Conférence de Mgr Lefebvre en 1975 – La messe de Luther

Mesdames, Messieurs,

Je par­le­rai ce soir de la Messe Évangélique de Luther et des res­sem­blances sur­pre­nantes du nou­veau Rite de la Messe avec les inno­va­tions rituelles de Luther.

Pourquoi ces consi­dé­ra­tions ? Parce que l’idée d’œ­cu­mé­nisme qui a pré­si­dé à la Réforme litur­gique, aux dires du Président de la com­mis­sion lui-​même nous y invite, parce que s’il était prou­vé que cette filia­tion du nou­veau Rite existe réel­le­ment, le pro­blème théo­lo­gique, c’est-à-dire le pro­blème de la foi ne peut pas ne pas être posé selon l’adage bien connu « Lex oran­di, lex credendi ».

Les objec­tifs de Luther dans sa réforme liturgique

Or les docu­ments his­to­riques de la Réforme litur­gique de Luther sont très ins­truc­tifs pour éclai­rer la Réforme actuelle.

Pour bien com­prendre quels furent les objec­tifs de Luther dans ces Réformes litur­giques, nous devons rap­pe­ler briè­ve­ment la doc­trine de l’Église concer­nant le Sacerdoce et le Saint Sacrifice de la Messe.

La doctrine du Concile de Trente

Le Concile de Trente dans sa XXIIe Session nous enseigne que Notre-​Seigneur Jésus-​Christ ne vou­lant pas mettre fin à son sacer­doce, à sa mort, ins­ti­tua à la der­nière Cène un Sacrifice visible des­ti­né à appli­quer la ver­tu salu­taire de sa Rédemption aux péchés que nous com­met­tons chaque jour. A cette fin il éta­blit ses Apôtres Prêtres du nou­veau tes­ta­ment, eux et leurs suc­ces­seurs, ins­ti­tuant le Sacrement de l’Ordre qui marque d’un carac­tère sacré et indé­lé­bile ces prêtres de la Nouvelle Alliance.

Ce sacri­fice visible s’accomplit sur nos autels par une action sacri­fi­cielle par laquelle Notre-​Seigneur réel­le­ment pré­sent sous les espèces du pain et du vin s’offre comme vic­time à son Père. Et c’est par la man­du­ca­tion de cette vic­time que nous com­mu­nions à la chair et au sang de Notre-​Seigneur nous offrant nous aus­si en union avec Lui.

Ainsi donc l’Église nous enseigne que :

  • Le sacer­doce des prêtres est essen­tiel­le­ment dif­fé­rent de celui des fidèles, qui n’ont pas de sacer­doce, mais font par­tie d’une Église qui requiert abso­lu­ment un sacerdoce.
  • A ce sacer­doce convient pro­fon­dé­ment le céli­bat et une dis­tinc­tion externe d’avec les fidèles soit l’habit sacerdotal.
  • L’acte essen­tiel du culte accom­pli par ce sacer­doce est le Saint Sacrifice de la Messe, dif­fé­rent du sacri­fice de la Croix uni­que­ment par le fait que celui-​ci est san­glant et l’autre non sanglant.
  • Il s’accomplit par un acte sacri­fi­ciel réa­li­sé par les paroles de la Consécration et non par un simple récit, mémo­rial de la Passion ou de la Cène.
  • C’est par cet acte sublime et mys­té­rieux que s’appliquent les bien­faits de la Rédemption à cha­cune de nos âmes et aux âmes du Purgatoire. Et cela est expri­mé admi­ra­ble­ment dans l’offertoire.

La Présence Réelle de la vic­time est donc néces­saire et elle s’opère par le chan­ge­ment de la sub­stance du pain et du vin à la sub­stance du corps et du sang de Notre-​Seigneur. On doit donc ado­rer l’Eucharistie et avoir pour elle un immense res­pect : d’où la tra­di­tion de réser­ver aux prêtres le soin de l’Eucharistie.

La Messe du prêtre seul, à laquelle seul il com­mu­nie est donc un acte public, sacri­fice de la même valeur que tout sacri­fice de la Messe et sou­ve­rai­ne­ment utile au prêtre et à toutes les âmes. La Messe pri­vée est ain­si très recom­man­dée et sou­hai­tée par l’Église.

