EXISTE-T-IL UNE ÉGLISE CONCILIAIRE, société constituée et distincte de l’Église catholique, différant d’elle sinon par ses membres du moins par ses buts ? Et si c’est le cas, quels sont ses rapports avec l’Église catholique ? Voilà des questions qui se posent à la conscience catholique depuis le 25 juin 1976, jour où le substitut de la secrétairerie d’État du pape Paul VI, Mgr Giovanni Benelli [1], usa de cette expression dans une lettre écrite de la part du pape à Mgr Lefebvre : [Si les séminaristes d’Écône] sont de bonne volonté et sérieusement préparés à un ministère presbytéral dans la fidélité véritable à l’Église conciliaire, on se chargera de trouver ensuite la meilleure solution pour eux. Plusieurs études sont parues sur le sujet dans Le Sel de la terre [2] depuis lors. Formulons un nouvel état de la question pour répondre à celle-ci.
Approche d’une définition de l’Église conciliaire
Efforçons-nous d’abord de définir les deux Églises en question, par leurs quatre causes selon Aristote. Une société est un être moral, de la catégorie relation, laquelle fait le lien entre les membres. On peut distinguer :
- La cause matérielle : ce sont les personnes unies dans la société. Nous dirons que, dans le cas de l’Église catholique comme dans celui de l’Église conciliaire, ce sont les baptisés.
- La cause efficiente est le chef de la société : pour l’Église catholique, Notre Seigneur Jésus-Christ, son fondateur, et les papes qui sont ses vicaires ; et pour l’Église conciliaire, les papes du Concile, donc les mêmes papes ; si bien que la même hiérarchie semble gouverner les deux Églises.
- La cause finale, qui est la cause des causes, c’est le bien commun recherché par les membres : dans le cas de l’Église catholique, ce bien recherché est le salut éternel ; dans le cas de l’Église conciliaire, c’est plus ou moins principalement l’unité du genre humain : « L’Église, dit le Concile, est dans le Christ comme le sacrement ou, si l’on veut, le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain [3]. »
- La cause formelle est l’union des esprits et des volontés des membres dans la recherche du bien commun. Dans l’Église catholique, par la profession de la même foi catholique, la pratique du même culte divin et la soumission aux mêmes pasteurs et donc aux lois qu’ils font, à savoir le Droit canon. Dans l’Église conciliaire, par l’acceptation de l’enseignement du Concile et du magistère qui se réclame de lui, et par la pratique de la nouvelle liturgie et l’obéissance au nouveau Droit canon.
De ces données approximatives nous pouvons déduire les définitions approximatives des deux Églises : l’Église catholique est la société des baptisés qui veulent sauver leur âme en professant la foi catholique, en pratiquant le même culte catholique et en suivant les mêmes pasteurs, successeurs des Apôtres. L’Église conciliaire, elle, est la société des baptisés qui suivent les directives des papes et des évêques actuels, en épousant plus ou moins consciemment l’intention de réaliser l’unité du genre humain, et qui en pratique acceptent les décisions du Concile, pratiquent la liturgie nouvelle et se soumettent au nouveau Droit canon.
S’il en est ainsi, nous avons deux Églises qui ont les mêmes chefs et la plupart des mêmes membres, mais qui ont des formes et des fins diamétralement disparates : d’une part le salut éternel secondé par le règne social du Christ, Roi des nations, d’autre part l’unité du genre humain par l’œcuménisme libéral, c’est-à-dire élargi à toutes les religions, héritier des décisions conciliaires Unitatis redintegratio, Nostra ætate et Dignitatis humanæ, et qui est l’esprit d’Assise et l’antithèse du règne social de Jésus-Christ. C’est un peu vite dit, mais ce qui va suivre éclairera la justesse de cette opposition.
Une seule hiérarchie pour deux Églises, est-ce possible ?
Que la hiérarchie catholique gouverne à la fois l’Église catholique et une société qui a l’allure d’une contrefaçon d’Église semble répugner à l’assistance promise par le Christ à Pierre et à ses successeurs, garantissant l’inerrance du magistère et l’indéfectibilité de l’Église (Mt 16, 17–19 ; 28, 20). Si le pape dirige une autre Église, il est apostat, il n’est plus pape et l’hypothèse sédévacantiste est vérifiée. – Il suffit de répondre que « Prima sedes a nemine judicatur » et que, par conséquent, nulle autorité ne peut prononcer l’obstination, déclarer la pertinacité d’un souverain pontife dans l’erreur ou la déviance ; et que, d’autre part, en cas de doute, l’Église suppléerait au moins le pouvoir exécutif du pontife apparent (can. 209 du CIC de 1917) [4]. Quant au magistère, il n’est assisté que s’il a l’intention de transmettre le dépôt de la foi et non des nouveautés profanes [5]. Et quant à l’indéfectibilité de l’Église, elle n’empêche pas que l’Église ne puisse en venir, suite à une grande apostasie comme celle annoncée par saint Paul (2 Th 2, 3), à être réduite à un très modeste nombre de vrais catholiques. Par conséquent aucune des difficultés soulevées contre l’existence d’une véritable société appelée Église conciliaire et dirigée par le pape et la hiérarchie catholique n’est décisive.
Il est toutefois préférable d’éviter ces réponses extrêmes. On peut alors s’efforcer de nier l’existence de l’Église conciliaire comme société organisée et dirigée par la hiérarchie de l’Église catholique, ou d’exténuer [6] l’appartenance des membres à cette Église conciliaire.
L’Église conciliaire ne serait-elle qu’un esprit ?
