Avant toute présentation de Lumen Fidei, encyclique signée de François mais rédigée par Benoît XVI, un avertissement : ce document n’est pas un exposé général sur la vertu de foi. Déjà, Spe Salvi n’était pas un exposé général sur l’espérance ; ni Caritas in veritate sur la charité. Les encycliques de Benoît XVI ne constituent pas des catéchismes sur les vertus théologales. Elles se présentent comme des méditations théologiques, s’adressant en priorité à un public épiscopal.
Ceci étant posé, sur quoi porte cette méditation ? Sur la foi comme lumière de l’existence chrétienne : que signifie croire ? En quoi cela modifie-t-il ma vie ? Benoît XVI a rédigé une vue à connotation existentialiste de la foi comme lumière.
Benoît XVI n’est pas purement et simplement un disciple de l’existentialisme (nous sommes loin de Jean-Paul Sartre), pas même de l’existentialisme chrétien. Sa formation est le fruit d’une grande diversité de maîtres. En revanche, il a reçu une vraie « patte » existentialiste par le biais, en particulier, de la lecture d’Heidegger et de Karl Jaspers. Cette patte explique son intérêt pour l’existence humaine, et pour « l’irruption » de la foi dans cette vie.
1. D’abord, « la lumière de la foi… est capable d’éclairer toute l’existence de l’homme » (§ 4), elle engendre « une vision lumineuse de l’existence » (§ 5), et donc elle est, pour l’homme, « une orientation fondamentale qui donne unité à son existence » (§ 13) ; car c’est finalement Dieu qui « oriente l’existence » (§ 13). Ainsi, elle est une force pour cette existence : elle « l’enrichit » (§ 6) ; avec l’espérance et la charité, la foi constitue « le dynamisme de l’existence chrétienne » (§ 7). Selon Benoît XVI, c’est sur « l’existence croyante » (§ 22) qu’a écrit saint Paul (§ 19).
2. L’insistance sur la foi comme « rencontre personnelle » ou comme « réponse à une parole » est aussi un trait saillant de l’existentialisme chrétien (§ 5, 8, 13, 39, 46).
À côté de l’existentialisme, on décèle une autre philosophie, qui en est assez proche sous certains aspects : la phénoménologie. Le mot paraît prétentieux. Il signifie d’abord l’étude des choses de la vie de l’homme, en tant que ces choses sont vécues par lui, au niveau de sa conscience. Benoît XVI a été beaucoup moins influencé par la phénoménologie que ne l’a été Jean-Paul II. Mais ce qu’il en a reçu explique que, selon lui, la foi, quand elle arrive dans la conscience, constitue pour l’homme « une nouvelle expérience » (§ 5) ; Abraham l’avait déjà expérimentée (§ 11), puis saint Augustin (§ 33). La paternité de Dieu sur l’homme est le « centre de l’expérience chrétienne » (§ 20) ; dans la prière « le chrétien apprend à partager l’expérience spirituelle elle-même du Christ ». (§ 46) Et le pape de citer, une fois de plus, Vatican II, « qui a fait briller la foi à l’intérieur de l’expérience humaine » (§ 6).
Qu’on ne cherche pas, du fait de cette approche, des hérésies. Il est d’ailleurs encourageant de lire que, pour Benoît XVI, la foi est un « don gratuit » (§ 1, 6, 14, 20) et surnaturel, qui vient de Dieu (§ 4), une « vertu théologale » (§ 7) ; qu’il faut la confesser « dans son unité et son intégrité » (§ 5) et qu’elle est indissociable de la vérité (§ 24). Le § 48 mérite d’être cité : « Étant donné qu’il n’y a qu’une seule foi, celle-ci doit être confessée dans toute sa pureté et son intégrité. C’est bien parce que tous les articles de foi sont reliés entre eux et ne font qu’un, qu’en nier un seul, même celui qui semblerait de moindre importance, revient à porter atteinte à tout l’ensemble. (…) il est donc important de veiller, afin que le dépôt de la foi soit transmis dans sa totalité (cf. 1 Tm 6, 20), et pour que l’on insiste opportunément sur tous les aspects de la confession de la foi. » Et il ne manque pas de considérations intéressantes sur la foi comme lumière dans l’obscurité (§ 4), ou comme bien commun (§ 51)… Comme toujours, Benoît XVI cite des auteurs d’horizons divers, parfois sulfureux : saint Grégoire, Guillaume de Saint- Thierry, saint Irénée, Nietzsche, Wittgenstein, Thomas Stearns Elliot…
Le pape émérite laisse ici un travail entaché par les courants philosophiques qui ont corrompu notre époque. C’est une contemplation à sa manière, pleine de métaphores, parfois d’une vraie profondeur. Mais, par la façon qu’elle a de dire ce qu’elle dit, et par tout ce qu’elle ne dit pas, elle contribue à déshabituer du langage et même de la doctrine traditionnelle ; au mieux, on peut augurer qu’elle ne contribuera pas à redonner santé à la foi anémiée des gens simples, qui n’ont heureusement lu ni Nietzsche ni Wittgenstein.
Source : Fideliter n° 215 de septembre-octobre 2013