Administrer les sacrements aux malades

Le Bon Samaritain par Eugène Burnand, vers 1905, fusain. © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

Guérir si pos­sible, soi­gner toujours.

Le 14 juillet 2020, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi publiait la Lettre Samaritanus bonus consa­crée au soin des per­sonnes en phases cri­tiques et ter­mi­nales de la vie. Ce docu­ment s’inscrit dans le droit fil de la Déclaration Jura et bona du 5 mai 1980 qui met­tait en lumière la dif­fé­rence morale entre les moyens pro­por­tion­nés et les moyens dis­pro­por­tion­nés pour se main­te­nir en vie.

Ce point étant désor­mais acquis, la récente Lettre intro­duit une nou­velle dis­tinc­tion —gué­rir vs soi­gner— pour gui­der tous ceux qui s’occupent des malades en phases cri­tiques et ter­mi­nales de la vie.

Guérir si possible, soigner toujours

Dès le début, la Lettre pose un prin­cipe fondamental :

« Le soin de la vie est la pre­mière res­pon­sa­bi­li­té que le méde­cin expé­ri­mente lors de la ren­contre avec le patient. Il n’est pas réduc­tible à la capa­ci­té de gué­rir la per­sonne malade, car son hori­zon anthro­po­lo­gique et moral est plus large : même lorsque la gué­ri­son est impos­sible ou impro­bable, l’accompagnement en soins infir­miers (soins des fonc­tions phy­sio­lo­giques essen­tielles du corps), psy­cho­lo­giques et spi­ri­tuels est un devoir incon­tour­nable, car le contraire consti­tue­rait un aban­don inhu­main du malade. […]

« Reconnaître l’impossibilité de gué­rir dans la pers­pec­tive de la mort pro­chaine ne signi­fie cepen­dant pas la fin de l’action médi­cale et infir­mière. Exercer une res­pon­sa­bi­li­té envers le malade, c’est veiller à ce qu’il soit soi­gné jusqu’au bout : “Guérir si pos­sible, tou­jours prendre soin (to cure if pos­sible, always to care) ”. Cette volon­té de tou­jours soi­gner la per­sonne malade offre le cri­tère per­met­tant d’évaluer les dif­fé­rentes actions à entre­prendre dans la situa­tion de mala­die “incu­rable” : incu­rable, en effet, n’est jamais syno­nyme de “non soi­gnable”[1]. »

La Lettre note que la notion de soin doit s’entendre de manière ample de manière à pro­cu­rer au malade l’aide phy­sique, psy­cho­lo­gique, sociale, fami­liale et reli­gieuse nécessaire :

« Le regard contem­pla­tif appelle à un élar­gis­se­ment de la notion de soin. L’objectif des trai­te­ments doit viser l’intégrité de la per­sonne, en garan­tis­sant avec les moyens appro­priés et néces­saires un sou­tien phy­sique, psy­cho­lo­gique, social, fami­lial et reli­gieux. La foi vivante main­te­nue dans les âmes de ceux qui l’entourent peut contri­buer à la véri­table vie théo­lo­gale de la per­sonne malade, même si cela n’est pas immé­dia­te­ment visible. Le soin pas­to­ral qui incombe à tous, membres de la famille, méde­cins, infir­miers et aumô­niers, peut aider le malade à per­sé­vé­rer dans la grâce sanc­ti­fiante et à mou­rir dans la cha­ri­té, dans l’Amour de Dieu[2]. »

La dimension spirituelle du soin

Le sou­tien spi­ri­tuel que l’Église assure aux malades découle de la triple mis­sion qu’elle a reçue du Christ le jour de l’Ascension (Mt 28, 19–20) :

« L’assistance pas­to­rale des malades revêt tout son sens dans la caté­chèse, dans la litur­gie et dans l’exercice de la cha­ri­té. Il s’agit, respectivement,

  • d’évangéliser la mala­die, en aidant le malade à décou­vrir le sens rédemp­teur de la souf­france vécue en com­mu­nion avec le Christ [= mis­sion d’enseigner] ;
  • de célé­brer les sacre­ments comme signes effi­caces de la grâce recréa­trice et vivi­fiante de Dieu [= mis­sion de sanctifier] ;
  • de témoi­gner par la “dia­ko­nia” (le ser­vice) et la “koï­no­nia” (la com­mu­nion), la force thé­ra­peu­tique de la cha­ri­té [= mis­sion de gou­ver­ner][3]. »
Le Bon Samaritain par Eugène Burnaud, Musée d’Orsay.