On dira d’abord que l’Église conciliaire n’est qu’un « esprit [7] » libéral et moderniste qui a pénétré l’Église à l’occasion du Concile, comme le répondit Mgr Lefebvre au cardinal Seper qui lui demandait :
Monseigneur, dans une note préliminaire [8] à une lettre adressée au Saint-Père, vous avez écrit : « Qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas d’un différend entre Monseigneur Lefebvre et le pape Paul VI, il s’agit de l’incompatibilité radicale entre l’Église catholique et l’Église conciliaire, la messe de Paul VI représentant le programme de l’Église conciliaire. » Cette idée se trouve explicitée dans l’homélie prononcée le 29 juin précédent durant la messe d’ordination à Écône : « Cette nouvelle messe est un symbole, est une expression, est une image d’une foi nouvelle, une foi moderniste […]. Or il est évident que ce rite nouveau est sous-tendu, si je puis dire, suppose une autre conception de la foi catholique, une autre religion… » Doit-on conclure de ces affirmations que, selon vous, le pape, en promulguant et en imposant le nouvel Ordo Missæ, et l’ensemble des évêques qui l’ont reçu, ont instauré et rassemblé autour d’eux visiblement une nouvelle Église « conciliaire » radicalement incompatible avec l’Église catholique [9] ?
Minimisant la portée de ses propos, l’archevêque répond :
J’observe tout d’abord que l’expression de « l’Église conciliaire » n’est pas de moi, mais de S.E. Mgr Benelli, qui, dans une lettre officielle, demandait que nos prêtres et nos séminaristes se soumettent à « l’Église conciliaire ». Je considère qu’un esprit de tendance moderniste et protestante se manifeste dans la conception de la nouvelle messe et d’ailleurs de toute la réforme liturgique [10].
Nous estimons que la reculade stratégique du prélat d’Écône est parfaitement justifiée par les circonstances, celles d’un procès que lui intente le Saint-Office et qui peut mener à sa condamnation ; en outre les explications qu’il lui aurait fallu fournir à l’appui de son idée de l’existence d’une société parallèle et organisée appelée Église conciliaire auraient requis trop de documents et de faits à citer et à organiser dialectiquement dans les limites de brèves réponses à donner à un interrogatoire. Nous ne pouvons arguer de sa réponse évasive que Mgr Lefebvre ait réduit réellement l’Église conciliaire à un « esprit ».
L’Église conciliaire ne serait-elle qu’une infirmité ?
Mais, dira-t-on, Mgr Lefebvre n’a‑t-il pas évoqué plusieurs fois une simple débilité qui affecte le corps de l’Église, une sorte de « sida spirituel », comme il le disait, qui affaiblit la capacité de résistance de l’Église aux contaminations ? – Nous répondons que l’un n’empêche pas l’autre. Les effets de l’Église conciliaire sur l’Église catholique sont en effet d’abord un empoisonnement, une paralysie et donc un affaiblissement de l’Église catholique face à ses ennemis. C’est ce qu’explique Mgr Lefebvre au même cardinal Seper dans une lettre précédant son interrogatoire :
Il y a dans ce monde des forces ennemies de Notre-Seigneur, de son règne. Satan et tous les auxiliaires de Satan, conscients ou inconscients, refusent ce règne, cette voie de salut et militent pour la destruction de l’Église. Ainsi l’Église est engagée par son divin Fondateur dans un gigantesque combat. Tous les moyens ont été et sont employés par Satan pour triompher. L’un des derniers stratagèmes extrêmement efficace est de ruiner l’esprit combatif de l’Église en la persuadant qu’il n’y a plus d’ennemis, qu’il faut donc déposer les armes et entrer dans un dialogue de paix et d’entente. Cette trêve fallacieuse permettra à l’ennemi de pénétrer partout et de corrompre les forces adverses. Cette trêve est l’œcuménisme libéral, instrument diabolique de l’autodestruction de l’Église. Cet œcuménisme libéral exigera la neutralisation des armes qui sont la liturgie avec le Sacrifice de la messe, les sacrements, le bréviaire, les fêtes liturgiques, la neutralisation et l’arrêt des séminaires…
Il est évident que la débilité ou le « sida » de l’Église face à ses ennemis n’est pas une simple diminution maladive de l’esprit de combat, mais qu’elle n’est que le résultat de stratagèmes ourdis par des membres influents de l’Église relayés par une partie de la hiérarchie et soutenus par des papes eux-mêmes, victimes de leur libéralisme, mais acteurs conscients et consentants de cet œcuménisme libéral, un œcuménisme reçu avec faveur par une grande partie des catholiques séduits par les facilités offertes par cette sorte de nouvelle religion. Tout cet ensemble est précisément ce que nous avons défini comme étant l’Église conciliaire.
Mais si l’on tient malgré tout à accuser une pure maladie de l’Église, alors l’image d’un cancer serait plus réaliste : la maladie conciliaire n’est-elle pas le parasitage et la colonisation des tissus sains de l’Église par un virus qui en provoque la prolifération anarchique ? Il faudrait alors s’interroger sur l’existence et la nature de l’agent viral.
L’appartenance de membres ou d’adhérents à l’Église conciliaire est-elle douteuse ?
D’autre part, si l’on accepte l’image d’une société, contrefaçon d’Église, tout en voulant éviter d’affirmer son existence, on pourrait réduire l’appartenance de la plupart de ses membres à une appartenance purement matérielle, du fait que la majorité suit le mouvement par conformisme, sans connaître ou partager les buts de l’Église conciliaire, laquelle serait presque dépourvue de membres réels et réduite à l’état de fantôme en ce qui concerne les membres, et de squelette en ce qui regarde la hiérarchie. L’état vraiment squelettique de l’Église conciliaire confirmerait l’hypothèse. On devrait en outre minimiser encore l’appartenance à cette dernière en considérant que le lien qui unit ses membres n’a rien de la solidité de la vertu théologale de la foi catholique, qui est toute surnaturelle par son objet, son motif et sa fin : elle fait « croire à Dieu, croire Dieu et croire en Dieu [11]. » Car si beaucoup de conciliaires approuvent la tentative de conciliation entre la religion du Dieu fait homme et la religion de l’homme tout court, sur la base commune de la dignité de la personne humaine, ils ne perçoivent pas l’équivoque du principe de cette conciliation énoncé par le Concile dans Gaudium et spes : « Croyants et incroyants sont généralement d’accord sur ce point : tout sur terre doit être ordonné à l’homme comme à son centre et à son sommet [12]. » L’Église catholique précise en effet avec saint Ignace de Loyola : « Et les choses qui sont sur la terre sont créées à cause de l’homme, pour l’aider à faire son salut », ce qui est une tout autre fin ! En comparaison de la communion des saints, fruit de la foi catholique et de la charité théologale, quelle communion peut fonder entre les conciliaires le mélange de principes si diamétralement opposés ? Nous l’appellerons, avec Anne-Catherine Emmerich, la communion des profanes ou la communion des anti-saints [13].