Ce sont ces prin­cipes qui sont à l’origine des prières, des chants, des rites qui ont fait de la Messe latine un véri­table joyau dont la pierre pré­cieuse est le Canon. On ne peut lire sans émo­tion ce qu’en dit le Concile de Trente : « Comme il convient de trai­ter sain­te­ment les choses saintes et que ce Sacrifice est la plus sainte de toutes, pour qu’il fut offert et reçu digne­ment et res­pec­tueu­se­ment, l’Église catho­lique a ins­ti­tué depuis nombre de siècles, le saint Canon, si pur de toute erreur qu’il n’est rien en lui qui ne res­pire une sain­te­té et une pié­té exté­rieure et qui n’élève vers Dieu les esprits de ceux qui offrent. Il est en effet com­po­sé des paroles mêmes du Seigneur, des tra­di­tions des Apôtres et de pieuses ins­truc­tions des Saints Pontifes ». (Session XXII, chap. 4)

La réforme de Luther

Voyons main­te­nant com­ment Luther a accom­pli sa Réforme, c’est-à-dire sa Messe évan­gé­lique comme il l’appelle lui-​même et dans quel esprit. Nous ferons pour cela appel à un ouvrage de Léon Cristiani datant de 1910 et donc non sus­pect d’être influen­cé par les réformes actuelles. Cet ouvrage est inti­tu­lé « Du Luthéranisme au Protestantisme ». Il nous inté­resse par les cita­tions qu’il nous rap­porte de Luther ou de ses dis­ciples au sujet de la Réforme liturgique.

Cette étude est très ins­truc­tive, car Luther n’hésite pas à mani­fes­ter l’esprit libé­ral qui ranime. « Avant tout, écrit-​il, je sup­plie ami­ca­le­ment… tous ceux qui vou­dront exa­mi­ner ou suivre la pré­sente ordon­nance du ser­vice divin, de n’y pas voir une loi contrai­gnante et de ne cap­ti­ver aucune conscience par là. Que cha­cun l’adopte quand, où et comme il lui plai­ra. Ainsi le veut la liber­té chré­tienne » (p. 314).

« Le culte s’adressait à Dieu comme un hom­mage, il s’adressera désor­mais à l’homme pour le conso­ler et l’éclairer. Le sacri­fice occu­pait la pre­mière place, le ser­mon va le sup­plan­ter. » (p. 312).

Que pense Luther du sacer­doce ? – Dans son ouvrage sur la Messe pri­vée, il cherche à démon­trer que le sacer­doce catho­lique est une inven­tion du diable. Pour cela il invoque ce prin­cipe désor­mais fon­da­men­tal : « Ce qui n’est pas dans l’Écriture est une addi­tion de Satan ». Or l’Écriture ne connaît pas le sacer­doce visible. Elle ne connaît qu’un prêtre, qu’un Pontife, un seul, le Christ. Avec le Christ nous sommes tous prêtres. Le sacer­doce est à la fois unique et uni­ver­sel. Quelle folie de vou­loir l’accaparer pour quelques-​uns… Toute dis­tinc­tion hié­rar­chique entre les chré­tiens est digne de l’Antéchrist… Malheur donc aux pré­ten­dus prêtres. » (p. 269).

En 1520, il écrit son « Manifeste à la Noblesse chré­tienne d’Allemagne » dans lequel il s’attaque aux « Romanistes » et demande un Concile libre.

« La pre­mière muraille éle­vée par les Romanistes » est la dis­tinc­tion des clercs et des laïcs. « On a décou­vert, dit-​il, que le Pape, les évêques, les prêtres, les moines, com­posent l’état ecclé­sias­tique, tan­dis que les princes, les sei­gneurs, les arti­sans, les pay­sans, forment l’état sécu­lier. C’est une pure inven­tion et un men­songe. Tous les chré­tiens sont en véri­té de l’état ecclé­sias­tique, il n’y a entre eux aucune dif­fé­rence que celle de la fonc­tion… Si le Pape ou un évêque donne l’onction, fait des ton­sures, ordonne, consacre, s’habille autre­ment que les laïcs, il peut faire des trom­peurs ou des idoles ointes, mais il ne peut faire un chré­tien, ni un ecclé­sias­tique… tout ce qui sort du bap­tême peut se van­ter d’être consa­cré prêtre, évêque et Pape, bien qu’il ne convienne pas à tous d’exercer cette fonc­tion » (p. 148–149).

