L’importance de la sanctification du dimanche

Le dimanche est un refuge pour évi­ter d’être bous­cu­lé et écra­sé par la vie ardente.

Il n’y avait rien, dans les textes du Décalogue, de cette minu­tie et de ce for­ma­lisme odieux qu’avait dénon­cé Jésus à maintes reprises, et qu’il dénonce dans l’Évangile.

Le Sabbat c’était avant tout un jour sacré, un jour saint, dis­tinct des jours ordi­naires. Il impor­tait donc de s’y com­por­ter dif­fé­rem­ment des autres jours et ain­si d’interrompre son tra­vail. C’est d’ailleurs le sens qui est don­né au mot Sabbat qui vient d’un verbe hébreu signi­fiant : “chô­mer, se repo­ser”. Le sep­tième jour était choi­si sans doute à cause du sens du nombre 7, sym­bole de la per­fec­tion mar­quant ain­si le sou­ve­rain domaine de l’Éternel sur le temps. Mais à côté de son sens reli­gieux, il revêt aus­si dans le Deutéronome une valeur sociale : « Tu ne feras, dit le texte sacré, aucun ouvrage, toi, ni tes enfants, ni l’étranger qui réside chez toi. Ainsi ceux qui te servent pour­ront se repo­ser : tu te sou­vien­dras d’avoir été toi-​même en ser­vi­tude ». Il était nor­mal que le peuple de Dieu use de la même bien­veillance dont Dieu avait usé envers lui. C’était donc jour chô­mé. Après l’exil, quand une par­tie impor­tante d’Israël avait essai­mé par­mi les peuples païens de la “dia­spo­ra”, le sab­bat était, avec la cir­con­ci­sion, sa marque dis­tinc­tive et le signe de son union avec le vrai Dieu. Aussi donc une grande pen­sée reli­gieuse ryth­mait la vie du peuple de Dieu, et le pré­cepte du repos sacré par­ti­ci­pait de la gra­vi­té du 1er com­man­de­ment. Les pre­miers chré­tiens de Jérusalem, qui étaient en majo­ri­té des Juifs conver­tis par la pré­di­ca­tion de saint Pierre, com­men­cèrent par se réunir au temple pour y prier, et il leur sem­bla tout natu­rel de se réunir ce jour-​là au temple, où les Juifs venaient ado­rer Dieu. Mais ils ne tar­dèrent pas à sub­sti­tuer à ce sep­tième jour le pre­mier : car c’est le dimanche que Jésus est ressuscité.

Ainsi, les obser­vances de ce jour sacré, en chan­geant de jour, avaient chan­gé de sens. En ce jour du Seigneur on se réunis­sait pour célé­brer la Résurrection. Et avant même la fin du 1er siècle, le nou­vel usage est si bien éta­bli que saint Paul dans sa pre­mière Épître aux Corinthiens et saint Luc, dans les Actes y font allusion.

Une détente par en haut

A vrai dire, le repos de ce jour sacré n’avait plus rien de la tyran­nie vétilleuse des pha­ri­siens. Les conciles pro­vin­ciaux qui réglaient l’usage chré­tien ne pros­cri­vaient que les tra­vaux qui absor­baient trop le corps au détri­ment de l’âme et l’empêchaient de s’élever à Dieu, c’est-à-dire que ce qu’on appelle aujourd’hui les œuvres ser­viles, là où le corps a plus de place que l’esprit. D’autre part, la sanc­ti­fi­ca­tion du dimanche ne sau­rait se réduire à ce repos. Le dimanche est le jour de la résur­rec­tion du Seigneur et son exi­gence majeure est l’assistance à la messe, à la vraie messe, la messe tra­di­tion­nelle. Elle est indis­pen­sable à tout chré­tien. Dès la fin du pre­mier siècle, les chré­tiens avaient pris l’habitude de se réunir, le jour du Seigneur, pour prier en s’unissant au Saint Sacrifice de la Messe. C’est alors toute une cité qui rend à Dieu son culte, culte qui lui est dû en jus­tice, à tel point que cet acte est un acte social, et pas seule­ment indi­vi­duel. C’est la socié­té tout entière qui assiste alors, par un éton­nant pro­dige à la Passion du Christ, et par lui rend à la Trinité Sainte ces hom­mages d’adoration, d’action de grâces et de demande confiante où sont inclus tous les besoins de notre être, corps et âme. Après avoir fait mon­ter vers Dieu l’hommage d’une ado­ra­tion qui est celle même de Notre Seigneur Jésus-​Christ, après avoir consa­cré à la Trinité Sainte et vous et vos proches et vos milieux de vie et le monde entier, com­ment ne pas se sen­tir une âme d’apôtre emplie de force et de foi ?