Aux malades en phases cri­tiques et ter­mi­nales de la vie, l’Église offre les secours de trois sacrements :

« Le moment sacra­men­tel est tou­jours le point culmi­nant de tout l’effort pas­to­ral de soin qui pré­cède et la source de tout ce qui suit.

« L’Église appelle sacre­ments “de gué­ri­son” la Pénitence et l’Onction des malades, qui culminent dans l’Eucharistie comme “via­tique” pour la vie éter­nelle. Par la proxi­mi­té de l’Église, le malade vit la proxi­mi­té du Christ qui l’accompagne sur le che­min de la mai­son du Père (cf. Jn 14, 6) et l’aide à ne pas tom­ber dans le déses­poir, le sou­te­nant dans l’espérance, sur­tout quand le che­min devient plus dif­fi­cile[4]. »

L’intention de recevoir les sacrements

L’administration des sacre­ments aux malades en phases cri­tiques et ter­mi­nales ne pose pas de dif­fi­cul­té par­ti­cu­lière dès lors qu’ils sont conscients et lucides. Ils peuvent alors mani­fes­ter leur inten­tion de rece­voir (ou pas) et, le cas échéant, s’y dis­po­ser avec l’aide du prêtre.

Les choses se com­pliquent lorsque le patient est pri­vé de l’usage de la rai­son[5] et/​ou de l’usage des sens[6]. Dans un cas comme dans l’autre, la per­sonne n’est pas en mesure d’exprimer pré­sen­te­ment son inten­tion de rece­voir les sacre­ments (ou pas) et, le cas échéant, de s’y disposer.

De fait, l’intention requise pour deman­der et rece­voir les sacre­ments peut revê­tir plu­sieurs formes[7]. Primo, l’intention actuelle qui est pré­sen­te­ment consciente et agis­sante. Secundo, l’intention vir­tuelle qui est pré­sen­te­ment agis­sante encore qu’inconsciente. Tertio, l’intention habi­tuelle qui, jadis exté­rio­ri­sée et jamais rétrac­tée, n’est pré­sen­te­ment ni consciente ni agissante.

Une per­sonne pri­vée de l’usage de la rai­son et/​ou des sens n’est pas en mesure de mani­fes­ter son inten­tion actuelle ou vir­tuelle de rece­voir les sacre­ments. Par contre, sa volon­té anté­rieure et non rétrac­tée, c’est-à-dire son inten­tion habi­tuelle, suf­fit pour faire connaître sa volon­té de rece­voir les sacre­ments. Autrement dit, un fidèle bap­ti­sé est cen­sé vou­loir tout ce qui est utile à son salut (en par­ti­cu­lier les sacre­ments) à moins d’avoir mani­fes­té par le pas­sé une inten­tion contraire.

Les dispositions pour recevoir les sacrements

Si les sacre­ments ne peuvent être admi­nis­trés qu’à ceux qui y consentent, ils doivent éga­le­ment être reçus avec cer­taines dis­po­si­tions pour être fruc­tueux[8]. Voyons ce qu’il en est des sacre­ments de Pénitence (1), d’Extrême-Onction (2) et d’Eucharistie (3).

