Sainte Praxède

Sainte Praxède, par Giovanni Lanfranco Parma (XVIIe s.)

Vierge de Rome († vers 164).

Fête le 21 juillet.

La femme païenne, à toutes les époques, a connu les mêmes pré­oc­cu­pa­tions : son vête­ment, ses chaus­sures, sa toi­lette, sa coif­fure, ses plai­sirs, légi­times ou non, et cela plus particu­lièrement aux époques de déca­dence. Aux pre­miers siècles de notre ère, tan­dis que les mar­tyrs sont dévo­rés par les ani­maux, ou déchi­rés par les ongles de fer, et que, dans le loin­tain, les Barbares du Nord pré­parent leurs inva­sions ven­ge­resses, les matrones romaines, si elles n’ont plus d’enfants et affectent des allures d’hommes, se font soi­gner par des coif­feuses, qu’on appelle alors des cos­mètes ; les cyni­flores leur mettent dans les che­veux des tein­tures en poudre ; les cala­mistes les frisent, et les psèques dressent leurs che­ve­lures. Les noms changent avec le temps, mais les mœurs res­tent iden­tiques après les grandes secousses. Si les Barbares ne sont plus dans le Nord, il en est ailleurs, prêts à inter­ve­nir, si Dieu ne les arrête. Mais depuis sa venue sur la terre, dans tous les siècles, même les plus cor­rom­pus, Notre-​Seigneur trouve et conti­nue­ra de trou­ver des vierges fidèles, sui­vant l’Agneau sans tache, et qui sont, comme le dit saint Cyprien, « la por­tion la plus illustre du trou­peau de Jésus-​Christ, la joie et la gloire de l’Eglise, sa Mère, parce que c’est en elles et par elles que l’Eglise voit lar­ge­ment fleu­rir sa glo­rieuse fécondité ».

Sainte Praxède et sa sœur sainte Pudentienne occupent un rang brillant par­mi ces femmes admi­rables dont les noms peuplent nos Martyrologes. Elles appar­te­naient à la gens ou famille Pudentiana.

Le sénateur Pudens. – Son habitation.

Quand saint Pierre vint à Rome, en l’an 42, il logea dans la mai­son ou palais d’un nom­mé Pudens, qui avait son habi­ta­tion sur l’Esquilin. On a iden­ti­fié ce Pudens avec celui dont parle saint Paul en sa seconde Epître adres­sée à Timothée quand il écrit : « Eubule et Pudens, ain­si que Lin et Claudie, vous saluent. » Et on a cru voir en lui un séna­teur, appar­te­nant à la célèbre famille Cornelia. Bien plus, il ne serait autre que le cen­tu­rion Corneille ou Cornelius, bap­ti­sé par saint Pierre en Palestine ; mais cette der­nière sup­po­si­tion paraît défi­ni­ti­ve­ment écartée.

Comme la fait remar­quer un archéo­logue contem­po­rain, Horace Marucchi, ce sur­nom de Pudens est assez fré­quent chez les Romains, géné­ra­le­ment dans l’aristocratie, mais il y eut des Pudens d’un rang plus modeste. Cependant le nom de Claudie, qui voi­sine avec le nom de Pudens dans l’Epître de saint Paul, semble lui-​même dési­gner une femme de dis­tinc­tion, et jusqu’ici rien ne s’oppose à admettre l’identité des deux per­son­nages, ni la digni­té de séna­teur de l’hôte de saint Pierre.

Le milieu aris­to­cra­tique où l’Apôtre trou­va un abri à Rome montre que la foi qu’il prê­chait ne s’adressait pas seule­ment aux humbles Juifs, cachés en leurs bou­tiques des rues tor­tueuses du Transtévère, mais qu’elle fai­sait aus­si ses conquêtes par­mi les riches et les puissants.

La vie des Romains, à cette époque, était toute au dehors, mais les grands per­son­nages tenaient à ras­sem­bler dans leurs demeures tout ce que les autres étaient obli­gés de cher­cher ailleurs.

