L’Agneau pascal

Quand la figure fait place à la réalité.

Dans l’évangile du 4e dimanche de Carême, il est écrit : Or la Pâque, la fête des Juifs, était proche (Jn 6,4). Qu’est-ce que cette fête de Pâque qui exis­tait déjà au temps de Notre-​Seigneur ? C’était un sacri­fice mémo­rial des­ti­né à célé­brer la déli­vrance du peuple d’Israël rete­nu en Égypte. Ces rites étaient scru­pu­leu­se­ment accom­plis, chaque année, sans inter­rup­tion, depuis la pre­mière Pâque qui eut lieu envi­ron 1250 ans avant la nais­sance du Sauveur.

À cette époque, les Hébreux vivaient un véri­table escla­vage. Le pha­raon était extrê­me­ment dur avec ce peuple de 600.000 hommes qui pou­vait repré­sen­ter une menace pour son pays. Alors il lui impo­sait de très pénibles tra­vaux. Et pour évi­ter son accrois­se­ment, il don­na l’ordre de jeter les nouveau-​nés gar­çons des Hébreux dans le Nil. C’est alors que Dieu inter­vint. Il choi­sit un homme, Moïse, à qui II don­na une grande mis­sion : aller trou­ver le pha­raon, et l’intimer de lais­ser tout son peuple quit­ter le pays, afin d’aller ado­rer Dieu dans le désert. Le pha­raon refu­sa ; ce fut l’épisode fameux des dix plaies d’Égypte. Dieu envoya des châ­ti­ments pour punir le pha­raon, mais aus­si pour essayer de lui ouvrir les yeux. Le Nil en sang, l’invasion de gre­nouilles, le fléau des sau­te­relles, la grêle, les ténèbres : tout cela aurait dû convaincre le prince égyp­tien que le Dieu des Hébreux était le seul Dieu, le maître de l’univers. Mais le pha­raon s’entêta neuf fois de suite. Alors Dieu pré­vint que la dixième plaie serait décisive…

En une nuit, Il ferait périr tous les premiers-​nés d’Égypte, tant dans la mai­son du pha­raon que dans celle de la moindre ser­vante. Les premiers-​nés des ani­maux étaient aus­si concer­nés. Un ange exter­mi­na­teur devait exé­cu­ter cette mis­sion. Mais Dieu dit aux Hébreux ce qu’ils devaient faire pour être épar­gnés. Il fal­lait immo­ler un agneau par famille, sans tache (Ex 12, 5), et mar­quer du sang de cet agneau les portes d’entrée des mai­sons, sur les deux mon­tants et le lin­teau. Toutes les mai­sons mar­quées par ce sang seraient épar­gnées de cette dixième plaie. Quant à la chair de cet agneau, elle devrait être man­gée selon un rite bien pré­cis : Vous vous cein­drez les reins, dit Dieu à Moïse, vous aurez aux pieds des san­dales et un bâton à la main, et vous man­ge­rez à la hâte ; car c’est la Pâque (c’est-à-dire le pas­sage) du Seigneur (Ex 12, 11). Voilà le pre­mier sens du mot Pâque : pas­sage du Seigneur, pour châ­tier ou épar­gner, selon les cas.

Le peuple hébreu fit exac­te­ment ce que Dieu avait deman­dé. En une nuit, tous les premiers-​nés Égyptiens furent frap­pés de mort, si bien que cette même nuit, le pha­raon deman­da aux Hébreux de quit­ter l’Égypte sur le champ. C’est pour cela que, chaque année, en sou­ve­nir de cet évé­ne­ment, le peuple hébreu célé­brait la Pâque. Dieu avait d’ailleurs dit : Ce jour vous sera un mémo­rial, et vous le célé­bre­rez de race en race par un culte per­pé­tuel, comme une fête solen­nelle à la gloire du Seigneur (Ex 12, 14).