De cette doc­trine Luther tire les consé­quences contre l’habit ecclé­sias­tique et contre le céli­bat. Lui-​même et ses dis­ciples donnent l’exemple, ils aban­donnent le céli­bat et se marient.

Que de faits décou­lant des réformes de Vatican II res­semblent aux conclu­sions de Luther : l’abandon de l’habit reli­gieux et ecclé­sias­tique, les nom­breux mariages agréés par le Saint-​Siège, soit l’absence de tout carac­tère dis­tinc­tif entre le prêtre et le laïc. Cet éga­li­ta­risme se mani­fes­te­ra dans l’attribution de fonc­tions litur­giques jusqu’ici réser­vées aux prêtres.

La sup­pres­sion des Ordres mineurs et du sous-​diaconat, le dia­co­nat marié, contri­buent à la concep­tion pure­ment admi­nis­tra­tive du prêtre et à la néga­tion du carac­tère sacer­do­tal ; l’ordination est orien­tée vers le ser­vice de la com­mu­nau­té et non plus vers le sacri­fice, qui seul jus­ti­fie la concep­tion catho­lique du sacerdoce.

Les prêtres ouvriers, syn­di­ca­listes, ou cher­chant un emploi rému­né­ré par l’État, contri­buent aus­si à faire dis­pa­raître toute dis­tinc­tion. Ils vont plus loin que Luther.

La deuxième erreur doc­tri­nale grave de Luther sera la suite de la pre­mière et fon­dée sur son prin­cipe pre­mier : c’est la foi ou la confiance qui sauve et non les œuvres et c’est la néga­tion de l’acte sacri­fi­ciel qu’est essen­tiel­le­ment la Messe catholique.

Pour Luther, la Messe peut être un sacri­fice de louange c’est-à-dire un acte de louange, d’action de grâces, mais cer­tai­ne­ment pas un sacri­fice expia­toire renou­ve­lant et appli­quant le sacri­fice de la Croix.

Parlant des per­ver­sions du culte dans les cou­vents il disait : « L’élément prin­ci­pal de leur culte, la Messe, dépasse toute impié­té et toute abo­mi­na­tion, ils en font un sacri­fice et une bonne œuvre. N’y eut-​il pas d’autre motif de quit­ter le froc, de sor­tir du couvent, de rompre les vœux, celui-​là suf­fi­rait ample­ment. » (p. 258).

La Messe est une « synaxe », une com­mu­nion. L’Eucharistie a été sou­mise à une triple et lamen­table cap­ti­vi­té : on a retran­ché aux laïcs l’usage du Calice, on a impo­sé comme un dogme l’opinion inven­tée par les tho­mistes de la trans­sub­stan­tia­tion, on a fait de la Messe un sacrifice.

Luther touche ici à un point capi­tal. Il n’hésite pas cepen­dant. « C’est donc une erreur évi­dente et impie, écrit-​il, d’offrir ou d’appliquer la Messe pour des péchés, des satis­fac­tions, pour les défunts… La Messe est offerte par Dieu à l’homme et non par l’homme à Dieu… »

Quant à l’Eucharistie comme elle doit avant tout exci­ter la foi, elle devrait être célé­brée en langue vul­gaire, afin que tous puissent bien com­prendre la gran­deur de la pro­messe qui leur est rap­pe­lée, (p. 176).

Luther tire­ra les consé­quences de cette héré­sie en sup­pri­mant l’offertoire qui exprime clai­re­ment le but pro­pi­tia­toire et expia­toire du sacri­fice. Il sup­pri­me­ra la plus grande par­tie du Canon, gar­de­ra les textes essen­tiels mais comme récit de la Cène. Afin d’être plus près de ce qui s’est accom­pli à la Cène, il ajou­te­ra dans la for­mule de consé­cra­tion du pain « quod pro vobis tra­de­tur », il sup­pri­me­ra les mots « mys­te­rium fidei » et les paroles « pro mul­tis ». Il consi­dé­re­ra comme paroles essen­tielles du récit celles qui pré­cèdent la consé­cra­tion du pain et du vin et les phrases qui suivent.

