Gabriel Garcia-​Moreno (1821 – 1875) – Président catholique de la République de l’Equateur

Gabriel GARCIA-​MORENO (1821–1875)
PRESIDENT CATHOLIQUE de la REPUBIQUE DE L’EQUATEUR

Gabriel GARCIA-​MORENO naquit la veille de Noël de l’an 1821, à Guayaquil, port prin­ci­pal de l’Equateur. Il était le hui­tième et der­nier enfant d’une famille jadis opu­lente que les révo­lu­tions suc­ces­sives avaient réduit à la pauvreté.

C’était un enfant peu­reux que tout épou­van­té : l’orage, les ténèbres, la vue d’un cadavre… Son père réus­sit par­tiel­le­ment à le gué­rir de ses ter­reurs en l’obligeant tout jeune encore à en affron­ter les causes, dans une ville livrée aux hor­reurs, vio­lences et dan­gers quo­ti­diens. Il sur­mon­ta si bien ce han­di­cap que, plus tard, il abor­de­ra les situa­tions les plus dra­ma­tiques avec un sang froid et un cou­rage devant les­quels ses pires enne­mis durent s’incliner.

Un cha­ri­table reli­gieux ayant remar­qué l’intelligence et les dons excep­tion­nels de cet enfant pauvre, s’intéressa à lui. Il com­men­ça son édu­ca­tion puis le confia à deux dames sans for­tune qui l’accueillirent chez elles, à Quito, la capi­tale du pays, afin qu’il put y pour­suivre ses études à l’université. Il avait quinze ans et trou­vait chez ces dames un foyer où le loge­ment et la nour­ri­ture lui étaient offerts géné­reu­se­ment. Le jeune gar­çon recon­nais­sant, mena sous leur toit une vie aus­tère, toute consa­crée au tra­vail, obte­nant de si brillants résul­tats qu’ils atti­rèrent sur lui l’attention générale.

D’une pié­té pro­fonde, le jeune homme son­gea un moment à se consa­crer à Dieu, mais il com­prit vite qu’il était fait pour le com­bat. En atten­dant, l’étude était pour lui une véri­table pas­sion et son unique dis­trac­tion, chaque matière nou­velle le repo­sant de la pré­cé­dente. Il apprit ain­si les langues : le fran­çais, l’anglais, l’italien, qu’il par­lait avec aisance. De toutes les dis­ci­plines abor­dées, ses pré­fé­rences allaient vers les mathé­ma­tiques et la chi­mie. Cette pas­sion pour l’étude lui fai­sait limi­ter par trop son temps de som­meil et il fit une grave névrose qui lui impo­sa un long temps de repos.

A la faveur de ces loi­sirs for­cés, il fit la connais­sance des salons qui s’ouvrirent tout grands devant ce beau jeune homme de 20 ans au visage régu­lier éclai­ré de grands yeux noirs, doué d’esprit et de qua­li­tés de cœur. Le renom de ses suc­cès uni­ver­si­taires écla­tants l’avait pré­cé­dé. Recherché, fêté, flat­té, il se prit à aimer les mon­da­ni­tés. Lorsqu’il en eût conscience, pour cou­per court à la ten­ta­tion, il se rasa la tête et s’enferma à nou­veau avec ses livres. Au bout de six semaines il repa­rut, mais il avait per­du défi­ni­ti­ve­ment le goût des fri­vo­li­tés. A 23 ans, le métier d’avocat ne le retint pas et il s’orienta vers la politique.

On était en 1839 et le géné­ral Florès avait été élu pre­mier pré­sident de la jeune répu­blique équa­to­rienne pour un man­dat de 4 ans. La situa­tion lui plut et il tour­na donc la consti­tu­tion afin de pro­lon­ger de huit ans des pou­voirs qua­si abso­lus, appli­quant une poli­tique anti­clé­ri­cale et abso­lu­ment arbi­traire abou­tis­sant à une révo­lu­tion qui le chas­sa du pays. Garcia-​Moreno qui s’était enga­gé dans la lutte n’eut pas long­temps à se réjouir de ce suc­cès car son suc­ces­seur, Roca, pro­fi­ta de sa situa­tion pour s’enrichir au détri­ment de ses admi­nis­trés. Indigné, Garcia-​Moreno fon­da le jour­nal « Le Fouet » pour dénon­cer tous les scan­dales du gou­ver­ne­ment. Or, trois mois n’étaient pas écou­lés que la menace d’une inva­sion espa­gnole conduite par Florès inter­rom­pit la publi­ca­tion, rem­pla­cée par « Le Vengeur » des­ti­né à infor­mé le pays du dan­ger, y inté­res­ser anglais et amé­ri­cains qui s’interposèrent, évi­tant un conflit.

Les luttes d’influences ne tar­dèrent pas à se mani­fes­ter à Guayaquil, la met­tant à feu et à sang. Roca désem­pa­ré, fit appel à Garcia-​Moreno. Malgré qu’il fut malade à ce moment, il n’hésita pas à arri­ver pour trou­ver une foule en délire à laquelle il sut si bien s’imposer que huit jours lui suf­firent pour rame­ner l’ordre et le calme. Il refu­sa toute rétri­bu­tion afin de gar­der les mains libres, sachant qu’il lui fau­drait atta­quer ce gou­ver­ne­ment cor­rom­pu sans tar­der. Il avait 26 ans.

