Sermon de Mgr Lefebvre – Jubilé sacerdotal abbé Rey – 7 janvier 1982

Cher Monsieur l’abbé Rey, je devrais dire cher Monsieur le Curé, car c’est bien dans cette fonc­tion et dans ce minis­tère que vous avez pas­sé la plus longue par­tie de votre minis­tère sacerdotal.

Que d’événements, cher M. le Curé, depuis le jour où vous avez été ordon­né à Sion, à Noël 1931 ! Avant cela, vous vous trou­viez sémi­na­riste à Sion, puis sémi­na­riste au sémi­naire fran­çais de Rome. Nous avons eu les mêmes pro­fes­seurs, nous avons eu les mêmes Pères, là-​bas à Rome.

Et au milieu des joies que nous connais­sions, d’être à Rome et d’avoir des Pères qui nous appre­naient ce que c’était la foi catho­lique et la Tradition, nous avions déjà en ces moments-​là – vous vous en sou­ve­nez – des épreuves.

C’était sous le pon­ti­fi­cat de Pie XI et déjà dans ce temps-​là ceux qui avaient été condam­nés par saint Pie X, s’efforçaient de retrou­ver la place qu’ils avaient per­due à Rome.

Ils s’efforçaient aus­si d’entraîner le Saint-​Père, dans des déci­sions hélas bien dou­lou­reuses. C’était le cher Père Le Floch, supé­rieur du sémi­naire, du sémi­naire fran­çais, qui était obli­gé de quit­ter le sémi­naire. C’était le véné­rable car­di­nal Billot – le plus grand théo­lo­gien de cette époque – auquel il était deman­dé de dépo­ser la pourpre et de s’enfermer dans un couvent, tout près de Castel Gandolfo. Et ce fut aus­si, quelque temps plus tard la condam­na­tion de l’Action Française. D’ailleurs, ce qui montre bien que ces déci­sions avaient été prises, non par celui qui gou­ver­nait l’Église d’une cer­taine manière, mais sous la pres­sion de ceux qui l’entouraient, c’est que le pape Pie XII crut devoir répa­rer ces erreurs et sup­pri­mer ces condamnations.

Déjà, par consé­quent, à cette époque, l’Église était bien trou­blée et les divi­sions internes exis­taient, mais par bon­heur, elles ne se répan­daient pas par­tout dans le monde entier. Et ici dans ce beau dio­cèse de Sion, vous êtes reve­nu. Revenu der­rière ces belles mon­tagnes du Valais et pen­dant près de cin­quante ans, vous avez exer­cé votre minis­tère soit à Grimentz, soit à Salins, soit à Grimisuat.

Que d’âmes ont reçu par vous la grâce du bap­tême, la grâce des sacre­ments de l’Eucharistie, de la péni­tence, de l’extrême-onction, du mariage, comme le font les bons curés, les curés tout dévoués à leurs ouailles, imi­tant l’image du Bon Pasteur, tel que Notre Seigneur Jésus-​Christ Lui-​même l’a décrite et que saint Jean nous l’a rapporté.

Le Bon Pasteur marche devant ses bre­bis ; les bre­bis le suivent ; il les conduit dans les bons pâtu­rages ; il les pro­tège contre les loups dévo­rants ; il leur donne une bonne nour­ri­ture ; il les connaît, dit Notre Seigneur – nomi­na­tion – il les connaît nom­mé­ment. Voilà ce qu’est le bon pasteur.

C’est ce que vous avez été, cher M. le Curé pen­dant de nom­breuses années. Et j’avais par­fois la joie d’avoir des nou­velles de M. le curé de Grimentz par mon cher col­la­bo­ra­teur, Mg Guibert, à Dakar, qui aimait venir chez vous, dans votre pres­by­tère et qui aimait avec vous, gra­vir des mon­tagnes qui entourent ce beau pays de Grimentz. Et lorsqu’il reve­nait à Dakar, il me racon­tait les bonnes et belles jour­nées qu’il avait pas­sées en votre sainte compagnie.

Et voi­ci que vous deve­nez, à la fin de votre car­rière sacer­do­tale, aumô­nier des vieillards à Sion. Et c’est alors que l’on peut dire peut-​être ce que l’Écriture dit aus­si : Et tene­bræ factæ sunt : « Et les ténèbres se sont faites ». Oui, ténèbres incroyables qui ont enva­hi la ville de Rome et qui mal­heu­reu­se­ment n’ont pas seule­ment enva­hi la ville de Rome, mais qui ont enva­hi le monde entier, le monde catho­lique entier.

Ceux qui pré­ci­sé­ment avaient été condam­nés par saint Pie X, et même par le pape Pie XII, ceux­là ont essayé d’envahir l’Église, de l’occuper. Et alors, ils ont vou­lu rompre avec la Tradition. Ils ont vou­lu se lan­cer dans les nou­veau­tés, mettre l’Église en recherche, oubliant la foi de tou­jours, oubliant la messe de tou­jours, oubliant les sacre­ments de tou­jours, avec l’espoir que cet œcu­mé­nisme, rap­por­te­rait à l’Église une vie nou­velle. Et hélas, nous devons bien consta­ter que c’est bien le contraire qui est arrivé.

