Les évangiles de l’Avent

Eglise de Gometz, Essonne.

Leur but est de nous réveiller, de secouer notre tor­peur, notre rou­tine, de don­ner une âme à notre vie et d’annoncer, à tous, l’approche du Messie.

Les Évangiles de l’Avent nous conduisent dans un désert situé entre les monts de Judée, le Jourdain et la Mer Morte. Ils nous y font entendre la voix du Précurseur Jean-​Baptiste, l’homme du désert. « Qu’est-ce que le désert sinon le vide, écri­vait E. Hello. Ceux-​là sont rem­plis par la plé­ni­tude qui font le vide en eux et qui deviennent eux-​mêmes des déserts. Dans le monde visible c’est le vide qui attire les masses. Le désert mène à Jérusalem. Saint Jean-​Baptiste est allé au désert exté­rieur comme au désert inté­rieur. II s’est absen­té de lui-​même et du monde pour entendre la parole et pour deve­nir la voix. Pour nous indi­quer où reten­tit la parole de véri­té, il s’est appe­lé la voix de celui qui crie dans le désert. Jean, l’homme du désert, pré­pa­ra la route à Celui qui devait tirer à Lui toutes les choses.

La croix, pla­cée hors de la ville, entre le ciel et la terre, est le désert par excel­lence. C’est pour­quoi le cru­ci­fix est deve­nu la proie uni­ver­selle, la pâture divine des aigles, race royale qui dévore, et aus­si leur rendez-vous.

Êtes-​vous le Christ, êtes-​vous Elie ? Saint Jean-​Baptiste répond tou­jours “non, non, je ne suis pas”. Enfin, obli­gé de dire son nom d’une façon quel­conque, il déclare être une voix. Il ne déclare pas même être la voix qui crie, mais la voix de Celui qui crie. Il est la voix d’un autre.

Il est la voix de Celui qui est la parole. Saint Jean parle avant Jésus-​Christ. Le Précurseur déclare qu’il doit dimi­nuer et que Jésus doit gran­dir. Puis il dis­pa­raît. Ainsi quand la véri­té a éclai­ré l’esprit, le son de la voix se dis­sipe dans l’air. »
Et Dom Guillerand ajoute : « 30 ans de silence et de soli­tude. 30 ans d’union divine, de lumière inces­sam­ment et inex­pri­ma­ble­ment crois­santes, d’énergies qui s’accumulent, d’une force sur­hu­maine qui grandit. »

Les évan­gé­listes ont dit peu de mots de ces années ; ils s’accordent sur ce silence, ils le tra­duisent en disant ce qui sur­gi­ra à l’heure de Dieu.
Ce qui en sur­git quand l’Esprit qui l’a arra­ché à sa famille et au monde, l’arrache à son désert, c’est une voix. Tout le reste semble avoir dis­pa­ru, ne compte plus. Jean est la voix du désert, la voix écla­tante dans le silence de tout le créé. Il n’est plus. Les choses ne sont plus. Tout est mort en lui et par lui. Seul, l’Esprit demeure et parle. Il parle de Dieu. Il ne parle que de Dieu et il parle de Dieu à des hommes, à un monde qui s’en est détour­né. Il doit le retour­ner ce monde, il doit lui dire ce qu’il a à faire pour se remettre en face de Lui et Le retrouver.

Qu’y avait-​il dans ce désert ? Des bêtes sau­vages, des ser­pents, des roseaux agi­tés par le vent, de la sté­ri­li­té, une sorte de funèbre tran­quilli­té. Or le désert est l’image de l’âme péche­resse : « Mon âme est devant vous Ô mon Dieu, disait le psal­miste, comme une terre sans eau. J’ai paru devant vous dans une terre déserte, sans route et desséchée. »

L’âme péche­resse est un désert et il y a en elle les cinq choses que l’Évangile signale dans le désert de Judée : examinons-​les pour nous défendre contre elles.

C’est au milieu des bêtes sau­vages que Saint Jean-​Baptiste se pré­pa­ra à sa mis­sion. Elles sym­bo­lisent les pas­sions qui peuplent le fond de notre nature et y errent en liber­té tant que la grâce du Christ ne les a pas assa­gies, enchaî­nées, domp­tées. Les pas­sions mau­vaises sont, en nous, ce que nous avons de com­mun avec les ani­maux. Renards, loups, cha­cals, lions, pour­ceaux, n’y a t‑il pas quelque chose de ces ani­maux dans la sen­sua­li­té, la méchan­ce­té, la jalou­sie, la gour­man­dise ou la luxure ?
Des bêtes… mais des bêtes sau­vages qui s’opposent aux ani­maux domes­tiques sou­mis et dociles. A l’état de nature, les pas­sions évo­luent en liber­té, elles cèdent à leurs caprices, à leurs appé­tits, tou­jours en chasse parce que tou­jours affa­mées, et ne ces­sant de rugir, de gro­gner, elles réclament leur proie. Si vous écou­tez au fond de vous-​même, vous les enten­drez. Fussent-​elles même en repos, leur repos n’est jamais tota­le­ment silen­cieux.
Combien res­tent capables des pires chutes ?