Du reste, à l’équivoque de sa forme, l’Église conciliaire joint l’ambiguïté de sa fin : « l’unité du genre humain », par essence terrestre et naturelle, « dans le Christ », instrumentalisant Notre Seigneur au service d’une idée platonicienne : demain, par un coup de baguette magique, sans effort, sans conversion du monde, « l’Église sera le genre humain » ! L’Église n’a plus besoin d’être missionnaire, il lui suffit de se présenter au monde, d’être médiatique. Les incessants voyages publicitaires de Jean-Paul II illustrent la réalité de ce que le père Julio Meinvielle décrivait déjà en 1970 comme « l’Église de la publicité » :
Cette Église de la publicité magnifiée dans la propagande, avec des évêques, des prêtres et des théologiens publicisés, peut être gagnée à l’ennemi et se changer d’Église catholique en Église gnostique, [face à] l’autre, l’Église du silence, avec un pape fidèle à Jésus-Christ dans son enseignement et avec quelques prêtres, évêques et fidèles qui lui soient attachés, éparpillés comme le pusillus grex par toute la terre [14].
Hélas, le pape fidèle a jusqu’ici manqué à ce pusillus grex ! Les papes postconciliaires, élus papes de l’Église catholique, ont été surtout papes de l’Église de la publicité !
De tout ce que nous venons de considérer, il appert que l’Église conciliaire n’est pas seulement une maladie, ni une théorie, mais qu’elle est une association de hiérarques catholiques qui, inspirés par des penseurs libéraux et modernistes, veulent, dans des fins mondialistes, réaliser un nouveau type d’Église, avec de nombreux prêtres et fidèles catholiques qui sont plus ou moins gagnés par cet idéal. Elle n’est pas une pure association de victimes. Formellement considérée, l’Église conciliaire est une secte qui occupe l’Église catholique. Elle a ses fauteurs et acteurs organisés comme les eut le modernisme condamné par saint Pie X, qu’il faut citer :
La secte moderniste est-elle morte ?
Les artisans d’erreur, il n’y a pas à les chercher aujourd’hui parmi les ennemis déclarés, ils se cachent, et c’est un sujet d’appréhension et d’angoisse très vive, dans le sein même et au cœur de l’Église, ennemis d’autant plus redoutables qu’ils le sont moins ouvertement. Nous parlons, Vénérables frères, d’un grand nombre de catholiques laïques et, ce qui est encore plus à déplorer, de prêtres qui, sous couleur d’amour de l’Église, absolument courts de philosophie et de théologie sérieuses, imprégnés au contraire jusqu’aux moelles d’un venin d’erreur puisé chez les adversaires de la foi catholique, se posent, au mépris de toute modestie, comme rénovateurs de l’Église ; qui, en phalanges serrées, donnent audacieusement l’assaut à tout ce qu’il y a de plus sacré dans l’œuvre de Jésus-Christ, sans respecter sa propre personne, qu’ils abaissent, par une témérité sacrilège, jusqu’à la simple et pure humanité. […] Le danger est aujourd’hui presque aux entrailles mêmes et au veines de l’Église, leurs coups sont d’autant plus sûrs qu’ils savent savent mieux où la frapper. Ajoutez que ce n’est pas aux rameaux ou aux rejetons qu’ils ont mis la cognée, mais à la racine même, c’est-à-dire à la foi et à ses fibres les plus profondes. Puis, cette racine d’immortelle vie une fois tranchée, ils se donnent la tâche de faire circuler le virus dans tout l’arbre. […] Que ne mettent-ils pas en œuvre pour se créer de nouveaux partisans ! Il s’emparent des chaires dans les séminaires, dans les universités et les transforment en chaires de pestilence [15]…
Cinquante ans vont passer ; malgré Pascendi de saint Pie X en 1907 et Humani generis de Pie XII en 1950, la secte des modernistes va monter à l’assaut des postes d’influence dans l’Église et, à l’occasion du concile Vatican II, va imposer à l’Église et présenter au monde le nouveau type d’Église que nous avons décrit par sa forme et sa fin, et cette secte va , par le magistère et les réformes des papes se réclamant du Concile, mettre en œuvre ce nouveau système d’Église. Les rôles de Paul VI, le pape libéral et contradictoire, et celui de Jean-Paul II, le pape philosophe et œcuménique, sont indéniables dans l’établissement de ce qui est l’Église conciliaire, avec sa hiérarchie qui, à de rarissimes exceptions, est exactement celle de l’Église catholique.
L’Église conciliaire, ouvrage d’un plan maçonnique
Qu’on nous permette un regard en arrière, quelque cent trente ans avant le concile ; une telle rétrospective nous fera comprendre que l’établissement de l’Église conciliaire est le fruit d’un plan ourdi par la franc-maçonnerie, laquelle n’osait même pas croire à l’accomplissement de ses desseins. Citons des extraits des correspondances internes des Carbonari, francs-maçons italiens du 19e siècle, publiées par les papes Grégoire XVI et Pie IX :
Ce que nous devons demander, ce que nous devons chercher et attendre comme les juifs attendent le Messie, c’est un pape selon nos besoins. […] Vous voulez établir que le clergé marche sous vos étendards en croyant marcher sous les bannières apostoliques. […] Vous aurez prêché une révolution en tiare et en chape, marchant avec la croix et la bannière, une révolution qui n’aura besoin que d’être un tout petit peu aiguillonnée pour mettre le feu aux quatre coins du monde.