Le jour­nal « Le Fouet » fut rem­pla­cé par « Le Diable » dont la viru­lence ne cor­ri­gea pas les maîtres du jour et eut peu d’impact sur le peuple. Voyant ses efforts à sau­ver le pays inutiles, Garcia-​Moreno quit­ta l’Equateur et pen­dant six mois, par­cou­rut l’Angleterre, la France et l’Allemagne, tirant comme conclu­sion à ses obser­va­tions qu’une nation sans reli­gion oscille entre l’anarchie et la dic­ta­ture. Il s’était pro­mis de renon­cer désor­mais à la poli­tique, mais les cir­cons­tances en déci­dèrent autre­ment avec la ren­contre qu’il fit de reli­gieux jésuites expul­sés de la Nouvelle Grenade sous régime maçon­nique into­lé­rant. Garcia-​Moreno retrou­vant sa pug­na­ci­té pro­po­sa aux exi­lés de les mener à Quito d’où leur Ordre avait été chas­sé depuis près d’un siècle et où leur ensei­gne­ment serait bien utile. Cette ini­tia­tive était auda­cieuse or, la Convention accueillit les reli­gieux avec cha­leur et la ville, avec enthousiasme.

La franc-​maçonnerie ne tar­da pas à par­tir en guerre contre ces jésuites. Garcia-​Moreno les défen­dit, sachant qu’après eux, c’était l’Eglise qu’ils vise­raient, puis les prêtres, et enfin, tous les catho­liques. Son éner­gique inter­ven­tion rame­na un calme momen­ta­né car, en 1851, un coup d’état por­ta à la pré­si­dence, Urbina, l’homme de toutes les traî­trises, inau­gu­rant son man­dat par la ter­reur et l’expulsion des jésuites.

Garcia-​Moreno enta­ma donc une cam­pagne de presse viru­lente contre le dic­ta­teur avec « La Nation » dont le pre­mier numé­ro lui atti­ra les menaces du nou­veau pré­sident aux­quelles Garcia-​Moreno répondit :

- « J’avais déjà de nom­breux motifs de pour­suivre mon action ; j’en ai main­te­nant un de plus, celui de ne pas me désho­no­rer en cédant à des menaces. »

La paru­tion du n°2 lui valut un arrê­té d’expulsion mais, échap­pant à ses gar­diens, il ren­tra secrè­te­ment à Quito. Faute de moyens, il dût cepen­dant s’expatrier. Quelques semaines plus tard, les élec­teurs de Guayaquil le nom­maient séna­teur et, à l’ouverture du congrès, il était pré­sent. Bien que son nou­veau titre l’ait ren­du invio­lable, Urbina se pla­çant au-​dessus des lois le fit dépor­ter au Pérou, sur la plage déserte de Payta où il demeu­ra 18 mois avec pour toute com­pa­gnie la lec­ture et l’étude. A la fin de cette période, il par­tit pour Paris, s’installa au quar­tier latin d’où il appro­fon­dit ses connais­sances en chi­mie. Il avait 33 ans et les cir­cons­tances le rame­naient à une ardente pra­tique reli­gieuse qu’il ne devait plus abandonner.

En Equateur cepen­dant, le man­dat d’Urbina dont celui-​ci avait pro­fi­té pour per­sé­cu­ter l’Eglise, oppri­mer le peuple et dila­pi­der l’argent des contri­buables, se ter­mi­nait. Dès son acces­sion, son suc­ces­seur, Roblez, rou­vrit le pays aux exi­lés et, en 1856, après deux ans pas­sés à Paris, Garcia-​Moreno ren­trait en Equateur où, à peine arri­vé, il fut nom­mé rec­teur de l’université de Quito. Son acti­vi­té et ses com­pé­tences lui per­mirent de créer une facul­té des sciences où il don­nait lui-​même les cours de chi­mie tout en réor­ga­ni­sant l’enseignement.

La poli­tique pour Garcia-​Moreno finis­sait tou­jours par reprendre ses droits et, en rai­son de l’approche des élec­tions, il lan­çait « l’Union Nationale » pour ten­ter de regrou­per les oppo­sants au gou­ver­ne­ment. Malgré la majo­ri­té obte­nue par l’opposition, on vit Urbina venir épau­ler Roblez. Selon son habi­tude, Garcia-​Moreno refu­sa de se déro­ber et, entou­ré des tueurs qui n’attendaient qu’un signe pour agir, sans le moindre mou­ve­ment d’émotion, Garcia-​Moreno par­la avec une telle force et une telle élo­quence que les « tau­ras » (assas­sins) décon­cer­tés, sor­tirent en trem­blant alors que lui-​même était rame­né chez lui en triomphe.