Allez deman­der à cer­tains ce qu’ils appré­cient dans le dimanche, ils vous répon­draient : la grasse mati­née, le théâtre, le ciné­ma, un temps consi­dé­rable pas­sé au bar entre deux ou trois bières ou plus. D’autres appré­cient le recueille­ment spé­cial de ce jour, l’apaisement après l’agitation de la semaine, une union fami­liale plus grande et un ser­vice de Dieu plus com­plet. Notre époque et la vie quo­ti­dienne spé­cia­le­ment avec son dés­équi­libre et son éloi­gne­ment de Dieu pour­rait se recon­naître à ce seul signe. La détente du dimanche est indis­pen­sable, mais une détente par en haut, celle qui laisse der­rière les sou­cis infé­rieurs pour un sou­ci plus éle­vé, plus constant : vivre avec soi-​même, vivre avec les siens, avec la nature, vivre avec les livres, avec de vrais amis de choix, et d’abord avec Dieu qui cou­ronne et nous garan­tit tout le reste. Après la créa­tion, dit la Genèse, Dieu se repo­sa et vit que tout était bon. Tout sera bon éga­le­ment si nous nous repo­sons avec lui, si nous nous repo­sons comme lui dans la bon­té et la beau­té des êtres ; si nous menons la vie de famille, si nous renouons cer­taines rela­tions ami­cales après la dis­per­sion des six jours ; si nous rame­nons tout à l’essentiel. Ainsi une vie nor­ma­li­sée s’unifie, se décante et se hausse.

Ainsi, semaine après semaine, dimanche après dimanche, le rythme régu­lier de l’existence labo­rieuse s’établit. Le sur­me­nage est évi­té ; l’esprit est main­te­nu dans la proxi­mi­té des hau­teurs ; la vie a son sens, sa mesure, son équi­libre, sa paix, et à l’horizon, là-​bas, nous appa­raît la rive mys­té­rieuse. C’est tout le sens de cette ins­ti­tu­tion salu­taire. C’est, après le Sabbat, impar­fait et un peu morne, le beau dimanche chrétien.

Petit paradis terrestre du travailleur

On s’étonne que dans le gou­ver­ne­ment pré­cé­dent et dans celui dont nous souf­frons aujourd’hui, des soi-​disant “amis du peuple” et par­fois au naïf applau­dis­se­ment du peuple lui-​même, aient vou­lu enle­ver au tra­vailleur cette fête pério­dique fon­dée par Dieu pour le repos et la modeste joie de son huma­ni­té ? On dirait que tant de chô­mage dans le monde, n’est que la juste puni­tion de ce repos refu­sé ou pro­fa­né. On a sacri­fié à l’avarice. L’empressement à l’égard du ter­restre a fait oublier les condi­tions du ter­restre même. Le mépris de la loi de Dieu s’est retour­né contre l’homme.

Le dimanche est un refuge pour évi­ter d’être bous­cu­lé et écra­sé par la vie ardente. Le dimanche est un haut lieu où l’on res­pire, lar­ge­ment, pro­fon­dé­ment, dans la pure atmo­sphère de Dieu. La vie est ain­si ména­gée, et, en même temps elle se res­sai­sit pour jouir d’elle-même et se juger avec plus de calme, de plus haut, avec une meilleure conscience des normes divines. Il faut à notre vie ce temps d’arrêt, sinon au fil des jours on risque de s’oublier, on dévie peu à peu, sou­vent on s’ignore. Le dimanche, le corps se repose, mais l’âme tra­vaille. Si elle connaît le chan­tier spi­ri­tuel où elle-​même s’édifie, son temps n’est pas per­du. C’est du temps “retrou­vé” par une reli­gieuse recons­ti­tu­tion de ce que le temps disperse.

L’impression de tri­via­li­té des jour­nées com­munes et le poids lourd des réa­li­tés vul­gaires cède à un sen­ti­ment de plé­ni­tude et de force intime.

