Cher Monsieur l’abbé Mouraux,
Dans le bulletin (Bonum Certamen), le dernier sans doute, dans lequel vous annonciez votre cérémonie du cinquantième anniversaire du sacerdoce que vous avez reçu, vous faites quelques réflexions à ce sujet, bien courtes, bien brèves, mais qui sont très suggestives.
Vous dites que ce fameux 8 juillet 1937, vous avez éprouvé une joie, au-dessus de tout sentiment. Vous avez éprouvé cette joie lors de votre ordination, parce que – comme vous le dites également – le Seigneur a choisi votre humble personne, dites-vous, pour recevoir le sacerdoce de Notre Seigneur Jésus-Christ
En effet quel honneur et quelle source de joie. Puissiez-vous également aujourd’hui ressentir la même joie, dans ce séminaire où nous vous accueillons avec une immense satisfaction. Nous fêtons donc avec vous ces cinquante années de sacerdoce et nous nous réjouissons avec vous, dans l’action de grâces au Bon Dieu.
Ce sera le premier motif de notre joie.
Le deuxième motif de cette joie que nous éprouvons en vous entourant aujourd’hui au Saint Sacrifice de la messe, c’est que le Bon Dieu vous a fait la grâce – cette grâce n’est pas négligeable – de la fidélité. Fidélité à la foi de votre baptême, fidélité à la messe dans laquelle vous avez été fait prêtre : la messe de toujours. Et nous nous réjouissons avec vous de cette grâce que le Bon Dieu vous a donnée et par l’exemple, par le fait même, que vous avez donné autour de vous.
Un troisième motif de notre réjouissance, c’est plus humble, plus simple, c’est de vous manifester notre reconnaissance, notre gratitude, pour la bonté de votre accueil en faveur des séminaristes qui sont venus auprès de vous, au cours de leur service militaire, ou en faisant des études à l’université de Nancy. Vous êtes d’ailleurs aujourd’hui entouré par deux d’entre eux, de ceux qui ont profité de votre aimable hospitalité, de votre aimable accueil, de votre soutien spirituel, mais ils sont nombreux. Et par conséquent, nous sommes heureux aujourd’hui, dans cette cérémonie, de pouvoir vous exprimer notre reconnaissance.
Mais j’aurais peine de ne pas joindre à votre nom celui de Mademoiselle Cécile, qui a été pour eux comme une mère et qui les a entourés de tous les soins dont ils avaient besoin. Je la remercie également de tout cœur. Car ce fut une grâce pour nos séminaristes de pouvoir dans l’aridité de ce service militaire, trouver un havre de paix et une maison spirituelle et l’affection d’un père et d’une mère. Je vous remercie de tout cela et nous nous réjouissons que vous soyez aujourd’hui au milieu de nous pour célébrer la messe d’anniversaire de vos cinquante ans de sacerdoce.
Vous dites : revêtir le sacerdoce de Notre Seigneur Jésus-Christ. C’est-à-dire aussi revêtir sa Croix.
Et en effet, les ornements que nous portons à la messe, portent une croix. Nous portons la Croix de Notre Seigneur Jésus-Christ.
Votre vie sacerdotale commencée en 1937, s’est déroulée d’abord pendant deux ans, dans un ministère paroissial et puis, ce fut la guerre. Terrible guerre de 1939 à 1945 et vous en avez subi les conséquences en étant déporté dans les camps de concentration. Mais avec votre audace légendaire, vous avez réussi à vous échapper et vous êtes revenu dans votre diocèse et vous y avez exercé, là encore avec beaucoup de courage, avec le don de force qui vous caractérise, la protection de vos fidèles au milieu des troubles, des troupes qui s’en allaient, des troupes qui venaient, en pleine guerre. Vous avez été un peu le Père de la Cité pour vos chers paroissiens.
Et puis la guerre terminée, vous avez repris ce ministère paroissial pendant un certain nombre d’années, jusqu’au moment où votre évêque, Mgr Pirolley, vous a demandé de vous charger d’une maison d’éducation à Nancy, dans laquelle vous êtes resté pendant un certain nombre d’années et où non seulement vous apportiez les secours spirituels aux âmes des enfants qui se trouvaient dans cette maison, mais aussi la science, les cours de latin, de religion. Et vous me disiez que c’était parmi vos meilleures années.