La situa­tion n’en fut pas pour autant cla­ri­fiée, Urbina et Roblez s’étant attri­bué tous les pouvoirs.Une période de vio­lence inouïe obli­gea Garcia-​Moreno à se réfu­gier pré­ci­pi­tam­ment au Pérou lais­sant der­rière lui un pays en effer­ves­cence, pro­cla­mant la déchéance de Roblez et un gou­ver­ne­ment pro­vi­soire dont lui-​même était nom­mé le chef. Accourant, il lan­ça un nou­veau jour­nal dont le titre annon­çait le but : « A bas les tyrans » ; mais ces tyrans dis­po­saient d’une armée et non le gou­ver­ne­ment provisoire.

Sur ces entre faits, Franco, gou­ver­neur de Guayaquil éli­mi­nait le pré­sident en poste et pour se don­ner une appa­rence de léga­li­té il se pré­sen­ta seul aux élec­teurs, obte­nant 161 voix dont 160 allant spon­ta­né­ment à Garcia-​Moreno qui ne s’était pas pré­sen­té, l’infime majo­ri­té obte­nue par Franco se situant uni­que­ment dans sa pro­vince et non dans le pays.

Garcia-​Moreno le voyant pac­ti­ser avec l’ennemi péru­vien, s’occupa de recru­ter et de for­mer une armée, de créer et de diri­ger une fabrique d’armes et de poudre, d’administrer les affaires et de ten­ter une acti­vi­té pro­di­gieuse et tou­jours sous la menace d’un assas­si­nat. Un jour, d’ailleurs, il fut assailli par une troupe sou­doyée par Franco pour l’éliminer. Poursuivi à tra­vers les défi­lés mon­ta­gneux, dans la forêt tro­pi­cale, cet homme extra­or­di­naire fran­chit des escar­pe­ments répu­tés impra­ti­cables avec une rapi­di­té qui décou­ra­gea ses pour­sui­vants. Arrivé enfin à Riobamba par­mi des troupes fidèles, il éprou­vait un urgent besoin de repos et dor­mait d’un pro­fond som­meil lorsqu’il fut bru­ta­le­ment tiré par une révolte de la gar­ni­son. Un offi­cier vint inso­lem­ment lui récla­mer sa démission :
– « Jamais ! » répondit-​il et devant l’attitude mena­çante de son interlocuteur :

- « Vous pou­vez bri­ser ma vie, mais aucun d’entre vous n’est assez fort pour bri­ser ma volonté ! »

Les insur­gés le jetèrent donc en prison.

Un ami lui envoya son ser­vi­teur, lui conseillant de s’évader par la fenêtre, un che­val scel­lé étant tenu à sa disposition :

- « Dites à votre maître, répondit-​il, que je sor­ti­rai par la porte comme j’y suis entré. »

Et il tint parole.
Au garde pré­po­sé à sa sur­veillance, il demanda :

« A qui as-​tu fait ser­ment de fidélité ? »

« Au chef de l’Etat. »

« Eh bien, le chef légi­time de l’Etat, c’est moi. Tes offi­ciers sont des par­jures. N’as-tu pas honte de leur prê­ter main forte et de tra­hir ain­si ton Dieu et ton pays ? »

Le sol­dat effrayé, tom­bant à genoux, deman­da grâce.

« Je te ferai grâce si tu veux m’obéir et faire ton devoir. »

Quelques ins­tants après, le pri­son­nier libé­ré galo­pait, bride abat­tue, retrou­ver 14 fidèles avec les­quels il retour­nait à la caserne de Riobamba où les mutins étaient ivres ou endor­mis. Leurs meneurs appré­hen­dés furent immé­dia­te­ment jugés sur la place publique. Constatant cepen­dant la dis­pa­ri­tion de plu­sieurs com­pa­gnies, avec sa mince escorte ren­for­cée de quelques braves, la nuit sui­vante, il se lan­çait à la pour­suite des fuyards qu’il neu­tra­li­sa dans le désordre et la confu­sion cau­sés par la sur­prise de sa venue, nul n’ayant ima­gi­né le si petit nombre des assaillants. Ainsi, grâce à son audace, à son sang froid et à un cou­rage invin­cible, il avait, une fois encore, réta­bli l’ordre.

Le nou­veau chef du gou­ver­ne­ment allait avoir besoin de son inébran­lable éner­gie car, en novembre 1859, Franco venait d’ouvrir les fron­tières du pays à 6 000 péru­viens aux­quels il était prêt à céder une par­tie du pays en échange de leur aide contre Garcia-Moreno.

La situa­tion était si grave que celui-​ci en fut effrayé, son­geant même, un moment, à sol­li­ci­ter le pro­tec­to­rat de la France. La démarche n’ayant pas abou­ti, il pré­pa­ra le pays à la défense. Par son éner­gie et un sens aigu de la stra­té­gie, Garcia-​Moreno, contour­nant des forces lar­ge­ment supé­rieures, les mit en fuite ne lais­sant plus que Guayaguil à Franco, lequel pro­po­sait le démem­bre­ment du pays au Pérou, tou­jours en échange de son aide militaire.

