Question de genre

L’homosexualité n’est pas en tant que telle une espèce dis­tincte de sexua­li­té, de même genre que l’hétérosexualité. Elle est bien plu­tôt une espèce du péché de luxure. Dieu hait certes le péché, mais non la per­sonne qui s’y adonne. L’Église catho­lique, d’ailleurs, n’a jamais exclu les per­sonnes homo­sexuelles de sa pré­di­ca­tion, et s’est tou­jours effor­cée au contraire de leur faire connaître inté­gra­le­ment le saint Évangile, comme à tous, sans exer­cer sur ce point aucune discrimination.

Dans l’esprit de beau­coup, l’homosexualité est défi­nie comme une espèce du genre sexua­li­té : celle où les deux inter­ve­nants sont de même sexe. Par dis­tinc­tion d’avec une autre espèce du même genre, où les deux pro­ta­go­nistes sont de sexes dif­fé­rents. La démarche logique se jus­ti­fie ici, si l’on admet au préa­lable l’existence d’une notion com­mune anté­rieure, que dépar­ta­ge­raient les deux espèces, au moyen de leurs dif­fé­rences. Car pré­ci­sé­ment, comme en toute bonne logique, l’espèce se défi­nit par son genre et sa dif­fé­rence spé­ci­fique. Si l’on parle des espèces (l’homosexualité ; l’hétérosexualité), cela signi­fie que l’on a déjà défi­ni, ou du moins recon­nu implicite-​ment comme tel, leur genre com­mun, la sexua­li­té. Et plus pré­ci­sé­ment, si l’on admet que les deux espèces relèvent du même genre, on admet impli­ci­te­ment que la défi­ni­tion cor­res­pon­dante de la sexua­li­té com­porte un élé­ment com­mun, qui doit se retrou­ver à la fois dans l’hétérosexualité et l’homosexualité et qui ser­vi­rait de fon­de­ment réel à la com­mu­nau­té logique de genre.

2. Quel serait cet élé­ment com­mun, dans l’hypothèse admise d’un genre com­mun ? Quelle serait, autre­ment dit, la com­mu­nau­té réelle reliant l’une à l’autre l’homosexualité à l’hétérosexualité et qui ser­vi­rait de fon­de­ment à la com­mu­nau­té logique et en auto­ri­se­rait l’expression ? En d’autres termes, qu’est-ce que la « sexualité » ?

3. La « sexua­li­té » est un mot abs­trait qui désigne en réa­li­té non pas une chose ou une sub­stance, mais une acti­vi­té : l’activité propre aux organes sexuels. Tout dépend alors de la défi­ni­tion (et donc de la fonc­tion) que l’on donne à ces organes. Et c’est jus­te­ment ici que les dif­fi­cul­tés commencent. 

4. La fonc­tion d’un organe nous est indi­quée par l’usage que la nature en fait le plus sou­vent et pour atteindre le meilleur résul­tat. A la suite d’Aristote, saint Thomas le montre dans cette par­tie de la phi­lo­so­phie qui est consa­crée à l’étude des êtres natu­rels et qui s’intitule la « Physique »[1]. Or, pré­ci­sé­ment, ce que l’on observe dans la quasi-​totalité des cas, chez les êtres vivants pour­vus d’organes sexuels, c’est que ces êtres usent de ces organes pour trans­mettre la vie, pour se repro­duire en engen­drant un être de même espèce. Cet usage est d’ailleurs consa­cré par le nom don­né à ces organes, qui sont dési­gnés comme des organes « géni­taux », pour indi­quer qu’ils ont pour rai­son d’être d’engendrer, c’est à dire de trans­mettre la vie. Et l’usage que la nature fait de ces organes nous montre aus­si que chez l’homme et les autres ani­maux, cette trans­mis­sion de la vie s’accomplit moyen­nant la coopé­ra­tion ou l’action com­mune de deux indi­vi­dus de même espèce mais de sexes dif­fé­rents : un mâle et une femelle, un homme et une femme. Cela ne se dé-​montre pas, car cela est mani­fes­té par la nature, telle qu’elle est. 

