Bienheureuse Thérèse de Saint-​Augustin Lidoine

Le martyr des carmélites de Compiègne, vitrail de l'église Saint-Honoré d'Eylau à Paris

Carmélite à Compiègne, et ses 15 com­pagnes mar­tyres († 1794). 

Fête le 17 juillet.

Durant la tour­mente révo­lu­tion­naire de la fin du xviiie siècle, plu­sieurs reli­gieuses Carmélites mou­rurent sur l’é­cha­faud. Dieu réser­vait à celles de Compiègne la faveur d’offrir toutes ensemble leur vie en holo­causte et de ver­ser leur sang vir­gi­nal pour l’Eglise et pour la France. Pour le salut d’un peuple, dans la balance divine, un mar­tyr pèse plus qu’un héros.

La prieure du Carmel de Compiègne en 1789.

Au début de la Révolution fran­çaise, en 1789, le monas­tère des Carmélites de Compiègne, fon­dé en 1641, comp­tait seize reli­gieuses de chœur, trois Sœurs converses et une novice ; deux tou­rières assu­raient le ser­vice du dehors. La prieure alors en charge était la Mère Thérèse de Saint-​Augustin. Née à Paris le 22 sep­tembre 1752, elle s’appelait dans le monde Madeleine-​Claudine Lidoine. Réunissant une solide pié­té à une belle intel­li­gence que déve­lop­pa l’éducation la plus soi­gnée, elle se sen­tit de bonne heure atti­rée vers le Carmel. Mais sa famille avait des res­sources trop modestes pour pou­voir lui consti­tuer la dot exi­gée pour l’entrée en reli­gion. La Providence allait enle­ver cet obs­tacle. L’aspirante au Carmel trou­va une protec­trice dans la véné­rable Thérèse de Saint-​Augustin, dans le monde Madame Louise de France, une des filles de Louis XV, qui s’était faite Carmélite. Présentée à cette sainte reli­gieuse, Madeleine-​Clau­dine Lidoine lui fit une excel­lente impres­sion : et la Mère Thérèse, pauvre elle-​même, obtint de Marie-​Antoinette, encore dau­phine, qu’elle payât sur sa cas­sette la dot de la pos­tu­lante. Elle des­ti­na sa pro­té­gée au monas­tère de Compiègne, avec lequel elle était en rela­tions depuis de longues années.

Madeleine-​Claudine entra donc au Carmel de Compiègne en août 1773 ; trois mois après, elle pre­nait l’habit reli­gieux, et en mai 1775 elle fai­sait pro­fes­sion sous le nom de Thérèse de Saint-​Augustin, c’est-à-dire sous le nom de son auguste pro­tec­trice, la prieure du Carmel de Saint-​Denis. Ses remar­quables qua­li­tés intel­lectuelles et morales, la fer­me­té de son carac­tère, sa dou­ceur dans les rela­tions, furent vite appré­ciées par ses supé­rieures et par ses com­pagnes de cloître. En 1785, elle fut élue prieure, puis réélue à l’expiration de son pre­mier trien­nat. Elle mon­tra dans l’exercice de sa fonc­tion beau­coup de sagesse et de pru­dence : très dure pour elle-​même, les pri­va­tions qu’elle s’imposait étaient, à l’entendre, affaire de régime ; elle concen­trait toute son atten­tion sur les besoins de ses filles, leur pro­cu­rant tous les secours pos­sibles. Ferveur, pié­té, man­sué­tude, élan reli­gieux, éner­gie, on ne savait ce que l’on devait le plus admi­rer dans cette reli­gieuse des­ti­née à pré­pa­rer et à aider ses sœurs à cueillir l’auréole du martyre.

Premières vexations infligées aux Carmélites de Compiègne.

Le 26 octobre 1789, l’Assemblée consti­tuante décré­tait que désor­mais, dans les monas­tères, on ne ferait plus de vœux, la loi ne recon­nais­sant plus le vœu reli­gieux. L’unique novice du Carmel de Compiègne, la Sœur Constance, née Meunier, n’eut donc pas la con­solation de faire sa pro­fes­sion, mais elle res­ta novice.

