Sermon de Mgr Lefebvre – 1re messe de l’abbé Fellay – 4 juillet 1982

Mes bien chers frères,

Sans doute, une voix valai­sanne aurait mieux expri­mé les sen­ti­ments que vous res­sen­tez aujourd’hui dans vos cœurs à l’occasion de cette pre­mière messe de M. l’abbé Fellay, fils du Valais. Il vous aurait sans doute rap­pe­lé les sou­ve­nirs qui vous sont chers. Souvenirs du pas­sé, atta­che­ment à vos bonnes tra­di­tions, atta­che­ment à vos familles, atta­che­ment sur­tout à la foi, à la foi catho­lique de tou­jours. Il aurait expri­mé cela sans doute, beau­coup mieux que moi.

Mais cepen­dant c’est avec joie que je vous adresse quelques mots à l’occasion de la pre­mière messe de M. l’abbé Fellay.

En effet, vous devez vous sou­ve­nir de ces belles céré­mo­nies d’autrefois qui se pas­saient dans com­bien et com­bien de vil­lages. Quel est le vil­lage du Valais qui ne s’honore de plu­sieurs prêtres, de voca­tions reli­gieuses, de voca­tions de reli­gieux, mis­sion­naires. Nombreuses sont les familles qui se sont réjouies d’avoir un fils prêtre, un fils mis­sion­naire, une fille reli­gieuse. Et vous gar­dez de ces sou­ve­nirs une nos­tal­gie, nos­tal­gie bien légi­time, car c’était la vie de l’Église. C’était vrai­ment ce que l’Église mani­fes­tait de plus beau, de plus grand, de plus divin. Et ain­si vous vous sen­tiez vrai­ment unis à l’Église, contri­buant par vos familles, par la foi, par vos bonnes tra­di­tions catho­liques, vous contri­buiez ain­si à la conti­nua­tion de l’Église, à l’extension de l’Église dans votre dio­cèse et dans le monde entier par vos missionnaires.

Pourquoi a‑t-​il fal­lu qu’un vent dévas­ta­teur souffle ? Comment se fait-​il que même des dio­cèses comme ceux du Valais, comme ceux de Sion, soient atteints eux aus­si, par ce vent dévastateur ?

Hélas, nous sommes bien obli­gé de consta­ter que l’Église est occu­pée par des per­sonnes qui n’ont plus vrai­ment l’esprit catho­lique et qui se sont lais­sées entraî­ner par les idées modernes et par ces erreurs qui ont été autre­fois condam­nées par les papes et par­ti­cu­liè­re­ment par saint Pie X : le libé­ra­lisme, le moder­nisme, le pro­gres­sisme, le sillon­nisme. Toutes ces idées ont péné­tré à l’intérieur de l’Église et désor­mais on peut dire, mal­heu­reu­se­ment que ces idées sont même répan­dues par des auto­ri­tés de l’Église.

Et alors nous ne devons pas être sur­pris, que lorsque nous vou­lons gar­der la foi catho­lique d’une manière intègre, par­faite, eh bien nous soyons persécutés.

Dans l’épître de saint Pierre, aujourd’hui, il y a cette parole :

Si quid pati­mi­ni prop­ter jus­ti­tiam, bea­ti (1 P. 3,14).

Si vous souf­frez quelque chose pour le bien, soyez heu­reux. Et n’est-ce pas Notre Seigneur qui dit à ses apôtres : « Un jour sans doute vous serez per­sé­cu­tés et ceux qui vous per­sé­cu­te­ront croi­ront rendre ser­vice à Dieu ».

Et c’est bien ce que nous consta­tons aujourd’hui. Ceux qui nous per­sé­cutent, croient rendre ser­vice à l’Église. Alors que nous ne vou­lons pas autre chose que d’être de fidèles ser­vi­teurs de l’Église, conti­nuant cette tradition.

Aussi, je me tourne vers vous main­te­nant, cher M. l’abbé Fellay et je ne peux pas m’empêcher de pen­ser que la com­mu­nion d’aujourd’hui – ces paroles de l’antienne de com­mu­nion – vous conviennent parfaitement :

Unam petii a Domino, hanc requi­ram : ut inha­bi­ta­tem in domo Domini omni­bus die­bus vitæ meæ (Ps 26,4).

Qu’est-ce que j’ai deman­dé, qu’est-ce que j’ai dési­ré du Bon Dieu ? Que j’habite dans sa mai­son pour tous les jours de ma vie.

Voilà ce que disent les paroles de la com­mu­nion d’aujourd’hui, de cette messe (5ème dimanche après la Pentecôte). Et je pense que cela vous l’avez dans votre cœur. Cette pen­sée vous l’avez médi­tée depuis longtemps

Déjà enfant, entou­ré de vos chers parents, pro­fon­dé­ment catho­liques, pro­fon­dé­ment chré­tiens, vous avez pen­sé habi­ter un jour dans la mai­son de Dieu, pour être prêtre.