5. Tout autre serait un usage qui aurait pour résul­tat (ou plu­tôt pour non-​résultat) de rendre impos­sible ou de contre­car­rer la trans­mis­sion de la vie. Par exemple : 

  • a) l’usage soli­taire des organes géni­taux (comme cela se pro­duit dans ce que l’on appelle l’onanisme ou la masturbation) ; 
  • b) l’usage de ces mêmes organes où coopèrent des individus : 
    • b.a) de même genre ani­mal et de même espèce humaine mais de même sexe, comme cela se pro­duit avec l’homosexualité ;
    • b.b) de même genre ani­mal mais d’espèces dif­fé­rentes, comme cela se pro­duit avec ce que l’on désigne comme la bes­tia­li­té ou la zoophilie ; 
    • b.c) de genres dif­fé­rents, comme cela se pro­duit avec ce que l’on désigne comme le féti­chisme, un être humain exer­çant son acti­vi­té sexuelle au contact d’un être inani­mé, c’est à dire d’un objet. 

Dans la Somme théo­lo­gique[2], saint Thomas d’Aquin, doc­teur com­mun de l’Eglise, voit dans ces dif­fé­rentes espèces non point des variantes légi­time mais des formes pro­blé­ma­tiques de sexua­li­té. Il men­tionne en par­ti­cu­lier l’homosexualité, qui a lieu « lorsqu’on a des rap­ports sexuels avec une per­sonne qui n’est pas du sexe com­plé­men­taire, par exemple homme avec homme ou femme avec femme »[3]. Son avis est d’ailleurs en par­faite conti­nui­té avec ce qu’affirment tant l’Ecriture sainte que les Pères de l’Eglise.

6. Le ques­tion­ne­ment rebon­dit, si l’on songe qu’il existe tout de même, une cer­taine res­sem­blance, au moins appa­rente, non pas entre l’homosexualité et l’hétérosexualité mais entre l’usage natu­rel et cet autre usage des organes géni­taux, que saint Thomas refuse de consi­dé­rer comme alter­na­tif. L’on constate en effet dans les deux cas la recherche d’un même plai­sir dit « véné­rien ». Les mêmes causes pro­dui­sant les mêmes effets, un effet sem­blable pour­rait attes­ter la pré­sence d’une cause sem­blable. Si la sexua­li­té a pour effet l’obtention d’un plai­sir de genre unique, le plai­sir dit « sexuel », toute acti­vi­té qui le pro­cure devrait s’inscrire dans le même genre, et se dire « sexuelle » en réfé­rence à cet effet, qu’elle soit spé­ci­fi­que­ment hété­ro­sexuelle ou homosexuelle. 