L’habitation du séna­teur Pudens, autant qu’il est per­mis de la recons­ti­tuer par les sou­ve­nirs païens qui nous res­tent d’édifices ana­logues, com­pre­nait une vaste éten­due de ter­rain ceinte d’un mur per­cé de quatre portes. Dans l’intérieur se trou­vaient non seule­ment la mai­son du pro­prié­taire, mais des hip­po­dromes, thermes ou salles de bains, des places, des rues, des théâtres, bref, une ville en minia­ture. Puis venaient les écu­ries, les demeures des esclaves, les maga­sins, les jar­dins, des sortes de forums ou por­tiques sous les­quels le maître se pro­me­nait avec ses amis ; le tout riche­ment déco­ré de marbres et de sta­tues. Comme on le voit, un palais était alors comme un lieu qui devait pour­voir à toutes les néces­si­tés de la vie.

C’est dans ce milieu opu­lent que Praxède vit le jour. Une ques­tion impor­tante se pose au sujet de ses parents. Le Pudens qui don­na une hos­pi­ta­li­té géné­reuse au Prince des Apôtres en l’an 42 était-​il le père ou le grand-​père de Praxède ? Les Bollandistes inclinent à admettre deux Pudens : l’aïeul, marié à Priscille ; le père, marié à Sabinella. Cette manière de voir a l’avantage de conci­lier plus faci­le­ment la date de l’an 42 avec l’époque du pon­ti­fi­cat de saint Pie Ier, pos­té­rieur d’un siècle (139–154), et qui était celle où vivait sainte Praxède.

Un cri­tique moderne, rejoi­gnant des auteurs plus anciens, admet au contraire que, Praxède et sa sœur ayant vécu jusqu’à un âge avan­cé, rien ne s’oppose à ce qu’elles soient les propres filles du géné­reux ami de saint Pierre. C’est cette ver­sion qu’adopte le Marty­rologe romain, à la date du 19 mai ; saint Pudens y est don­né comme le père de sainte Praxède, et le texte ajoute que, « revê­tu de Jésus-​Christ dans le bap­tême, il conser­va sans aucune tache la robe d’inno­cence jusqu’à la fin de sa vie ».

Quoi qu’il en soit, nous nous trou­vons en pré­sence d’une famille fon­ciè­re­ment chré­tienne des tout pre­miers âges, famille pri­vi­lé­giée, et, comme le dit Mgr Gerbet dans son Esquisse de Rome chrétienne :

Famille heu­reuse jusque dans ses noms, qui rap­pellent des idées de pudeur, de crainte de Dieu, d’antiquité et de renou­vel­le­ment. Cette famille est la pre­mière dans laquelle se soit effec­tuée la tran­si­tion des idées hau­taines, sur les­quelles repo­sait le patri­ciat antique, aux sen­ti­ments de la fra­ter­ni­té humaine qui consti­tue l’égalité chré­tienne. Elle ouvrit sa demeure séna­to­riale à ces assem­blées des fidèles, où l’esclave, envoyé dans les car­rières, pre­nait place au ban­quet eucha­ris­tique à côté des grands ; car c’est là…, c’est chez Pudens que les chré­tiens de Rome se sont d’abord réunis pour assis­ter aux saints mys­tères, pour y rece­voir la com­mu­nion de la main de saint Pierre, qui rési­dait chez lui : ce qui suf­fi­rait pour confé­rer à cette famille, aux yeux de la pié­té, une incom­pa­rable noblesse.

Dès lors, quoi d’étonnant si Pudens s’appliqua sur­tout à éle­ver ses deux filles dans l’amour de la vir­gi­ni­té et dans la pra­tique des pré­ceptes du Seigneur ?

Pudens fonde un « titre » ou église dans sa maison.

L’histoire de Praxède et de sa sœur nous a été conser­vée et trans­mise par un prêtre qui se désigne lui-​même sous le nom de Pasteur (Pastor), et qui vivait inti­me­ment au milieu de cette famille d’élus.

Il était le contem­po­rain et le fami­lier du Pape saint Pie Ier, sans tou­te­fois se don­ner pour son frère ; il nous appa­raît comme le conseiller et le sou­tien de Praxède et de Pudentienne. On l’a consi­dé­ré comme l’auteur de trois docu­ments aux­quels les siècles pré­cé­dant le nôtre atta­chaient un grand prix.

