Saint Pie X : une vie centrée sur l’Eucharistie

Extrait du Discours du pape Pie XII lors de la cano­ni­sa­tion de saint Pie X

La sain­te­té, qui se révèle comme ins­pi­ra­trice et comme guide des entre­prises de Pie X que Nous venons de rap­pe­ler, brille encore plus immé­dia­te­ment dans ses actions quo­ti­diennes. C’est en lui-​même d’abord qu’il réa­li­sa, avant de le réa­li­ser dans les autres, le pro­gramme qu’il s’était fixé : tout ras­sem­bler, tout rame­ner à l’unité dans le Christ. Comme humble curé, comme évêque, comme Souverain Pontife, il fut tou­jours per­sua­dé que la sain­te­té à laquelle Dieu le des­ti­nait était la sain­te­té sacer­do­tale. Quelle sain­te­té peut en effet plaire davan­tage à Dieu de la part d’un prêtre de la Loi nou­velle, sinon celle qui convient à un repré­sen­tant du Prêtre Suprême et Eternel, Jésus-​Christ, Lui qui lais­sa à l’Eglise le sou­ve­nir conti­nuel, le renou­vel­le­ment per­pé­tuel du sacri­fice de la Croix dans la Sainte Messe, jusqu’à ce qu’Il vienne pour le juge­ment final[1] ; Lui qui par le sacre­ment de l’Eucharistie se don­na Lui-​même en nour­ri­ture aux âmes : « Qui mange de ce pain vivra éter­nel­le­ment »[2] ?

Prêtre avant tout dans le minis­tère eucha­ris­tique, voi­là le por­trait le plus fidèle de saint Pie X. 

Prêtre avant tout dans le minis­tère eucha­ris­tique, voi­là le por­trait le plus fidèle de saint Pie X. Servir comme prêtre le mys­tère de l’Eucharistie et accom­plir le com­man­de­ment du Seigneur : « Faites ceci en mémoire de moi »[3], ce fut sa vie. Du jour de son ordi­na­tion, jusqu’à sa mort comme Pontife, il ne connut pas d’autre sen­tier pos­sible pour arri­ver à l’amour héroïque de Dieu et pour payer géné­reu­se­ment de retour le Rédempteur du monde qui par le moyen de l’Eucharistie « a épan­ché en quelque sorte les richesses de son amour divin pour les hommes »[4]. Une des preuves les plus signi­fi­ca­tives de sa conscience sacer­do­tale fut l’ardeur avec laquelle il s’efforça de renou­ve­ler la digni­té du culte et spé­cia­le­ment de vaincre les pré­ju­gés d’une pra­tique erro­née, en pro­mou­vant réso­lu­ment la fré­quen­ta­tion même quo­ti­dienne de la table du Seigneur par les fidèles, et en y condui­sant sans hési­ter les enfants, qu’il sou­le­va en quelque sorte dans ses bras pour les offrir aux embras­se­ments du Dieu caché sur les autels ; par-​là l’Epouse du Christ vit s’épanouir un nou­veau prin­temps de vie eucharistique.

Grâce à la vision pro­fonde qu’il avait de l’Eglise comme socié­té, Pie X recon­nut dans l’Eucharistie le pou­voir d’alimenter sub­stan­tiel­le­ment sa vie intime et de l’élever bien haut au-​dessus de toutes les autres asso­cia­tions humaines. L’Eucharistie seule, en qui Dieu se donne à l’homme, peut fon­der une vie de socié­té digne de ses membres, cimen­tée par l’amour avant de l’être par l’autorité, riche en œuvres et ten­dant au per­fec­tion­ne­ment des indi­vi­dus, c’est-à-dire « une vie cachée en Dieu avec le Christ ».

