Sermon de Mgr Lefebvre – Jeudi-​Saint – Messe chrismale – 8 avril 1982

Mes bien chers amis,
Mes bien chers frères,

Cette jour­née du Jeudi Saint n’apparaît-elle pas pour nous et notre sainte Religion comme une jour­née consti­tu­tive – je dirai – de notre sainte Religion. C’est peut-​être la plus sublime, la plus émou­vante. Et la jour­née du Vendredi Saint nous rap­pelle le Sacrifice de Notre Seigneur sur la Croix.

Cependant, Notre Seigneur a vou­lu, qu’avant de mou­rir sur la Croix, Il consti­tue son Église ; qu’il consti­tue son sacer­doce et qu’il donne ain­si déjà la struc­ture fon­da­men­tale de son Église. Et non seule­ment Il réa­lise le Sacrifice eucha­ris­tique – car c’est un véri­table Sacrifice ; le concile de Trente, nous dit expli­ci­te­ment, que qui­conque dirait qu’il n’y a pas eu de Sacrifice à la Cène, serait ana­thème – ain­si Notre Seigneur réa­lise déjà son Sacrifice eucha­ris­tique. Et pour conti­nuer son Sacrifice eucha­ris­tique. Il ins­ti­tue son Sacerdoce. Il fait ses apôtres des prêtres par­ti­ci­pant à son Sacerdoce éternel.

Aussi cette jour­née est capi­tale pour la Sainte Église. Et Notre Seigneur au cours de cette soi­rée mémo­rable dans laquelle Il va com­mu­ni­quer son Sacerdoce à ses apôtres, veut leur don­ner aus­si ce qui doit être les prin­cipes de leur spi­ri­tua­li­té. Il leur affir­me­ra solen­nel­le­ment qu’il est dans le Père et que le Père est en Lui : Qui videt me, videt et Patrem, dit Notre Seigneur (Jn 14,9).

Et cre­da­tis quia Pater in me est, et ego in Pâtre (Jn 10,38 et 14,10).

Ainsi Il dévoile à ses apôtres, à ses intimes, Il dévoile ce qu’est la Trinité Sainte.

Ainsi celui qui sera atta­ché à Notre Seigneur Jésus-​Christ sera atta­ché à son Père. Non seule­ment Il nous révèle cette union consub­stan­tielle de son Père et de Lui-​même, mais éga­le­ment celle de l’Esprit Saint. L’Esprit Saint : quia de meo acci­piet, qui reçoit de moi (Jn 16,14). Il est donc envoyé à la fois par le Père et par Lui-​même. Autant de révé­la­tions sublimes qui doivent être comme la base de la vie spi­ri­tuelle du prêtre : Vivre de la Trinité Sainte, en union avec la Trinité, par Notre Seigneur Jésus-​Christ. Car c’est bien par Lui que nous devons être unis au Père et à l’Esprit Saint.

Il le dit dans cette para­bole magni­fique de la vigne et des sar­ments. Il est la vigne et nous sommes les sar­ments. Si nous ne sommes pas unis à Lui, nous ne por­te­rons pas de fruits. Vous ne pou­vez rien faire sans moi, dit Notre Seigneur.

Comme ses apôtres devaient L’écouter, avec émo­tion. D’ailleurs ils le disent : Désormais vous ne nous par­lez plus en para­boles, désor­mais vous nous par­lez clairement.

Alors ils savent désor­mais, qu’ils doivent être unis de toute leur âme, de tout leur être à Notre Seigneur Jésus-​Christ, s’ils veulent un jour por­ter des fruits et conti­nuer l’œuvre de Notre Seigneur.

Et Il ajoute encore qu’il ne faut pas seule­ment que cette union se réa­lise, mais pour que réel­le­ment cette union soit effi­cace, il faut aus­si qu’ils soient unis entre eux. Il le leur recom­mande. Le com­man­de­ment de la cha­ri­té : « Je vous donne un com­man­de­ment nou­veau, celui de vous aimer les uns les autres ».