Le pre­mier est adres­sé par lui-​même à Timothée, et il est per­mis d’y voir une des plus belles pages de l’histoire de l’Eglise aux temps apos­to­liques. Le deuxième se pré­sente à nous comme la réponse de Timothée ; le der­nier est un appen­dice nar­ra­tif, dû au même Pastor, et qui nous mène jusqu’à la mort de Praxède, que l’auteur déclare avoir ense­ve­lie lui-même.

Cet écrit n’est peut-​être pas, sous cette forme, abso­lu­ment authen­tique. Il est pos­sible que, dans un des­sein d’édification ou autre, il ait été rema­nié au ive ou au ve siècle ; d’autre part, si l’on peut croire que, dans ces docu­ments, la légende s’est mêlée à l’his­toire, et s’il ne paraît pas pos­sible, faute d’arguments déci­sifs, de démon­trer la véri­té de ces asser­tions, ce même manque d’arguments ne per­met pas non plus de s’inscrire en faux contre les détails rap­por­tés. En résu­mé, et à défaut d’autres sources plus anciennes et plus sûres, il nous faut suivre les écrits de ce Pasteur.

Pudens, nous dit-​il, se trou­vant pri­vé de son épouse, dési­ra, sur les conseils du bien­heu­reux évêque Pie (le Pape saint Pie Ier), trans­for­mer sa mai­son en église. Ce fut moi, pauvre pécheur, qu’il choi­sit pour réa­li­ser ce pieux des­sein. Il éri­gea donc, en cette ville de Rome, au Vicus Patricii, un titre (église) auquel il vou­lut don­ner mon nom.

De fait, au 26 juillet, le Martyrologe romain porte cette men­tion : « A Rome, saint Pasteur prêtre, sous le nom duquel il y a un titre car­di­na­lice sur le mont Viminal, à Sainte-Pudentienne. »

Au iie siècle, l’Eglise per­sé­cu­tée ne pos­sé­dait point encore pour les réunions des fidèles les édi­fices publics qui prirent ensuite le nom de basi­liques : c’était dans les mai­sons par­ti­cu­lières ou à l’ombre des Catacombes que les chré­tiens s’assemblaient pour prier et pour célé­brer les divins mystères.

Mort de saint Pudens. – Zèle apostolique de sainte Praxède et de sa sœur.

« Cependant, conti­nue le prêtre Pasteur, Pudens s’en alla vers le Seigneur, lais­sant ses filles munies de la chas­te­té et savantes dans toute la loi divine. » Les deux sœurs ven­dirent alors tous leurs biens, afin de les dis­tri­buer aux chré­tiens, par­mi les­quels on comp­tait beau­coup de pauvres.

Fidèles à l’amour du Christ, fleurs de vir­gi­ni­té, elles per­sé­vèrent ensemble dans les saintes veilles, le jeûne et la prière.

Elles avaient un grand zèle pour pro­pa­ger la foi autour d’elles ; dans ce des­sein, elles témoi­gnèrent au Pontife saint Pie Ier le désir qu’elles avaient d’ériger une pis­cine bap­tis­male dans le titre ou église parois­siale fon­dée par leur père. L’évêque du Siège apos­to­lique accueillit favo­ra­ble­ment le pro­jet, dési­gna de sa main le lieu où la pis­cine sainte devait être pla­cée, et la construc­tion fut faite sous ses ordres.

Pendant ce temps, les deux ser­vantes du Christ réunirent tous les esclaves qu’elles pos­sé­daient à la ville et à la cam­pagne. Ceux qui étaient chré­tiens furent affran­chis, et l’on com­men­ça à ins­truire les autres de l’Evangile. Quand ceux-​ci eurent décla­ré leur volon­té d’être chré­tiens, le Pontife Pie ordon­na de faire la céré­mo­nie légale de leur affran­chis­se­ment dans l’église même, puis, à la fête de Pâques, quatre-​vingt-​seize néo­phytes y furent baptisés.

