Saint Louis de Gonzague

La vocation de saint Louis de Gonzague, par Guercino

Jésuite, patron de la jeu­nesse (1568–1591)

Fête le 21 juin.

Vie résumée

Saint Louis de Gonzague naquit en l’an 1568, d’une famille prin­cière d’Italie. Avant sa nais­sance, sa mère, en dan­ger de mort, avait fait vœu de consa­crer son enfant à Notre-​Dame de Lorette, si elle obte­nait une heu­reuse déli­vrance. Encore au ber­ceau, s’il se pré­sen­tait un pauvre, Louis pleu­rait jus­qu’à ce qu’on lui eût fait l’au­mône ; son visage res­pi­rait un tel air de ver­tu, que ceux qui le por­taient dans leurs bras croyaient tenir un Ange.

A l’âge de cinq ans, il avait rete­nu et répé­té quelques paroles gros­sières qu’il avait enten­dues sor­tir de la bouche des sol­dats de son père, sans les com­prendre ; il en fut repris et en mon­tra tant d’hor­reur, qu’il pleu­ra cette faute, la plus grande de sa vie, et qu’il en fit péni­tence jus­qu’à la mort. Le père de Louis, qui son­geait à la for­tune de son fils, l’en­voya suc­ces­si­ve­ment chez plu­sieurs princes, en qua­li­té de page ; mais Dieu, qui avait d’autres vues, vou­lait ain­si mon­trer ce jeune Saint aux cours d’Europe, pour leur faire voir que la pié­té est de toutes les condi­tions, et l’in­no­cence de tous les âges. Dans ces milieux mon­dains où il vivait comme n’y vivant pas, ses pro­grès dans la sain­te­té furent surprenants.

A huit ou neuf ans, il fit le vœu de vir­gi­ni­té per­pé­tuelle ; sa déli­ca­tesse était si angé­lique, que jamais il ne regar­da une femme en face, pas même sa mère ; jamais il ne per­mit à son valet de chambre de l’ai­der à s’ha­biller, et sa pudeur était si grande, qu’il n’o­sa même pas lui lais­ser voir le bout de ses pieds nus. Vers l’âge de onze ans, il fit sa Première Communion des mains de saint Charles Borromée.

A seize ans, il se déci­da à entrer dans la Compagnie de Jésus. Peu de voca­tions ont été aus­si éprou­vées que la sienne : son père fut pour lui, pen­dant quelques temps, d’une dure­té sans pareille ; mais il dut enfin céder devant la Volonté de Dieu, et Louis entra au novi­ciat des Jésuites, à Rome. Il y parut dès les pre­miers jours comme un modèle digne d’être pro­po­sé aux plus par­faits ; on vit en lui un pro­dige de mor­ti­fi­ca­tion, un ange de pure­té, une mer­veille d’a­mour de Dieu. La seule vue de Louis dis­si­pait chez les autres les plus vio­lentes ten­ta­tions de la chair. Jamais il n’a­vait res­sen­ti la concu­pis­cence char­nelle, et mal­gré cela il était cruel pour son propre corps à l’é­gal des Saints les plus austères.

Obligé par ses supé­rieurs, pour cause de san­té, à ne pas se lais­ser absor­ber dans la pen­sée de Dieu, il devait s’é­crier sou­vent, empor­té par l’a­mour au-​delà de l’o­béis­sance : « Éloignez-​Vous de moi, Seigneur ! » Louis reçut du Ciel l’an­nonce de sa mort et fut bien­tôt vic­time de sa cha­ri­té pen­dant la peste de Rome, l’an 1591.

Son pre­mier miracle après sa mort fut la gué­ri­son de sa mère, à laquelle il appa­rut sou­riant et res­plen­dis­sant de gloire. Ce fut le signal d’une dévo­tion qui fut récom­pen­sée par de nom­breux prodiges.

Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’an­née, Tours, Mame, 1950

Version longue (La Bonne Presse)

Au milieu de la vie toute maté­rielle et pleine de faste que menaient les cours euro­péennes du xvie siècle, la Providence sus­ci­ta, comme un reproche vivant, une vic­time volon­taire d’expiation, un jeune Saint déta­ché de tous les biens de ce monde, pra­ti­quant la sainte pau­vre­té, si pur qu’il a été choi­si pour patron et modèle de la jeu­nesse ; si par­fait que son entou­rage ne trou­vait point en lui matière à la plus légère cri­tique : modèle admi­rable, qui, s’il n’est pas abso­lu­ment imi­table, peut tou­jours, sui­vant le mot très juste de saint François de Sales, être sui­vi de près ou de loin par cha­cun de nous.

