux cardinaux le 27 mai 1914 le montre bien : « Nous sommes, hélas ! en un temps où l’on accueille et adopte avec grande facilité certaines idées de conciliation de la foi avec l’esprit moderne, idées qui conduisent plus loin qu’on ne pense, non pas seulement à l’affaiblissement, mais à la perte totale de la foi (…). Oh ! combien de navigateurs, combien de pilotes et, ce qu’à Dieu ne plaise ! combien de capitaines, faisant confiance aux nouveautés profanes et à la science menteuse du temps, au lieu d’arriver au port ont fait naufrage (…) ! » Dans ce discours, le saint pape manifeste son inquiétude devant la présence de l’ivraie au milieu du bon grain.
Quatorze ans plus tard, Pie XI dénonce dans son encyclique Mortalium Animos une autre erreur : l’œcuménisme. Il affirme que « ces relations entre catholiques et protestants partent d’une idée fausse à savoir que les religions seraient toutes plus ou moins bonnes et louables. » Et il ajoute : « Les partisans de cette théorie s’égarent en pleine erreur, mais de plus, en pervertissant la notion de la vraie religion ils la répudient, et ils versent par étapes dans le naturalisme et l’athéisme. La conclusion est claire : se solidariser des partisans et des propagateurs de pareilles doctrines, c’est s’éloigner complètement de la religion divinement révélée. » Déjà à l’époque, le pape déplore que « certains souhaiteraient que leurs congrès soient présidés par le pontife lui-même ». Et le pontife ajoute : « Il va de soi que le Siège Apostolique ne peut d’aucune manière, participer à leurs congrès. S’il le faisait, il accorderait une autorité à une fausse religion chrétienne, entièrement étrangère à l’unique Église du Christ. » La seule solution envisagée par le pape est le retour des brebis égarées au bercail.
Le programme fixé par la Haute-Vente a donc bel et bien été exécuté. En 1947, le pape Pie XII dénonce, quant à lui, des innovations abusives, dans son encyclique Mediator Dei : « Nous avons appris avec une grande douleur, que dans la célébration de l’auguste sacrifice, il en est qui se servent de la langue vulgaire, (…). Il n’est pas sage ni louable de tout ramener en toute manière à l’antiquité. De sorte que, par exemple, ce serait sortir de la voie droite de vouloir rendre à l’autel sa forme primitive de table, de vouloir supprimer radicalement de la couleur liturgique le noir, d’exclure des temples les images saintes et les statues… »
Les Papes du Concile
L’étude des documents pontificaux fait découvrir d’un côté, des ennemis acharnés qui cherchent par tous les moyens à pénétrer dans l’Église pour la faire évoluer, et de l’autre, des Souverains Pontifes lucides qui dénoncent leur plan et font tout pour résister à leurs assauts. Malheureusement, la résistance cesse à partir du pape Jean XXIII, et le nouveau courant de pensée imprègne l’esprit des pères du Concile Vatican II.
Les schémas préparatoires du Concile, élaborés à la demande du pape, étaient d’esprit traditionnel, mais les modernistes ont fait pression sur Jean XXIII pour que d’autres schémas soient présentés et étudiés à leur place. Le cardinal Suenens écrivit une lettre au Souverain Pontife dont voici un extrait : « L’expérience de ce qui se passe dans la commission préparatoire montre qu’il existe un fort courant intégriste opposé à tout renouveau pastoral d’une certaine envergure. Puisse le Saint-Esprit éclairer sa sainteté le pape pour que la tendance immobiliste, même si elle se révélait numériquement la plus forte, ne puisse en dernier ressort prévaloir et pour que le Concile soit par excellence pastoral [3]. » Le cardinal ajoutait : « Je fis un projet où je situais le Concile dans une vraie perspective pastorale. Fin avril, le plan était prêt. J’y avais inséré au maximum les thèmes qui m’étaient chers avec le constant souci de promouvoir des adaptations pastorales… Je le communiquai à quelques cardinaux amis, dont Montini [futur pape Paul VI], qui l’approuvèrent [4]. »
Avant même la convocation du Concile, on voit déjà apparaître deux camps opposés, et l’on découvre l’influence du parti libéral sur le pape, puisque les schémas préparés par les évêques et cardinaux conservateurs n’ont finalement pas été retenus.
La trilogie liberté-égalité-fraternité va imprégner les documents du Concile sur la liberté religieuse, la collégialité, l’œcuménisme et le dialogue interreligieux. De l’aveu même du cardinal Ratzinger, futur pape Benoît XVI, un des textes majeurs du Concile Gaudium et Spes, est un contre-syllabus. Le syllabus dénonçait les erreurs modernes. Or « le texte de Gaudium et Spes joue le rôle d’un Contre-Syllabus dans la mesure où il représente une tentative de réconciliation officielle de l’Église avec le monde, tel qu’il est devenu depuis 1789 [5]. » Autrement dit, Vatican II a été pour l’Église ce qu’avait été 1789 pour la société.
Ce long développement semble ne pas avoir de rapport direct avec la nouvelle messe. En réalité, la nouvelle messe étant l’un des fruits du Concile Vatican II, il était indispensable de connaître le contexte qui a permis son élaboration.
Le Concile, avons-nous dit, s’est voulu résolument œcuménique. Or la messe catholique était un obstacle majeur au rapprochement des catholiques et des protestants, car elle exprime clairement le caractère propitiatoire que refusent les réformés. Qui donc va oser endosser la responsabilité de créer une messe qui estompe le caractère sacrificiel de la messe pour plaire aux protestants ? La cheville ouvrière de ce bouleversement va être le Père Bugnini. Dès le 19 mars 1965, il déclara : « Nous devons enlever de nos prières catholiques tout ce qui peut être l’ombre d’un achoppement pour nos frères séparés [6]. »
La nouvelle messe, est hélas !, conforme aux vœux des novateurs. En effet, une analyse approfondie de cette messe sous l’angle du sacrifice, de la présence réelle et du sacerdoce, a conduit les cardinaux Ottaviani et Bacci à affirmer que « le nouvel Ordo Missæ, s’éloigne de façon impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la sainte messe, telle qu’elle a été formulée à la XXe session du Concile de Trente, lequel, en fixant définitivement les canons du rite, éleva une barrière infranchissable contre toute hérésie qui pourrait porter atteinte à l’intégrité du Mystère [7]. »
Notre attachement à la messe traditionnelle n’est pas avant tout d’ordre sensible, affectif, mais doctrinal. La messe est le joyau de l’Église. Elle déverse en abondance sur nos âmes les grâces que Notre-Seigneur nous a méritées sur la croix. Voilà pourquoi, nous refusons une messe équivoque, élaborée pour plaire aux protestants, qui ont eu le malheur d’abandonner l’Église catholique, hors de laquelle il n’y a point de salut.
Abbé Patrick Troadec
Source : Le Phare Breton n° 13, septembre-octobre 2021.
- Crétineau-Joly, L’Église romaine et la Révolution, pp. 82–90.[↩]
- Encyclique Pascendi.[↩]
- Nouvelle revue théologique, Aux origines du Concile Vatican II, Cardinal Suenens, Janvier 1985.[↩]
- Ibid.[↩]
- Les principes de la théologie catholique, Téqui 1985, p. 426–427.[↩]
- Documentation catholique, 4 avril 1965.[↩]
- La messe traditionnelle, p. 98.[↩]