À propos de 2 interviews du pape François…
En deux interviews à bâtons rompus, le pape François ébranle les certitudes les mieux établies de l’Église catholique. Jointe à quarante revues jésuites, la célèbre revue Études publie 30 pages du P. Spadaro, au mois d’octobre, qui relatent et synthétisent six heures d’entretien du mois d’août. Dès l’abord, il livre à son interlocuteur son admiration pour Henri de Lubac et de Michel Certeau, ce qui ne laisse pas présager une forte orthodoxie.
Le ton semble tenir plus des propos de table d’un vieux curé de campagne que du Souverain Pontife. Cette simplicité peut paraître touchante au point de solliciter une interprétation minimaliste des certains jugements. Mais dans les faits, il est évident que le monde entier profite dès à présent des brèches ouvertes. Dans l’ensemble, ce ton est plutôt gênant de la part de quelqu’un qui occupe une fonction où on est en droit d’attendre convictions et certitudes plus que de battre sa coulpe.
Un long passage fait l’apologie de la méthode jésuite et de ses fruits de « prudence » qui semble apporter au Pontife une certitude pour son agir futur. Mais il y mêle à plusieurs reprises l’usage d’une sorte de ressenti qui éloigne considérablement des considérations de raison ; par exemple, alors qu’il s’apprêtait à habiter les appartements pontificaux, il relate : « J’ai entendu distinctement un non » (p. 5)
L’esprit du nouveau pape est donné aussi, en ce début d’octobre, au journaliste E. Scalfari de Reppublica, qu’il a convié : « Essayer de vous convertir ? Le prosélytisme (pour un moderne, c’est le mot qui remplace « l’esprit missionnaire ») est une pompeuse absurdité. Il faut se connaître et s’écouter les uns les autres. »
Il précise : « C’est l’amour pour les autres, tel que Notre Seigneur l’a enseigné. Ce n’est pas du prosélytisme… » – Petit oubli du pape, Jésus a tout de même dit : « Je suis venu rendre témoignage à la Vérité ».
Au jésuite, il affirme déjà (p. 16) : « La religion a le droit d’exprimer son opinion au service des personnes mais Dieu dans la création nous a rendus libres : l’ingérence spirituelle dans la vie des personnes n’est pas possible »
L’Œcuménisme sans états d’âme
« Il me semble avoir dit … que notre objectif n’est pas le prosélytisme (la conversion) mais l’écoute des besoins, de vœux des illusions perdues, du désespoir, de l’espérance… nous devons ouvrir la porte aux exclus, prêcher la paix. Le concile Vatican II… a décidé de regarder vers l’avenir dans un esprit moderne et de s’ouvrir à la culture moderne. Les pères conciliaires savaient que cette ouverture à la culture moderne était synonyme d’œcuménisme religieux et de dialogue avec les non-croyants. Après eux, on fit bien peu dans cette direction. J’ai l’humilité et l’ambition de vouloir le faire »
Une mission de l’Église horizontale
« Les maux les plus graves qui affligent le monde aujourd’hui sont le chômage des jeunes et la solitude dans laquelle sont abandonnés les vieillards… Voilà selon moi, le problème le plus urgent auquel l’Église est confrontée. »
Au journaliste surpris de cet objectif où rien ne transparaît de la crise surnaturelle, il répond et il persiste dans sa réponse. Nous voilà donc enferré dans le catholicisme social(isant), emblématique du modernisme du XXe siècle.
« Le Fils de Dieu s’est incarné pour faire pénétrer dans l’âme des hommes le sentiment de fraternité… » précise-t-il.
« Les institutions politiques sont laïques par définition » Quel sens du mot laïc ? « Administrées par des non-clercs », ou « volontairement athées », comme le sens commun le comprend ?
Après nous avoir affirmé que l’Église sera fidèle à la tâche de « communiquer ses valeurs », le paragraphe suivant, dans un saisissant raccourci, laisse à penser que des siècles d’institutions chrétiennes n’étaient que l’expression dominante de « l’attachement au pouvoir temporel ». Si l’homme est toujours présent avec ses faiblesses, cette manière de s’exprimer est une injustice notoire envers les siècles de chrétienté !
Une destruction des repères moraux
Au journaliste Scalfari qui demande « Existe-t-il une vision unique du Bien ? », il répond :
Tout être humain possède sa propre vision du Bien, mais aussi du Mal. Notre tâche est de l’inciter à suivre la voie qu’il estime être le Bien.
Devant la stupéfaction de son interlocuteur, il persiste :
Et je suis prêt à le répéter. Chacun a sa propre conception du Bien et du Mal et chacun doit suivre le Bien et combattre le mal selon l’idée qu’il s’en fait. Il suffirait de cela pour vivre dans un monde meilleur.
[Suggestion : on pourrait demander aux prisonniers du goulag ce qu’ils en pensent…]
Des confusions morales ou amorales propres au moderniste
Les questions de morales ne pouvaient pas être évitées dans le contexte journalistique.