Les fausses valeurs se dépré­cient et les vraies s’exaltent. Dans le repos du dimanche, l’homme songe moins à ce qu’il fait, il peut son­ger davan­tage à ce qu’il est ; à ce vers quoi il tend et qui est cette fois le vrai dimanche. Le dimanche est pour tout tra­vailleur comme un petit para­dis ter­restre et c’est pour­quoi saint Augustin appelle le sep­tième jour “retour à la vie ori­gi­nelle”. Sorte de petit para­dis ter­restre qui nous pré­pare au para­dis céleste si nous le sanc­ti­fions, si nous le com­pre­nons dans sa signi­fi­ca­tion supé­rieure, dans son sym­bo­lisme et dans son âme. Le par­fait chré­tien est celui qui passe sa semaine à tra­vailler pour Dieu, pour les siens, pour ses frères, et son dimanche à vivre avec Dieu, avec les siens, avec ses frères, avec la nature aus­si, témoi­gnage de Dieu inter­mé­diaire entre l’homme et Dieu, cadre de notre vie labo­rieuse ou tran­quille. Le dimanche est le jour du Seigneur. De sorte que pour un impie il n’est jamais de dimanche, car il n’y a point pour lui de jour du Seigneur.

En petite et en grande famille

Le dimanche est une solen­ni­té reli­gieuse. C’est une attes­ta­tion publique du culte dû à Dieu, de notre appar­te­nance à Jésus-​Christ et à l’Église. Libre des soins ordi­naires, il per­met qu’on s’élance en la pré­sence de Dieu. Le dimanche c’est aus­si un jour de ras­sem­ble­ment et de véri­table uni­té chré­tienne, de com­mu­nau­té chré­tienne. C’est le jour où la petite famille, père, mère et enfants se confond dans la grande famille ; où la mai­son cède au lieu de culte, l’église, et où elle devient une annexe de l’église ; où nous pre­nons devant Dieu une meilleure conscience de nos liens, priant ensemble au cours de la messe domi­ni­cale qui répond aus­si à ce cri de Notre Seigneur Jésus-​Christ : « Père, qu’ils soient un comme toi et moi nous sommes un ». Il est plus facile alors de lais­ser là nos dif­fé­rends, de désa­vouer nos que­relles, de nous déci­der, mus par la cha­ri­té, au com­bat chré­tien. Au sur­plus, notre dimanche n’est point sem­blable au repos sab­ba­tique où l’on n’osait remuer le bout du doigt. Notre dimanche par­ti­cipe de la résur­rec­tion, c’est un jour de vie, et les œuvres de la vie y sont à leur place, dans une ambiance divine. Le dimanche c’est aus­si le jour de pré­di­lec­tion des bonnes œuvres, le jour de nos frères en peine.

Il y a des dis­trac­tions légi­times. Qu’on les prenne en famille dans un étroit contact spi­ri­tuel. Une excur­sion menée dans un esprit de détente et d’entente avec la nature est peut-​être ce qu’il y a de meilleur ; mais il y à aus­si l’art, les visites ami­cales, le com­merce de paren­té à entre­te­nir, la lec­ture etc … Le jeu même en famille. Tout cela ne fait nul tort à la spi­ri­tua­li­té du jour. Voyez, veuillez excu­ser un sou­ve­nir per­son­nel. A la mai­son, le dimanche matin c’était le jour où l’on avait droit aux crois­sants au petit déjeu­ner, eh oui, c’était aus­si une manière de mar­quer le dimanche. C’est le fait du dimanche de consa­crer la semaine et de la rendre féconde en tous sens, spi­ri­tuel­le­ment et même tem­po­rel­le­ment. Nous célé­brons le dimanche avec Dieu, comme invi­tés de Dieu, afin que tous les jours, nous vivions dans la pen­sée de Dieu, sous la loi de Dieu et en trai­tant selon Dieu, avec tous les objets de l’existence. Pendant six jours les créa­tures exercent sur nous leur influence ; mais le sep­tième peut y exer­cer l’influence de Dieu, et si nos foyers s’en lais­saient péné­trer vrai­ment, c’est un feu vivi­fiant qui en jailli­rait et consu­me­rait toutes les impu­re­tés, enflam­me­rait les enthousiasmes. (…)

Abbé Xavier Beauvais

Source : L’Acampado n° 174