Et com­ment s’est réa­li­sée votre voca­tion ? Eh bien, la Providence a ses vues. Jamais sans doute vous n’auriez pen­sé, étant enfant et vos parents non plus, qu’un sémi­naire s’installerait à côté de votre mai­son de famille et que dans la tem­pête actuelle, dans la tour­mente qui sévit dans l’Église, vous auriez trou­vé là, le che­min de la sécu­ri­té dans la foi, dans l’attachement à l’Église, dans l’attachement à la Tradition de l’Église.

Mais vos parents, eux, ont fait leur choix, lorsqu’ils ont vu Écône – et vous-​même lorsque vous les avez sui­vis – et vous avez mani­fes­té votre atta­che­ment à la Tradition, par­fois, même dans le col­lège où vous étiez. Déjà les dis­cus­sions se fai­saient vives et ardues. Et alors vous n’hésitiez pas à prendre la parole et à défendre votre foi, la foi catholique.

Aura-​t-​on jamais cru qu’il eut fal­lu en venir là, dans les écoles catho­liques, de ce dio­cèse si pro­fon­dé­ment chré­tien. Et puis, ensuite, vous avez vous-​même choi­si d’entrer au sémi­naire. Et je me sou­viens encore vous voir peu de temps avant votre entrée au sémi­naire, venir régu­liè­re­ment com­mu­nier à la messe du matin, entou­ré sou­vent de vos parents. Ainsi rece­voir Notre Seigneur et vous atta­cher à Lui. Et vous êtes entré au sémi­naire, avec cette réso­lu­tion d’être le prêtre de Notre Seigneur JésusChrist tel que l’Église l’a tou­jours conçu, tel que tant et tant de saints prêtres l’ont réalisé.

Et vous voi­ci aujourd’hui prêtre. Voilà votre désir réa­li­sé. Vous êtes désor­mais dans la mai­son de Dieu, pour tous les jours de votre vie. Combien vous devez rendre grâces aujourd’hui au Bon Dieu. Je pense que cette messe solen­nelle que vous célé­brez, entou­ré de vos amis, de vos parents, de tous ceux qui vous aiment, de tous ceux qui vous estiment, qui ont vou­lu venir prier avec vous, se réjouir avec vous, eh bien tout cela vous encou­rage et vous fait du bien.

Et je vou­drais que dans l’avenir, si je puis vous don­ner quelques conseils, de simples réflexions au sujet de votre sacer­doce, puisque vous avez vou­lu entrer dans la Maison de Dieu, et que vous avez deman­dé au Seigneur d’y res­ter tous les jours de votre vie, deman­dez à Notre Seigneur : Mais qu’estce donc que votre Maison ? Que signi­fie votre Maison ? Domus Domini – Et Notre Seigneur vous répon­dra : Domus mea Domus ora­tio­nis : Ma Maison est une Maison de prière. Je pense que c’est là la vie du prêtre, essen­tiel­le­ment, fon­da­men­ta­le­ment. Le prêtre c’est l’homme de la prière. Doaius meaDomus ora­tio­nis.

En effet, les apôtres eux-​mêmes, dès le début de leur minis­tère ont sen­ti qu’ils avaient besoin de s’adonner à la prière et non pas aux choses maté­rielles. C’est pour­quoi ils ont consti­tué des diacres et ont dit :

Nos vero ora­tio­ni et minis­te­rio ver­bi ins­tantes eri­mus (Ac 6,4).

Nous, nous devons être tout entiers à la prière et à la pré­di­ca­tion de la parole de Dieu. Nous ne pou­vons plus nous occu­per des choses maté­rielles ; que l’on consti­tue des diacres pour nous déchar­ger de ces tra­vaux matériels.

Et alors, ils se sont adon­nés à la prière. C’est saint Paul qui dit aus­si que les chré­tiens se réunis­saient chan­tant des psaumes, des hymnes, des can­tiques à Dieu.

C’est cela la vie du prêtre. Et l’Église vous met en main au moment de votre ordi­na­tion au sous-​diaconat, vous met le bré­viaire en main, le livre de votre prière. Et qu’est-ce que le bré­viaire ? Le bré­viaire est essen­tiel­le­ment le psau­tier, les psaumes. Ces paroles ins­pi­rées de Dieu, la parole même de Dieu, ces chants admi­rables que sont les psaumes et qui expriment tous nos sen­ti­ments. Tous les sen­ti­ments que nous devons avoir et par­ti­cu­liè­re­ment que doivent avoir les prêtres. Le psau­tier, c’est cela qui est le bré­viaire. Et alors tous les prêtres – au moins jusqu’à ces der­niers temps – devaient réci­ter le bré­viaire et ain­si réci­ter tous les psaumes au cours de la semaine. Cette prière, c’est la prière publique de l’Église. En réci­tant votre bré­viaire, vous êtes dési­gné par la Sainte Église, pour accom­plir cette prière publique pour le bien des âmes, pour la sanc­ti­fi­ca­tion des âmes. L’Église ain­si cer­ti­fie et montre son désire de voir que les prêtres prient et qu’ils prient publi­que­ment pour toute l’Église, pour toutes les âmes.