Il estime que la Messe est en pre­mier lieu la Liturgie de la Parole, en second lieu une communion.

On ne peut qu’être stu­pé­fait de consta­ter que la nou­velle Réforme a appli­qué les mêmes modi­fi­ca­tions et qu’en véri­té les textes modernes mis entre les mains des fidèles ne parlent plus de sacri­fice mais de la Liturgie de la Parole, du récit de la Cène et du par­tage du pain ou de l’Eucharistie.

L’article VII de l’instruction qui intro­duit le nou­veau rite était signi­fi­ca­tif d’une men­ta­li­té déjà pro­tes­tante. La cor­rec­tion inter­ve­nue ensuite n’est nul­le­ment satisfaisante.

La sup­pres­sion de la pierre d’autel, l’introduction de la table revê­tue d’une seule nappe, le prêtre tour­né vers le peuple, l’hostie demeu­rant tou­jours sur la patène et non sur le cor­po­ral, l’autorisation du pain ordi­naire, de vases faits de diverses matières même les moins nobles, et bien d’autres détails contri­buent à incul­quer aux assis­tants les notions pro­tes­tantes oppo­sées essen­tiel­le­ment et gra­ve­ment à la doc­trine catholique.

Rien n’est plus néces­saire à la sur­vie de l’Église catho­lique que le Saint Sacrifice de la Messe ; le mettre dans l’ombre équi­vaut à ébran­ler les fon­de­ments de l’Église. Toute la vie chré­tienne, reli­gieuse, sacer­do­tale est fon­dée sur la Croix, sur le Saint Sacrifice de la Croix renou­ve­lé sur l’autel.

Luther en conclut à la néga­tion de la trans­sub­stan­tia­tion et de la pré­sence réelle, telle qu’elle est ensei­gnée par l’Église catholique.

Pour lui le pain demeure. En consé­quence comme le dit son dis­ciple Mélanchton, qui s’élève avec force contre l’adoration du Saint Sacrement, « Le Christ a ins­ti­tué l’Eucharistie comme un sou­ve­nir de sa Passion. C’est une ido­lâ­trie que de l’adorer. » (p. 262).

D’où la com­mu­nion dans la main et sous les deux espèces, en effet niant la pré­sence du corps et du sang de Notre-​Seigneur sous cha­cune des deux espèces, il est nor­mal que l’Eucharistie soit consi­dé­rée comme incom­plète sous une seule espèce.

On peut mesu­rer là encore l’étrange simi­li­tude de la Réforme actuelle avec celle de Luther : toutes les nou­velles auto­ri­sa­tions concer­nant l’usage de l’Eucharistie vont dans le sens d’un moindre res­pect, de l’oubli, de l’adoration : com­mu­nion dans la main et dis­tri­bu­tion par des laïcs, même par des femmes, la réduc­tion dès génu­flexions qui ont ame­né leur dis­pa­ri­tion de la part de nom­breux prêtres, l’usage du pain ordi­naire de vases ordi­naires, toutes ces Réformes contri­buent à la néga­tion de la pré­sence réelle telle qu’elle est ensei­gnée dans l’Église catholique.

On ne peut s’empêcher de conclure que les prin­cipes étant inti­me­ment liés à la pra­tique selon l’adage « lex oran­di lex cre­den­di », le fait d’imiter dans la litur­gie de la Messe la Réforme de Luther conduit infailli­ble­ment à adop­ter peu à peu les idées mêmes de Luther. L’expérience des six der­nières années, depuis la publi­ca­tion du nou­vel Ordo, le prouve ample­ment. Les consé­quences de cette manière d’agir soit disant œcu­mé­nique sont catas­tro­phiques, dans le domaine de la foi d’abord, et sur­tout dans la cor­rup­tion du sacer­doce et la raré­fac­tion des voca­tions, dans l’unité des catho­liques divi­sés dans tous les milieux sur cette ques­tion qui les touche de si près, dans les rela­tions avec les pro­tes­tants et les orthodoxes.