7. D’une manière très géné­rale, une res­sem­blance est signi­fi­ca­tive dans la mesure où nous voyons jusqu’où elle s’étend. Il est donc néces­saire d’apercevoir non seule­ment l’éventuel point com­mun qui va ser­vir de base à la res­sem­blance, mais aus­si les points de dif­fé­rences, qui en fixent la limite. Car, si la res­sem­blance est trop par­tielle, elle est insuf­fi­sante pour auto­ri­ser une véri­table com­mu­nau­té de genre. C’est pour­quoi, si nous nous appuyons quand même des­sus pour rat­ta­cher au même genre les deux réa­li­tés qui se res­semblent, nous confon­dons dans le même genre ce qu’il aurait fal­lu dis­tin­guer dans des genres dif­fé­rents. Dans ce cas, il y a non plus l’appui d’une simi­li­tude suf­fi­sante, mais il y a au contraire le dan­ger d’une simi­li­tude insuf­fi­sante. La simi­li­tude insuf­fi­sante donne l’impression que les réa­li­tés sem­blables font par­tie du même genre, alors qu’elles relèvent de genres dif­fé­rents. L’eau miné­rale et l’eau de vie sont l’une et l’autre inco­lores, et si la deuxième a été par mégarde trans­va­sée dans une bou­teille dont l’étiquette ren­voie à la pre­mière, l’erreur sera à peu près inévi­table, sauf à véri­fier au préa­lable l’odeur… L’apparence visuelle est en ce cas trom­peuse et le risque est grand de se lais­ser trom­per, à cause de la fai­blesse de notre intel­li­gence, qui recherche spon­ta­né­ment à uni­fier tout ce qui se res­semble. Saint Thomas dit pour­tant, dans la Métaphysique : « Qui intel­li­git dis­tin­guit ». L’intelligence valide ne confond pas les choses. Elle ne mélange pas les genres. Le propre d’une bonne intel­li­gence, c’est de savoir dis­tin­guer. Et lorsque nous avons affaire à une véri­table res­sem­blance, enten­due dans le bon sens du mot, même si l’in­tel­li­gence voit une cer­taine part de simi­li­tude ou de cor­res­pon­dance entre deux choses, elle ne manque pas de dis­tin­guer ce qui doit l’être par ailleurs en fai­sant preuve de dis­cer­ne­ment. Tandis que si l’intelligence est obnu­bi­lée par la res­sem­blance, si elle ne prend plus en compte que le point com­mun, l’in­tel­li­gence va confondre, elle va mélan­ger les genres.

8. Pour mieux com­prendre cela, il peut être utile de se repor­ter aux pas­sages de ses écrits où saint Thomas exa­mine la ques­tion de la faus­se­té dans les choses : est-​ce que les choses peuvent être fausses, par exemple, dans le cas qui nous occupe, peut-​il y avoir une fausse sexua­li­té ? Et si oui, qu’est-ce qui fait la faus­se­té de ces choses, quelle est la cause de la faus­se­té d’une sexua­li­té ? Saint Thomas exa­mine cette ques­tion en trois endroits prin­ci­paux de ses œuvres, et selon un ordre crois­sant d’explicitation : dans la Métaphysique, dans la Somme théo­lo­gique, et dans les Questions dis­pu­tées De veri­tate.

9. Une chose est dite fausse dans la mesure où elle cause la faus­se­té dans l’intellect. « Il y a alors », dit saint Thomas, « un manque de cor­res­pon­dance entre la chose et l’intelligence, et cette inéga­li­té est d’une cer­taine façon cau­sée par la chose ». En effet, la chose sus­cite la connais­sance d’elle-même dans l’intelligence par l’intermédiaire de ce qui appa­raît à l’extérieur et qui pro­vient d’elle, car c’est là que notre connais­sance prend son point de départ, dans ce qui appa­raît aux sens. « C’est pour­quoi lorsqu’il appa­raît dans une chose des pro­prié­tés sen­sibles d’où on infère une nature qui ne leur cor­res­pond pas en réa­li­té, on dit que cette chose est fausse ; et c’est pour­quoi Aristote dit dans le livre V de la Métaphysique qu’on appelle fausses les choses qui sont telles de leur nature qu’elle peuvent pré­sen­ter l’apparence d’une qua­li­té qu’elle ne pos­sèdent pas ou l’apparence d’une nature qui n’est pas la leur, comme par exemple on parle d’un or faux lorsque appa­raît dans l’extérieur d’une chose la cou­leur de l’or et d’autres acci­dents de ce genre, alors que pour­tant à l’intime de la chose il n’y a pas la nature de l’or pour cor­res­pondre à ces acci­dents ». En somme, nous sai­sis­sons faci­le­ment par les sens les pro­prié­tés exté­rieures d’une chose don­née et ensuite, notre intel­li­gence, séduite d’une cer­taine façon par ces pro­prié­tés exté­rieures, va poser sous elles et à leur racine une nature qui, de fait, n’est pas dans cette chose le prin­cipe et la cause de ces pro­prié­tés. Pourquoi le fait-​elle, cepen­dant ? Parce qu’elle a déjà obser­vé que, dans une autre chose, cette nature était la cause de ces pro­prié­tés. Par exemple, lorsqu’on voit la cou­leur rouge dans une chose, on va dire que cette chose est du jus de cerise alors qu’en réa­li­té c’est du vin. On a déjà vu du jus de cerise et on a consta­té que sa cou­leur était le rouge. Puisque dans ce cas pré­cis la cou­leur rouge est cau­sée par la nature de la cerise, on en conclut que dans un autre cas il en ira de même. On com­prend que, quand des pro­prié­tés appa­raissent com­munes à deux natures, l’intelligence peut très faci­le­ment pas­ser d’une nature à l’autre. La confu­sion des natures a pour occa­sion la res­sem­blance par­tielle et insuf­fi­sante au niveau de la cou­leur. Au niveau des appa­rences exté­rieures, on est allé trop vite et trop loin, car on a remar­qué seule­ment la res­sem­blance et on n’a pas vu la dif­fé­rence. On a man­qué de discernement. 

