Lorsque nous avons lancé notre projet d’Université d’été sur le thème « Pour une renaissance de l’apologétique », certains ont fait une moue dédaigneuse.
A leurs yeux, la notion et le terme d’apologétique paraissaient ringards, poussiéreux, dépassés. Il ne fallait pas reprendre des notions vieillies datant du XIXe siècle, un concordisme de mauvais aloi, mais affronter la réalité actuelle, avec les armes d’aujourd’hui.
Ceux-là se trompent, à mon sens. Rien n’est plus contemporain, rien n’est plus nécessaire, rien n’est plus enthou- siasmant que l’apologétique : pourvu qu’on la comprenne dans sa réalité.
Notre dernier pèlerinage de Pentecôte avait pour thème « Missionnaires ! ». « La charité nous presse » : plus que jamais la Tradition catholique doit rayonner, attirer, convertir. L’évolution des esprits rend cette mission évangélatrice à la fois plus facile (au moins en un certain sens) et plus nécessaire.
Sans abandonner aucune des convictions de notre foi, sans prendre des risques spirituels inconsidérés et inutiles, il s’agit tout de même de savoir sortir de nos chapelles pour aller avec audace à la rencontre des âmes, afin de leur apporter la bonne nouvelle du salut par Notre Seigneur Jésus-Christ.
Or, la science de l’argumentation qui vise à la conversion s’appelle tout bonnement l’apologétique. Pour bien enseigner le catéchisme à un enfant baptisé, il paraît évident qu’il faut préalablement avoir étudié ce catéchisme. Eh bien ! pour travailler à la conversion des âmes qui sont loin de Dieu, loin du Christ, loin de l’Église, loin de la Tradition, il faut préalablement avoir étudié les arguments aptes à convertir, lesquels sont précisément l’objet de l’apologétique.
Et de même que MonsieurJourdain faisait de la prose sans le savoir, tout chrétien missionnaire qui a entrepris une fois dans sa vie de témoigner de sa foi, de la justifier et de la défendre contre les attaques, a fait de l’apologétique sans le savoir.
Pourquoi alors étudier l’apologétique, si on est capable de la mettre en ouvre sans le savoir ? Pour la même raison qu’aux petits Français, qui pourtant connaissent spontanément leur langue, on impose à l’école des cours de français : afin de la connaître plus méthodiquement et plus efficacement. Il faut étudier l’apologétique afin d’en apprendre toujours mieux les arguments, et ainsi se trouver plus efficace dans l’apostolat missionnaire.
Cependant, l’apologétique possède une caractéristique : elle est à la fois une science spéculative et un art pratique. Il ne suffit pas de connaître les arguments généraux qui démontrent la crédibilité de la foi chrétienne. Il faut aussi être capable de détecter les attentes de notre interlocuteur, de lui apprêter les arguments de façon qu’il les comprenne, de les lui exprimer dans le langage qui est le sien, et de lui rendre attirante cette foi catholique que nous lui faisons connaître.
C’est pour cela que, si l’apologétique elle- même est une science intemporelle, les livres d’apologétique pratique venus du Passé sont ordinairement datés et vieillis. Ils correspondaient à la mentalité, aux attentes, à la sensibilité de leur époque.
Il faut donc s’atteler, après avoir bien compris les règles éternelles de l’apologétique, à traduire dans le langage de nos contem- porains (et même, en s’adaptant aux divers publics) la défense et l’illustration de notre foi catholique, pour que l’âme soit touchée du désir de croire. Ensuite, ce sera l’ouvre de la grâce, qui ne dépend plus directement de l’apologétique, mais en partie de notre sainteté personnelle.
Abbé Régis de Cacqueray †, Supérieur du District de France
Source : Fideliter n° 174