Une relique méconnue et surprenante

MANOPPELLO ( CHIETI ) SANTUARIO DEL VOLTO SANTO 01-09-2006 PELLEGRINAGGIO DI SUA SANTITA' BENEDETTO XVI ACCOLTO DA S.E. MONS. BRUNO FORTE AL SANTUARIO DEL VOLTO SANTO A MANOPPELLO

Au sud est de Rome, dans cette belle région des Abruzzes située près de l’Adriatique, se trouve un char­mant petit vil­lage dont la plus grande richesse est de pos­sé­der une insigne relique : le Volto Santo de Manoppello, c’est-​à-​dire le Saint Visage de Manoppello.

L’apparence

Celui qui pénètre dans le sanc­tuaire peut aper­ce­voir en haut de l’autel majeur, un reli­quaire vitré au tra­vers duquel on dis­tingue le visage du Christ. Le voile a les dimen­sions d’un visage : 24 x 17,50 cm. D’emblée, l’œil est atti­ré par le regard du Christ où se lit une dou­ceur nim­bée de tris­tesse. La bouche du Christ est entrou­verte, le visage mar­qué de plu­sieurs taches brunes. C’est le visage d’un homme de douleurs.

Au pre­mier coup d’œil, on peut être éton­né voire rebu­té par le manque de beau­té de cette sainte face, dérou­tante lorsqu’on connaît la majes­té du visage du lin­ceul de Turin révé­lée par la pho­to­gra­phie de Secundo Pia en 1898 et les tra­vaux en trois dimen­sions de la NASA. Mais dès que l’on scrute de plus près cette sainte face, plu­sieurs carac­té­ris­tiques éton­nantes se révèlent.

Tout d’abord, ce voile est biface ; un peu comme un néga­tif de pho­to­gra­phie, on peut le regar­der des deux côtés, cas unique au monde. Ensuite, le voile peut revê­tir une trans­pa­rence qua­si com­plète en fonc­tion de l’exposition à la lumière. Ainsi peut-​on lire un jour­nal der­rière cette image. Puis, tou­jours en fonc­tion de la lumi­no­si­té, le visage prend dif­fé­rentes phy­sio­no­mies : le regard semble chan­ger jusqu’à même dis­pa­raître. Quelle est cette étrange relique ? D’où vient-​elle ? quelle est son his­toire ? Serait-​elle une authen­tique relique de la Passion ?

L’histoire

Efforçons-​nous de remon­ter le cours du temps. Le voile appa­raît de manière cer­taine à Manoppello en 1645 où son culte public est offi­ciel­le­ment auto­ri­sé. Quelques années aupa­ra­vant, en 1638, Antonio de Fabritiis l’avait don­né aux capu­cins. Ainsi le pré­cise la Relatione his­to­ri­ca du P. Donato da Bomba, écrite en 1640. Au dire de ce der­nier, Antonio de Fabritiis avait acquis la relique entre 1618 et 1620 des mains de Marzia Leonelli, des­cen­dante du doc­teur Giacomantonio Leonelli qui l’aurait lui-​même reçue d’un pèle­rin en 1506.

Marchant jusqu’alors sur des don-​nées cer­taines, l’historien pénètre dans des conjec­tures plus mou-​vantes. Auparavant, le voile aurait rési­dé à Rome à par­tir de 704 après avoir séjour­né à Constantinople depuis 574, venant d’Égypte où il était depuis trente ans (soit en 544). Il quit­tait Edesse où il avait été conser­vé depuis la per­sé­cu­tion de Julien l’apostat en 361 où on l’avait éloi­gné de Rome par pré­cau­tion. Saint Pierre le tenait de l’apôtre Jude à qui la Vierge Marie l’avait confié. Telle est la recons­ti­tu­tion de l’itinéraire du Santo Volto[1].

D’autres dates plus récentes sont à sou­li­gner. Depuis 1690, une pro­ces­sion solen­nelle en l’honneur de la Sainte face se déroule dans les rues du vil­lage. En 1703, un curieux phé­no­mène se réa­li­sa : le Père Bonifacio, supé­rieur de Manoppello, déci­da de rem­pla­cer le cadre en bois de la relique par un cadre en argent. Surprise, à peine avait-​on reti­ré la relique du cadre de bois pour l’enchâsser dans le cadre en argent, que l’image dis­pa­rut. Remise dans son humble sup­port, le visage réap­pa­rut. Depuis, une solu­tion inter­mé­diaire a été trou­vée : le cadre en argent enchâsse le cadre de bois.