10. L’obtention du plai­sir véné­rien serait-​elle une res­sem­blance suf­fi­sante pour pou­voir conclure à une réelle com­mu­nau­té de genre ? Les appa­rences exté­rieures pour­raient certes conduire dans un pre­mier temps l’intelligence à éta­blir l’hétérosexualité et l’homosexualité dans le même genre de la sexua­li­té et tout se pas­se­rait pour lors comme si, der­rière l’obtention de ce plai­sir, qui serait le même dans les deux cas, il y avait la même nature d’un même acte sexuel, une même sexua­li­té. Et tout se pas­se­rait encore comme si la sexua­li­té pou­vait se défi­nir en fonc­tion de ce plai­sir comme en fonc­tion de sa pro­prié­té ; et comme si, en rai­son de l’obtention de ce plai­sir, l’homosexualité pou­vait se défi­nir comme une espèce nor­male de sexua­li­té et donc comme si le plai­sir obte­nu par l’accomplissement d’un acte homo­sexuel était un plai­sir lié à l’accomplissement d’un acte sexuel de même genre que celui d’un acte hétéro-sexuel.

11. La res­sem­blance est loin d’être évi­dente, d’une évi­dence qui serait suf­fi­sante pour conclure. Et jus­te­ment, le doc­teur com­mun de l’Eglise se refuse à conclure. Il ne s’agit pas, selon lui, du même plai­sir dans les deux cas, il ne s’agit pas, pense-​t-​il, d’une même pro­prié­té com­mune, laquelle pour­rait légi­ti­mer la pré­sence d’une même nature, la nature de la sexua­li­té, et l’appartenance à un même genre com­mun, le genre de la sexua­li­té. Le plai­sir lié à l’accomplissement de l’acte homo­sexuel ne lui appa­raît pas comme un plai­sir sexuel pro­pre­ment dit, et il y voit seule­ment une appa­rence de plai­sir sexuel, appa­rence der­rière laquelle se cache à ses yeux ce qui n’est pas une véri­table sexua­li­té, du moins une sexua­li­té conforme à l’usage ordi­nai­re­ment sui­vi par la nature. En consé­quence, l’acte homo­sexuel est selon lui une sexua­li­té pro­blé­ma­tique, et non pas une sexua­li­té alter­na­tive. Car le plai­sir dit « véné­rien » ou sexuel est celui qui accom­pagne l’usage natu­rel des organes géni­taux, et cet usage est celui par lequel la nature ani­male (dont fait par­tie la nature humaine) s’efforce de trans­mettre la vie. Faute de cette trans­mis­sion, ren­due impos­sible dans son prin­cipe, en rai­son même d’un usage homo­sexuel des organes géni­taux, le plai­sir qui reste lié à cet usage se trouve pla­cé en dehors du genre com­mun à la sexua­li­té pro­pre­ment dite et ne sau­rait se dire « sexuel » que de manière équivoque.