Exemple pro­vi­den­tiel pour le monde moderne dans lequel la socié­té ter­restre deve­nue tou­jours plus une sorte d’énigme à elle-​même cherche avec anxié­té une solu­tion pour se redon­ner une âme ! Qu’il regarde donc comme un modèle l’Eglise réunie autour de ses autels. Là, dans le mys­tère eucha­ris­tique, l’homme découvre et recon­naît réel­le­ment son pas­sé, son pré­sent et son ave­nir comme une uni­té dans le Christ[5]. Conscient et fort de cette soli­da­ri­té avec le Christ et avec ses propres frères, chaque membre de l’une et de l’autre socié­té, celle de la terre et celle du monde sur­na­tu­rel, sera en état de pui­ser à l’autel la vie inté­rieure de digni­té per­son­nelle et de valeur per­son­nelle, qui est actuel­le­ment sur le point d’être sub­mer­gée par le carac­tère tech­nique et l’organisation exces­sive de toute l’existence, du tra­vail et même des loi­sirs. Dans l’Eglise seule, semble répé­ter le Saint Pontife, et par elle dans l’Eucharistie, qui est « une vie cachée avec le Christ en Dieu », se trouvent le secret et la source de réno­va­tion de la vie sociale.

De là vient la grave res­pon­sa­bi­li­té de ceux à qui il incombe en tant que ministres de l’autel, d’ouvrir aux âmes la source sal­vi­fique de l’Eucharistie. En véri­té, l’action que peut déployer un prêtre pour le salut du monde moderne revêt de mul­tiples formes, mais l’une d’elles est sans aucun doute la plus digne, la plus effi­cace et la plus durable dans ses effets : se faire dis­pen­sa­teur de l’Eucharistie après s’en être soi-​même abon­dam­ment nour­ri. Son œuvre ne serait plus sacer­do­tale si, fût-​ce même par zèle des âmes, il fai­sait pas­ser au second rang sa voca­tion eucha­ris­tique. Que les prêtres conforment leurs pen­sées à la sagesse ins­pi­rée de Pie X et orientent avec confiance dans la lumière de l’Eucharistie toute leur acti­vi­té per­son­nelle et apos­to­lique. De même, que les reli­gieux et les reli­gieuses, qui vivent avec Jésus sous le même toit et se nour­rissent chaque jour de sa chair, consi­dèrent comme une règle sûre ce que le saint Pontife déclare dans une cir­cons­tance impor­tante, à savoir que les liens qui les unissent à Dieu par le moyen des vœux et de la vie com­mu­nau­taire ne doivent être sacri­fiés à aucun ser­vice du pro­chain, si légi­time soit-​il[6].

L’âme doit plon­ger ses racines dans l’Eucharistie pour en tirer la sève sur­na­tu­relle de la vie inté­rieure, qui n’est pas seule­ment un bien fon­da­men­tal des cœurs consa­crés au Seigneur, mais aus­si une néces­si­té pour tout chré­tien, car Dieu l’appelle à faire son salut. Sans la vie inté­rieure, toute acti­vi­té, si pré­cieuse soit-​elle, se déva­lue en action presque méca­nique, et ne peut avoir l’efficacité propre d’une opé­ra­tion vitale.

Eucharistie et vie inté­rieure : voi­ci la pré­di­ca­tion suprême et la plus géné­rale que Pie X adresse en cette heure, du som­met de la gloire, à toutes les âmes. En tant qu’apôtre de la vie inté­rieure il se situe, à l’âge de la machine, de la tech­nique, de l’organisation, comme le saint et le guide des hommes d’aujourd’hui.

Notes de bas de page
  1. I Cor., XI, 24–26.[]
  2. Jean, VI, 58.[]
  3. Luc, XXII, 19.[]
  4. Conc. Trid. Sess. XIII, cap. 2.[]
  5. Conc. Trid. l. c.[]
  6. Lettre au T. H. F. Gabriel-​Marie, Supérieur Général des Frères des Ecoles Chrétiennes, 23 avril 1905. — Pii X, P. M., Act., vol. II, pp. 87–88.[]

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958