1. Les péchés accu­sés, regret­tés et répa­rés consti­tuent la matière du sacre­ment de Pénitence[9]. Les actes du péni­tent —accu­sa­tion, contri­tion et satis­fac­tion— sont donc néces­saires à la récep­tion valide et fruc­tueuse de l’absolution sacra­men­telle. Chez un malade conscient et lucide, le prêtre peut s’assurer que ces actes sont posés par le péni­tent et, le cas échéant, l’aider à les poser. Quand le malade est incons­cient ou a per­du sa luci­di­té, il n’est plus pos­sible de s’assurer de ses bonnes dis­po­si­tions actuelles : le prêtre donne alors l’absolution sous condi­tion[10].

2. L’Extrême-Onction est des­ti­née aux fidèles dont l’état de san­té est gra­ve­ment com­pro­mis par la vieillesse ou par la mala­die : elle leur pro­cure des secours pour le corps et pour l’âme en cette phase déli­cate de la vie. L’intention habi­tuelle de rece­voir ce sacre­ment est certes suf­fi­sante à sa récep­tion valide, mais l’état de grâce est néces­saire à sa récep­tion fruc­tueuse. Dès qu’il y a un doute fon­dé quant à l’intention ou à l’état de grâce du malade et que l’état du malade ne per­met pas de dis­si­per ce doute, le sacre­ment doit être admi­nis­tré sous condi­tion[11].

3. La récep­tion fruc­tueuse du sacre­ment de l’Eucharistie requiert chez le malade trois dis­po­si­tions fon­da­men­tales : l’intention de rece­voir le sacre­ment, l’état de grâce et la révé­rence due au Christ pré­sent réel­le­ment et sacra­men­tel­le­ment. Chez un malade conscient et lucide, le prêtre peut s’assurer que celui qui veut com­mu­nier est bien dis­po­sé et, le cas échéant, l’aider à se dis­po­ser, qu’il s’agisse d’une com­mu­nion de dévo­tion ou de la récep­tion du Viatique[12]. Quand le malade a per­du sa luci­di­té, seule la com­mu­nion sous forme de Viatique est envi­sa­geable dès lors qu’on peut pré­su­mer légi­ti­me­ment de son inten­tion habi­tuelle, de son état de grâce et de l’absence de péril d’irrévérence[13].

Source : Cahiers Saint Raphaël n° 143, juillet 2021.

Notes de bas de page
  1. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Lettre Samaritanus bonus, 14 juillet 2020, n° I.[]
  2. Ibid.[]
  3. Conseil pon­ti­fi­cal pour la pas­to­rale des per­son­nels de san­té, Charte des per­son­nels de san­té, 1995, n° 110.[]
  4. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Lettre Samaritanus bonus, 14 juillet 2020, n° V‑10.[]
  5. Par exemple, folie, démence, mala­die d’Alzheimer, etc.[]
  6. Par exemple, incons­cience, état de coma, syn­drome d’enfermement, etc.[]
  7. Cf. Jean-​Benoît Vittrant sj, Théologie morale catho­lique, Beauchesnes, Paris, 1941, p. 343, n° 659.[]
  8. Dans le rituel de bap­tême, juste avant l’ablution d’eau, le prêtre s’assure de la foi du bap­ti­sé (condi­tion néces­saire à la récep­tion fruc­tueuse du bap­tême) puis de son inten­tion de rece­voir le sacre­ment (condi­tion néces­saire à sa récep­tion valide).[]
  9. Concile de Trente, Décret sur le sacre­ment de Pénitence, 25 novembre 1551, c. 3.[]
  10. Cf. Albert Chanson, Pour mieux confes­ser, Brunet, Arras, 1958, n° 499, p. 226–227.[]
  11. Cf. Albert Chanson, Pour mieux admi­nis­trer, Brunet, Arras, 1961, p. 371–373, n° 843–845 et p. 374–375, n° 848–850[]
  12. Ibid., p. 298–299, n° 671–672 ; Saint Thomas d’Aquin, Somme théo­lo­gique, III, q. 80, a. 9, c.[]
  13. Ibid., p. 298–299, n° 671–672 ; Saint Thomas d’Aquin, Somme théo­lo­gique, III, q. 80, a. 9, c.[]

Cahiers Saint Raphaël

Association catholique des infirmières, médecins et professionnels de santé