Voilà encore un extrait d’une lettre de Nubius à Volpe (noms codés pour garder le secret qui est de règle en franc-maçonnerie), du 3 avril 1824 :
On a chargé vos épaules d’un lourd fardeau, cher Volpe. Nous devons faire l’éducation immorale de l’Église et arriver, par de petits moyens bien gradués, au triomphe de l’idée révolutionnaire par un pape. Dans ce projet qui m’a toujours semblé un calcul surhumain, nous marchons encore en tâtonnant.
Le triomphe de l’idée révolutionnaire par un pape, c’est vraiment l’attentat suprême, comme le dit Mgr Lefebvre en citant ces documents dans son livre Ils l’ont découronne [16] et en les commentant ainsi :
Calcul surhumain, dit Nubius ; il veut dire calcul diabolique ! Car c’est calculer la subversion de l’Église par son chef lui-même, ce que Mgr Delassus appelle l’attentat suprême, parce que l’on ne peut imaginer rien de plus subversif pour l’Église, qu’un pape gagné aux idées libérales, qu’un pape utilisant le pouvoir des clefs de saint Pierre au service de la Contre-Église ! Or n’est-ce pas ce que nous vivons actuellement, depuis Vatican II, depuis le nouveau Droit canon ? Avec ce faux œcuménisme et cette fausse liberté religieuse promulgués à Vatican II et appliqués par les papes avec une froide persévérance malgré les ruines que cela provoque.
L’Église occupée, statut incontestable de l’Église des cinquante dernières années
Mgr Lefebvre disait encore :
A quelle Église avons-nous affaire ? Si j’ai affaire à l’Église catholique, ou si j’ai affaire à une autre Église, à une Contre-Église [17], à une contrefaçon de l’Église ? Or je crois, sincèrement, que nous avons affaire à une contrefaçon de l’Église et non pas à l’Église catholique. Ils n’enseignent plus la foi catholique. Ils enseignent autre chose, ils entraînent l’Église dans autre chose que l’Église catholique. Ce n’est plus l’Église catholique. Ils sont assis sur le siège de leurs prédécesseurs…, mais ils ne continuent pas leurs prédécesseurs. Ils n’ont plus la même foi, ni la même doctrine, ni la même morale que leurs prédécesseurs. Alors ce n’est plus possible. Et principalement, leur grande erreur, c’est l’œcuménisme. Ils enseignent un œcuménisme qui est contraire à la foi catholique. […] L’Église est occupée par cette Contre-Église que nous connaissons bien et que les papes [18] connaissent parfaitement, et que les papes ont condamnée tout au long des siècles : depuis maintenant bientôt quatre siècles, l’Église ne cesse de condamner cette Contre-Église qui est née avec le protestantisme surtout, qui s’est développée avec le protestantisme, et qui est à l’origine de toutes les erreurs modernes, qui a détruit toute la philosophie, et qui nous a entraînés dans toutes les erreurs que nous connaissons, que les papes ont condamnées : libéralisme, socialisme, communisme, modernisme, sillonnisme [19]. Nous en mourons. Les papes ont tout fait pour condamner cela, et voilà que maintenant ceux qui sont sur les sièges de ceux qui ont condamné cela sont d’accord avec ce libéralisme et cet œcuménisme. Alors on ne peut accepter cela. Et plus les choses s’éclairent, plus nous nous apercevons que ce programme, […] toutes ces erreurs ont été élaborées dans les loges maçonniques [20].
Dans ce que nous appelons l’Église conciliaire, il n’est pas nécessaire que le pape (le pape de l’Église catholique) soit le chef ; il pourrait n’être qu’un exécutant de directives provenant, sinon d’un pouvoir occulte, du moins d’un noyau dirigeant ou de groupuscules de pression de collaborateurs ou de théologiens sous influence maçonnique. Souvenons-nous d’Annibal Bugnini et de son ascendant mystérieux sur le pape Paul VI dans la réforme liturgique. Cet Annibal semble avoir été franc-maçon. Il est notoire que des loges maçonniques ont fonctionné parmi les membres de la Curie du Saint-Siège pendant les pontificats de Paul VI et de Jean-Paul II.
Les papes conciliaires Jean-Paul II et Benoît XVI ont participé activement au Concile, le premier comme Père conciliaire, le second comme expert conciliaire, et l’ont orienté dans le sens de la nouvelle théologie, celle d’une rédemption universelle et d’une foi évolutive. Et ils ont comme papes appliqué ces erreurs. Mais s’ils ont appliqué ce programme conciliaire, rien ne prouve que ce sont eux qui l’ont conçu, et rien n’empêche qu’ils n’aient fait qu’appliquer, consciemment ou non, une politique qui venait d’ailleurs. Les dirigeants de la Haute-Vente, qui préparaient l’avènement d’un pape selon leur dessein, avaient bien précisé qu’ils ne souhaitaient pas que ce pape soit un membre de leur secte [21].
Quoi qu’il en soit de la manière dont s’exerce l’influence de la secte maçonnique sur l’Église conciliaire, cette influence est indéniable.
Appartenance formelle et appartenance matérielle
L’influence de l’esprit maçonnique, ou du moins la pénétration de l’esprit libéral, naturaliste, œcuménique et mondialiste chez les membres de l’Église conciliaire n’est évidemment pas la même chez tous. Parmi les clercs et les religieux, la plupart des évêques, des supérieurs religieux, des professeurs de séminaires et d’universités, ainsi que les prêtres âgés, adhèrent formellement, c’est-à-dire consciemment et de bon gré aux fins précitées, tandis qu’une minorité de jeunes prêtres ou religieux et de séminaristes ne veulent rien entendre du Concile ou ne lui prêtent nulle attention et désirent le retour à la théologie de saint Thomas, à la messe traditionnelle, à la discipline classique et aux vertus chrétiennes. Ces derniers, de cœur, n’appartiennent pas à l’Église conciliaire. Entre ces deux extrêmes, se situe la masse des catholiques, conciliaires par habitude, conformisme ou commodité, comme on l’a dit plus haut, qui ont une appartenance plutôt purement matérielle à l’Église conciliaire. Le flou des limites entre ces catégories n’aide pas à la délimitation claire des deux Églises.