Naissance de saint Louis de Gonzague.

Cet angé­lique jeune homme eut pour père Don Ferdinand Gonzaga ou de Gonzague, des princes de Mantoue, mar­quis de Castiglione, prince du Saint-​Empire, et pour mère Marthe Tana, fille de Balthazar Tana, comte de Santena et sei­gneur de Chieri en Piémont.

La mar­quise de Gonzague, femme très pieuse, avait deman­dé à Dieu un fils qui fût un bon ser­vi­teur de Jésus-​Christ. Sa prière fut enten­due. Toutefois, la mère et l’enfant parais­saient voués à la mort, de l’avis des méde­cins, lorsque la mar­quise voua le cher petit être à Notre-​Dame de Lorette. Elle fut aus­si­tôt exau­cée et l’enfant vint au monde, plein de vie, le 9 mars de l’an 1568, au châ­teau de Castiglione delle Stiviere, dio­cèse de Brescia, en Lombardie. Il fut pro­cédé, dès le 20 avril, aux céré­mo­nies qui devaient s’ajouter à l’ondoiement qui lui avait été confé­ré d’urgence, et il reçut le nom d’Aluigi ou Luigi (en latin Aloysius), nom que le fran­çais a tra­duit « Louis », tout comme le mot latin Ludovicus.

Admirables dispositions dès les premières années.

La pieuse mère, regar­dant dès lors ce fils comme un dépôt sacré, prit un soin extrême de lui ins­pi­rer de bonne heure les sen­ti­ments de la plus tendre pié­té. Depuis le jour de sa nais­sance, elle lui fai­sait ébau­cher, en lui tenant le bras, le signe de la croix. L’enfant mon­tra bien­tôt lui-​même qu’il était vrai­ment l’objet d’une adop­tion et d’une pro­tec­tion toute par­ti­cu­lière du ciel ; il était encore au ber­ceau, et déjà sa ten­dresse pour les pauvres, la com­pas­sion qu’il témoi­gnait à la vue de leurs misères éton­nait tout le monde. Son visage, empreint d’une angé­lique dou­ceur, res­pi­rait un tel air de pié­té, que ceux qui le por­taient entre leurs bras croyaient tenir un ange, à la seule vue duquel ils se sen­taient inté­rieu­re­ment ani­més à la vertu.

La mar­quise était ravie de voir ces incli­na­tions de son fils pour la pié­té, mais le père eût mieux aimé lui voir de l’ardeur pour les armes. Il le prit avec lui pour aller faire à Casal une revue de ses troupes, afin que l’enfant, alors âgé de cinq ans, se trou­vant en contact avec les mœurs mili­taires, pût prendre une humeur guer­rière. Le mau­vais exemple des gens de guerre fit quelque impres­sion sur lui. Il en retint des paroles un peu libres qu’il répé­tait sans les com­prendre, mais son gou­ver­neur l’en ayant repris aus­si­tôt, il en eut hor­reur et évi­ta désor­mais ceux qui les prononçaient.

Le mar­quis de Gonzague éprou­vait une décep­tion en voyant per­sis­ter, chez l’héritier du nom, une atti­tude qu’il esti­mait conve­nir plu­tôt à un homme d’Eglise. Il avait plus de satis­fac­tion avec son deuxième fils, Rodolphe, d’un carac­tère batailleur. Don Ferdinand les emme­na l’un et l’autre à Florence, où ils logèrent dans un palais mis à leur dis­po­si­tion par le grand-​duc de Toscane, François de Médicis, sous la sur­veillance d’un gou­ver­neur char­gé de diri­ger un train de mai­son impor­tant. Les deux enfants allaient à la cour les jours de fête et ils y jouèrent avec deux jeunes prin­cesses, dont l’une, Marie, devait un jour être reine de France.