Il insiste sur cet amour, sur cette cha­ri­té que les prêtres doivent avoir entre eux et que tous ses dis­ciples doivent avoir entre eux éga­le­ment. Ce sera le signe que l’on est son dis­ciple, si l’on aime les autres ; si l’on s’aime mutuel­le­ment. Que de prin­cipes simples, clairs, que Notre Seigneur Jésus-​Christ émet devant les yeux de ses apôtres avant d’aller accom­plir son immo­la­tion sur la Croix.

Il puis Il ajou­te­ra encore davan­tage à la spi­ri­tua­li­té que doit avoir le prêtre en accom­plis­sant le geste du lave­ment des pieds. Il fera com­prendre au prêtre, qu’il est au ser­vice des autres, au ser­vice du pro­chain. Que celui qui veut avoir la pre­mière place, occupe d’abord la der­nière ; qu’il soit vrai­ment le ser­vi­teur de ses frères, comme Lui-​même l’a mon­tré ; comme Il l’a dit au cours des trois années de sa vie publique. Il a ser­vi ses apôtres. Et dans ce geste Il veut encore leur mon­trer qu’il veut les servir.

On peut dire que dans ces quelques actes, dans ces paroles que Notre Seigneur accom­plit avant de les quit­ter. Notre Seigneur résume ain­si toute la spi­ri­tua­li­té sacerdotale.

Et l’Église tenant compte de ces actes de Notre Seigneur – et par­ti­cu­liè­re­ment de ce Sacrifice eucha­ris­tique la veille de sa mort – a vou­lu aus­si joindre à ces céré­mo­nies si émou­vantes, si révé­la­trices, si spi­ri­tuelles, elle a vou­lu joindre la béné­dic­tion des saintes Huiles. Car la Sainte Église, dans sa sagesse, dans sa science pro­fonde de la volon­té de Notre Seigneur, de ce qu’est Notre Seigneur, son Époux divin, elle sait que Notre Seigneur est l’Oint et que se don­nant dans la Sainte Eucharistie, Il se donne aus­si, de la même manière, dans les sacrements.

De même qu’il est Lui, rem­pli de la force de l’Esprit Saint, de la Lumière de l’Esprit Saint, par son nom propre, Christus, Il est Χρίστος : l’Oint. Et par consé­quent l’Église n’a pas cru qu’elle pou­vait trou­ver l’occasion plus favo­rable, plus expli­cite, plus expres­sive, de la force des sacre­ments et de l’union de ces sacre­ments à Notre Seigneur Jésus-​Christ et à son Sacrifice eucha­ris­tique, que de deman­der aux évêques de bénir les Huiles saintes le jour du Jeudi Saint.

En effet, c’est Notre Seigneur qui se répand par ces Huiles saintes, qui répand sa grâce. Et ces huiles signi­fient exac­te­ment les effets que la grâce pro­duit dans les âmes ; la grâce illu­mine et les huiles aus­si ont pour pro­prié­té d’illuminer. La grâce for­ti­fie ; l’huile éga­le­ment. L’Huile sainte est le sym­bole de la force. L’huile gué­rit et la grâce gué­rit également.

Alors c’est vrai­ment l’expression de la grâce de Notre Seigneur qui des­cend dans les âmes, par l’intermédiaire des prêtres, qui est expri­mée d’une façon admi­rable, par la consé­cra­tion de ces saintes Huiles, dont les prêtres vont se ser­vir pour com­mu­ni­quer la grâce précisément.

Quelle leçon, pour nous, mes chers amis, vous qui êtes prêtres déjà et vous qui aspi­rez au sacer­doce. Quelle leçon pour nous. Nous devons être éga­le­ment à l’image de ces Huiles saintes. De même que Notre Seigneur se com­mu­nique en illu­mi­nant, en for­ti­fiant et en gué­ris­sant, nous aus­si, toutes nos actions, toute notre acti­vi­té, doivent être celle-​là : éclai­rer les âmes, les ins­truire, leur don­ner la véri­té, leur com­mu­ni­quer les révé­la­tions de Notre Seigneur Jésus-​Christ ; for­ti­fier leur âme afin qu’elle soit défi­ni­ti­ve­ment unie à Notre Seigneur Jésus-​Christ et non pas dans l’hésitation, dans le doute. Et puis, les gué­rir ; gué­rir les âmes et éven­tuel­le­ment gué­rir les corps par les saintes Huiles.