Faut-il concevoir deux Églises matériellement distinctes : la catholique et la conciliaire ?
De ce qui précède, il convient de tirer deux conclusions concernant les rapports entre les deux Églises.
Tout d’abord l’Église conciliaire n’est pas matériellement séparée de l’Église catholique. Elle n’existe pas indépendamment de l’Église catholique. Il y a distinction, certes, entre elles, distinction formelle, sans séparation matérielle absolue. La hiérarchie de l’Église conciliaire coïncide presque exactement avec la hiérarchie de l’Église catholique, les membres de l’Église conciliaire sont tous membres au moins matériellement de l’Église catholique. De même qu’on a pu dire (avec un grain de sel) que le libéralisme est une hérésie catholique, en ce sens qu’elle ne naît qu’au sein de l’Église catholique et qu’elle n’existe et ne se développe qu’aux dépens de l’Église catholique, de même on peut dire que l’Église conciliaire naît de la corruption de l’Église catholique et qu’elle ne peut vivre que de cette corruption, comme un parasite qui ne vit qu’aux dépens de l’organisme parasité, en pompant la substance de son hôte pour construire sa propre substance. Il y a une sorte de transfert de substance, si j’ose dire, de l’une à l’autre, dans un sens évidemment métaphorique et non philosophique. Pour devenir conciliaire, il n’est pas besoin de se séparer de l’Église catholique, il suffit de se laisser corrompre par le poison conciliaire et de laisser absorber sa substance par le parasite conciliaire. Il suffit de pratiquer la messe de la nouvelle religion et d’adhérer, formellement ou matériellement, à l’œcuménisme libéral qui en est la forme.
D’autre part, l’Église conciliaire ne coïncide pas nécessairement avec l’Église catholique, ni dans ses chefs ni dans ses membres. Les chefs de l’une ne sont pas toujours les chefs de l’autre. Les membres de la première peuvent, par l’hérésie, avoir cessé d’être membres de la seconde, mais ce n’est pas nécessaire. L’Église catholique est la seule vraie Église, la seule Église fondée par Notre Seigneur Jésus-Christ. Mais cela n’empêche pas l’Église conciliaire d’être une réalité sociale : pas seulement un parti, mais une contrefaçon d’Église, menée par une secte de dirigeants, une secte ayant son système ou idéologie qui est la forme de cette Église conciliaire, et qui la manœuvre à ses fins, avec ses relais et avec ses exécutants, et qui groupe une vaste partie de la hiérarchie et des fidèles catholiques plus ou moins conscients et consentants au détournement diamétral qu’elle opère. C’est en ce sens que le père Calmel a pu parler de « l’Église des pirates » ; cette métaphore dit tout.
« Cette Église conciliaire est une Église schismatique ! »
En 1971, soit plus de cinq ans avant « l’Église conciliaire » de Mgr Benelli, ce même père Calmel dénonçait, dans la revue Itinéraires, la « nouvelle Église que Vatican II a essayé de montrer », « la nouvelle Église post-vaticanesque », et s’expliquait :
La fausse Église qui se montre parmi nous depuis le curieux concile de Vatican II, s’écarte sensiblement, d’année en année de l’Église fondée par Jésus-Christ. La fausse Église post-conciliaire se contredivise de plus en plus à la sainte Église qui sauve les âmes depuis vingt siècles (et par surcroît illumine et soutient la cité). La pseudo-Église en construction se contredivise de plus en plus à l’Église vraie, à la seule Église du Christ, par les innovations les plus étranges tant dans la constitution hiérarchique que dans l’enseignement et les mœurs [22].
Les expressions « fausse Église », « pseudo-Église » sont très fortes. Et le verbe « se contrediviser » indique une mutation formelle d’une partie de l’Église, partie qui s’arrache à la mouvance catholique pour aller divaguer formellement hors d’elle. Le père Calmel était véritablement prophète. C’est seulement cinq ans et demi plus tard, après avoir reçu la fameuse lettre de Mgr Benelli et avoir été frappé par Paul VI d’une suspens a divinis, que Mgr Lefebvre affirmait avec plus de force encore à ses amis l’existence de cette « Église conciliaire », la qualifiant de « schismatique » :
Quoi de plus clair ! Désormais c’est à l’Église conciliaire qu’il faut obéir et être fidèle, et non plus à l’Église catholique. C’est précisément tout notre problème. Nous sommes suspens a divinis par l’Église conciliaire et pour l’Église conciliaire, dont nous ne voulons pas faire partie. Cette Église conciliaire est une Église schismatique, parce qu’elle rompt avec l’Église catholique de toujours. Elle a ses nouveaux dogmes [23], son nouveau sacerdoce [24], ses nouvelles institutions [25], son nouveau culte [26], déjà condamnés par l’Église en maints documents officiels et définitifs. C’est pourquoi les fondateurs de l’Église conciliaire insistent tant sur l’obéissance à l’Église d’aujourd’hui, faisant abstraction de l’Église d’hier, comme si celle-ci n’existait plus. […] L’Église qui affirme de pareilles erreurs est à la fois schismatique et hérétique. Cette Église conciliaire n’est donc pas catholique. Dans la mesure où le pape, les évêques, prêtres ou fidèles adhèrent à cette nouvelle Église, ils se séparent de l’Église catholique. L’Église d’aujourd’hui n’est la véritable Église que dans la mesure où elle continue et fait corps avec l’Église d’hier et de toujours. La norme de la foi catholique, c’est la Tradition [27].
Face à l’Église conciliaire, que devient l’Église catholique ?