Sous le règne de l’empereur Antonin, dit le Pieux, règne qui coïn­cidait pré­ci­sé­ment avec le pon­ti­fi­cat de saint Pie, l’Eglise et le monde connurent peut-​être une époque de tran­quilli­té. Cet empe­reur, origi­naire de Nîmes, qui construi­sit ou ache­va le pont du Gard et les célèbres arènes de sa ville natale, était un païen épu­ré et éle­vé autant qu’un païen pou­vait l’être. Il lais­sait, dit-​on, dor­mir les édits persé­cuteurs ; on lui attri­bue même un res­crit, dont l’authenticité est admise par les uns et reje­tée par les autres, et inter­di­sant toute persé­cution, légale ou illégale.

De toute manière, cepen­dant, il est prou­vé qu’en plu­sieurs pro­vinces, où la popu­lace s’ameutait par­fois contre les fidèles et deman­dait leur sup­plice, comme les lois leur res­taient contraires, il était tou­jours pos­sible à quelques magis­trats zélés d’envoyer les chré­tiens à la mort : et c’est ce qui se pro­dui­sit à diverses reprises. En met­tant les choses au mieux en ce qui concerne Rome, et en sup­po­sant que la tolé­rance y fut alors la règle géné­rale, on peut défi­nir cette situa­tion par ce mot très moderne et qui a reçu en des temps plus récents une appli­ca­tion ana­logue : « la police fer­mait les yeux ».

Quel que fût le régime auquel était sou­mise la reli­gion du Christ à ce moment, la mai­son des deux vierges devint un lieu de réunions per­ma­nentes. Nuit et jour, le chant des hymnes s’y fai­sait entendre, et beau­coup de païens y venaient trou­ver la foi et rece­vaient le bap­tême en toute allé­gresse. Et comme les assem­blées publiques des chré­tiens demeu­raient inter­dites, les Papes se reti­raient secrè­te­ment chez elles pour offrir les saints mys­tères et admi­nis­trer les sacre­ments aux fidèles qui les y venaient trouver.

Mort de sainte Pudentienne. – Mort de Novatus.

Or, la vierge Pudentienne étant morte la pre­mière, à un âge qu’il est dif­fi­cile de pré­ci­ser, sa sœur Praxède l’ensevelit : les chré­tiens entou­rèrent son corps d’aromates et de par­fums et le tinrent caché, par pru­dence, durant vingt-​huit jours, dans l’in­té­rieur de l’o­ra­toire. Puis, le 14 des calendes de juin (le 19 mai), ils purent le trans­por­ter durant la nuit au cime­tière de Priscille, sur la via Salaria, et le dépo­ser près du corps de saint Pudens.

Ce cime­tière chré­tien, le plus ancien de tous, doit sa fon­da­tion au consul Glabrion, mar­ty­ri­sé sous Domitien en 91 ; on y rat­tache le sou­ve­nir de la pre­mière pré­di­ca­tion de saint Pierre ; lieu tou­jours véné­ré et véné­rable, puisque sept Papes y avaient leur tom­beau en une basi­lique qui a été res­tau­rée en 1907.

La famille Pudens avait là une sépul­ture propre. C’est là qu’on trans­por­tait les restes des mar­tyrs, à l’aide de cha­riots à deux roues nom­més birotes, qu’employaient les maraî­chers des envi­rons de Rome pour appor­ter dans la ville les pro­duits de leurs terres, ce qui per­mettait, en temps de per­sé­cu­tion, de dis­si­mu­ler un corps humain sous un mon­ceau de provisions.

Praxède conti­nua à habi­ter le titu­lus, après le départ de sa sœur bien-​aimée. Les plus nobles chré­tiens, avec le saint évêque Pie, la visi­taient sou­vent, pour lui appor­ter des paroles de consolation.

Parmi eux était saint Novatus, homme très géné­reux, qui répan­dait ses aumônes dans le sein des pauvres de Jésus-​Christ et consa­crait ain­si tous ses biens en œuvres de misé­ri­corde, deman­dant sou­vent à la vierge Praxède de se sou­ve­nir de lui dans ses prières. Le Marty­rologe, au 20 juin, l’ap­pelle le frère de Praxède, mais il convient sans doute de prendre ce mot dans le sens plus large de « frère dans le Christ ».