Et puis la grande prière, la belle prière que vous accom­pli­rez tous les jours, c’est la Sainte Messe. Et la Sainte Messe c’est un résu­mé de tout ce que doit être par­ti­cu­liè­re­ment la prière du prêtre. Elle est aus­si celle des chré­tiens évi­dem­ment. Mais elle est par­ti­cu­liè­re­ment celle des prêtres.

C’est saint André qui dit déjà au moment où il marche vers le mar­tyre, il dit : « Tous les jours j’ai offert le Sacrifice de Notre Seigneur », tous les jours. « Quotidiæ » dit déjà saint André. Par consé­quent, les apôtres déjà, offraient tous les jours le Saint Sacrifice de la messe. Sans doute, ce n’est pas une obli­ga­tion sous peine de péché grave de dire la messe tous les jours, mais c’est cepen­dant une tra­di­tion dans l’Église et le conseil de l’Église. Car s’il y a un acte qui sanc­ti­fie les âmes et qui élève les âmes et les rend plus proches de Notre Seigneur, c’est bien le Saint Sacrifice de la messe.

Et alors ce Saint Sacrifice de la messe, mani­feste pour le prêtre, toute l’ascension de sa prière. Vous avez sans doute, au cours de l’année de spi­ri­tua­li­té étu­dié ce qu’était l’oraison et ce qu’était la trans­for­ma­tion d’une âme. Une âme com­mence d’une cer­taine manière par la vie pur­ga­tive, ensuite la vie illu­mi­na­tive, pour en arri­ver à la vie unitive.

Ce sont les étapes que les auteurs spi­ri­tuels donnent géné­ra­le­ment de la trans­for­ma­tion de nos âmes pour arri­ver à l’union à Dieu, qui est le som­met de la prière de notre vie chrétienne.

Eh bien la messe n’est pas autre chose.

Voyez la pre­mière par­tie de la messe, c’est la messe des caté­chu­mènes. C’est la messe de ceux qui se puri­fient pour mieux prier, pour que leurs prières soient mieux déta­chées de toutes les choses de ce monde et que le Bon Dieu puisse l’agréer d’une manière plus par­faite. C’est ce que repré­sente un peu cette vie purgative.

Puis à mesure que se déroule le Saint Sacrifice de la messe on arrive au som­met en quelque sorte de ce Sacrifice, dans les paroles de la Consécration. Là, c’est la vie illu­mi­na­tive – un peu la vie contem­pla­tive – nous contem­plons Dieu dans la Sainte Eucharistie. Jésus est là, dans vos mains, pré­sent, avec son Corps, son Sang, son Âme, sa divi­ni­té, dans sa gloire du Ciel, dans la gloire de l’éternité, entou­ré de tous les saints du Ciel, de tous les saints Anges. Il est là dans vos mains, dans les mains du prêtre, par les paroles que le prêtre a prononcées.

C’est là l’objet d’une véri­table contem­pla­tion, de la grande prière du prêtre.

Et puis, la messe conti­nue et c’est l’union à Jésus dans la Sainte Communion. C’est vrai­ment la

vie uni­tive. C’est la vie avec Jésus, vie d’amour, vie d’union, vie d’attachement à Notre Seigneur, de dévoue­ment total à Notre Seigneur. Dévouement total pour vous-​même, de votre âme, de tout ce que vous êtes. Vous ne vou­lez plus vous appar­te­nir, vous êtes à Notre Seigneur. Vous allez être son apôtre, son apôtre par­fait, aus­si par­fait que pos­sible, afin de don­ner Jésus aux âmes.

Voilà le résul­tat de cette vie de prière du prêtre – et je dirai – sa réa­li­sa­tion. Je pense que cela repré­sente en quelques mots ce qui fait la trame de la vie du prêtre. Et je suis per­sua­dé qu’au cours de ces années de sémi­naire que vous avez pas­sées à Écône, vous avez com­pris ces choses. Vous l’avez mani­fes­té d’ailleurs par le sérieux avec lequel vous avez accom­pli votre sémi­naire. Tout le monde a recon­nu que vous aviez accom­pli ces années avec toute la conscience d’un sémi­na­riste se pré­pa­rant vrai­ment au sacerdoce.

Alors je suis per­sua­dé que le Bon Dieu qui vous a don­né des grâces au cours de toute votre pré­pa­ra­tion, conti­nue­ra à vous don­ner ses grâces, au cours de votre apos­to­lat, au cours de tout ce que vous aurez à. faire dans la vie future. Dieu seul sait ce que vous aurez à faire dans la vie future. Dieu seul sait ce que sera votre vie dans l’avenir.

Je suis per­sua­dé que le Bon Dieu béni­ra votre vie sacer­do­tale comme Il a béni votre vie du sémi­naire et que vous éprou­ve­rez même au milieu des épreuves, des per­sé­cu­tions, de grandes conso­la­tions. Alors nous nous réjouis­sons encore avec vous de cette grande grâce que le Bon Dieu vous a faite.

Et nous deman­de­rons en conclu­sion à notre bonne Mère du Ciel, la très Sainte Vierge Marie, d’être votre mère, qu’elle vous pro­tège, qu’elle vous prenne sous sa pro­tec­tion, qu’elle vous garde et qu’elle soit vrai­ment votre Mère.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.