Bien entendu, et si le pape s’en plaint dans les revues jésuites : « Nous ne pouvons pas insister seulement sur les questions liées à l’avortement, au mariage homosexuel et à l’utilisation de méthodes contraceptives. Ce n’est pas possible. », une simple considération de prudence – dont il se targue pourtant à l’envi – lui aurait fait prévoir que les médias se sont précipités sur ses affirmations confuses et imprévues sur le sujet.
La remarque de Jeanne Smith est pertinente : « Reste que si l’Église, dans le monde, avait réellement été obsédée par ce rappel au bien de l’homme, on n’en serait sûrement pas à plus d’un milliard d’avortés, la famille en morceaux, l’union homosexuelle considérée comme un mariage, une expression bonne de la sexualité ».(Présent n° 7943)
« Un jour, quelqu’un m’a demandé d’une manière provocatrice si j’approuvais l’homosexualité. Je lui ai répondu par une autre question : Dis-moi : Dieu quand il regarde une personne homosexuelle, en approuve-t-il l’existence avec affection ou la repousse-t-il en la condamnant ? » (p. 15–16)
• Tour de force rhétorique qui permet de confondre tous les domaines et de justifier tous les désordres. Confusion entre le regard de Dieu sur une personne parce qu’elle existe : amour prévenant ; et le jugement de Dieu sur son action : amour consentant. Or c’est un blasphème d’imaginer que Dieu aime l’action mauvaise, ou le péché. Les modernistes sont des habitués de ce genre de mélange. Un pécheur doit exister. Il n’est pas de péché sans quelqu’un qui le commet. Ce qui déplaît à Dieu, c’est cet être qui se détourne de Lui. Celui-là, effectivement, Dieu espère son retour.
• Le pape conclut par l’affirmation qui se veut humble : « Je ne suis personne pour le juger ». Quelle est donc la mission du prêtre au confessionnal si ce n’est de juger, de reconnaître qu’il y a péché et de prononcer une sentence de pardon. Qui est le pape, s’il ne peut plus se prononcer sur ce qui conduit inéluctablement les âmes en enfer ! N’est-ce pas la mission du pasteur de mettre devant les yeux du pécheur l’horreur de son état.
• Nouvelle confusion entre l’homme choisi par Dieu pour être prêtre, qui peut être pécheur à son degré personnel, mais qui est investi malgré tout de la mission divine de sortir les autres du péché
• Autre distinction qu’omet le pape : il nous parle de l’homosexualité pour désigner des personnes dont c’est la tendance. Une tendance n’exige pas qu’on y succombe ; pourquoi, elles, précisément auraient-elles tous les droits de succomber, ou seraient-elles justifiées d’un péché alors qu’un adultère ne le serait pas ? Dans son exemple, de qui ou de quoi parle-t-il ?
Une seule chose est certaine : c’est que l’interprétation la plus fausse sera celle qui sera la plus répandue.
Vous parliez de « prudence », au début de l’interview ?
Modernisme assorti de méthode jésuitique
La méthode de destruction des fondements atteint son apogée quand elle est servie par la méthode jésuite de répondre à une question par une question. Non comme les socratiques qui forçaient l’adversaire à préciser, mais à l’inverse, pour entraîner l’interlocuteur vers une interrogation existentielle qui le culpabilise.
On ne peut que crier à la mauvaise foi – salva reverentia – lorsqu’il parle des divorcés remariés, des avortées, et de « leur soif d’aller plus loin dans la vie chrétienne » ; et d’ajouter « que fait le confesseur ? » !! (p. 16)
Il n’est dit nulle part dans l’histoire de l’Église que tous les confesseurs sont rébarbatifs, même s’ils sont obligés de surseoir à une absolution. Cependant, la première marche d’escalier pour la vie chrétienne, c’est de retrouver l’état de Grâce, et donc de ne plus vivre en état de péché. C’est de la compétence de tout confesseur si le pécheur demande objectivement le pardon. Jésus dit clairement à la Samaritaine : « L’homme que tu as maintenant n’est pas ton mari. » (Jn IV, 18)
C’est sur ce sujet qu’explose le florilège de la méthode libérale et moderniste. Le modernisme est centré sur « l’homme et son contexte » : tout l’ordre divin, les notions de péché, de salut de l’âme disparaissent alors. Combien de fois, les catholiques libéraux ont opposé la thèse à l’hypothèse. Il est vrai qu’un homme est un être concret qui peut témoigner des circonstances qui l’ont conduit à ses comportements. À ceux-ci, Jésus disait « Va et ne pèche plus » sans accuser ses apôtres de n’avoir pas ménagé d’espace de dialogue. Exiger que le pécheur se sépare d’avec son péché pour modifier le cours de sa vie spirituelle, telle est l’attitude perpétuelle de notre Sauveur.