Mgr Lefebvre semble admettre la transmutation de l’Église catholique en l’Église conciliaire. Que devient l’Église catholique ? – Mgr Lefebvre répond que c’est dans la mesure où, selon le degré avec lequel les chefs et les baptisés adhèrent au nouveau type d’Église, qu’ils constituent une Église nouvelle, caractérisée par ses buts terrestres, humanistes, naturalistes, socialistes, œcuméniques et mondialistes, de telle sorte que cette nouvelle Église se conçoit elle-même comme plus vaste et plus universelle que l’Église catholique. Il faut ajouter la distinction entre l’adhésion exclusive des chefs sectaires à ces fins profanatrices d’une part, et la recherche d’un compromis entre ces fins et la fin catholique d’autre part, un compromis qu’exprime bien le texte conciliaire de Lumen Gentium (§ 1): « L’Église est dans le Christ en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain. » Cette ambivalence complique singulièrement le problème de la distinction des deux Églises. Le texte de Mgr Lefebvre doit être entendu avec cette précision : c’est dans la mesure où les conciliaires adhèrent exclusivement aux buts profanateurs susdits, qu’ils quittent l’Église catholique. Et de cette mesure, nous ne sommes pas juges. Malgré son style polémique, avec ces précisions, le texte de Mgr Lefebvre est irréprochable. C’est avec la même précision que sa dernière phrase doit être comprise : « L’Église d’aujourd’hui n’est la véritable Église que dans la mesure où elle continue exclusivement et fait corps exclusivement avec l’Église d’hier et de toujours. » Une Église qui convoiterait à la fois un but terrestre et mondialiste et le but surnaturel du salut éternel des âmes, cette Église n’est plus catholique, c’est l’Église conciliaire dans son statut viral atténué et vulgaire [28].
Et à côté de cette Église conciliaire vulgaire, que reste-t-il de l’Église catholique ? Nous répondons que, même réduite au nombre modeste de la partie saine de ses fidèles et peut-être à un seul évêque fidèle, comme pourra l’être, selon le père Emmanuel, l’Église de la fin des temps, l’Église catholique reste l’Église catholique.
Comment l’Église conciliaire a été canonisée
Six ans vont encore passer, et la promulgation par Jean-Paul II d’un nouveau code de Droit canon va justifier les vues de l’archevêque sur cette Église conciliaire. Dans sa constitution apostolique, le pape déclare clairement imposer à l’Église « une nouvelle ecclésiologie » :
[Ce] code […] a mis en acte l’esprit du Concile dont les documents présentent l’Église, « sacrement universel du salut », comme le peuple de Dieu, et où sa constitution hiérarchique apparaît fondée sur le collège des évêques uni à son chef. […] En un certain sens, on pourrait même voir dans ce code un grand effort pour traduire en langage canonique cette doctrine même de l’ecclésiologie conciliaire. […] Il en résulte que ce qui constitue la nouveauté essentielle du concile Vatican II, dans la continuité avec la tradition législative de l’Église, surtout en ce qui concerne l’ecclésiologie, constitue également la nouveauté du nouveau code. Parmi les éléments qui caractérisent l’image réelle et authentique [29] de l’Église, il nous faut mettre en relief surtout les suivants : la doctrine selon laquelle l’Église se présente comme le peuple de Dieu (Lumen gentium 2) et l’autorité hiérarchique comme service (Lumen gentium 3) ; la doctrine qui montre l’Église comme une communion et qui par conséquent indique quelles sortes de relations doivent exister entre les Églises particulières et l’Église universelle et entre la collégialité et la primauté ; la doctrine selon laquelle tous les membres du peuple de Dieu, chacun selon sa modalité, participent à la triple fonction du Christ : les fonctions sacerdotale, prophétique et royale. A cette doctrine se rattache celle concernant les devoirs et les droits des fidèles et en particulier des laïcs ; et enfin l’engagement de l’Église dans l’œcuménisme [30].
Ce tableau de l’Église conciliaire montre la ruine qu’elle opère de l’exercice personnel de l’autorité reçue de Dieu, l’abaissement de la hiérarchie au profit de la base ; l’omission volontaire de la nécessité de l’appartenance à l’Église catholique pour être sauvé ; la réduction du sacerdoce et de l’identité sacerdotale noyés dans le sacerdoce commun des baptisés ; l’aspiration à une unité universelle plus vaste que celle de l’Église catholique. Voilà ce que nous appelions la forme de cette société qu’est l’Église conciliaire. Plutôt que société, il faut l’appeler dissociété, c’est-à-dire la ruine résultant de la dissolution de cette société divine et humaine qu’est l’Église catholique, ou mieux : si l’on peut dire, la désagrégation érigée en principe de nouvelle congrégation. N’est-ce pas évoquer le mot d’ordre de la révolution, « Solve, coagula » : d’abord dissoudre ce qui existe, puis réunir les morceaux sous un autre chef, selon un nouveau principe ? Et cette dissociété qu’est l’Église conciliaire existe ; le pape, la quasi-totalité de la hiérarchie catholique, la masse consciente ou non des baptisés catholiques en sont les membres, formels ou matériels.
Cependant, cette dissociété vouée à l’autodestruction se « tient » par la force de ses agents. Dans le coagula, il y a un pacte des fauteurs de cette dissociété : il faut exiger de tous l’adhésion au Concile et aux réformes conciliaires, de telle manière que ceux qui ne l’acceptent pas sont « hors de la communion » ou « hors de la pleine communion » avec l’Église conciliaire. Cette Église conciliaire se maintient donc par la crainte et la violence ; l’Église catholique, elle, se maintient par la foi et la charité.
Les méthodes par lesquelles subsiste l’Église conciliaire
Vouée à l’autodémolition, l’Église conciliaire n’en subsiste pas moins vigoureusement. En quoi consiste sa ténacité ? En ce que sa hiérarchie use de tout le pouvoir de la hiérarchie catholique qu’elle occupe, détient et dévoie.
Depuis l’instauration de la messe de Paul VI, elle a continuellement persécuté les prêtres fidèles à la vraie messe, au vrai catéchisme, à la vraie discipline sacramentelle, et les religieux fidèles à leur règle et à leurs vœux. Nombreux sont les prêtres qui sont morts de chagrin de devoir, par obéissance, croyaient-ils, adopter les nouveaux rites et usages. Nombreux aussi sont ceux qui sont morts dans l’ostracisme, la relégation canonique et psychologique, mais heureux de porter un témoignage inflexible au rite catholique, à la foi intègre, au Christ-Roi. Les menaces, la crainte, les censures et autres punitions ne les ont pas ébranlés. Mais hélas, combien sont ceux qui ont cédé à ces méthodes de violence, au chantage de la « désobéissance » et de la destitution exercé sur eux par leurs supérieurs. C’est là qu’on touche du doigt la malice libérale de ces chefs : ne dit-on pas à raison qu’il n’y pas plus sectaire qu’un libéral ? N’ayant pas de principes pour faire régner l’ordre, ils font régner un régime de soumission par la terreur.