Ici nous lais­sons la parole au prêtre Pasteur :

Or, un an et vingt-​huit jours après la dépo­si­tion de Pudentienne, dans l’assemblée des fidèles on remar­qua l’absence de Novatus. L’évêque Pie, dont la sol­li­ci­tude embrasse tous les chré­tiens, s’informa de lui. On apprit que Novatus était rete­nu par la mala­die, et cette nou­velle nous affli­gea tous. La vierge Praxède, s’adressant alors à notre père le Pontife :

– Si vous l’ordonnez, dit-​elle, nous irons visi­ter le malade ; peut-​être vos prières obtiendront-​elles du Seigneur sa guérison.

L’assemblée accueillit avec bon­heur ces paroles. Profitant des ombres de la nuit, nous nous ren­dîmes auprès de Novatus.

Cet homme de Dieu, en nous voyant, ren­dit grâces au Seigneur de lui envoyer la visite du saint évêque Pie, de la vierge Praxède et de nous-​même. Nous demeu­râmes dans sa mai­son les deux jours qui sui­virent. Dans cet inter­valle, il lui plut de lais­ser au titu­lus et à la vierge Praxède tout ce qu’il pos­sé­dait. Cinq jours après, il émi­gra vers le Seigneur.

Praxède deman­da à saint Pie d’ériger un second titre ou église à côté de l’ancien, dans les thermes de Novatus, les­quels n’étaient plus en usa­gé et avaient une salle grande et spa­cieuse. Le Pape en fit la dédi­ca­cé sous le nom de la bien­heu­reuse vierge Pudentienne. Plus tard, il dédia une autre église là où s’élève aujourd’hui l’église Sainte-​Praxède, et il y éta­blit un baptistère.

Retour de la persécution. – Mort de sainte Praxède.

A Antonin le Pieux suc­cé­da, en 161, Marc-​Aurèle, l’empereur phi­losophe, aux prin­cipes rigides, dont on vou­drait faire une manière de saint laïque, et qui ver­sa plus de sang chré­tien à lui seul que Néron et Domitien. C’est sans doute sous son règne que Praxède ter­mi­na sa vie ter­restre, et c’est bien ce qu’indique le Bréviaire romain quand il parle de la per­sé­cu­tion de l’empereur Marc-​Antonin, c’est-à-dire Marc-​Aurèle, de la famille des Antonins.

Quelque temps après, une grande tour­mente se déchaî­na contre les chré­tiens et beau­coup d’entre eux conquirent la cou­ronne du mar­tyre. Praxède, comme le dit le Bréviaire, s’efforça de venir en aide aux ser­vi­teurs de Dieu :

Elle les sou­la­geait de ses biens, leur ren­dait elle-​même tous les ser­vices qu’elle pou­vait et les conso­lait dans leurs peines. Elle cachait les uns dans sa mai­son, exhor­tait les autres à demeu­rer fermes dans la foi, ense­ve­lis­sait les corps de ceux qui avaient triom­phé. Elle veillait à ce que rien ne man­quât aux pri­son­niers et à ceux qui étaient condam­nés aux bagnes.

Mais l’empereur Marc-​Aurèle ayant appris que des réunions se fai­saient au titre de Praxède, le fît inves­tir par ses sol­dats, et beau­coup de chré­tiens furent pris, notam­ment le prêtre Semmétrius et vingt-​deux autres. Ils furent conduits au sup­plice sans même qu’on dai­gnât leur faire subir un interrogatoire.

Praxède recueillit leurs corps durant la nuit, et elle les ense­ve­lit au cime­tière de Priscille le sep­tième jour des calendes de juin.

Sainte Praxède veille à l’en­se­ve­lis­se­ment des martyrs

D’un âge très avan­cé, cette pieuse femme n’aspirait plus qu’à l’éternel repos « dans le bai­ser du Christ ».

Ne pou­vant sup­por­ter le spec­tacle de ces san­glantes per­sé­cu­tions, elle pria Dieu de la reti­rer du milieu de tant de maux, s’il était expé­dient qu’il en fût de la sorte. Le Seigneur l’appela au ciel vers ce temps-​là pour récom­pen­ser sa piété.

Ainsi s’exprime le Bréviaire. Nous n’avons d’autres détails sur sa mort et sa sépul­ture que ceux de ses Actes, où nous lisons :

Praxède émi­gra vers le Seigneur, vierge consa­crée, le 12 des calendes d’août. Moi Pasteur, prêtre, j’ai inhu­mé son corps près de celui de son père, dans le cime­tière de Priscille, sur la voie Salaria.