La concep­tion des pro­tes­tants sur ce sujet vital et essen­tiel de l’Église Sacerdoce-​Sacrifice-​Eucharistie est tota­le­ment oppo­sée à celle de l’Église catho­lique. Ce n’est pas pour rien qu’il y a eu le Concile de Trente et tous les docu­ments du Magistère s’y rap­por­tant depuis quatre siècles.

Il est psy­cho­lo­gi­que­ment, pas­to­ra­le­ment, théo­lo­gi­que­ment impos­sible pour les catho­liques d’abandonner une Liturgie qui est vrai­ment l’expression et le sou­tien de leur foi pour adop­ter de nou­veaux rites qui ont été conçus par des héré­tiques sans mettre leur foi dans le plus grand péril. On ne peut imi­ter les pro­tes­tants indé­fi­ni­ment sans le devenir.

Que de fidèles, que de jeunes prêtres, que d’évêques ont per­du la foi depuis l’adoption de ces réformes. On ne peut contre­car­rer la nature et la foi sans qu’elles se vengent.

L’application de la réforme de Luther

Il vous sera pro­fi­table de relire le récit des pre­mières Messes évan­gé­liques et ses consé­quences pour vous convaincre de cette étrange paren­té entre les deux Réformes.

« Dans la nuit du 24 au 25 décembre 1521, la foule enva­hit l’Église parois­siale… La « Messe évan­gé­lique » allait com­men­cer, Karlstadt monte en chaire, il prêche sur l’Eucharistie, il pré­sente la com­mu­nion sous les deux espèces comme obli­ga­toire, la confes­sion préa­lable comme inutile. La foi seule suf­fit. Karlstadt se pré­sente à l’autel en habit sécu­lier, récite le Confiteor, com­mence la Messe comme à l’ordinaire jusqu’à l’Évangile. L’Offertoire, l’Élévation, bref, tout ce qui rap­pelle l’idée de sacri­fice est sup­pri­mé. Après la consé­cra­tion vient la com­mu­nion. Parmi les assis­tants beau­coup ne se sont point confes­sés, beau­coup ont bu et man­gé et même pris de l’eau de vie. Ils s’approchent comme les autres. Karlstadt dis­tri­bue les hos­ties et pré­sente le calice. Les com­mu­niants prennent le pain consa­cré à la main et boivent à leur guise. L’une des hos­ties s’échappe et tombe sur le vête­ment d’un assis­tant, un prêtre la relève. Une autre tombe à terre, Karlstadt dit aux laïcs de la ramas­ser et comme ils s’y refusent par un geste de res­pect ou de super­sti­tion, il se contente de dire « qu’elle reste où elle est pour­vu qu’on ne marche pas dessus ».

Le même jour un prêtre des envi­rons don­nait la com­mu­nion sous les deux espèces à une cin­quan­taine de per­sonnes dont cinq seule­ment s’étaient confes­sées. Le reste avait reçu l’absolution en masse et comme péni­tence on leur avait sim­ple­ment recom­man­dé de ne pas retom­ber dans le péché.

Le len­de­main Karlstadt célé­brait ses fian­çailles avec Anna de Mochau. Plusieurs prêtres imi­tèrent cet exemple et se marièrent.

Pendant ce temps, Zwilling, échap­pé de son couvent, prê­chait à Eilenbourg. Il avait quit­té l’habit monas­tique, por­tait la barbe. Vêtu en laïc il ton­nait contre la Messe pri­vée. Au Nouvel an, il dis­tri­bue la com­mu­nion sous les deux espèces. Les hos­ties étaient dis­tri­buées de la main à la main. Plusieurs en mirent dans leurs poches et les empor­tèrent. Une femme en consom­mant l’hostie en fit tom­ber quelques frag­ments par terre. Personne n’y prit garde. Les fidèles pre­naient eux-​mêmes le calice et buvaient de bonnes rasades.

Le 29 février 1522, il se mariait avec Catherine Falki. Il y eut alors une véri­table conta­gion de mariages de prêtres et de moines. Les monas­tères com­men­çaient à se vider. Les moines res­tés au couvent rasèrent les autels à l’exception d’un seul, brû­lèrent les images des Saints, même l’huile des infirmes.