Bien des siècles aupa­ra­vant, Héraclius, l’empereur qui avait repris la Croix du Christ aux Perses en 629 avait reçu une leçon divine d’un esprit com­pa­rable. Revêtu de ses habits impé­riaux, il s’était mon­tré inca­pable de sou­le­ver la Croix du Christ tant qu’il n’avait pas endos­sé une mise plus conforme à la pau­vre­té du divin crucifié.

En 1718, Clément XI accor­da une indul­gence plé­nière et des ex-​voto témoignent des grâces obte­nues par les pèle­rins. Venu en pèle­ri­nage en 2006, Benoît XVI éle­va l’église au rang de basilique.

Les recherches scientifiques

Si l’histoire semble embrouillée, comme sou­vent dès qu’il s’agit de suivre à la trace une relique dont on a per­çu bien tar­di­ve­ment la néces­si­té de mar­quer les étapes chro­no­lo­giques, la science a des ren­sei­gne­ments plus pré­cis et sans doute plus pro­bants pour des hommes du XXIe siècle friands de détails maté­riels et technologiques.

La matière : du byssus marin

Ce petit voile intrigue par sa matière, le bys­sus. Il existe trois types de cette sorte de linge : le lin, la soie, ou la laine (ou soie) de fibres de coquillages. Le voile de Manoppello est de cette der­nière espèce. Les fils de ce tis­su sont obte­nus à par­tir des filins par les­quels un gros coquillage, le Pinna nobi­lis, une sorte de grosse moule, s’arrime au fond de mer. Ces fils sont très fins et solides. De cou­leur natu­relle, ils sont bruns. Ils ont comme pro­prié­té de ne pou­voir être peints. La pein­ture ne tient pas et se détache du tis­su quelques minutes après y avoir été appliquée. 

La seule solu­tion pour teindre le tis­su consiste à le faire cuire dans la pein­ture mais dans ce cas, le tis­su est mono­chrome. Pour éta­blir un des­sin poly­chrome avec du bys­sus marin, il faut uti­li­ser plu­sieurs fils préa­la­ble­ment tein­tés de cou­leurs différentes.

Inutile de pré­ci­ser que ce genre de voile est pré­cieux. Il jouit éga­le­ment d’une étrange réac­ti­vi­té à la lumière. Placé à contre-​jour, le voile est trans­pa­rent. Face au soleil, il prend une teinte dorée si écla­tante qu’il semble tis­sé de fils d’or. Ce tis­su est d’autant plus incon­nu de notre époque qu’il ne reste plus qu’une seule per­sonne à savoir tis­ser le bys­sus marin, Chiara Vigo. Appelée auprès du Volto san­to, elle recon­nut faci­le­ment le tis­su marin. « Ce qui lui échap­pait cepen­dant, c’était qu’on ait réus­si à tis­ser un fil aus­si fin. Les irré­gu­la­ri­tés pré­sentes lui fai­saient dire que le tis­su avait été réa­li­sé sur un cadre en bois et non sur un métier. Mais au Ier siècle, on savait réa­li­ser des tis­sus de cette finesse. On en trou­vait sur les momies. »[2]

Naturellement, on a regar­dé le voile de Manoppello au micro­scope pour voir si les fibres étaient recou­verts de pein­ture. Il n’en est rien. Au dire du Pr. Donato Vittore, ortho­pé­diste et trau­ma­to­logue, de l’université de Bari, aucun pig­ment n’apparaît sur ce voile… poly­chrome. Seuls appa­raissent ici ou là quelques dépôts bruns rési­duels (du sang ?). Quelques rous­sis­sures – comme une brû­lure ana­logue à celle du Linceul de Turin – se dis­tinguent notam­ment pour le rond des yeux.On a éga­le­ment uti­li­sé une tech­nique (la lampe de Wood) pour voir s’il y avait quelque com­po­si­tion maté­rielle ajou­tée à la matière natu­relle du voile. La réponse est sans conteste : aucune trace de sub­stance syn­thé­tique ne figure sur le voile.

À l’heure actuelle, on est dans l’impossibilité d’expliquer scien­ti­fi­que­ment la com­po­si­tion de cette image. En réa­li­té, nous nous trou­vons face à une image aché­ro­poïète, c’est-​à-​dire une image non peinte de main d’homme.

L’historiographie

Sœur Blandina Paschalis Shlömmer a par ailleurs mené une étude ico­no­gra­phie des plus troublantes. 

