Pourquoi mourir ?

Bien sou­vent, les gens qui se trouvent près de mou­rir rap­portent avoir vu toute leur vie se remé­mo­rer en un ins­tant et comme pas­ser devant leurs yeux.

La ques­tion est, pour le moins exis­ten­tielle, et conduit à deux types de réponses. Pourquoi, à cause de quoi, d’où vient-​il que nous devions mou­rir ? Pour quoi, dans quel but, devons-​nous mou­rir ? Personne ne peut igno­rer cette ques­tion car s’il est bien une cer­ti­tude entre toutes, c’est que nous devions mou­rir un jour.

A l’heure où cer­tains croient pou­voir créer une « huma­ni­té aug­men­tée » pour évi­ter l’inéluctable, à grand ren­fort de trans­hu­ma­nisme, fixons réso­lu­ment notre regard sur ce que beau­coup ne veulent pas voir en face : la mort, qui vien­dra comme un voleur, nous dit l’Évangile.

Comment se fait-​il que notre exis­tence passe par la mort ? La pre­mière réponse à faire à nos contem­po­rains ne leur appren­dra rien, on parle assez d’espérance de vie pour le com­prendre. Notre corps, ensemble com­po­sé, a une durée de vie limi­tée, ce qui nous est com­mun avec tous les êtres vivants cor­po­rels. Le vieillis­se­ment est à la fois quelque chose de pro­gram­mé en nous et est éga­le­ment tri­bu­taire des condi­tions dans les­quelles cha­cun aura mené son exis­tence ici-​bas. S’ajoutent aus­si les causes exté­rieures et vio­lentes qui peuvent alté­rer subi­te­ment ou pro­gres­si­ve­ment nos capa­ci­tés vitales. Mais cette mort s’accompagne d’une sur­vi­vance, celle de notre âme. Partie spi­ri­tuelle de notre être, notre âme n’est pas dis­soute par la mort. D’une nature plus sem­blable à celles des anges et de Dieu, notre âme demeure indé­fi­ni­ment depuis sa créa­tion par Dieu, elle est immor­telle. Notre rai­son et la Révélation nous attestent cette immor­ta­li­té de l’âme. Notre répu­gnance face à la mort en découle jus­te­ment (elle a don­né les fausses croyances dans la réin­car­na­tion par exemple) et le besoin inné de l’immortalité est aus­si l’expression de cette réa­li­té que nous per­ce­vons tous au moins confu­sé­ment et à laquelle nous aspi­rons. La vie éter­nelle qui s’ouvrira par notre mort est l’assurance don­née par le Sauveur [1] de cette per­ma­nence de la vie de l’âme au-​delà de notre mort terrestre.

Cependant, ori­gi­nel­le­ment, Dieu n’avait pas éta­bli que l’homme dût mou­rir. En le créant, il l’avait pour­vu d’un don par­ti­cu­lier visant à lui évi­ter cette fin appe­lée par sa nature com­po­sée ; il devait pas­ser de sa vie dans le para­dis ter­restre à la vie éter­nelle sans la sépa­ra­tion de son âme et de son corps, c’est-à-dire sans mou­rir. S’adressant à Adam et Eve, Dieu avait cepen­dant annon­cé qu’un acte de leur part pour­rait conduire à la mort : la déso­béis­sance à un pré­cepte concer­nant le fruit de l’arbre de la science du bien et du mal. Le péché ori­gi­nel a été la cause de notre mor­ta­li­té, comme le rap­pelle saint Paul : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme, et la mort par le péché.[2]» L’apôtre ajoute un peu plus loin que la mort est « le salaire du péché.[3]» C’est bien ce que Dieu avait annon­cé à nos pre­miers parents et ce qui s’est réalisé.