Et puis voici une nouvelle guerre. Guerre plus terrible encore que la précédente, la guerre du concile. Car, en définitive, c’est une guerre. C’est une vraie guerre de religion. Et une guerre plus douloureuse, plus pénible, plus destructrice que les guerres meurtrières de nos corps. Car elle meurtrit nos âmes.
Et alors il a fallu faire des choix, des choix douloureux, des choix pénibles. Mais encore une fois, la grâce du Bon Dieu vous a donné de la fidélité, vous a fait comprendre qu’il valait mieux garder la foi, quitte à paraître désobéissant, plutôt que d’abandonner la foi pour être obéissant.
Car c’est bien cela que nous avons demandé au jour de notre baptême. Nous avons demandé à l’Église : Donnez-nous la foi. Et nous voulons la conserver jusqu’à la fin de nos jours. Et vous avez voulu et vous voulez la conserver jusqu’à la fin de vos jours.
Alors, vous avez montré là aussi, votre esprit de fidélité. Et cela vous a bien sûr causé de nombreux ennuis, de nombreuses difficultés. Au moment où les réformes sont venues, les fidèles de Nancy qui désiraient garder la Tradition, sont venus vers vous. Les églises se transformant en églises néo-protestantes, bien des fidèles ont pensé qu’ils ne trouveraient plus vraiment la Tradition qu’auprès de vous. Et alors cette chapelle de religieuses où vous vous trouviez est devenue trop petite pour accueillir tout le monde qui venait pour assister à vos messes. Et c’est précisément ce qui a été évidemment l’occasion des foudres de l’épiscopat.
Et alors, vous avez été obligé de quitter cette maison que vous aimiez et dans laquelle vous vous étiez dévoué, pour vous retrouver dans votre petite maison de famille que connaissent bien vos amis. Et dans laquelle vous vous trouvez encore aujourd’hui, pour continuer la fidélité de toujours à la Sainte Église et à la Sainte Messe.
Désormais ayant pu acquérir auprès de chez vous une petite église, ancienne synagogue, vous l’avez transformée en chapelle catholique. Et c’est là que j’ai eu la joie de venir célébrer la Sainte Messe, donner la confirmation, bénir les cloches – tous ces souvenirs très heureux – et entouré d’une nombreuse population de fidèles qui désirent demeurer catholiques, tout simplement.
Vous me le disiez hier, que si vous aviez quelques mots à adresser aux chers séminaristes, vous leur diriez : Mes chers amis, n’ayez pas peur, soyez audacieux.
J’ai recherché ce que dit saint Thomas de l’audace.
Eh bien, l’audace, dit saint Thomas, si elle est tempérée par la raison, est une vertu annexe de la vertu de force. Et c’est bien cette vertu que vous avez manifestée dans toute votre vie et qui doit être – je pense – la leçon retenue aujourd’hui par nos chers séminaristes. Eux aussi la pratiquent la vertu de force.
Ils l’ont déjà pratiqué par le choix qu’ils ont fait en venant à Flavigny, en venant ici à Écône, en suivant leurs amis, en suivant les exemples de tous ces prêtres qui nombreux – heureusement – ont gardé la fidélité à l’Église, à la messe de toujours (et qui) ont déjà dû affronter bien des difficultés, quelquefois difficultés dans (leurs) familles qui sont effrayées à la pensée que leur fils va se rendre à Écône.
Et alors il faut du courage ; il faut une grâce particulière, une grâce de force. Car en définitive, qu’est-ce que la force, mes chers amis ? Saint Thomas la caractérise cette vertu, par deux actes principaux : sustinere et aggredi. Sustinere, en effet, tenir dans le combat, persévérer dans le combat. C’est une grande vertu qui demande la grâce de la force et le don de force. Et c’est ce que vous faites, malgré les reproches que vous pouvez recevoir, ici ou là, les critiques. Vous maintenez, vous soutenez votre foi, votre résolution de rester catholiques et de devenir prêtres catholiques.