La posi­tion de Guayaquil parais­sait impre­nable or, Garcia-​Moreno simu­lant une attaque d’un côté, fit pas­ser de nuit son armée entière avec ses canons, par des marais inex­tri­cables, répu­tés impé­né­trables. La sur­prise totale assu­ra la vic­toire aux assaillants et Franco s’enfuit sur un navire péru­vien. C’était le 24 sep­tembre 1860, en la fête de N.D. de la Merci. Le pays était sau­vé contre toute attente et Garcia-​Moreno pla­ça l’armée sous la pro­tec­tion de N.D. de la Merci, le gou­ver­ne­ment et elle, devant désor­mais fêter solen­nel­le­ment cet anniversaire.

Depuis 15 ans, Garcia-​Moreno com­bat­tait sans relâche contre les fac­tions qui déchi­raient le pays. A 39 ans, il en était deve­nu le chef incon­tes­té ; il fut élu à l’unanimité pré­sident de la République. Tout était à faire main­te­nant dans un pays dévas­té et rui­né. Sa pre­mière déci­sion fut de refu­ser la moi­tié du trai­te­ment qui lui était attri­bué, l’autre moi­tié étant réser­vée inté­gra­le­ment aux bonnes œuvres, vivant lui-​même sur ses modestes reve­nus personnels.

L’armée dût se plier à une stricte dis­ci­pline, incon­nue jusqu’alors. Sans attendre, un concor­dat fut conclu avec Rome, consa­crant l’indépendance de l’Eglise. La reli­gion catho­lique deve­nait la reli­gion de l’Etat à l’exclusion de toute autre, lui don­nant toute auto­ri­té dans le sec­teur de l’enseignement. A ce stade, les socié­tés secrètes se déchaî­nèrent contre le nou­veau pré­sident, orches­trées par la presse américaine.

De l’étranger, Urbina intri­guait pour ren­ver­ser le pou­voir, trou­vant, en Nouvelle Grenade, l’appui du pré­sident Mosquera, enne­mi achar­né de l’Eglise, qui rêvait de conqué­rir l’Equateur et le Vénézuela à son pro­fit. Le 15 août, il annon­ça son inten­tion de rem­pla­cer « l’oppression théo­cra­tique » par les doc­trines radicales.

Il fal­lait donc recou­rir à nou­veau à la force, mais l’armée était divi­sée. Trahie par des offi­ciers, elle fut défaite et, cette fois encore, Garcia-​Moreno se trou­vait dans une situa­tion angois­sante. Dans une pro­cla­ma­tion au peuple, il lui ren­dit cou­rage et, contre toute attente, une nou­velle armée put s’opposer aux ambi­tions de Mosquera qui, en dépit de toutes ses ten­ta­tives, dût renon­cer à s’emparer de l’Equateur.

La guerre était ter­mi­née mais Garcia-​Moreno, tou­jours en dif­fi­cul­té avec des élé­ments hos­tiles, envoya sa démis­sion. Tout le pays, y com­pris ses adver­saires effrayés, l’assurèrent de leur adhé­sion à toute sa poli­tique pour évi­ter de le voir aban­don­ner la direc­tion du pays qui sem­bla donc s’acheminer enfin vers le calme. Voyant l’échec de leurs entre­prises de désta­bi­li­sa­tion, les francs-​maçons ne virent plus que la solu­tion de l’assassinat. Ils trou­vèrent des traîtres : le géné­ral Maldonado et l’aide de camp de Garcia-​Moreno qui, aver­ti à la der­nière minute, échap­pa à la mort.

Urbina, pen­dant ce temps, avait conclu un accord avec le Pérou, intro­dui­sant une troupe de pirates dans une pro­vince de l’Equateur pen­dant que des vais­seaux péru­viens débar­quaient des troupes sur dif­fé­rents points de la côte. Dans ce moment cri­tique, le géné­ral Maldonado qui s’était enfui, fut pris. Garcia-​Moreno le fit immé­dia­te­ment fusiller sur la grande place, inti­mi­dant par cette mesure les par­ti­sans d’Urbina. Les péru­viens se reti­raient ; les ten­ta­tives du Pérou avaient échoué. Le pays était à nou­veau sau­vé grâce à l’extraordinaire force de carac­tère de Garcia-​Moreno dont l’autorité se trou­vait ren­for­cée. Il n’était cepen­dant pas au bout de ses peines car les révo­lu­tion­naires furieux, arrai­son­nèrent par sur­prise l’unique bateau de guerre de l’Equateur.

Garcia-​Moreno, à ce moment-​là était malade et au repos for­cé. Cependant, à l’annonce de cette nou­velle, il par­tit immé­dia­te­ment en pleine nuit pour Quito, en dépit de ses dif­fi­cul­tés de san­té. De Quito, il prit la direc­tion de Guayaquil qu’il attei­gnit en trois jours, à marche for­cée, à tra­vers une région mon­ta­gneuse, inex­tri­cable, dépour­vue de voie de com­mu­ni­ca­tion. Il arri­va en pleine nuit, sur­pre­nant un conseil muni­ci­pal urbi­niste hos­tile. Le voyant, un employé affo­lé, fit irrup­tion dans la salle du conseil en criant : « Garcia-​Moreno ». La foudre n’aurait pas pro­duit plus d’effet sur cette assem­blée qui s’enfuit pré­ci­pi­tam­ment s’enfermer cha­cun chez soi. Telle était l’aura de cet homme que, seul et désar­mé, son nom suf­fi­sait à mettre ses enne­mis en fuite. Le calme était reve­nu comme par enchan­te­ment dans la ville.