Une petite his­toire vraie va intro­duire la réponse à la seconde ques­tion : A quoi conduit la mort ? Un jeune chré­tien du Tonkin fut un jour traî­né devant le juge qui vou­lait le faire renon­cer à la foi catho­lique. — Piétine la Croix, ordonne le juge, et je te don­ne­rai une barre d’argent (32 francs de l’époque). — Excellence, cela ne suf­fit pas, c’est trop peu. — Eh bien, je te don­ne­rai une barre d’or (1 200 francs). — Ça ne suf­fit pas encore ! — Mais com­bien veux-​tu ? — Excellence, si vous vou­lez que je pié­tine la Croix, donnez-​moi ce qui suf­fit pour ache­ter une autre âme… On peut s’imaginer aisé­ment que cela le condui­sit ensuite au sup­plice. Notre âme a donc de la valeur, la valeur des actes posés au cours de l’existence. Un constat natu­rel de la valeur de notre vie peut se tirer aisé­ment de ce que, bien sou­vent, les gens qui se trouvent près de mou­rir rap­portent avoir vu toute leur vie se remé­mo­rer en un ins­tant et comme pas­ser devant leurs yeux. Cela vient témoi­gner de la rai­son de notre exis­tence et du juge­ment qui en est fait lorsque l’on quitte cette vie.

L’instant de notre mort s’accompagne, en effet, d’un juge­ment, non pas celui des hommes qui, demeu­rés ici-​bas, portent un regard sur le défunt de manière rétros­pec­tive, résu­mé ensuite en éloge funèbre, mais l’acte d’un Juge bien plus par­fait, qui n’oubliera rien et ne se trom­pe­ra en aucune manière ; chaque homme est jugé par Dieu. Chaque vie reçoit alors sa juste rétri­bu­tion : « à ceux qui, par la per­sé­vé­rance dans les bonnes œuvres, cherchent la gloire, l’honneur et l’immortalité, la vie éter­nelle ; mais à ceux qui ont l’esprit de conten­tion, qui ne se rendent pas à la véri­té, mais qui acquiescent à l’iniquité, ce sera la colère et l’indignation.[4]»

Si notre mort conduit à une suite éter­nelle consé­quente à la vie que nous aurons menée ici-​bas, c’est parce que cette pre­mière vie trouve sa fin, c’est-à-dire son but dans celle qui suit la mort. Notre vie ter­restre est le moyen qui nous est don­né pour obte­nir méri­toi­re­ment le bon­heur. Un bon­heur immense a été pré­pa­ré par Dieu à ses créa­tures, celui de par­ti­ci­per à sa propre Vie dans le Ciel pour l’éternité. Créature spi­ri­tuelle et donc libre, l’homme peut cepen­dant perdre ce bon­heur et sub­sti­tuer à Dieu, pour son grand mal­heur, lui-​même, le monde ou le démon ; il court alors à sa perte et se des­tine à une mort éter­nelle dans l’enfer des damnés.

Cette pers­pec­tive doit pro­duire une nou­velle ques­tion : Pour quoi vivre ? Quel but a notre vie ter­restre, puisqu’à la mort la valeur de notre exis­tence déter­mine notre éter­ni­té. La vraie vie consiste donc à faire mou­rir en nous tout ce qui pour­rait nous sépa­rer de Dieu et donc de la vie éter­nelle. Une vie d’amour de Dieu fait dési­rer le Ciel dans lequel nous serons réunis à Lui pour tou­jours et fait donc consi­dé­rer la mort non comme un terme dou­lou­reux mais comme une entrée joyeuse dans une vie plus belle et plus riche que la pre­mière et pour laquelle nous avons été faits. Nous pou­vons alors dire cette prière, tirée d’un chant : « Fai(te)s‑nous quit­ter l’existence, joyeux et pleins d’abandon, comme un scout, après les vacances, s’en retourne à la mai­son. » Notre vraie demeure est dans les deux, ici-​bas nous ne fai­sons que pas­ser, la mort vien­dra bien vite, alors vivons de telle sorte que nous rega­gnions la mai­son du Père.

Source : Le Belvédère n°117

Notes de bas de page
  1. Matthieu XXV, 46 ; XVI, 27.[]
  2. Romains V, 12 ; VI, 23.[]
  3. Romains V, 12 ; VI, 23.[]
  4. Romains II, 6.[]