Pour achever de semer le doute, d’ajouter : « Les enseignements tant dogmatiques que moraux ne sont pas tous équivalents. Une pastorale missionnaire n’est pas obsédée par la transmission désarticulée d’une multitude de doctrines à imposer avec insistance. L’annonce de type missionnaire se concentre sur l’essentiel, sur le nécessaire, qui est aussi ce qui passionne et attire le plus, qui rend le cœur tout brûlant… »
Ainsi s’achève le tour de passe-passe, opposant de manière artificielle l’affirmation des certitudes qui serait une « transmission désarticulée », et l’essentiel qui est de prêcher l’amour. Méthode qui rappelle les années cinquante-soixante où toute certitude dogmatique relevait de l’orgueil et de la maladresse. Les médias ont rebondi avec une satisfaction non dissimulée. L’AFP titre : « gays », et « divorcés ».
Une vision obstinément phénoménologique
Le concret, la pastorale sont présentés comme opposés à un dogmatisme qui serait étriqué, anti apostolique. Car l’idée majeure demeure que « la compréhension de l’homme change avec le temps. » (p 28) … Sauvant verbalement « l’anthropologie à laquelle l’Église s’est traditionnellement rapportée et le langage dans lequel elle l’a exprimée », il pense que « l’homme s’interprète lui-même autrement que par le passé, à l’aide d’autres catégories ». Loin du « nihil novi sub sole » (Eccl. I, 9), il semble ignorer que les vieilles tares du péché originel vécues par les modernes ne sont pas choses neuves !
« Il est erroné de voir la doctrine de l’Église comme un monolithe sans nuance. » dit-il. À l’aide d’images du concret, comme la peinture ou la médecine, le pape met en exergue ce qui change. Vieux débat qui oppose depuis toujours la philosophie d’Héraclite à celle de Parménide. « Tout change », ou « l’être demeure ». L’apogée de la pensée grecque et chrétienne avait permis la distinction entre l’ordre des substances et celui des accidents.
Ces confusions verbales sont spécifiques au modernisme qui est profondément phénoménologique ; cette tournure d’esprit est au service de la révolution qui ébranle les certitudes de Foi et de raison au profit d’un devenir annoncé comme meilleur.
L’Église, Peuple de Dieu
L’Église est présentée selon le double aspect de peuple de Dieu et de hiérarchie, de façon antinomique (p. 8). Idée qui revient souvent, sans cacher (p. 11) que la première approche lui plaît davantage car elle est sortie directement, ou plus précisément à la manière de Lumen Gentium. On sait que la Constitution Lumen Gentium, avant de parler de la hiérarchie traite (ch. 2) du peuple de Dieu et de son sacerdoce universel. Les missions et vocations particulières ne sont que des charismes propres dans cet ensemble démocratique. L’Église paraît d’abord comme une « communion » entre égaux, réalisée par l’Esprit Saint d’où émanent des fonctions, comme des dons supplémentaires.
« Dieu entre dans cette dynamique populaire » ajoute le nouveau pape. « Je suis évêque de Rome et pape du monde catholique » dit-il à E. Scalfari
La confusion est entretenue faute d’avoir distingué la cause matérielle et la cause formelle de la société « Église » constituée sur Pierre de façon hiérarchique par Jésus-Christ, lui-même (Mt XVI, 18)
Le pape en vient à redouter l’institution Église, son organisation comme société, ce qui transparaît avec évidence dans l’interview à Reppublica.
D’où un « sentire cum Ecclesia » (p. 11–12) qui devient affectif, à l’écoute, démocratique… puisque ce concept de l’Église est fondé sur une expérience communautaire.
On est éloigné du sentire venant de l’Esprit Saint qui s’exprime par la Tradition dans toute sa majesté, Cette Tradition n’existe pas selon cette signification de transmission, chez le Pape. C’est encore « l’existentiel », même coupé du Dogme, de la Révélation ou de la Tradition qui prime. Le choix de porter une gifle à la libéralisation de la Messe de l’Église faite par son prédécesseur est conscient : il l’affuble du titre de « Vetus ordo ». Ce qui est vieux n’est plus adapté à l’existentiel !
Un relent de Teilhardisme
Les rêveries spiritualo-cosmiques du P. Teilhard de Chardin semblent moins à la mode, de nos jours. Il serait long de les exposer. Cependant le lecteur pourra juger de cette étrange répartie au journaliste italien : « Dieu est lumière qui illumine les ténèbres, même s’il ne les dissipe pas et une étincelle de cette lumière divine est au-dedans de chacun d’entre nous. Notre espèce, comme d’autres, s’éteindra, mais la lumière de Dieu, elle, ne s’éteindra pas, qui finalement envahira toutes les âmes et alors tout sera dans tous ».
Pour ceux qui gardaient quelque espoir de voir un renouveau de la Foi sous ce pontificat, il reste à crier : « Sauvez-nous, Seigneur, nous périssons ! (Mt VIII, 25)
Abbé Jean-Pierre Boubée, 13 octobre 2013, jour anniversaire du grand miracle solaire à Fatima.