La plus grande anar­chie régnait par­mi les prêtres. Chacun disait main­te­nant la Messe à sa guise. Le conseil débor­dé réso­lut de fixer une litur­gie nou­velle des­ti­née à réta­blir l’ordre en consa­crant les réformes.

On y réglait la façon de dire la Messe. L’Introït, le Gloria, l’Épître, l’Évangile, le Sanctus étaient conser­vés, sui­vait une pré­di­ca­tion. L’Offertoire et le Canon étaient sup­pri­més. Le Prêtre réci­te­rait sim­ple­ment l’institution de la Cène, dirait à haute voix et en alle­mand les Paroles de la Consécration, et don­ne­rait la com­mu­nion sous les deux espèces. Le chant de l’Agnus Dei de la com­mu­nion et du Benedicamus Dominus ter­mi­nait le ser­vice. » (pp. 281–85).

Luther s’inquiète de créer de nou­veaux can­tiques. Il cherche des poètes et il en trouve non sans peine. Les fêtes des saints dis­pa­raissent. Luther ménage les tran­si­tions. Il conserve le plus pos­sible de céré­mo­nies anciennes. Il se borne à en chan­ger le sens. La Messe garde en grande par­tie son appa­reil exté­rieur. Le peuple retrouve dans les églises le même décor, les mêmes rites, avec des retouches faites pour lui plaire, car désor­mais on s’adresse à lui beau­coup plus qu’auparavant. Il a davan­tage conscience de comp­ter pour quelque chose dans le culte. Il y prend une part plus active par le chant et la prière à haute voix. Peu à peu le latin fait place défi­ni­ti­ve­ment à l’allemand.

La consé­cra­tion sera chan­tée en alle­mand. Elle est conçue en ces termes : « Notre-​Seigneur dans la nuit qu’il fut tra­hi prit du pain, ren­dit grâces, le rom­pit et le pré­sen­ta à ces dis­ciples en disant : Prenez et man­gez, ceci est mon corps qui est don­né pour vous. Faites ceci toutes les fois que vous le ferez, en mémoire de moi. De la même manière il prit aus­si le calice après le sou­per et dit : Prenez et buvez en tous ceci est le calice, un nou­veau tes­ta­ment, dans mon sang qui est ver­sé pour vous et pour la rémis­sion des péchés. Faites ceci, toutes les fois que vous boi­rez ce calice, en mémoire de moi. » (p. 317).

Ainsi se trouvent ajou­tés les paroles « quod pro vobis tra­de­tur » « qui est don­né pour vous » et sup­pri­mées « Mysterium fidei » et « pro mul­tis » dans la consé­cra­tion du vin.

La liturgie réformée, protestantisée depuis le concile

Ces récits concer­nant la Messe évan­gé­lique n’expriment-ils pas les sen­ti­ments que nous avons de la litur­gie réfor­mée depuis le Concile ?

Tous ces chan­ge­ments dans le nou­veau rite sont vrai­ment périlleux, parce que peu à peu, sur­tout pour les jeunes prêtres, qui n’ont plus l’idée du Sacrifice, de la Présence Réelle, de la Transsubstantiation et pour les­quels tout cela ne signi­fie plus rien, ces jeunes prêtres perdent l’intention de faire ce que fait l’Église et ne disent plus de Messes valides.

Certes, les prêtres âgés, quand ils célèbrent selon le nou­veau rite, ont encore la foi de tou­jours. Ils ont dit la Messe avec l’ancien rite durant tant d’années, ils en gardent les mêmes inten­tions, on peut croire que leur Messe est valide. Mais, dans la mesure où ces inten­tions s’en vont, dis­pa­raissent, dans cette mesure, les Messes ne seront plus valides.

Ils ont vou­lu se rap­pro­cher des pro­tes­tants, mais ce sont les catho­liques qui sont deve­nus pro­tes­tants, et non les pro­tes­tants qui sont deve­nus catho­liques. Cela est évident.

Lorsque cinq Cardinaux et quinze évêques sont allés au « Concile des jeunes » à Taizé, com­ment ces jeunes peuvent-​ils savoir ce qu’est le catho­li­cisme, ce qu’est le pro­tes­tan­tisme ? Certains ont pris la Communion chez les pro­tes­tants, d’autres chez les catholiques.