12. Il y a en effet un lien intrin­sèque entre le plai­sir sexuel et la ten­dance natu­relle qui s’y porte chez l’être vivant, une ten­dance ins­crite dans la nature et qui porte par le fait même l’un vers l’autre les indi­vi­dus de sexes dif­fé­rents. Tout comme la ten­dance, le plai­sir à laquelle celle-​ci abou­tit est glo­bal et c’est pour­quoi chez l’homme il intègre non seule­ment une dimen­sion pro­pre­ment sexuelle, au sens où il s’agit du plai­sir phy­sique du sens du tou­cher, que res­sentent les organes géni­taux lors de l’acte de la géné­ra­tion, mais aus­si une dimen­sion pro­pre­ment affec­tive, au sens où il s’agit du plai­sir psy­cho­lo­gique qu’éprouvent ceux qui s’unissent pour accom­plir l’acte sexuel, et qui sont de sexes dif­fé­rents, un homme et une femme. Si la ten­dance est vaine, parce que l’acte est vain, dans la mesure exacte où il est pri­vé de son objet, l’aboutissement éven­tuel d’un plai­sir pure­ment phy­sique, qui reste pos­sible en rai­son de l’excitation des organes, sera pri­vé de l’aboutissement paral­lèle du plai­sir psy­cho­lo­gique et affec­tif, qui devrait nor­ma­le­ment lui cor­res­pondre. Et ce, en dépit de toutes les appa­rences et de toutes les auto jus­ti­fi­ca­tions ante ou post opé­ra­toires. C’est ici que, somme toute, l’acte homo­sexuel pour­rait appa­raître comme pro­blé­ma­tique. L’apparition puis le déve­lop­pe­ment, par la force de l’habitude, d’une ten­dance et d’un plai­sir psycho-​affectif à l’égard d’un autre indi­vi­du de même sexe repré­sente alors une deuxième dimen­sion de l’homosexualité, qui pose une nou­velle et redou­table inter­ro­ga­tion, à son niveau. Celle-​ci ne porte pas pré­ci­sé­ment sur ce qui pour­rait se défi­nir comme une ami­tié légi­time entre per­sonnes par ailleurs homo­sexuelles, ami­tié indé­pen­dante de toute sexua­li­té, c’est-à-dire de toute recherche d’un pur plai­sir phy­sique, ami­tié en fin de compte spé­ci­fi­que­ment dis­tincte de l’amitié pro­pre­ment conju­gale. La ques­tion sur­git à pro­pos de ce que saint Thomas d’Aquin consi­dère comme un usage inédit des organes géni­taux, c’est-à-dire à pro­pos de la dimen­sion stric­te­ment phy­sique de l’homosexualité et de tout ce qui en découle immédiatement.

13. Bien évi­dem­ment, le lec­teur aver­ti sau­ra faire ici la dis­tinc­tion entre l’usage dont nous par­lons et les per­sonnes qui y recourent. Toute la Tradition chré­tienne est là pour attes­ter que, confor­mé­ment à la parole de l’Evangile, Dieu hait certes le péché, mais non la per­sonne qui s’y adonne. Saint Thomas dit même que le chré­tien doit vou­loir du bien aux pécheurs, en par­ti­cu­lier le bien de la san­té de l’âme, le bien du salut éter­nel. Si l’on envi­sage, par consé­quent, l’homosexualité comme une alter­na­tive pro­blé­ma­tique, cela ne peut et ne doit pas conduire à sus­ci­ter d’une quel­conque manière la haine vis-​à-​vis des per­sonnes homo­sexuelles. L’Église catho­lique, d’ailleurs, n’a jamais exclu ces per­sonnes de sa pré­di­ca­tion, et s’est tou­jours effor­cée au contraire de leur faire connaître inté­gra­le­ment le saint Évangile, comme à tous, sans exer­cer sur ce point aucune discrimination.