La malice de la hiérarchie conciliaire est achevée par l’usage qu’elle fait du mensonge et de l’équivoque. Ainsi le motu proprio du pape Benoît XVI déclarant que la messe traditionnelle n’a jamais été supprimée et que sa célébration est libre, assortit cette liberté de conditions contraires à cette dernière, et va jusqu’à qualifier la messe authentique et sa contrefaçon moderniste de « formes extraordinaire et ordinaire du même rite romain ».
Le mensonge se poursuit dans la soi-disant « levée » des excommunications, soi-disant encourues par les quatre évêques consacrés par S. E. Mgr Lefebvre en 1988, comme si elles avaient été réellement encourues.
Mais, par un surprenant contraste, la hiérarchie conciliaire n’a jamais été capable de faire respecter le cinquième commandement de Dieu, « Tu ne tueras pas », qui ne fut guère prêché par les évêques : les pays naguère catholiques sont ceux où l’avortement est le plus en cours ; et l’encyclique Humanæ vitæ du pape Paul VI n’a guère été relayée par les évêques, si bien que la pilule anticonceptionnelle est d’usage courant chez la plupart des jeunes filles et des femmes dans l’Église catholique. Les mœurs immondes du monde actuel ne sont que le débordement du vice auquel la hiérarchie conciliaire n’a su opposer aucun obstacle. Cette Église conciliaire attire dans sa pseudo-communion une masse de chrétiens vivant en réalité dans le péché et le paganisme pratique.
Ne pas appartenir à l’Église conciliaire est une grâce et un témoignage providentiel
Bienheureux ceux qui ne sont pas de cette « communion des profanes », qui en sont providentiellement exclus ou sont menacés d’en être exclus ! Heureuse relégation ou déréliction ! La vocation de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, depuis son érection par l’Église catholique en 1970 et le décret de louange qui l’a honorée en 1971, n’a jamais été de recevoir les bénédictions et reconnaissances de cette Église conciliaire ! Il était sans doute nécessaire que cette société sacerdotale, avec toute la famille de la Tradition, fût comme le flambeau allumé et qu’on ne met pas sous le boisseau conciliaire, mais sur le chandelier du pilori, afin qu’elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison de Dieu. Il était probablement préférable, selon les voies de la Providence, que cette partie saine de l’Église, devenue, comme le divin Maître, pierre de scandale, pierre rejetée par les bâtisseurs de la dissociété ecclésiale conciliaire, devienne la pierre angulaire et la clé de voûte [31] de la cathédrale catholique indestructible. Notre témoignage inflexible envers la vraie Église de Jésus-Christ, envers le sacerdoce et la royauté du Christ prêtre et roi exige sans doute, de la part de l’Église conciliaire, l’exclusion et l’ostracisme prononcés contre nous et ce que nous représentons. Mais de même que saint Joseph dans son exil d’Égypte portait l’Enfant Jésus et sa divine Mère, qui constituaient le germe de l’Église, de même, dans son exil, la famille de la Tradition porte l’Église en elle, sans avoir sans doute l’exclusive de cette glorieuse fonction, mais en en ayant la moelle et le cœur, l’intégrité et l’incorruption. Elle porte par conséquent en elle le pontife romain, en qui le successeur de Pierre se libérera un jour d’une longue captivité [32] et sortira du somme de ses grandes illusions, pour proclamer comme jadis le premier pape à Césarée de Philippe à l’adresse de son Maître : « Tu es Christus, Filius Dei vivi ! »
Dès lors, si nous sommes compliqués, nous regretterons d’être privés de la communion conciliaire ou de son apparence de communion ecclésiale et nous serons malheureux et inquiets, sans cesse en quête d’une solution. Si en revanche nous avons une foi et une simplicité d’enfant, nous chercherons simplement quel témoignage rendre à la foi catholique. Et nous trouverons : c’est d’abord le témoignage de notre existence, de notre permanence, de notre stabilité, avec celui de notre profession de foi catholique intégrale et de notre refus des erreurs et des réformes conciliaires. Un témoignage est absolu. Si je rends témoignage à la messe catholique, au Christ Roi, il faut que je m’abstienne des messes et des doctrines conciliaires. C’est comme le grain d’encens aux idoles : c’est un seul grain ou pas du tout. Donc c’est « pas du tout ». Et puis ce témoignage, c’est aussi la persécution, c’est normal de la part des ennemis de cette foi, qui veulent réduire notre opposition diamétrale à la nouvelle religion, et aussi longtemps qu’il plaira à Dieu qu’ils persévèrent dans leurs desseins pervers. N’est-ce pas Dieu lui-même qui pose cette inimitié entre l’engeance du diable et les fils de Marie ? Inimicitias ponam !