Puis on vit ce que peut faire la volon­té et l’esprit de déci­sion d’un homme d’une telle valeur : louant « le Talca », un vapeur anglais, Garcia-​Moreno l’arma puis, au capi­taine qui refu­sait de rem­pla­cer le dra­peau anglais par celui de l’Equateur, il le rame­na à l’obéissance en lui disant avec un regard terrible :

« Je vais vous faire fusiller sur le champ et votre dra­peau vous ser­vi­ra de linceul ! »

Précédé d’un petit vapeur qui ser­vait d’éclaireur au « Talca », Garcia-​Moreno par­tit pour une nou­velle expé­di­tion mari­time d’une har­diesse folle, avec seule­ment 250 sol­dats déter­mi­nés, dont nul ne pen­sait qu’il revien­drait vivant.

Le len­de­main, le « Talca » retrou­vait les trois vais­seaux enne­mis dont les capi­taines dînaient joyeu­se­ment. La goé­lette fon­dit comme l’éclair sur le pre­mier qui som­bra sous le choc. Le reste de la flotte, prise au dépour­vu tom­bait entre les mains de Garcia-​Moreno. C’était une décon­fi­ture totale de l’adversaire et, dès lors, Urbina ces­sa de s’attaquer à une per­son­na­li­té de cette trempe.

Parti de Quito assez gra­ve­ment malade, Garcia-​Moreno y reve­nait gué­ri pour y être reçu en triomphe ; mais il dési­rait aban­don­ner un pou­voir épui­sant, main­te­nant qu’il avait écar­té suc­ces­si­ve­ment de l’Equateur tous ses enne­mis. Il nom­ma Carion pour le rem­pla­cer. Le nou­veau pré­sident man­quant d’énergie, lais­sa l’opposition reprendre pied dans le pays dont Garcia-​Moreno avait été éloi­gné avec une mis­sion diplo­ma­tique au Chili. Ses enne­mis pen­saient qu’on pour­rait lui inter­dire son retour et trou­ver, sur place, des tueurs à gages. De fait, débar­quant à Lima, Viteri, parent d’Urbina tira sur lui à bout por­tant, le bles­sant légè­re­ment. Garcia-​Moreno, avec sa rapi­di­té de réac­tion habi­tuelle, s’élançant sur lui, déviait la troi­sième balle. La franc-​maçonnerie acquit­ta immé­dia­te­ment son agres­seur, cher­chant par contre le moyen de le condam­ner sans cepen­dant y parvenir.

Sa mis­sion accom­plie et le pou­voir ne l’ayant pas enri­chi, l’ex-président dût tra­vailler, rejoi­gnant son frère dans une branche com­mer­ciale, à Guayaquil. Le man­dat de Carion fut un échec com­plet. Garcia-​Moreno réus­sit à le convaincre de se démettre en faveur du scru­pu­leux Espinosa qui fut tout aus­si inca­pable de diri­ger fer­me­ment le pays. Attristé de ne pou­voir trou­ver un homme éner­gique, Garcia-​Moreno se reti­ra à la cam­pagne où sa san­té avait bien besoin de se réta­blir que tant de luttes avaient ébran­lé. Veuf de sa pre­mière femme, il avait épou­sé l’une de ses nièces, Mariana de Alcazar qui vivait dans l’angoisse en rai­son des menaces per­ma­nentes qui pesaient sur son mari. Le ménage s’était reti­ré dans la pro­vince d’Harra, loin de la vie publique, dans une pro­prié­té agri­cole que Garcia-​Moreno avait réso­lu d’exploiter lui-même.

Après un an de retraite, il refu­sa de se pré­sen­ter à l’élection pré­si­den­tielle ain­si qu’on le pres­sait de le faire. Cet homme excep­tion­nel s’estimait inca­pable de gou­ver­ner conve­na­ble­ment son pays mais lorsqu’un par­ti­san d’Urbina se pré­sen­ta, il sor­tit subi­te­ment de son iso­le­ment pour lui bar­rer la route. Le résul­tat fut immé­diat : le can­di­dat adverse se reti­ra devant cet homme si fort. Les révo­lu­tion­naires our­dirent une nou­velle fois de le faire assassiner…

A Guayaquil, la situa­tion était rede­ve­nue explo­sive. Garcia-​Moreno y par­tait sans délai avec une poi­gnée d’amis, mais c’est seul qu’il se pré­sen­tait, de nuit à la caserne .

« Qui vive » ! cria la sentinelle.

« Garcia-​Moreno. »

Le sol­dat qui l’avait accla­mé bien des fois se trou­bla, lui deman­dant ce qu’il vou­lait à pareille heure.

- « Je veux sau­ver la reli­gion et la patrie. Tu me connais ; laisses-​moi passer. »

Et la sen­ti­nelle de crier :

- « Vive Garcia-Moreno » !

En un ins­tant, toute la caserne reten­tis­sait du même cri, réper­cu­té quelques heures après dans toute la ville.