Peu de temps après, confis­ca­tion des biens ecclé­sias­tiques au pro­fit de la nation, puis, le 13 février 1790, sup­pres­sion des Ordres reli­gieux eux-​mêmes. Cependant, les reli­gieuses sont auto­ri­sées à res­ter dans leurs mai­sons. Que de pré­oc­cu­pa­tions nais­saient pour la prieure, de ces mesures vexa­toires et des incer­ti­tudes du len­de­main ! Qu’allait deve­nir le monas­tère ? Que devien­draient ses reli­gieuses pri­vées de leurs dots ? La Mère Thérèse Lidoine conser­vait le calme et pui­sait dans la prière les forces et les lumières dont elle avait besoin pour l’exercice de sa charge. La com­mu­nau­té conti­nuait sa vie régulière.

Le 4 août 1790, les membres du Directoire du dis­trict de Com­piègne se pré­sentent au Carmel et font l’inventaire des effets, argen­terie, argent mon­nayé, livres et papiers, lais­sant du reste le tout à la charge et garde des reli­gieuses. Le len­de­main, ils revinrent ; pla­cèrent des sol­dats en sen­ti­nelle aux portes des cel­lules, des cloîtres, de la grande salle. Le pré­sident fit appe­ler, une à une, les quinze reli­gieuses de chœur et les trois Sœurs converses ; il les inter­ro­gea sépa­ré­ment, invi­tant cha­cune à par­ler sans crainte et à décla­rer si elle vou­lait sor­tir du cloître et ren­trer dans sa famille.

La prieure com­pa­rut la pre­mière. Elle décla­ra « vou­loir vivre et mou­rir dans cette sainte mai­son ». Sans se lais­ser inti­mi­der, toutes les autres reli­gieuses affir­mèrent, sous des formes dif­fé­rentes, la même volon­té et réso­lu­tion : on a conser­vé la décla­ra­tion de cha­cune. Cette una­nime fidé­li­té à la vie reli­gieuse et au Carmel cau­sa une grande joie à la Mère Thérèse : elle était une force pour le pré­sent et une garan­tie pour les ter­ribles épreuves qui allaient atteindre la communauté.

Au mois de mai 1792, la Mère prieure se ren­dit à Paris, appe­lée par le prêtre qui avait auto­ri­té sur les Carmels, pour se concer­ter sur les pré­cau­tions à prendre, l’attitude à gar­der devant les éven­tua­li­tés de l’avenir : on vou­lait aus­si lui remettre des reliques de la bien­heureuse Marie de l’Incarnation Acarie, béa­ti­fiée l’année précédente.

Expulsion du couvent. — Vie claustrale des sécularisées : elles offrent leur sang pour l’Eglise et pour la France.

L’Assemblée légis­la­tive ache­va l’œuvre néfaste de la Constituante au sujet des Ordres reli­gieux. Deux fois déjà le cos­tume reli­gieux avait été décla­ré illé­gal et pro­hi­bé. Le 17 août 1792, un décret déci­dait que, pour le 1er octobre sui­vant, les reli­gieuses devaient éva­cuer leurs cou­vents qui seraient ven­dus. La Mère Thérèse Je Saint-​Augustin se pour­vut aus­si­tôt de locaux en ville pour y loger ses sœurs. Afin de s’éviter de graves ennuis, toutes quit­tèrent l’habit reli­gieux et se vêtirent comme des sécu­lières. Des agents de la muni­ci­pa­li­té vinrent enle­ver la plus grande par­tie des objets inven­toriés deux ans aupa­ra­vant, ne lais­sant aux Carmélites que le strict néces­saire. Enfin, le 12 sep­tembre, elles reçurent l’ordre d’aban­donner immé­dia­te­ment leur monastère.

La Mère prieure obtint pour­tant deux jours de délai, et en la fête de l’Exaltation de la Sainte Croix, la com­mu­nau­té, qui com­pre­nait alors vingt per­sonnes, éva­cuait, les larmes aux yeux, sa chère mai­son. Les Sœurs furent par­ta­gées en quatre « groupes », logés dans des appar­te­ments dif­fé­rents, situés néan­moins dans le même quar­tier, proche de l’église Saint-​Antoine, où le curé accor­da aux sécu­la­ri­sées une cha­pelle spé­ciale. La prieure s’était arran­gée pour sau­ve­gar­der, autant que pos­sible, dans la dis­per­sion, la vie de com­munauté, la pra­tique de la règle. Les vivres étaient pré­pa­rés au domi­cile de la supé­rieure ; les tou­rières les por­taient ensuite aux habi­ta­tions des trois autres groupes. La prieure allait d’une mai­son à l’autre don­ner les avis, les exhor­ta­tions, les per­mis­sions utiles. Dans chaque mai­son, on fai­sait à la même heure, comme au Carmel, les exer­cices de pié­té et les divers tra­vaux pres­crits par les Constitu­tions : en un mot, chaque groupe vivait comme une petite commu­nauté, unie de cœur et d’action aux autres groupes.