Mettant en paral­lèle l’image de Manoppello avec de très nom­breuses et antiques repré­sen­ta­tions du visage du Christ, elle a décou­vert des res­sem­blances extrê­me­ment frap­pantes entre elles, ten­dant à mon­trer que le Saint Voile avait ser­vi de modèle à nombre de figures antiques. La res­sem­blance est si grande que l’on peut super­po­ser les images du Saint Voile et de nom­breuses repré­sen­ta­tions. Le résul­tat est fascinant.

Le paral­lèle avec le Linceul de Turin et le Suaire d’Oviedo

Mais l’étude à nos jours la plus stu­pé­fiante est celle du rap­pro­che­ment entre le voile de Manoppello, le Saint Suaire de Turin et le Suaire d’Oviedo. Lorsqu’on super­pose les trois images, elles se com­posent admi­ra­ble­ment bien et se confortent mutuel­le­ment, don­nant du visage du Christ une image plus vivante encore. Même dimen­sions, au mil­li­mètre près, avec les traits sem­blables : barbe arra­chée, nez cas­sé. Une seule dif­fé­rence impor­tante : le lin­ceul de Turin porte la marque de pièces sur les pau­pières de Jésus. Le voile pré­sente un Christ aux yeux ouverts. Serions-​nous alors devant le visage du Christ à l’instant où il rouvre les yeux avant de rendre glo­rieux son divin corps ?

Au dire de Padre Pio, « Le Volto Santo de Manoppello est cer­tai­ne­ment le plus grand miracle que nous ayons sous les yeux. »[3]

Il reste évi­dem­ment de nom­breuses ques­tions. Sur l’histoire de cette relique, sur son iden­ti­té avec le voile de Véronique. Mises à part les études ico­no­gra­phique, pho­to­gra­phique, et micro­sco­pique, le voile n’a fait l’objet d’aucune autre ana­lyse scien­ti­fique. Aucun frag­ment de ce voile, encore mécon­nu, n’a été pré­le­vé et analysé.

Gageons que l’avenir nous réserve quelques heu­reuses sur­prises sur cette relique sur laquelle il reste quelques com­men­taires à faire.

Le regard du divin agneau

Le pre­mier, c’est que cette relique de la Passion du Christ – puisqu’on a tout lieu de croire qu’elle en est – nous livre la seule repro­duc­tion du regard du Christ.

Si l’on a pu noter avec le P. Calmel que « La seule image que Jésus nous ait lais­sée de lui-​même n’est pas celle de son visage trans­fi­gu­ré sur le Thabor, mais cette face dont la beau­té est voi­lée par les humi­lia­tions et par la mort de la croix. »[4], on peut ajou­ter que le seul regard que le Christ nous ait lais­sé est ce regard aimant et dou­lou­reux de sa pas­sion, le regard, non du sou­ve­rain juge, non du trans­fi­gu­ré, non du divin maître prê­chant les béa­ti­tudes, mais celui de l’Agneau immolé. 

Mais un regard appelle un regard. Si le Christ nous regarde avec l’œil du bon pas­teur qui donne sa vie pour ses bre­bis, il attend un autre regard, d’amour et de reconnaissance.

Le regard fixe du Christ est un appel à la contem­pla­tion dont l’objet est l’œuvre la plus grande qui soit : l’immolation du Christ pour le salut de nos âmes, car « il n’y a pas de plus grand amour que de don­ner sa vie pour ceux que l’on aime ».

Abbé François-​Marie Chautard

Source : Le Chardonnet n°356

Notes de bas de page
  1. Pour en savoir plus sur les argu­ments qui fondent cette recons­ti­tu­tion, voir (sœur) Blandina Paschalis Shlömmer, Jésus-​Christ Agneau et Beau Pasteur, Face à face avec le Voile de Manoppello, Librim concept, 2015, p. 92, notam­ment[]
  2. (sœur) Blandina Paschalis Shlömmer, Jésus-​Christ Agneau et Beau Pasteur, Face à face avec le Voile de Manoppello, Librim concept, 2015, p. 75[]
  3. Cité dans l’excellent ouvrage La Passion de Jésus-​Christ, éd. du MJCF, 2012, p. 64[]
  4. Père Roger-​Thomas Calmel, « Si ton œil est simple » ; cité par Le Sel de la terre, n° 12 bis, mai 1995, p. 224.[]

FSSPX

M. l’ab­bé François-​Marie Chautard est l’ac­tuel rec­teur de l’Institut Saint Pie X, 22 rue du cherche-​midi à Paris.