Et puis aggredi. C’est peut-être la partie de la force qui plairait davantage à M. l’abbé Moureaux. Car c’est ce qu’il a eu l’occasion de faire, dans bien des circonstances difficiles de sa vie. Savoir attaquer. C’est ce que dit saint Thomas aggredi, cela veut dire : attaquer. Attaquer pour garder le bien, pour maintenir le bien. Attaquer l’ennemi, l’ennemi de nos âmes ; attaquer ceux qui en veulent au bien de nos âmes.
Il faut parfois, avec la grâce du Bon Dieu, savoir prévenir ; ne pas être soumis à ceux qui veulent notre perte. Rappelez-vous de cela. Et que cette messe du cinquantième anniversaire de sacerdoce du cher M. l’abbé Mouraux, soit pour vous une occasion de persévérer.
La persévérance, voyez-vous, est aussi une vertu annexe de la vertu de force. Et c’est ce qu’a dit Notre Seigneur : Qui autem perseverarit usque in finem, hic salvus erit (Mt 24,13).
Eh bien, c’est ce que nous souhaitons, cher M. l’abbé Mouraux : Celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé.
Que le Bon Dieu vous donne, cher M. l’abbé Mouraux et à vous-mêmes, chers amis, la grâce de la persévérance, la persévérance finale. C’est la plus grande grâce que le Bon Dieu puisse nous donner puisque c’est elle qui doit nous ouvrir les portes de l’éternité, les portes du Ciel.
Ne nous étonnons pas de la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui en cette fête du Sacré-Cœur de Jésus. Pouvait-on trouver une meilleure fête pour un anniversaire sacerdotal ? Le Cœur de Jésus est tout entier sacerdotal, l’amour des âmes. Nous l’avons chanté tout à l’heure : Cogitationes Cordis ejus in generationem ut eruat a morte animas eorum (Ps 32,11–19).
Les pensées de notre Cœur, dit Notre Seigneur, sont de sauver les âmes et de leur donner le Pain dont elles ont besoin pour ne pas mourir de faim. C’est là tout le programme d’une vie sacerdotale.
Et alat eos in fame (Ps 32–1,11,19).
Eh bien que ce soit là votre programme, mes chers amis, en regardant la très Sainte Vierge Marie, parce que, elle aussi, elle était fidèle à Jésus jusqu’au bout, jusqu’au martyre, jusqu’à avoir le cœur transpercé par un glaive. Elle ne L’a pas abandonné. Les apôtres L’ont abandonné ; ils sont partis – sauf saint Jean – les autres ont quitté Jésus-Christ pour se rendre dans le monde. Combien de prêtres hélas quittent Notre Seigneur pour se rendre au monde aussi !
Mais nous, efforçons-nous de demeurer auprès de la Vierge Marie, de Notre-Dame-de-Compassion, de partager la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ, de partager la Passion de l’Église. Car c’est bien cela que nous vivons aujourd’hui. L’Église vit sa Passion. Et c’est ce qu’expliqué si bien le Père Emmanuel dans ses lettres magnifiques, dans lesquelles il montre que la fin des temps sera la Passion de l’Église.
Eh bien je crois que nous sommes dans ce moment : la Passion de l’Église. Alors allons-nous abandonner notre mère la Sainte Église parce qu’il faudra souffrir la Passion avec elle ?
Non, au contraire ! À l’image de la Vierge Marie nous demeurons fidèles, à l’image de ces prêtres fidèles qui nous encouragent et qui sont un grand soutien pour nous – je tiens à le dire – parce que c’est vrai.
Nous rendons grâces au Bon Dieu qu’il n’y a pas que la Fraternité qui s’efforce d’être fidèle, mais qu’il y a une multitude de prêtres partout, de religieux, de religieuses, qui s’efforcent de rester fidèles à l’Église et fidèles à la foi de toujours et fidèles à la Sainte Messe.
Demandons à la Vierge Marie de nous donner cette grâce de la persévérance finale et de la fidélité.
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.