Cinq jours après leur expul­sion, toutes les reli­gieuses furent réunies, sur l’ordre de la muni­ci­pa­li­té, à la rési­dence de la Mère prieure. Le maire leur fît signer le ser­ment dit « de liber­té et d’égalité », impo­sé à tous ceux qui étaient pen­sion­nés par l’Etat. Ce ser­ment n’avait rien de com­mun avec celui qu’exigeait la Consti­tution civile du cler­gé : les supé­rieurs ecclé­sias­tiques le jugeaient licite. La prieure hési­ta cepen­dant à signer ; elle ne s’exécuta qu’après avoir enten­du les expli­ca­tions et les assu­rances don­nées par le maire. Par cette signa­ture, les Carmélites évi­taient de se rendre sus­pectes, pou­vaient rece­voir la pen­sion de l’Etat, épar­gnaient à la muni­ci­pa­li­té l’ennui de sévir contre elles. De fait, pen­dant les vingt et un mois qui vont suivre, elles ne furent pas inquié­tées. Si, plus tard, elles regret­tèrent leur ser­ment et eurent à cœur de le rétrac­ter, ce fut par excès de déli­ca­tesse de conscience.

Dans les der­niers mois de cette année 1792, les Carmélites per­dirent une de leurs sœurs ; l’abbé Conrouble, leur cha­pe­lain, dénon­cé comme pou­vant occa­sion­ner des troubles par son minis­tère, dut les quit­ter. Les parents de cer­taines reli­gieuses essayèrent aus­si, mais en vain, de les faire reve­nir près d’eux. Se confor­mant à l’esprit du Carmel, la prieure pro­po­sa à ses filles de faire un acte de consé­cra­tion par lequel la com­mu­nau­té s’offrirait en holo­causte pour apai­ser la colère de Dieu et obte­nir le retour de la paix dans l’Eglise et la nation. Cette consé­cra­tion, cet holo­causte de répa­ra­tion et d’expiation, fut accep­té par toutes et renou­ve­lé chaque jour.

Ainsi, deux ans avant leur mar­tyre, les Carmélites de Com­piègne l’acceptent libre­ment ; cet acte d’offrande de leur vie en holo­causte d’expiation domine et explique leur conduite dans la suite, leur inébran­lable cohé­sion, leur élan vers la mort.

L’année 1793 et les pre­miers mois de 1794 se pas­sèrent sans appor­ter à la petite com­mu­nau­té de graves dif­fi­cul­tés. En mars 1794, la supé­rieure per­mit, pour des rai­sons urgentes, à deux de ses reli­gieuses de res­ter quelque temps dans leur famille et à une troi­sième de se rendre à Paris. A son tour, elle par­tit le 13 juin pour la capi­tale ; sa mère vou­lait la voir avant de se reti­rer dans le Doubs. Huit jours après, Mère Thérèse ren­trait à Compiègne.

Perquisitions, arrestation et emprisonnement.

Or, ce jour-​là même, 21 juin 1794, le Comité révo­lu­tion­naire et de Salut public de la ville déci­dait de per­qui­si­tion­ner dans les trois loge­ments (par suite des départs et des décès, il res­tait seize Carmé­lites, la novice et les deux tou­rières com­prises) des ci devant reli­gieuses. Quoi de moins sédi­tieux que les pièces sai­sies ! Des lettres où il était par­lé de sca­pu­laires, de prêtres, de neu­vaines ; une relique de sainte Thérèse, un por­trait du roi Louis XVI et une copie de son tes­ta­ment ; des images et un can­tique en l’honneur du Sacré Cœur. C’était tout. Après exa­men des pièces, le Comité accu­sa les ci-​devant Carmélites de vivre en com­mu­nau­té, d’avoir entre elles une cor­res­pon­dance cri­mi­nelle ten­dant au réta­blis­se­ment de la royau­té, de faire des vœux pour la contre-​révolution et la destruc­tion de la République. Il les fit arrê­ter tout de suite, toutes, et on les écroua dans l’ancien couvent des Visitandines de la ville.