Les pro­jets d’Urbina étaient déjoués et Garcia-​Moreno rece­vait le titre de pré­sident inté­ri­maire, annon­çant en même temps qu’une fois l’ordre réta­bli, il quit­te­rait le pou­voir. Ni les pres­sions, ni sup­pli­ca­tions ne le firent reve­nir sur cette déci­sion. Son beau-​frère, Manuel Ascabuti fut ain­si élu à la pré­si­dence à titre pro­vi­soire, avec une conven­tion nou­velle, éla­bo­rée par Garcia-​Moreno, com­men­çant ainsi :

« Au nom de la Sainte Trinité, au nom de Dieu, Auteur, Conservateur et Législateur de l’univers… »

L’Eglise rece­vait la pro­tec­tion offi­cielle du pou­voir tem­po­rel. L’Etat se pro­cla­mait catho­lique, seule reli­gion du pays, tout membre d’une socié­té secrète était déchu de ses droits de citoyen. La pres­sion popu­laire en faveur de Garcia-​Moreno fut si forte et una­nime que, mal­gré son oppo­si­tion, il fut contraint d’accepter sa nomi­na­tion à la pré­si­dence. Le 30 juillet 1869, il prê­tait donc ser­ment, y ajoutant :

« Si je tiens parole, que Dieu soit mon aide et ma défense ! Sinon, que Dieu et la patrie soient mes juges. »

L’insurrection muse­lée n’avait plus que le poi­gnard pour agir. Un com­plot fut décou­vert dont les pro­ta­go­nistes furent condam­nés à mort. L’un deux, Cornejo, vint sup­plier Garcia-​Moreno avec tant de pleurs et de cris, qu’ému par sa jeu­nesse et un repen­tir appa­rent si violent que le nou­veau pré­sident le gra­cia. Or, à peine libé­ré, il pas­sa la fron­tière, se répan­dant en pam­phlets odieux contre lui. Instruit par ces faits, à une occa­sion sui­vante, Garcia-​Moreno répon­dit par une sévère leçon aux péti­tions en faveur des conjurés :

« Quand on reste sourd aux cris des vic­times, on perd le droit d’invoquer la clé­mence en faveur des assassins. »

Dès ce moment, un calme, incon­nu du pays depuis tant d’années s’y éta­blit, per­met­tant enfin à Garcia-​Moreno la réa­li­sa­tion de son vaste et ambi­tieux pro­gramme. Il put éga­le­ment mettre en appli­ca­tion le sou­hait de sainte Thérèse qui disait :

Oh ! Si les chefs d’Etat fai­saient une demi-​heure d’oraison chaque jour, que la face de la terre serait renouvelée » !

C’est bien ce qu’il fit : en dépit d’un pro­gramme de tra­vail quo­ti­dien acca­blant qui aurait pu occu­per plu­sieurs per­sonnes, il se réser­vait une demi-​heure chaque matin pour réflé­chir sur ses devoirs, médi­ter le plus sou­vent sur un pas­sage de l’Evangile, puis il enten­dait la messe. De même, il visi­tait chaque jour les malades de l’hôpital de la ville où il se trou­vait, se pré­oc­cu­pant des soins qu’ils rece­vaient et de leur nour­ri­ture. A un malade qui trou­vait à redire sur l’ordinaire, il fit la réponse suivante :

« Mon ami, je ne suis pas si bien ser­vi que vous, moi, le pré­sident de la République. »

Il res­ta, effec­ti­ve­ment, sa vie durant, d’une sobrié­té extrême, s’abstenant habi­tuel­le­ment de vin.

Un jour, trou­vant de nom­breux malades cou­chés par terre sur des nattes, il s’en éton­nait auprès du gou­ver­neur de la pro­vince qui l’accompagnait, lequel invo­qua le manque de ressources :

« Cela ne vous empêche pas de dor­mir confor­ta­ble­ment, vous qui êtes bien por­tant, alors que ceux-​ci qui souffrent doivent cou­cher par terre. »

Le gou­ver­neur pro­mit que le néces­saire serait fait dans quelques semaines.

« Dans quelques semaines ! s’écria Garcia-​Moreno. Ils n’ont pas le temps d’attendre. Vous cou­che­rez ici, ce soir, à côté d’eux, sur une natte et il en sera ain­si jusqu’à ce que vous ayez pro­cu­ré un lit à cha­cun d’eux. »

Avant la fin du jour, le gou­ver­neur avait réso­lu le problème.

Au début de sa pre­mière pré­si­dence, sa femme essaya de le per­sua­der d’offrir un grand ban­quet aux diplo­mates et aux ministres. Il pré­tex­ta de la modi­ci­té de ses ressources.

« Qu’à cela ne tienne. Voici 500 piastres sur ma for­tune per­son­nelle. Allez donc et faites digne­ment les choses. »

A son retour, elle lui deman­da si la somme avait suffi ?