Quand le Cardinal Willbrands est allé à Genève, au Conseil œcu­mé­nique des Églises, il a décla­ré : « Nous devons réha­bi­li­ter Luther ». Il l’a dit comme envoyé du Saint Siège !

Voyez la Confession. Qu’est deve­nu le Sacrement de la Pénitence avec cette abso­lu­tion col­lec­tive ? Est-​ce une manière pas­to­rale que de dire aux fidèles : « Nous vous avons don­né l’absolution col­lec­tive, vous pou­vez com­mu­nier, et quand vous aurez l’occasion, si vous avez des péchés graves, vous irez vous confes­ser au cours des six mois pro­chains ou d’une année… » Qui peut dire que cette manière de faire est pas­to­rale ? Quelle idée peut-​on se faire du péché grave ?

Le sacre­ment de Confirmation est aus­si dans une situa­tion iden­tique. Maintenant une for­mule cou­rante est la sui­vante : « Je te signe de la Croix et reçois l’Esprit Saint ». Ils doivent pré­ci­ser qu’elle est la grâce spé­ciale du Sacrement par lequel se donne l’Esprit Saint. Si on ne dit pas cette parole : « Ego te confir­mo in nomine Patris… » il n’y a pas le Sacrement ! Je l’ai dit aus­si aux Cardinaux, parce qu’ils m’ont décla­ré : « Vous don­nez la Confirmation où vous n’avez pas le droit de le faire ! » – « Je le fais parce que les fidèles ont peur que leurs enfants n’aient pas la grâce de la Confirmation, parce qu’ils ont un doute sur la vali­di­té du Sacrement qui est don­né main­te­nant dans les églises. Alors pour avoir au moins cette sécu­ri­té d’avoir vrai­ment la grâce, on me demande de don­ner la Confirmation. Je le fais parce qu’il me semble que je ne puis refu­ser à ceux qui me demandent la Confirmation valide, même si ce n’est pas licite. Parce que nous sommes en un temps dans lequel le droit divin natu­rel et sur­na­tu­rel passe avant le droit posi­tif ecclé­sias­tique lorsque celui-​ci s’y oppose au lieu d’en être le canal.

Nous sommes dans une crise extra­or­di­naire. Nous ne pou­vons suivre ces réformes. Où sont les bons fruits de ces réformes ? Je me le demande vrai­ment ! La réforme litur­gique, la réforme des sémi­naires, la réforme des congré­ga­tions reli­gieuses. Tous ces cha­pitres géné­raux ! Où ont-​ils mis ces pauvres congré­ga­tions main­te­nant ? Tout s’en va… ! Il n’y a plus de novices, il n’y a plus de vocations… !

Le Cardinal-​Archevêque de Cincinatti l’a recon­nu éga­le­ment au Synode des Évêques à Rome : « Dans nos pays – il repré­sen­tait tous les pays anglo­phones – il n’y a plus de voca­tions parce qu’ils ne savent plus ce qu’est le prêtre ».

Demeurer dans la tradition

Nous devons donc demeu­rer dans la Tradition. Seule la Tradition nous donne vrai­ment la grâce, nous donne vrai­ment la conti­nui­té dans l’Église. Si nous aban­don­nons la Tradition, nous contri­buons à la démo­li­tion de l’Église.

Je l’ai dit aus­si à ces Cardinaux : « Ne voyez-​vous pas dans le Concile que le Schéma sur la liber­té reli­gieuse est un Schéma contra­dic­toire ? Il est dit dans la pre­mière par­tie du Schéma : « Rien n’est chan­gé dans la Tradition » et à l’intérieur de ce Schéma, tout est contraire à la Tradition. C’est contraire à ce qu’ont dit Grégoire XVI, Pie IX et Léon XIII. »

Alors il faut choi­sir ! Ou nous sommes d’accord avec la liber­té reli­gieuse du Concile et donc, nous sommes contraires à ce qu’ont dit ces Papes, ou bien nous sommes d’accord avec ces Papes et alors nous ne sommes plus d’accord avec ce qui est dit dans le Schéma sur la liber­té reli­gieuse. C’est impos­sible d’être d’accord avec les deux. Et j’ai ajou­té : « Je prends la Tradition, je suis pour la Tradition et non pour ces nou­veau­tés qui sont le libé­ra­lisme. Rien d’autre que le libé­ra­lisme qui fut condam­né par tous les Pontifes durant un siècle et demi. Ce libé­ra­lisme est entré dans l’Église à tra­vers le Concile : la liber­té, l’égalité et la fraternité ».