On les logea dans des chambres situées vis-​à-​vis de celles qu’occu­paient les Bénédictines anglaises, arrê­tées à Cambrai. Un mur de sépa­ra­tion fut construit pour empê­cher les deux com­mu­nau­tés de se voir et de com­mu­ni­quer. Dans cette pri­son où elles res­tèrent enfer­mées trois semaines, les Carmélites eurent à sup­por­ter des pri­va­tions de tout genre. Elles eurent pour­tant la joie de se retrou­ver en com­munauté et de pra­ti­quer leur vie de prière un peu comme au Carmel. La prieure com­prit que sa des­ti­née et celle de ses Sœurs les ache­mi­naient vers le sacri­fice de leur vie et la réa­li­sa­tion de leur acte de consé­cra­tion. Et crai­gnant d’avoir offen­sé Dieu par le ser­ment de liber­té et d’égalité quelle avait prê­té envi­ron deux ans aupa­ra­vant, elle le rétrac­ta ain­si que ses compagnes.

Lessive inachevée. — En route pour la Conciergerie.

Le 12 juillet, quand arri­va l’ordre de trans­fé­rer immé­dia­te­ment les Carmélites à Paris, celles-​ci étaient occu­pées à laver leur pauvre linge. Longtemps, elles avaient sol­li­ci­té la faveur de se pro­cu­rer du linge nou­veau ou de laver celui qu’elles por­taient. Enfin, au bout de vingt jours seule­ment, on le leur accor­dait, sans tou­te­fois leur lais­ser le temps d’achever la les­sive commencée.

La Mère Thérèse sup­plie que l’on n’oblige pas les Sœurs à par­tir avec des effets mouillés ; elle demande aus­si qu’on leur laisse ter­miner leur maigre repas avant de se mettre en route. Le maire, un ancien pro­té­gé du Carmel, lui répond grossièrement :

— Va, va, tu n’as besoin de rien, ni toi ni tes com­pagnes ; dépêchez-​vous de des­cendre, les voi­tures sont là qui attendent.

Les Carmélites lais­sèrent là les objets mouillés qui leur appar­tenant ; le Comité en fît ensuite cadeau aux Bénédictines anglaises sous le beau pré­texte que ces femmes « embé­gui­nées, guim­pées et revê­tues comme elles l’étaient de cos­tumes bigar­rés, ne pou­vaient qu’offenser les regards répu­bli­cains ». Celles-​ci conser­vèrent comme de pré­cieuses reliques les bon­nets et les fichus des martyres.

Les mains liées, les Carmélites furent ins­tal­lées sur deux voi­tures gar­nies de paille. Le convoi quit­ta Compiègne dans la soi­rée, sous l’escorte de gen­darmes et de dra­gons. Sauf un court arrêt à Senlis pour chan­ger d’attelage, on voya­gea toute la nuit et on arri­va à Paris vers 3 ou 4 heures de l’après-midi.

Le cor­tège péné­tra sans inci­dent dans la cour de la Conciergerie. On fit des­cendre les Sœurs de voi­ture, et comme la Sœur Charlotte de la Résurrection, reli­gieuse âgée et infirme, ne pou­vant s’aider d’un bâton ou du bras d’une de ses com­pagnes, car toutes étaient gar­rot­tées comme elle, atten­dait qu’on vînt la tirer de là, un farouche répu­bli­cain, esca­la­dant la char­rette, prit bru­ta­le­ment la véné­rable Sœur et la jeta sans pitié, comme un vul­gaire far­deau, sur le pavé de la cour, où elle demeu­ra sans mou­ve­ment, à demi morte et le visage cou­vert de sang.

Leur pas­sage de cinq jours seule­ment à la Conciergerie fut pour les autres pri­son­niers comme une vision de paix. Un cer­tain Denis Blot, déte­nu dans cette pri­son, mais jouis­sant d’une liber­té rela­tive, put leur rendre de légers services.

L’usage était, dans cer­tains Carmels, de célé­brer une fête ou un anni­ver­saire par quelque poé­sie de cir­cons­tance. La vaillante prieure devait sou­te­nir ses filles non seule­ment par ses exhor­ta­tions et ses prières, mais par l’élan, l’enthousiasme dans le sacri­fice. Elle, ou plus vrai­sem­bla­ble­ment la Mère Henriette de Jésus, sur sa demande, com­po­sa, dans la forme et sur Pair de la Marseillaise, quelques cou­plets sans pré­ten­tion lit­té­raire, mais qui sont comme le chant du com­bat. On l’écrivit avec du char­bon de bois.

Devant le tribunal révolutionnaire. — Le sacrifice.