Notre-​Seigneur arrive donc au Cénacle, le Jeudi Saint, d’abord pour célé­brer cette Pâque. Il dit à ses apôtres : J’ai dési­ré d’un grand désir de man­ger cette Pâque avec vous, avant de souf­frir. Car je vous le dis, désor­mais je ne la man­ge­rai plus, jusqu’à ce qu’elle soit accom­plie dans le Royaume de Dieu (Lc 22, 15). Pourquoi ce grand désir ? Car c’est le moment choi­si par Dieu, de toute éter­ni­té, pour que la figure de l’Agneau pas­cal fasse place à la réa­li­té, c’est-à-dire à la Passion de Notre Seigneur, véri­table Agneau de Dieu (Jn 1, 29). Le sang mis sur les portes en Égypte, pro­té­geant de la dixième plaie, figu­rait le Sang de Notre Seigneur cou­lant sur la croix pour apai­ser la jus­tice divine, et se trou­vant désor­mais dans le calice à chaque messe. Notre Seigneur dit bien, le Jeudi Saint, en consa­crant le vin : Ceci est mon Sang, le sang de l’Alliance, répan­du pour beau­coup en rémis­sion des péchés (Mt 26, 28).

Les Hébreux devaient man­ger l’agneau pas­cal, pour avoir la force de mar­cher vers la Terre pro­mise. Cela figu­rait la chair du véri­table Agneau, qui est vrai­ment une nour­ri­ture (Jn 6, 55). Pâque, qui était le pas­sage de Dieu, devient le moment où Jésus passe de ce monde à son Père (Jn 13, 1). Il fal­lait célé­brer cette fête par un culte per­pé­tuel ; Notre Seigneur, en ins­ti­tuant l’Eucharistie, pré­ci­se­ra : Faites ceci en mémoire de moi (Lc 22, 19).

L’agneau pas­cal est donc une figure de Notre-​Seigneur, qui laisse place à la réa­li­té à par­tir du Jeudi Saint. Ça doit être aus­si… une réa­li­té pour nous. Que voulons-​nous dire par là ? Quand il était dit aux Hébreux de prendre un agneau, nous devons désor­mais prendre cet agneau, Notre Seigneur Jésus Christ, réel­le­ment pré­sent sous les appa­rences du pain et du vin. Tout prêtre dit bien, en pré­sen­tant l’hostie, avant de com­mu­nier : Ecce agnus Dei, voi­ci l’agneau de Dieu. Les Hébreux devaient faire la Pâque ; nous devons nous aus­si faire nos Pâques. C’est-à-dire com­mu­nier au moins une fois par an, au temps pas­cal. Il était dit aux Israélites : Vous man­ge­rez sa chair de nuit (Ex 12, 8). Cette nuit peut signi­fier que nous com­mu­nions dans l’obscurité de la foi, pour avoir les forces néces­saires en notre pèle­ri­nage ter­restre. Les Hébreux devaient man­ger un bâton à la main (Ex 12, 11) ; nous devons nous appuyer sur la croix de Notre-​Seigneur, en met­tant en elle toute notre confiance. Les Hébreux devaient encore mettre le sang de l’agneau sur le haut des portes (Ex 12, 7) ; le Sang de Notre Seigneur doit cou­ler sur nos âmes, par­tie supé­rieure de l’homme, par le sacre­ment de péni­tence. Un com­man­de­ment de l’Église nous oblige à nous confes­ser au moins une fois par an. Le Carême est un temps favo­rable pour nous rendre au tri­bu­nal de la misé­ri­corde. Et si cela nous coûte un peu de nous confes­ser, pen­sons que ce sacre­ment n’a pas été ins­ti­tué pour nous tor­tu­rer, mais pour nous rendre la paix ; Notre-​Seigneur est un Dieu de paix qui veut que les âmes soient en paix. Sachez encore que vous ne déran­ge­rez jamais un prêtre quand vous deman­dez à être enten­du en confession.

Pour bien pré­pa­rer sa confes­sion, et entre­te­nir la contri­tion, on peut lire deux sta­tions de che­min de croix chaque jour. On com­pren­dra mieux le mal que pro­duit le péché, mais aus­si l’amour du divin Agneau qui a vou­lu tant souf­frir pour nous sau­ver, pour que son Sang détourne tout châ­ti­ment divin.

« Pâque » signi­fiait « pas­sage du Seigneur » ; désor­mais, Notre Seigneur veut nous faire pas­ser de la vie mor­telle à la vie éter­nelle : Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éter­nelle et je le res­sus­ci­te­rai le der­nier jour (Jn 6, 54).

Source : Lou Pescadou n° 220