Alors, dès que, dans le recueillement de l’oraison, on a perçu cette vocation propre qui est la nôtre, adaptée par Dieu à la crise actuelle, on y acquiesce en parfaite droiture et grande paix : droiture incapable d’avoir une quelconque complicité avec l’ennemi, paix sans amertume. On y court, on y bondit et on s’écrie comme sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, « Dans l’Église ma Mère, j’ai trouvé ma vocation ! » Et on demande à la sainte magnanime : « Obtenez-moi la grâce d’avoir dans l’Église et pour l’Église une âme de martyr ou au moins de confesseur de la foi ! »
Source : Le Sel de la Terre n° 85 – Eté 2013
- Nommé archevêque de Florence et créé cardinal en 1977.[↩]
- Voir notamment Le Sel de la terre 1, p. 25–38 (Frère Pierre-Marie, « Ecclésiologie comparée »), p. 114–118 ; Le Sel de la terre 34, p. 248 ; Le Sel de la terre 45, p. 36–41 ; Le Sel de la terre 59 (Hiver 2006–2007), éditorial : « Une hiérarchie pour deux Églises. »[↩]
- Concile Vatican II, Lumen gentium, 1.[↩]
- Le nouveau code de 1983 limite la suppléance à celle du pouvoir exécutif.[↩]
- Dans Gaudium et spes (11, 2), le concile Vatican II déclare avoir l’intention primordiale d’introduire et d’assimiler dans la doctrine catholique les valeurs libérales ; cette opération ne peut bénéficier de l’assistance du Saint-Esprit et elle est contraire à l’objet du magistère qui est de « garder saintement et d’exposer fidèlement » le dépôt de la foi.[↩]
- Exténuer au sens originel de réduire à l’extrême.[↩]
- Réponse de Mgr Lefebvre au cardinal Seper l’interrogeant sur sa lettre dénonçant l’Église conciliaire.[↩]
- Note du 12 juillet 1976.[↩]
- Interrogatoire de Mgr Lefebvre par le cardinal Seper, Préfet de la SCDF, 11 janvier 1979, dans Mgr Lefebvre et le Saint-Office, revue Itinéraires, n°233, mai 1979, p. 144–145.[↩]
- Ibid.[↩]
- Saint THOMAS D’AQUIN, II-II, q. 2, a. 2.[↩]
- Concile Vatican II, Gaudium et spes, 12, 1.[↩]
- Dans ses visions des derniers temps de l’Église, elle voit d’un côté les démolisseurs de la basilique Saint-Pierre, qui ôtent les pierres, et de l’autre les rebâtisseurs. A la fin, les démolisseurs cessent leur œuvre de destruction, et vient la réconciliation.[↩]
- P. J. MEINVIELLE, De la Cabala al progressismo, 2e éd., Buenos Aires, 1994, p. 363–364.[↩]
- Saint Pie X, Encyclique Pascendi, 8 septembre 1907, in initio. Voir aussi : « Aucun évêque n’ignore, croyons-Nous, qu’une race très pernicieuse d’hommes, les modernistes, même après que l’encyclique Pascendi dominici gregis(8 septembre 1907) eut levé le masque dont ils se couvraient, n’ont pas abandonné leurs desseins de troubler la paix de l’Église. Ils n’ont pas cessé, en effet, de rechercher et de grouper en une association secrète de nouveaux adeptes, et d’inoculer avec eux, dans les veines de la société chrétienne, le poison de leurs opinions, par la publication de livres et de brochures dont ils taisent ou dissimulent les noms des auteurs. » Motu proprio Sacrorum antistitum du 1er septembre 1910, éditions de la Documentation Catholique, Paris, t. 5, p. 141.[↩]
- Mgr Marcel Lefebvre, Ils l’ont découronné, 2e éd., Escurolles, Fideliter, 1987, p. 148.[↩]
- Par Contre-Église, il faut entendre non pas l’Église conciliaire elle-même, mais la secte maçonnique et toutes les sectes qui l’ont précédée dans le même esprit gnostique et antichrist ; ainsi que la secte moderniste, dont la doctrine est aussi une gnose : une réinterprétation naturaliste de la foi catholique.[↩]
- Les papes qui ont vu clair.[↩]
- Le mouvement de Marc Sangnier en France au début du 20e siècle, pour faire de l’Église l’animatrice de la démocratie, et que saint Pie X condamna par son encyclique Notre charge apostolique.[↩]
- Conférence spirituelle, Écône, 21 juin 1978 ; voir Le Sel de la terre 50, p. 244.[↩]
- « Ce serait un rêve ridicule, et de quelque manière que tournent les événements, que des cardinaux ou des prélats, par exemple, soient entrés de plein gré ou par surprise dans une partie de nos secrets, ce n’est pas du tout un motif pour désirer leur élévation au siège de Pierre. Cette élévation nous perdrait. L’ambition seule les aurait conduits à l’apostasie, les besoins du pouvoir les forceraient à nous immoler ; ce que nous devons demander, ce que nous devons chercher et attendre, comme les juifs attendent le Messie, c’est un pape selon nos besoins… » (Instruction de la Haute Vente datant de 1819).[↩]
- P. Roger-Thomas Calmel o.p., « Autorité et sainteté dans l’Église », Itinéraires 149 (janvier 1971), p. 13–19 ; reproduit dans Le Sel de la terre 40, p. 77 et 85–87.[↩]
- La dignité de la personne humaine.[↩]
- Le sacerdoce commun des baptisés.[↩]
- Institutions collégiales : synode épiscopal, conseil épiscopal, conseil paroissial…[↩]
- La nouvelle messe, qui n’apparaît plus comme le sacrement de la Passion du Christ.[↩]
- Mgr Marcel Lefebvre, lettre manuscrite et photocopiée, du 29 juillet 1976, à ses amis ; reproduite dans Le Sel de la terre 36, p. 10.[↩]
- Remarquons que dans les faits, les enseignements concernant le but surnaturel du salut éternel des âmes (par exemple le Credo de Paul VI ou son encyclique Humanæ vitæ) restent lettre morte à cause du libéralisme des évêques et de la manque de volonté du pape d’appliquer la doctrine catholique.[↩]
- Notons la prétention du nouveau code de présenter de l’Église son « image réelle » (sic), qu’elle avait sans doute ignorée ou dissimulée jusqu’alors, une « image », un modèle d’Église qui est d’autre part « une nouveauté essentielle » ! L’incohérence le dispute à l’audace.[↩]
- Jean-Paul II, Constitution apostolique Sacræ disciplinæ leges, 25 janvier 1983.[↩]
- Voir 1 Pe 2, 6–8.[↩]
- « Et voici qu’un ange du Seigneur apparut, et une lumière brilla dans l’appartement ; et l’ange, touchant Pierre au côté, l’éveilla, en disant : Lève-toi vite (Surge velociter). Et les chaînes tombèrent de ses mains » Ac 12, 7.[↩]