Alors soyons à l’image de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Efforçons-​nous de pra­ti­quer toutes les ver­tus qu’il nous demande, pour nous et pour ceux vers les­quels nous sommes envoyés et qui par­ti­ci­pe­ront aux fruits de la Rédemption par notre ministère.

Je vou­drais évo­quer un ins­tant, ce qui est dit à pro­pos de nous, à pro­pos des prêtres qui aujourd’hui, par (le fait) des cir­cons­tances dans les­quelles nous nous trou­vons et exercent une cer­taine juri­dic­tion, sans avoir une juri­dic­tion ordi­naire, une juri­dic­tion délé­guée, com­ment se fait-​il que nous puis­sions exer­cer ce minis­tère sans qu’il soit com­mis, sans qu’il nous soit communiqué ?

Eh bien vous le savez déjà, mes bien chers frères, le prin­cipe fon­da­men­tal du Droit (canon), c’est le salut des âmes. C’est la loi divine sur laquelle tout le Droit est fon­dé. L’Église a été ins­ti­tuée divi­ne­ment par Notre Seigneur Jésus-​Christ. Elle est donc de droit divin et son pou­voir et son devoir de sau­ver les âmes vient de Notre Seigneur Jésus-​Christ, par consé­quent vient de Dieu. Et toute la loi de l’Église est fon­dée sur ce prin­cipe fon­da­men­tal qui est ins­crit comme en lettres d’or dans les pre­mières lignes du Droit canon.

Et alors, c’est le Droit lui-​même qui – dans les cir­cons­tances dans les­quelles se trouvent les âmes aban­don­nées, ne trou­vant plus auprès des prêtres, la grâce qu’elles sont en droit d’attendre d’eux – soit que les prêtres refusent d’accomplir leurs devoirs, soit qu’ils accom­plissent des rites qui ne portent plus la grâce, ou qu’ils les donnent dou­teu­se­ment – alors le peuple de Dieu se trouve aban­don­né dans une situa­tion, comme rare­ment elle s’est trou­vée dans la Sainte Église.

Et c’est pour­quoi, le Droit lui-​même fait un devoir alors aux prêtres de venir au secours des fidèles. En plu­sieurs endroits, le Droit canon com­mu­nique une juri­dic­tion actuelle, non pas une juri­dic­tion défi­ni­tive, une juri­dic­tion délé­guée, mais l’exercice de la juri­dic­tion dans ces actes par les­quels le prêtre doit don­ner la grâce à ceux qui la lui demandent.

Car c’est un droit de la part des fidèles, de rece­voir le minis­tère des prêtres, puisque c’est un devoir pour eux de sau­ver leur âme. Ils ont donc le droit de rece­voir les moyens de sau­ver leur âme. Il est inutile de leur dire qu’ils doivent sau­ver leur âme s’ils n’en n’ont plus les moyens. Qui leur com­mu­ni­que­ra les moyens ? Si les prêtres ne sont plus là pour leur don­ner ces moyens, les âmes périront.

Alors le Droit pré­voit, que si des prêtres se trouvent dans cette cir­cons­tance où les fidèles aban­don­nés, leur demandent légi­ti­me­ment jus­te­ment de leur don­ner les sacre­ments, ils n’ont pas le droit de les refu­ser. Ils doivent les leur don­ner. Et c’est pour­quoi l’exercice de notre minis­tère est fon­dé sur la loi divine et sur la loi ecclé­sias­tique, sur le Droit de l’Église.