Au désert, il y a des ser­pents, tan­tôt allon­gés sur le sable brû­lant, tan­tôt ram­pant dans les brous­sailles sèches et les pier­railles. Ces ser­pents sym­bo­lisent tout ce qui grouille en nous de mys­té­rieux, d’inquiétant, de sour­nois : mau­vais dési­rs, ins­tincts sen­suels, curio­si­tés mal­saines, affec­tions sus­pectes, rou­blar­dises inté­res­sées qui cherchent à venir au jour par un glis­se­ment conti­nuel dans les replis secrets de la conscience.
« Pourquoi ne fais-​tu pas ceci ou cela ? De quoi as-​tu peur ? »
C’est tou­jours le ser­pent du Paradis ter­restre qui nous tente en cher­chant la com­pli­ci­té de nos instincts.

Au désert, il y avait des roseaux agi­tés par le vent. Ils pous­saient sur les bords du Jourdain, levant et bais­sant leur tête mobile au gré de chaque souffle. Ces roseaux ne symbolisent-​ils pas tout ce peuple de pen­sées fri­voles qui occupent tant de têtes ? Parlez à ces têtes du relè­ve­ment spi­ri­tuel de la France, de la rechris­tia­ni­sa­tion des âmes, de l’éducation des enfants, de l’évangélisation des infi­dèles, elles ne s’y arrêtent pas, elles pré­fèrent bavar­der sur le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, le déve­lop­pe­ment durable, la vac­ci­na­tion obli­ga­toire et autres bille­ve­sées. Elles bougent sans arrêt, à la mer­ci des cou­rants d’opinion ; des futi­li­tés suf­fisent à les occu­per suc­ces­si­ve­ment. Qui croi­rait à les entendre que ces incon­sis­tants ont une âme immor­telle à sau­ver, une des­ti­née éter­nelle à pré­pa­rer, de redou­tables res­pon­sa­bi­li­tés à encou­rir, un compte sévère à rendre ? Leur vie morale est toute en impres­sion sans rien de durable ni de fixe. De la volon­té ? Ils n’en ont pas : ce sont les évè­ne­ments qui veulent pour eux. De la téna­ci­té ? Encore moins ; leurs dési­rs se suc­cèdent en se contre­di­sant ; ce qu’ils sont aujourd’hui n’indique guère ce qu’ils seront demain. Compter sur eux ? Autant vau­drait s’appuyer sur un jonc. Ils ne sont que des roseaux.

Quant à la sté­ri­li­té, rien ne pousse au désert, seule­ment de la brous­saille, du sable sec et des pierres. Cette sté­ri­li­té rap­pelle celle des âmes péche­resses. Elles ne pro­duisent rien qui mérite d’être gar­dé, rien qui puisse nour­rir et entraî­ner d’autres âmes : ni nobles idées, ni beaux sen­ti­ments, ni actes géné­reux, ni dévoue­ment dés­in­té­res­sé, ni reli­gion vraie, ni authen­tiques vertus.

Rien et pour cause !
Demande-​t-​on du vin à un rocher ou cueille-​t-​on des figues sur des ronces ? Ils sont durs, égoïstes, mes­quins, au ren­de­ment nul ; ils sont sté­riles comme le désert.
Enfin, le désert n’est d’ordinaire qu’une vaste, silen­cieuse et morne tran­quilli­té, un contraste sai­sis­sant avec l’activité des cam­pagnes fécondes. Le désert aime son repos inutile : qu’on le laisse se chauf­fer au soleil et dor­mir à lon­gueur de jour­née. Les âmes péche­resses ont ce calme lugubre ; ni le remous du mal qu’elles ont com­mis, ni le regret des ver­tus qu’elles ne pra­tiquent pas, ni l’angoisse du mieux à réa­li­ser, ni la han­tise du tri­bu­nal divin qui les guette, rien de cela ne les tour­mente. Y pen­ser ? A quoi bon, c’est gênant.

Le ton­nerre de la jus­tice de Dieu tonne si loin ! Elles ne l’entendent pas. Elles res­tent tran­quilles, non parce que sur leur bonne volon­té les anges de Bethléem auraient chan­té le can­tique de paix, mais parce que sur leur som­meil léthar­gique aucune voix ne chante qui brus­que­ment les réveille­rait.
Alors l’Avent, c’est fait pour quoi ? Pour réflé­chir si en nous il n’y a vrai­ment rien de ce qu’il y avait dans le désert de Judée. N’y a‑t il vrai­ment rien en nous, aucune pas­sion de bête sau­vage ? Aucun glis­se­ment sus­pect de ser­pent ? Aucune mobi­li­té super­fi­cielle du roseau ? Ni sté­ri­li­té ? Ni fausse sécu­ri­té ? Écoutez le pré­cur­seur Saint Jean-​Baptiste : il est délé­gué de Dieu pour secouer, sans pitié, tous ceux qui dorment dans le péché, ou s’enlisent dans la médiocrité.