La liber­té : la liber­té reli­gieuse ; la fra­ter­ni­té : l’œcuménisme ; l’égalité : la col­lé­gia­li­té. Et cela ce sont les trois prin­cipes du libé­ra­lisme, qui est venu des phi­lo­sophes du XVIIème siècle, et a abou­ti à la Révolution française.

Ce sont ces idées qui sont entrées dans le Concile par des paroles équi­voques. Et main­te­nant, nous allons à la ruine, la ruine de l’Église, parce que ces idées sont abso­lu­ment contre la nature et contre la foi. Il n’y a pas d’égalité entre nous, il n’y a pas de véri­table éga­li­té. Le Pape Léon XIII l’a si bien dit, clai­re­ment, dans son ency­clique sur la liberté.

Puis la fra­ter­ni­té ! S’il n’y a pas un père, où irions-​nous trou­ver la fra­ter­ni­té ? S’il n’y a pas de Père, il n’y a pas Dieu, com­ment sommes-​nous frères ? Comment peut-​on être frères sans père com­mun ? Impossible ! Doit-​on embras­ser tous les enne­mis de l’Église : les com­mu­nistes, les boud­dhistes et tous ceux qui sont contre l’Église ? Les maçons ?

Et ce décret qui date d’une semaine qui dit que main­te­nant il n’y a plus d’excommunication pour un catho­lique qui entre dans la franc-​maçonnerie. Elle qui a détruit le Portugal ! qui était au Chili avec Allende ! Et main­te­nant au Sud-​Vietnam : Il faut détruire les États catho­liques. L’Autriche durant la Première Guerre mon­diale, la Hongrie, la Pologne… Les franc-​maçons veulent la des­truc­tion des pays catho­liques ! Qu’en sera-​t-​il dans un an de l’Espagne, de l’Italie, etc… ? Pourquoi l’Église ouvre-​t-​elle les bras à tous ces gens qui sont les enne­mis de l’Église ?

Ah ! Combien nous devons prier, prier ; nous assis­tons à un assaut du démon contre l’Église comme on n’en a jamais vu. Nous devons prier Notre Dame, la Bienheureuse Vierge Marie, de venir à notre aide, parce que vrai­ment nous ne savons pas ce que sera demain. Il est impos­sible que Dieu accepte tous ces blas­phèmes, sacri­lèges, qui sont faits à Sa Gloire, à Sa Majesté ! Songeons aux lois sur l’avortement, que nous voyons dans tant de pays, au divorce en Italie, toute cette ruine de la loi morale, ruine de la véri­té. Il est dif­fi­cile de croire que tout cela peut se faire sans qu’un jour Dieu parle ! et punisse le monde de ter­ribles châtiments.

C’est pour­quoi, nous devons deman­der à Dieu la misé­ri­corde pour nous et pour nos frères ; mais nous devons lut­ter, com­battre. Combattre pour main­te­nir la Tradition et ne pas avoir peur. Maintenir, par des­sus tout, le rite de notre Sainte Messe, parce qu’elle est le fon­de­ment de l’Église et de la civi­li­sa­tion chré­tienne. S’il n’y avait plus une vraie Messe dans l’Église, l’Église disparaîtrait.

Nous devons donc conser­ver ce rite, ce Sacrifice. Toutes nos églises ont été construites pour cette Messe, non pour une autre Messe ; pour le Sacrifice de la Messe, non pour une Cène, pour un Repas, pour un Mémorial, pour une Communion, non ! pour le Sacrifice de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ qui conti­nue sur nos autels ! C’est pour cela que nos pères ont construit ces belles églises, non pour une Cène, non pour un Mémorial, non !

Je compte sur vos prières pour mes sémi­na­ristes, pour faire de mes sémi­na­ristes de vrais prêtres, qui ont la foi et qui pour­ront ain­si don­ner les vrais sacre­ments et le vrai Sacrifice de la Messe. Merci.

† Marcel Lefebvre

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.