« Parfaitement, répondit-​il en riant. Je l’ai por­tée à l’hôpital où l’on a fait un magni­fique fes­tin en notre hon­neur. J’ai pen­sé qu’un bon dîner ferait plus de bien aux malades qu’aux diplomates. »

Un autre jour, on le vit arri­ver à l’improviste chez les lépreux, s’asseoir à leur table pour juger lui-​même de quelle manière ils étaient ser­vis. Jugeant l’ordinaire insuf­fi­sant, il le fit amé­lio­rer. Autant on le vit intrai­table sur des sanc­tions qui lui parais­saient néces­saires, autant les humbles trou­vaient tou­jours en lui un défen­seur. Un jour, une pauvre veuve vint en pleu­rant, se plaindre qu’un homme riche lui avait extor­qué 10 000 piastres.

« Donnez 10 000 piastres à cette femme », dit-​il à son trésorier »

« Et qui les rem­bour­se­ra » ? deman­da ce dernier. »

« Le voleur. Inscrivez la somme à son compte. »

Il se pré­oc­cu­pa du sort des indiens, spo­liés par des usu­riers aux­quels il fai­sait confis­quer la chose prise, avant de les expul­ser du pays. La cha­ri­té de cet homme s’étendait à tous les sec­teurs dont les pri­son­niers n’étaient pas exclus. En tout, il agis­sait en par­fait chré­tien, disant :

« Puisque nous avons le bon­heur d’être catho­liques, soyons-​le logi­que­ment et fran­che­ment, dans la vie publique comme dans la vie privée.

En six ans, Garcia-​Moreno trans­for­ma l’Equateur de fond en comble.

Il com­men­ça par rendre l’école gra­tuite et obli­ga­toire dans le pri­maire avec des ensei­gnants catho­liques. Il fit venir de France des jésuites qu’il char­gea d’ouvrir des col­lèges pour les gar­çons des classes favo­ri­sées ; les dames du Sacré-​Cœur étant char­gées d’une tâche simi­laire pour les filles. A Quito, une école pro­fes­sion­nelle for­mait des ouvriers qua­li­fiés. Une facul­té des sciences s’ouvrit à Quito ain­si qu’une facul­té de méde­cine, une aca­dé­mie des Beaux-​Arts, un obser­va­toire pour les études astronomiques.

Le pré­sident réus­sit à don­ner à ce peuple inculte, le goût de l’étude.

Sur le plan du réseau rou­tier, à son arri­vée, l’Equateur était un véri­table chaos de mon­tagnes et de pré­ci­pices entre­cou­pés de tor­rents, au milieu d’une végé­ta­tion tro­pi­cale luxu­riante et inex­tri­cable sans la moindre route or, après 10 ans d’efforts, d’énormes ponts et via­ducs per­met­taient l’inauguration d’une route natio­nale reliant Quito à Guayaquil et à la mer. Quatre autres grandes voies de com­mu­ni­ca­tion au nord et au sud, ouvraient au pays de riches pers­pec­tives au com­merce et à la libre circulation.

Garcia-​Moreno avait trou­vé le tré­sor vide et un pays aux abois. Or, des tra­vaux consi­dé­rables dans tous les sec­teurs, loin d’avoir endet­té le pays, grâce à une ges­tion méti­cu­leuse, pru­dente et équi­li­brée, enne­mie achar­née du gas­pillage, était deve­nu flo­ris­sant. Garcia-​Moreno avait éle­vé le trai­te­ment des agents de l’Etat d’un tiers, sauf le sien, dimi­nué de moi­tié. Le com­merce connais­sait une mer­veilleuse exten­sion ; les reve­nus de l’Etat avaient dou­blé en trois ans.

Conscient de l’influence salu­taire de la reli­gion, Garcia-​Moreno encou­ra­geait son exten­sion, nom­mait des aumô­niers dans les casernes pour l’instruction des sol­dats, envoyait des mis­sion­naires chez les indiens, deman­dait que des curés s’installent dans les villes et les campagnes.

Il sur­veillait étroi­te­ment le fonc­tion­ne­ment des ser­vices publics, n’hésitant pas à répri­mer les abus ou com­plai­sances cou­pables. Une si haute mora­li­té s’instaura dans tout le pays que la pri­son neuve res­ta inoc­cu­pée. Il n’avait pas fal­lu plus de six ans, durée d’un man­dat pour que la valeur excep­tion­nelle d’un tel homme obtint tous ces résul­tats. Tout le peuple le véné­rait, conscient de l’immense tra­vail accompli.

En 1873 avait eu lieu la consé­cra­tion offi­cielle de cette jeune répu­blique au Sacré-​Cœur dont la consé­quence immé­diate fut la condam­na­tion à mort du pré­sident par la franc-​maçonnerie des loges d’Allemagne dans ses assem­blées secrètes, déci­sion cha­leu­reu­se­ment accueillie par les loges d’Amérique. Lima avait réuni des franc-​maçons du Pérou, du Chili, de la Colombie et de l’Equateur qui n’avaient pu empê­cher son élec­tion. Une cam­pagne de presse calom­nieuse de leur fait n’ayant pas obte­nu de meilleurs résul­tats, l’assassinat fut choi­si, n’étant un secret pour per­sonne. Garcia-​Moreno en était infor­mé de dif­fé­rents côtés. Sans s’émouvoir, il répondait :

« Je crains Dieu mais Dieu seul », rajoutant :
« Je par­donne de bon cœur à mes enne­mis. Je leur ferai du bien si je les connais­sais et si j’en avais l’occasion. »