La sépa­ra­tion fut pénible pour la mar­quise, trop occu­pée par ses plus jeunes enfants pour accom­pa­gner les deux aînés dans un Etat dont le sou­ve­rain lui-​même menait une vie cor­rom­pue. Bien loin de se lais­ser influen­cer par un air si conta­gieux, le jeune Louis, âgé de neuf ans, fit des pro­grès sur­pre­nants dans la sain­te­té. La prière et l’étude lui tenaient lieu de tous les diver­tis­se­ments. Pour triom­pher plus faci­le­ment du démon, du monde et de sa propre nature, il se mit sous la sau­ve­garde de la Très Sainte Vierge, et fit entre ses mains, en l’église de l’Annonciation, le vœu de vir­gi­ni­té per­pé­tuelle. Cet acte héroïque lui atti­ra tant de grâces que, depuis, il ne res­sen­tit aucun mou­ve­ment contraire à la pure­té. Sa déli­ca­tesse, d’ailleurs, pour cette admi­rable ver­tu, allait jusqu’à l’excès. Tout jeune qu’il était, il se fit une loi de ne jamais regar­der une femme en face, pas même sa mère.

Qu’on veuille bien remar­quer que Louis était, comme son père, « d’un tem­pé­ra­ment san­guin, vif et irri­table », par consé­quent un être de chair tout comme nous, mais sanc­ti­fié par la grâce, domp­té par une volon­té éner­gique et une mor­ti­fi­ca­tion de tous les instants.

L’affaiblissement de sa san­té lui ser­vit de pré­texte pour ren­trer avec son frère dans la mai­son fami­liale d’où le mar­quis était absent, ayant été nom­mé gou­ver­neur du Montferrat, à Casal.

Ni sa fer­veur ni même son état de san­té ne nui­saient à ses études, et la connais­sance des auteurs clas­siques, notam­ment Sénèque et Plutarque, ajou­tait à la matu­ri­té extra­or­di­naire de son juge­ment. Il ne se dés­in­té­res­sait pas non plus de son pro­chain, ensei­gnait le caté­chisme et s’efforçait de faire ces­ser les querelles.

Première Communion. – Mortifications. – Protection du ciel.

Ce fut à cette époque que saint Charles Borromée, arche­vêque de Milan et allié à la famille de Gonzague, pas­sant par Castiglione qui rele­vait de sa pro­vince ecclé­sias­tique, vit pour la pre­mière fois le jeune Louis. Le grand évêque décou­vrit avec admi­ra­tion les tré­sors de grâce ren­fer­més dans cette âme angé­lique. Louis n’avait point encore reçu la sainte Communion ; saint Charles la lui don­na de ses propres mains, au mois de juillet 1580. Depuis lors, l’enfant com­munia ordi­nai­re­ment tous les dimanches et, selon le conseil de saint Charles, il consa­crait les trois jours qui pré­cé­daient sa com­mu­nion à s’y pré­pa­rer et pas­sait les trois jours sui­vants en actions de grâces.

Toute sa vie, il eut une dévo­tion ardente pour l’adorable Sacrement de l’autel ; il pas­sait des heures entières au pied du taber­nacle et ne se las­sait point d’entendre la sainte messe : plus tard, il en ser­vit jusqu’à cinq par jour.

Il n’avait encore que treize ans, et déjà il jeû­nait trois fois la semaine ; ses repas étaient d’ailleurs si res­treints qu’ils ne pou­vaient suf­fire à expli­quer d’une façon natu­relle la conser­va­tion même de sa vie. A cette rigou­reuse abs­ti­nence, il ajou­tait la dis­ci­pline jusqu’au sang ; il glis­sait adroi­te­ment une planche dans son lit.

En 1580, le mar­quis de Gonzague fit venir à Casai sa femme ain­si que Louis et Rodolphe. En route, le second car­rosse, où les enfants avaient pris place avec leur gou­ver­neur, fut entraî­né par les eaux du Tessin et bri­sé : les voya­geurs ne furent sau­vés que par un miracle.

Saint Louis à la cour d’Espagne. – Vocation religieuse.