Le 17 juillet, len­de­main de la fête de Notre-​Dame du Mont-​Carmel, à 10 heures du matin, les Carmélites com­pa­rais­saient dans la grande salle dite de « la liber­té ». On leur avait adjoint dix-​huit autres per­sonnes, ce qui fai­sait trente-​quatre accu­sés à juger dans une séance. Le pré­sident du tri­bu­nal révo­lu­tion­naire était Toussaint-​Gabriel Scellier (fils), né à Compiègne : sa dure­té, son mépris des formes judi­ciaires, son inso­lence à l’égard des pré­ve­nus, étaient notoires. Avec son col­lègue Dumas, il riva­li­sait de rapi­di­té som­maire dans ses juge­ments. Le gref­fier lut l’acte d’accusation. Il repro­chait aux Car­mélites d’avoir conti­nué, depuis la Révolution à vivre comme des reli­gieuses : dans les visites qu’elles se fai­saient les unes aux autres, après leur sor­tie de leur couvent, elles conspi­raient contre la Répu­blique, comme le prou­vaient le por­trait du « tyran » (Louis XVI), les cœurs, la cor­res­pon­dance, le can­tique du Sacré-​Cœur, trou­vés dans leurs loge­ments. Des preuves maté­rielles et morales du délit de conspi­ra­tion exis­taient ; dès lors, en ver­tu de l’article 13 de la loi du 22 prai­rial, le tri­bu­nal n’avait pas besoin d’entendre des témoins pour ou contre. De même, la loi n’accordait pas de défen­seurs aux pré­ve­nus cou­pables du délit de conspiration.

Ni les pièces offi­cielles, ni les archives du tri­bu­nal révolution­naire, ni le témoi­gnage d’un témoin ocu­laire, ne nous apportent les moindres ren­sei­gne­ments sur ce qui se pas­sa au sujet des Carmé­lites lors de cette audience. La prieure répon­dit seule pro­ba­ble­ment au nom de ses filles et reven­di­qua toute la res­pon­sa­bi­li­té du pré­ten­du délit de conspi­ra­tion. On raconte cepen­dant qu’une Sœur, enten­dant l’accusateur public leur repro­cher à toutes leur « fana­tisme », lui aurait deman­dé ce qu’il vou­lait dire.

— J’entends par là votre atta­che­ment à des croyances pué­riles, à de sottes pra­tiques de religion.

— Ma Mère et mes Sœurs, s’écria cette reli­gieuse, félicitons-​nous, nous allons mou­rir pour Dieu.

La bien­heu­reuse Thérèse Lidoine devant le tri­bu­nal révolutionnaire

De fait, elles furent condam­nées à mou­rir sur l’échafaud pour délit de fana­tisme et de conspi­ra­tion. Elles avaient, disait la sen­tence, for­mé des ras­sem­ble­ments et des conci­lia­bules contre-​révolu­tionnaires, entre­te­nu des cor­res­pon­dances fana­tiques, conser­vé des écrits liber­ti­cides ain­si que les carac­tères de ral­lie­ment (images et can­tique du Sacré-​Cœur) des rebelles de la Vendée. Fanatique et chré­tien étaient alors des expres­sions syno­nymes, et s’entendre ain­si qua­li­fier et condam­ner par ses juges, c’était obte­nir la preuve orale et écrite d’une mort souf­ferte pour la cause de la foi.

A la lec­ture de l’arrêt de mort, l’une des tou­rières, Thérèse Soiron, fut prise de fai­blesse et s’évanouit. La prieure pria un gen­darme d’aller cher­cher un verre d’eau. La tou­rière reprit vite ses sens et, confuse de sa défaillance, s’en excu­sa. Il faut dire que les pauvres reli­gieuses étaient à jeun depuis la veille. Une fois descen­dues de la salle du tri­bu­nal, la supé­rieure, avec le prix de vente d’une pelisse, pro­cu­ra à cha­cune une modeste collation.

L’exécution des condam­nées à mort eut lieu dans la soi­rée de ce 17 juillet 1794. Les mains liées der­rière le dos, les seize reli­gieuses furent sans doute, sous l’œil vigi­lant de la prieure, pla­cées sur la même char­rette. Durant le long tra­jet de la Conciergerie à la place du Trône, aujourd’hui place de la Nation, elles se mirent à psal­mo­dier les Complies, le Salve Regina, le Te Deum, et d’autres prières litur­giques sans doute. La char­rette pas­sa devant l’église Saint-​Louis (main­te­nant Saint-​Paul-​Saint-​Louis) ; sur les degrés se tenait sous un dégui­se­ment un prêtre, pas tou­jours le même, char­gé de don­ner l’absolution aux vic­times conduites à l’échafaud.