Car jamais, je pense, on n’a assis­té dans l’Église, à un pareil aban­don du devoir de la part des prêtres. On ne veut plus bap­ti­ser sous pré­texte qu’il faut attendre que l’enfant soit capable de déci­der lui-​même s’il veut rece­voir le bap­tême ou ne pas le rece­voir. Alors on tarde, on tarde à répondre au désir des parents pour bap­ti­ser les enfants. Sans comp­ter que beau­coup, sans doute, ne seront jamais plus baptisés.

Pour la confir­ma­tion, il y a des évêques eux-​mêmes qui ne veulent plus don­ner la confir­ma­tion ou qui ne croient plus que la confir­ma­tion donne l’Esprit Saint, comme le disait Mgr Bontemps, dans sa Semaine dio­cé­saine, arche­vêque de Chambéry.

On ne veut plus dis­tri­buer la Sainte Communion en dehors de la Sainte messe, par exemple, alors que les fidèles peuvent le deman­der légitimement.

Et l’on ne sait pas dans quelle mesure, le culte eucha­ris­tique qui est fait aujourd’hui consacre vrai­ment les hos­ties et le vin et par consé­quent com­mu­nique la grâce. Et ain­si de suite.

Si les fidèles se rendent aux confes­sion­naux dans les églises, ils n’y trouvent plus de prêtres. Et s’ils les appellent, les prêtres sont trop occu­pés pour venir leur rendre ce service.

Les malades, dans les hôpi­taux, demandent des prêtres pour rece­voir l’extrême-onction ; on estime qu’il est inutile de se dépla­cer. Et ain­si de suite et dans tous les pays du monde !

Alors cette situa­tion vrai­ment tra­gique dans laquelle se trouvent les âmes, dans laquelle se trouvent les fidèles, ne per­met pas à ceux qui le com­prennent, de se récu­ser et de dire : je n’ai point la pos­si­bi­li­té ; je n’ai point le pou­voir de don­ner à ces âmes les sacrements.

Vous avez non seule­ment le pou­voir, mais le devoir de don­ner aux âmes les sacre­ments qu’elles demandent légi­ti­me­ment. Les âmes ont besoin de la grâce.

Alors en cette jour­née où Notre Seigneur Jésus-​Christ a ins­ti­tué le sacer­doce, où Il a ins­ti­tué le sacre­ment fon­da­men­tal de la Sainte Eucharistie – qui est la source de tous les autres sacre­ments – en cette jour­née où l’Église demande à l’évêque de bénir les saintes Huiles qui ser­vi­ront pour les prêtres, afin de com­mu­ni­quer la grâce aux âmes, nous devons au contraire, prendre un enga­ge­ment de faire tout notre pos­sible pour don­ner la grâce aux âmes.

Et ce sera notre conso­la­tion à la fin de nos jours, d’avoir été vrai­ment des prêtres, des canaux de la grâce, des sacre­ments de la grâce. Et cela par esprit de foi. Car là aus­si le grand mal­heur de notre temps, est que les prêtres ne croient plus à la grâce. Ils ne croient plus à la ver­tu sur­na­tu­relle ; ils ne croient plus à l’état sur­na­tu­rel, à la grâce sanctifiante.

Mais nous, mes bien chers frères, nous devons y croire. Et pen­ser que c’est la vie de Notre Seigneur, comme la vie de la vigne qui passe à tra­vers les sar­ments. Cette sève qui passe de la vigne aux sar­ments, c’est la grâce, c’est la vie divine. C’est cela que nous don­nons aux âmes et dont les âmes ont besoin et qui fera aus­si l’objet de leur gloire au Ciel.

Prions mes chers amis, en cette jour­née. Demandons à la très Sainte Vierge Marie, la Mère du Prêtre éter­nel, de nous don­ner ces convic­tions pro­fondes jusqu’à la fin de nos jours, afin d’être vrai­ment les prêtres tels que Notre Seigneur Jésus-​Christ les a vou­lus et tels que l’Église les veut et les veut tou­jours dans sa loi, dans sa loi ins­crite dans son Droit canon qui doit être notre loi.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.