L’année sui­vante, le mar­quis et la mar­quise emme­nèrent trois de leurs six enfants en Espagne, à la suite de l’impératrice Marie, fille de Charles Quint et veuve de Maximilien II ; bien­tôt Louis et Rodolphe furent don­nés pour pages au jeune infant Diégo, fils de Philippe IL Il sem­blait que Dieu vou­lût ain­si mon­trer un Saint à plu­sieurs cours de l’Europe, pour faire voir que la pié­té est de toutes les condi­tions et l’innocence de tous les âges.

Après un an de séjour en Espagne, étant alors âgé de seize ans, Louis jugea que le moment était venu de mettre à exé­cu­tion son pro­jet d’entrer dans un Ordre reli­gieux. Mais, comme il n’avait point encore fait son choix, il eut recours à la Sainte Vierge, son refuge ordi­naire, et, le jour de l’Assomption 1583, il reçut la sainte Communion au col­lège des Jésuites de Madrid, avec une dévo­tion et une pré­pa­ra­tion extra­or­di­naires, afin d’apprendre ce que Dieu deman­dait de lui. Pendant son action de grâces, il enten­dit au fond de son cœur une voix dis­tincte qui lui ordon­nait d’entrer dans la Compagnie de Jésus.

Epreuves que rencontre sa vocation.

Le jeune homme réso­lut d’obéir le plus promp­te­ment pos­sible à l’avis du ciel, mais de rudes com­bats l’attendaient. La mar­quise de Gonzague s’entremit près de son mari pour lui annon­cer la déci­sion de Louis ; l’accueil fut rude, Don Ferdinand accu­sant sa femme de vou­loir dépouiller l’aîné au béné­fice de Rodolphe ; Louis ne reçut pas meilleur accueil et son père s’emporta jusqu’à le mena­cer de le faire battre par ses gens.

Le véné­rable François de Gonzague, Général d’une branche des Frères Mineurs et cou­sin du mar­quis, étant venu à Madrid, fut solli­cité par le père d’examiner la voca­tion du jeune homme. Deux heures d’entretien le convain­quirent de sa réa­li­té ; il réus­sit à faire tom­ber, après quelques jours, les pré­ven­tions pater­nelles et obtint que Louis aurait toute liber­té d’entrer dans la Compagnie de Jésus lorsqu’il serait de retour en Lombardie.

Cette parole était-​elle sin­cère ? On peut se le deman­der. En effet, le mar­quis ne pou­vait se rési­gner à lais­ser par­tir son fils et s’efforçait tou­jours de gagner du temps par des pro­messes qu’il ne tenait pas. Ainsi, une fois de retour en Italie, Louis dut faire un long voyage, en com­pa­gnie de son frère Rodolphe ; il obéit, mais attes­ta son désir d’une vie plus par­faite par la grande sim­pli­ci­té de ses vête­ments noirs et par le choix des per­sonnes de qui il accep­tait l’hospitalité : à Pavie, il va voir Frédéric Borromée, le futur arche­vêque de Milan ; à Turin, il loge chez son parent, le car­di­nal del­la Rovere, plu­tôt qu’à la cour de Savoie. Les deux voya­geurs étaient de retour en sep­tembre 1584 à Castiglione. En cette ville, la voca­tion de Louis fut atta­quée, à l’instigation du mar­quis, suc­ces­si­ve­ment par un reli­gieux, un évêque, l’ar­chi­prêtre, lequel d’ailleurs fut obli­gé de décla­rer que l’appel de Dieu était réel. Don Ferdinand ne cède pas pour cela, et chasse de sa pré­sence son fils qui lui adresse de nou­velles ins­tances. Apprenant que Louis se donne la dis­ci­pline, et étant alors aux prises avec la goutte, il se fait rou­ler dans un fau­teuil près de son fils, pour qui il a au fond de l’affection et du res­pect, et pro­met d’écrire le jour même à leur parent, le car­di­nal Scipion de Gonzague, en vue d’une démarche près du Général de la Compagnie de Jésus, le P. Aquaviva, allié de la famille.

Mais c’était encore un leurre : le jeune homme fut envoyé à Milan à la fin de 1584, pour trai­ter une affaire impor­tante, ce qu’il fît avec une matu­ri­té admi­rable ; obli­gé de pro­lon­ger son séjour dans la capi­tale lom­barde, il y sui­vit les cours du col­lège Brera, diri­gé par les Jésuites, heu­reux de pou­voir par­fois jouer au Frère portier.