Préparez les voies du Seigneur. Dans la soli­tude de Judée, une voix s’éleva sou­dain, une grande voix qui mit tout le désert en émoi.


« Préparez les voies du Seigneur ; ren­dez droits ses sen­tiers ; com­blez les ravins ; apla­nis­sez les mon­tagnes et les col­lines ; faites de dignes fruits de péni­tence : le royaume de Dieu est proche : la hache est à la racine de l’arbre : tout arbre qui ne porte pas de bons fruits sera arra­ché. Voici l’Agneau de Dieu, voi­ci Celui qui efface les péchés du monde. »

Ainsi parle la voix de Saint Jean-​Baptiste dans le désert de notre âme pour la réveiller. Qu’aurait-elle de plus et de plus grave à nous crier ? N’est-ce pas cela que nous avons besoin d’entendre ? Qu’annonce Saint Jean-​Baptiste ?
Trois choses :

  • le Jugement tout proche,
  • le châ­ti­ment encouru,
  • le pro­gramme d’efforts à réa­li­ser pour se sauver.

Il annonce le juge­ment de Dieu qui approche, la jus­tice qui vient. Car il y a une jus­tice, tou­jours en marche, et donc qui approche de plus en plus ; moins loin aujourd’hui qu’hier ; elle avance en silence, mais sans arrêt : elle arri­ve­ra sûre­ment. Et elle nous attein­dra tous inexo­ra­ble­ment. Qui de nous pour­rait soit hâter soit retar­der son arri­vée ? Que lui importent nos atti­tudes ? On y pense et on n’y pense pas, on y croit et on la nie, on s’en moque et on en a peur. Elle, sans se sou­cier de nos atti­tudes, s’avance d’un pas régulier.

Saint Jean-​Baptiste ensuite annonce le châ­ti­ment qui vien­dra. Le moyen d’y échap­per, c’est la péni­tence, à savoir repen­tir et répa­ra­tion. Il n’y en a pas d’autre.
Ceux qui cherchent ailleurs, se trompent.

Enfin Saint Jean-​Baptiste annonce le pro­gramme d’efforts à réa­li­ser au plus vite. Il tient aus­si en trois mots : rec­ti­fier, com­bler, nive­ler.
De quoi s’agit-il ? De la route de notre retour vers Dieu ; il faut qu’elle soit en par­fait état. Rendre droit son tra­cé, com­bler les trous qui la rendent impra­ti­cable.
Au moral cela signifie :

  • rec­ti­fier les écarts,
  • ajou­ter ce qui manque,
  • sup­pri­mer ce qui est en trop.

Les écarts, ce sont les pous­sées obliques des mau­vais dési­rs, l’appel des occa­sions dou­teuses, le caprice des ten­ta­tions diverses. Les creux, ce sont toutes les ver­tus que nous devrions pra­ti­quer, toutes les qua­li­tés que nous devrions déve­lop­per, toutes les bonnes œuvres que nous devrions faire, tous les mérites que nous devrions avoir gagnés. Les bosses, ce sont les pas­sions déme­su­ré­ment gon­flées, les défauts lais­sés en crois­sance, les habi­tudes cou­pables sans cesse gros­sis­santes. D’où le triple tra­vail qui s’impose à nous :

  • réorien­ter fran­che­ment notre vie dans le sens du devoir et de Dieu ;
  • la déga­ger de toutes les excrois­sances mau­vaises qui l’épuisent,
  • l’enrichir de toutes les ver­tus qu’elle n’a pas encore.

Alors qui de nous — s’il est loyal — se juge­ra dis­pen­sé de ce triple tra­vail ? Il nous faut por­ter de bons fruits, des fruits de salut.

A l’œuvre donc ! La voix qui nous crie nos mala­dies nous crie aus­si la pré­sence du méde­cin et du remède : « Voici l’Agneau de Dieu, voi­ci Celui qui efface les péchés du monde. » C’est le der­nier mot et le prin­ci­pal du mes­sage de Saint Jean-​Baptiste. Le salut est là, en Jésus-​Christ et rien qu’en Jésus-​Christ. Il le tient en mains pour qui en veut. Avec Lui, arrivent la lumière, la force, le par­don et la vie nou­velle. A nous d’en pro­fi­ter ! Les appels de Saint Jean-​Baptiste ont pour but de nous réveiller, de secouer notre tor­peur, notre rou­tine, de don­ner une âme à notre vie et d’annoncer, à tous, l’approche du Messie. Avancez-​vous donc vers Lui avec avi­di­té et entraî­nez à votre suite le plus d’âmes pos­sibles. A son contact, les bêtes sau­vages se cal­me­ront en vous, les ser­pents s’enfuiront, les roseaux se conso­li­de­ront, ouvrez-​vous à son œuvre de jus­tice et de misé­ri­corde, laissez-​Le tra­vailler en vous.

Avec Lui, le désert de votre âme refleurira.

Source : Acampado n° 176