14. Pour en res­ter au niveau de la pro­blé­ma­tique intro­duite dans le pré­sent article, la dis­tinc­tion qui éclaire ici notre sujet a lieu par rap­port de ce qui est dit « natu­rel » pour l’homme. Aux yeux du doc­teur com­mun, il y a une dis­tinc­tion à faire entre ce qui est natu­rel pour l’espèce humaine et ce qui l’est non pour l’espèce humaine mais pour un indi­vi­du don­né de cette espèce, en rai­son d’une cir­cons­tance liée à cet indi­vi­du (son vécu ou la forme par­ti­cu­lière prise chez lui par l’orientation de la concu­pis­cence) et non en rai­son de la nature humaine prise comme telle[4]. « Il arrive en effet », dit saint Thomas, « qu’en tel indi­vi­du un prin­cipe natu­rel de l’espèce se trouve déna­tu­ré ; et alors, ce qui est contre la nature de l’espèce devient acci­den­tel­le­ment natu­rel pour cet indi­vi­du. […] Ainsi donc il peut arri­ver que ce qui est contre la nature de l’homme, au point de vue de la rai­son, ou au point de vue de la conser­va­tion du corps, devienne conna­tu­rel pour tel homme par­ti­cu­lier, en rai­son de quelque cor­rup­tion de la nature qui est la sienne. Cette cor­rup­tion peut venir du corps, soit par mala­die – la fièvre fait trou­ver doux ce qui est amer, et inver­se­ment soit à cause d’une mau­vaise com­plexion du corps. […] Elle peut venir aus­si de l’âme, comme pour ceux qui, par cou­tume, trouvent du plai­sir […] à avoir des rap­ports sexuels avec un conjoint de même sexe, et autres choses sem­blables, qui ne sont pas selon la nature humaine ». Pour saint Thomas d’Aquin, le plai­sir lié à l’accomplissement d’un acte homo­sexuel pro­vient d’un état pro­blé­ma­tique de la nature, qui peut se rame­ner dans sa cause éloi­gnée à un aspect par­ti­cu­lier de cette orien­ta­tion elle-​même pro­blé­ma­tique de la concu­pis­cence, intro­duite par le péché ori­gi­nel. Aux yeux de l’Aquinate, ce plai­sir ne sau­rait faire réfé­rence à la nor­ma­li­té de la nature humaine, bien qu’il soit de fait deve­nu une seconde nature chez tel indi­vi­du, qui s’écarte de cette nor­ma­li­té, par suite de la faute de nos pre­miers parents. 

15. Si l’on s’en tient aux prin­cipes élu­ci­dés par le doc­teur com­mun de l’Eglise, l’homosexualité n’est donc pas en tant que telle une espèce dis­tincte de sexua­li­té, de même genre que l’hétérosexualité. Elle est bien plu­tôt une espèce du péché de luxure, lequel repré­sente en géné­ral un usage pro­blé­ma­tique des organes géni­taux, qui se situe comme tel tota­le­ment en dehors du genre de la sexua­li­té. En toute rigueur de tho­misme, l’homosexualité est à pro­pre­ment par­ler une sexua­li­té appa­rente et trompeuse.

Abbé Jean-​Michel Gleize

Source : Courrier de Rome n°637

Notes de bas de page
  1. Saint Thomas d’Aquin, Commentaire sur la Physique d’Aristote, livre II, leçon 13. Il le montre aus­si dans la ques­tion II de la Prima pars, à pro­pos de la cin­quième voie, car cette action de la nature en vue de sa fin est l’indice de l’existence d’une Intelligence supé­rieure à la nature et cause de celle-​ci.[]
  2. 2a2ae, ques­tion 154, spé­cia­le­ment aux articles 1 et 11.[]
  3. Ibidem, article 11, cor­pus.[]
  4. Somme théo­lo­gique, 1a2ae, ques­tion 31, article 7, cor­pus.[]

FSSPX

M. l’ab­bé Jean-​Michel Gleize est pro­fes­seur d’a­po­lo­gé­tique, d’ec­clé­sio­lo­gie et de dogme au Séminaire Saint-​Pie X d’Écône. Il est le prin­ci­pal contri­bu­teur du Courrier de Rome. Il a par­ti­ci­pé aux dis­cus­sions doc­tri­nales entre Rome et la FSSPX entre 2009 et 2011.