Alors par­tout la per­sé­cu­tion a sévi contre ceux qui ont vou­lu mani­fes­ter la tra­di­tion de l’Église ; qui ont vou­lu main­te­nir la foi catho­lique de tou­jours. Et vous en étiez, cher M. le Curé.

Alors, sans pitié pour votre âge, sans recon­nais­sance pour tous les ser­vices que vous avez ren­dus au dio­cèse, on vous a chas­sé. Et grâce à la cha­ri­té et à la bien­veillance d’une famille vous avez tout de même trou­vé un toit et une nourriture.

Et cela à cause de votre fidé­li­té, à cause de votre fidé­li­té à la foi de votre enfance, que vos parents vous ont apprise, que les saints Prêtres d’alors vous ont apprise ; à cause de votre fidé­li­té à ce que vous avez appris au sémi­naire de Sion, au sémi­naire fran­çais de Rome, à l’Université gré­go­rienne ; à cause de cette fidé­li­té à la messe de votre ordi­na­tion, vous avez été chas­sé, persécuté.

Eh bien, c’est là votre hon­neur, cher M. le Curé et croyez bien que fai­sant cela, étant fidèle à ce que l’Église vous a ensei­gné, à ce que l’Église vous a deman­dé d’enseigner aux autres, fidèle à cette messe cano­ni­sée par saint Pie V, eh bien vous vous êtes ins­crit par le fait même sur la liste de tous ceux qui depuis les apôtres, ont été per­sé­cu­tés pour leur foi.

Si les per­sé­cu­teurs changent, la fidé­li­té et les mar­tyrs res­tent les mêmes et les causes sont les mêmes. Les apôtres après avoir été fla­gel­lés ont dit : Nous avons été heu­reux d’avoir souf­fert pour le nom de Jésus. Et depuis que les apôtres ont été fla­gel­lés à Jérusalem, que de mar­tyrs, que de témoins de la foi dans le nom de Jésus, que de sang ver­sé, que de souf­frances, que de dou­leurs, mais endu­rées avec cou­rage, endu­rées avec joie, pour le nom de Jésus, pour Jésus-​Christ, pour la gloire de Jésus-Christ.

Alors aujourd’hui, vous êtes per­sé­cu­té, parce que vous êtes fidèle au nom de Jésus. Eh bien, vous êtes aus­si mar­tyr, car mar­tyr veut dire témoin. Et parce que vous êtes témoin de la foi, on vous persécute.

Cher M. le Curé c’est là, pour vous, non pas un sujet de trouble, mais au contraire un sujet d’encouragement, de force. Comme les mar­tyrs ont tou­jours mani­fes­té la ver­tu de force, vous l’avez mani­fes­tée aus­si. Même si cette per­sé­cu­tion a cer­tai­ne­ment alté­ré votre san­té, eh bien vous la sup­por­tez cou­ra­geu­se­ment et vous êtes pour tous ceux qui vous connaissent, pour tous ceux qui vous estiment, un grand sujet d’encouragement. Et pour vous par­ti­cu­liè­re­ment, mes chers amis, chers sémi­na­ristes, pre­nez modèle sur ces prêtres, ces prêtres qui sont fidèles. Soyez vous aus­si, fidèle à l’enseignement qui vous est don­né, fidèle à l’exemple de vos aînés qui marchent sur la trace des prêtres de tou­jours, de ceux qui ont don­né la grâce des sacre­ments, de ceux qui ont ensei­gné ce que l’Église a tou­jours enseigné.

Cher M. le Curé, je pense que vous pou­vez au bout de ces cin­quante années, répé­ter la parole de saint Paul : Ego enim jam deli­bor et tem­pus reso­lu­tio­nis meæ ins­tat (2 Tm 4,6) : « Je vieillis et le terme approche » ; Bonum cer­ta­nem cer­ta­vi (2 Tm 4,7) : « J’ai mené le bon com­bat, en toute véri­té », en toute sin­cé­ri­té, j’ai gar­dé la foi. « Et c’est pour cela que le Bon Dieu me don­ne­ra la cou­ronne de la sain­te­té » (2 Tm 4,8). Voilà ce que dit saint Paul.

Alors ayez confiance et cou­rage, cher M. le Curé, nous vous féli­ci­tons de cet exemple que vous nous avez don­né et que vous nous don­nez encore. Et je suis sûr que la très Sainte Vierge Marie, mère du sacer­doce, mère du Prêtre, vous regarde avec bien­veillance aujourd’hui. Vous avez vou­lu choi­sir la messe votive de la Sainte Vierge aujourd’hui, pour la prier, pour la remer­cier, pour chan­ter l’action de grâces comme elle l’a fait dans son Magnificat. Eh bien chan­tez aujourd’hui aus­si, votre Magnificat pour toutes les grâces que vous avez reçues, pour toutes les grâces que vous avez données.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.