Arrivées au lieu d’exécution, les Carmélites des­cendent de leur char­rette et se groupent autour de leur prieure. Point d’adieux ; toutes ensemble, elles renou­vellent leurs vœux de reli­gion. Quand leur tour fut venu (car il y avait ce soir-​là, avec les reli­gieuses, qua­torze autres condam­nés), elles enton­nèrent le Veni Creator ; la plus jeune, Sœur Constance Meunier, novice depuis 1789, s’age­nouilla devant la prieure, reçut sa béné­dic­tion, lui deman­da la per­mission de mou­rir, et mon­ta à l’échafaud pour se pré­sen­ter au bour­reau. Ainsi firent tour à tour, au bruit des chants qui conti­nuaient en s’affaiblissant, les autres reli­gieuses. Assurée ain­si de la fidé­li­té de ses filles à qui la mort et la gloire allaient la joindre, la Mère Thérèse fut immo­lée la dernière.

La sépulture. — La béatification.

Dans la soi­rée de ce 17 juillet 1794, les restes muti­lés des seize Car­mélites, avec ceux des autres condam­nés, furent trans­por­tés à près d’un kilo­mètre de la place du Trône, au lieu­dit Picpus, dans une pro­fonde car­rière de sable affec­tée à la sépul­ture des vic­times de la guillo­tine. En un mois, ce cime­tière en reçut 1 307 ; on était à la période (juin-​juillet 1794) la plus vio­lente de la Terreur. Dans la suite, des parents des vic­times ache­tèrent l’emplacement de la fosse com­mune — à laquelle on n’a jamais tou­ché depuis plus d’un siècle — et le ter­rain situé autour. Il y eut là comme un double cime­tière, celui des vic­times de la Terreur, et, à côté, sépa­ré par un mur, celui de quelques membres de leurs familles. Sur les parois de la cha­pelle du couvent des reli­gieuses des Sacrés-​Cœurs de Jésus et de Marie, se lisent les noms des 1 307 vic­times ; du numé­ro 924 au numé­ro 939 figurent ceux des Carmélites de Compiègne, mar­tyres de la foi. En voi­ci la liste :

Madeleine-​Claudine Lidoine (Mère Thérèse de Saint-​Augustin) ; Marie-​Anne-​Françoise Brideau (Sœur Saint-​Louis) ; Anne-​Marie Thouret (Sœur Charlotte de la Résurrection) ; Marie-​Anne Piedcourt (Sœur de Jésus-​Crucifié) ; Françoise de Croissy (Sœur Henriette de Jésus) ; Marie Hanisset (Sœur Thérèse du Saint-​Cœur de Marie) ; Marie-​Gabriel Trezel (Sœur Thérèse de Saint-​Ignace) ; Marie Biard (Sœur Euphrasie de l’Immaculée-Conception) ; Rose Chrétien de La Neuville (Sœur Julie-​Louise de Jésus) ; Anne Pebras (Sœur Henriette de la Providence) ; Marie Meunier (Sœur Constance), novice ; Angélique Roussette (Sœur Marie du Saint-​Esprit), converse) ; Marie Dufour (Sœur Sainte-​Marthe), converse ; Julie Vérolot (Sœur Saint-​François-​Xavier), converse ; Catherine Soiron, tou­rière ; Thérèse Soiron, tourière.

Le pro­cès cano­nique pour la béa­ti­fi­ca­tion des seize Carmélites fut ouvert le 23 février 1902. Le 27 mai 1906, elles étaient décla­rées bien­heu­reuses par Pie X, en pré­sence d’un grand nombre de pèle­rins et de plu­sieurs évêques fran­çais, des membres des familles des nou­velles Bienheureuses. Dans les dio­cèses de Paris et de Beauvais, on célèbre la fête de la bien­heu­reuse Thérèse et de ses com­pagnes, mar­tyres, à la date du 17 juillet.

G. Octavien.

Sources consul­tées. — Victor Pierre, Les seize Carmélites de Compiègne (col­lec­tion Les Saints) (Paris, 1905). — A. Odon, Les Carmélites de Compiègne (Lille-​Paris, 1897). — (V. S. B. P., n° 1246.)