Avec ces don­nées on ne voit pas com­ment cer­tains hagio­graphes ont pu ran­ger la pieuse femme au rang des vierges martyres.

Culte rendu à sa mémoire.

Praxède avait eu l’honneur de four­nir un temple à Jésus-​Christ et un asile à l’Eglise : une basi­lique s’éleva bien­tôt sous son vocable, dans la Ville éter­nelle, et c’est un des titres car­di­na­lices les plus anciens.

L’église actuelle, confiée aux Bénédictins de Vallombreuse, est à trois nefs divi­sées par seize colonnes de gra­nit, avec son maître-​autel déco­ré d’un bal­da­quin, que sur­montent quatre colonnes de por­phyre. La tri­bune et le grand arc sont ornés de mosaïques anciennes ; dans la tri­bune se voit aus­si un tableau, de Dominique Muratori, repré­sentant la Sainte. La cha­pelle la plus remar­quable, déco­rée, même à l’extérieur, de mosaïques anciennes, ren­ferme une colonne trans­portée de Jérusalem en 1233, par le car­di­nal Jean Colonna, et qui, d’après la tra­di­tion, serait la colonne de la fla­gel­la­tion. Au milieu de l’église est un puits, dans lequel, affirme-​t-​on, sainte Praxède recueillait le sang des mar­tyrs. On montre aus­si une éponge avec laquelle elle l’avait pieu­se­ment les pré­cieux restes de ces témoins de Jésus-Christ.

Le reli­quaire de la colonne de la fla­gel­la­tion © LPL

Le corps de sainte Praxède, que le Pape saint Pascal Ier fît reti­rer des Catacombes au ixe siècle, est hono­ré sous le grand autel. Le même Pape ordon­na en même temps de trans­por­ter dans cette église les corps de deux mille mar­tyrs : au jour de la résur­rec­tion, ils se lève­ront pour escor­ter celle qui, de son vivant, se fît l’humble ser­vante des confes­seurs de la foi.

Saint Charles Borromée reçut, en novembre 1564, le titre cardi­nalice de Sainte-​Praxède, et il enri­chit beau­coup de ses bien­faits cette église qui lui était chère par son ancien­ne­té et par la mul­ti­tude de ses reliques. Non content de la res­tau­rer et de l’embellir, le saint car­di­nal se fit construire dans ses dépen­dances une rési­dence qu’il ne ces­sa d’habiter dans la suite, tant qu’il res­ta à Rome. Une des cha­pelles, reli­gieu­se­ment conser­vée, y per­pé­tue le sou­ve­nir du grand arche­vêque de Milan.

Un des pre­miers docu­ments ico­no­gra­phiques concer­nant sainte Praxède, dont nous consta­tions l’existence, est un buste, sculp­té sur la porte de bronze de l’église Sainte-​Pudentienne, figure qui remonte au ve ou vie siècle. La Sainte est repré­sen­tée tenant une lampe allu­mée, comme une vierge sage. En cette même église Sainte-​Pudentienne se trouve une mosaïque fameuse du ixe siècle : Notre-​Seigneur, assis sur un trône au pied de sa croix y est entou­ré de ses apôtres ; der­rière ce groupe, deux matrones d’âge mûr tiennent cha­cune une cou­ronne. Les célèbres archéo­logues Jean-​Baptiste de Rossi et son élève Horace Marucchi recon­naissent en ces deux femmes sainte Praxède et sa sœur. On repré­sente par­fois Praxède et Pudentienne ren­dant aux mar­tyrs les der­niers devoirs. Le gra­veur Jacques Callot a de même figu­ré sainte Praxède épon­geant le sang des mar­tyrs sur une place publique.

Dans quelques par­ties de la France, cette Sainte est hono­rée sous le nom alté­ré de Pérussette.

Octave Caron.

Sources consul­tées. – H. Marucchi, notice au mot « Pudens » dans le Dictionnaire biblique de Vigouroux. – Abbé Martin, Les Vierges mar­tyres, t. Ier (Paris, 1874). – Mgr Gerbet, Esquisse de Rome chré­tienne. – (V. S. B. P., n° 752.)