Il ajou­tait encore qu’il était content d’être détes­té et calom­nié à cause de Dieu et le serait plus encore s’il lui était accor­dé la grâce de ver­ser son sang pour Celui qui, étant Dieu, avait vou­lu ver­ser le sien pour nous sur la croix .Le pres­sen­ti­ment du drame l’emplissait cepen­dant d’une pro­fonde tris­tesse. A un ami en par­tance pour l’Europe, il lui disait en l’embrassant :

« Nous ne nous rever­rons plus, je le sens, c’est notre der­nier adieu », puis se détour­nant pour cacher ses larmes, il répéta :
« Adieu, nous ne nous rever­rons plus. »

Quelques mois plus tard, il confir­mait ses pres­sen­ti­ments à ce même ami auquel il écrivait :

« Je vais être assas­si­né. Je suis heu­reux de mou­rir pour ma foi. Nous nous rever­rons au ciel. »

Son man­dat venait d’être renou­ve­lé pour six autres. Le 5 août 1875, il fut pres­sé de prendre des précautions :

« Les enne­mis de Dieu et de l’Eglise peuvent me tuer, répondait-​il. Dieu ne meurt pas. »

Le soir même, on le pré­vint que l’attenta était pro­gram­mé pour le len­de­main. Il ne modi­fia rien de son pro­gramme quo­ti­dien très char­gé puis, pas­sa une par­tie de la nuit en prières.

Le len­de­main, 6 août, était à la fois le jour de la Transfiguration et pre­mier ven­dre­di du mois. Dès six heures du matin, selon son habi­tude, il se diri­geait vers l’église saint Dominique pour assis­ter à la messe et rece­voir la sainte com­mu­nion. Les groupes des conju­rés l’épiaient sur la place, mais ils n’osèrent rien faire à ce moment. A 13 heures, pas­sant devant la cathé­drale, Garcia-​Moreno y entra pour une ado­ra­tion avant de se rendre au palais du gou­ver­ne­ment. Comme il s’y attar­dait, l’un des conju­rés vint lui dire qu’on dési­rait lui par­ler au palais pour une affaire pres­sante ; il sor­tit donc. Arrivé à l’entrée du palais, Rayo qui le sui­vait le frap­pa d’un énorme cou­te­las, sui­vi aus­si­tôt des coups por­tés par ses com­parses, armes blanches et révol­ver. Rayo ache­va le mori­bond en criant :

« Meurs, bour­reau de la liberté ! »
 » Dieu ne meurt pas ! » furent les der­nières paroles de Garcia-Moreno.

La foule accou­rue, avait entou­ré Rayo, lui fai­sant payer immé­dia­te­ment son crime. Ses poches étaient bour­rées des chèques du Pérou. La franc-​maçonnerie s’était mon­tré géné­reuse, comp­tant qu’une révo­lu­tion ren­ver­se­rait le gou­ver­ne­ment abhor­ré pour accla­mer les « libé­ra­teurs ». IL n’en fut rien et tout le peuple vint de tout le pays, rendre un der­nier hom­mage au véné­ré mar­tyr. Beaucoup pleu­rait amè­re­ment, disant :

« Nous avons per­du notre père. Il a don­né son sang pour nous. »

Une heure avant de tom­ber sous les coups des tueurs, voi­ci le mes­sage que Garcia-​Moreno avait rédigé :

« J’achève dans quelques jours la période du man­dat qui m’a été confié en 1869. La répu­blique a joui de six années de repos et, durant ces six années, elle a mar­ché réso­lu­ment dans la voie du pro­grès sous la pro­tec­tion visible de la Providence. Bien plus grands eussent été les résul­tats obte­nus si j’avais pos­sé­dé pour la gou­ver­ner les qua­li­tés qui me manquent mal­heu­reu­se­ment ou, si pour faire le bien, il suf­fi­sait de le dési­rer avec ardeur.
« Si j’ai com­mis des fautes, je vous en demande par­don mille et mille fois, et ce par­don, je le demande avec des larmes très sin­cères, à mes com­pa­triotes, les priant de croire que ma volon­té n’a jamais ces­sé de pour­suivre leur bien. Si, au contraire, vous croyez que j’ai réus­si en quelque chose, attribuez-​en d’abord le mérite à Dieu et à l’Immaculée, dis­pen­sa­trice de tous les tré­sors de sa misé­ri­corde, puis à vous-​même, au peuple, à l’armée et à tous ceux qui, dans les dif­fé­rentes branches du gou­ver­ne­ment, m’ont aidé avec tant d’intelligence et de fidé­li­té, à rem­plir mes dif­fi­ciles fonctions. »

Ces lignes reflé­taient bien la hau­teur humaine, morale et spi­ri­tuelles de cet homme excep­tion­nel, et de façon pro­vi­den­tielle lais­sait un témoi­gnage de son pas­sage et un mes­sage exem­plaire aux géné­ra­tions qui allaient se succéder.

L’Equateur fit éri­ger une sta­tue de marbre le repré­sen­tant, sur son mau­so­lée où fut gra­vée l’expression de l’amour et de la recon­nais­sance du pays.

G.T. – Toulouse, d’après le R.P. BERTHE