Il quit­ta Milan en juillet 1585 ; le père se dédit encore. Mais Louis fit un jour une démarche si ferme que le mar­quis dut céder ; et comme il s’agissait de l’aîné de ses fils, toute la famille de Gonzague, qui comp­tait plu­sieurs branches, fut convo­quée à Mantoue en vue d’un acte de renon­cia­tion à l’héritage pater­nel, qui était sou­mis à l’approbation de l’empereur.

La lec­ture de l’acte, par lequel Louis confé­rait tous ses droits à son frère Rodolphe, eut lieu le 2 novembre 1585. Louis s’était fait faire en secret une sou­tane, et c’est dans cette tenue qu’il parut au dîner, ce qui exci­ta une nou­velle crise de déses­poir de son père. Le 4 novembre il par­tit, accom­pa­gné de Rodolphe et de plu­sieurs des gens de sa mai­son ; son frère le quit­ta bien­tôt, et Louis conti­nua sa route avec son escorte par Bologne, Lorette, où il accom­plit le vœu que sa mère avait fait lors de sa nais­sance, vœu qui avait été com­mué par le Pape Grégoire XIII. Le 21 novembre, il arri­vait à Rome, et ii des­cen­dit chez le car­di­nal Scipion de Gonzague, qui avait par­lé de lui au Pape Sixte-​Quint. Le 25, il fut pré­sen­té au P. Pescatore, maître des novices Jésuites et rec­teur de Saint-​André au Quirinal. Le nou­veau novice n’avait pas encore dix-​huit ans accomplis.

Ferveur et sainteté du jeune novice.

Les pro­grès sur­pre­nants que Louis fit dans cette école du novi­ciat éton­nèrent les plus par­faits. On n’eut besoin que de modé­rer sa fer­veur et de mettre des bornes à l’immense désir qu’il avait de faire pénitence.

Détaché de tout, indif­fé­rent à la noblesse de sa famille, aux hon­neurs dont ses alliés étaient l’objet, il recher­chait en tout la plus mau­vaise part, les besognes les plus humbles, par exemple celles d’aide-réfectorier ou d’aide-infirmier ; à Milan, il fut tout joyeux de se voir confier l’office de détruire les toiles d’araignées, et quand venait un grand per­son­nage, il se pré­sen­tait la tête de loup en main.

A la fin de sa vie, ce jeune novice d’origine prin­cière n’avait plus en propre qu’une Bible et deux pauvres images !

De Saint-​André, il pas­sa quelque temps au Gesù, où les Pères s’édi­fiaient en sa com­pa­gnie ; puis il reprit sa place au novi­ciat, tou­jours en orai­son, se mor­ti­fiant dans la mesure où on le lui per­met­tait, se déso­lant par­fois de ne pas se trou­ver de péchés véniels. Emmené à Naples pour sa san­té, il y reprit ses mor­ti­fi­ca­tions avec l’assentiment de son supé­rieur, et contrac­ta un éry­si­pèle qui le fît reve­nir à Rome.

Le jeune novice pro­non­ça ses vœux le 25 novembre 1587, anni­versaire de son entrée à Saint-​André ; ton­su­ré le 25 février 1588 à Saint-​Jean de Latran, Louis reçut les ordres mineurs en quatre fois, du 28 février au 28 mars suivant.

Saint Louis ange de paix.

L’amour du pro­chain le tira de la soli­tude reli­gieuse, en sep­tembre 1589, pour le conduire dans sa famille. Sur le conseil de saint Robert Bellarmin, futur car­di­nal, et qui était son confes­seur, il accep­ta, en effet, d’aller apai­ser un grave dif­fé­rend sur­ve­nu entre le mar­quis de Castiglione, son frère, et le duc de Mantoue, au sujet du fief de Solferino. Arrivé à Castiglione, le « saint P. Aluigi », comme on l’appelait, fut reçu comme un ange du ciel.

Louis réus­sit à récon­ci­lier les deux anta­go­nistes. Il lui res­tait à rem­plir une autre mis­sion, non moins déli­cate, consis­tant à rendre public, afin d’éviter tout scan­dale, et à faire accep­ter par toute la famille de Gonzague un mariage secret contrac­té par Rodolphe, avec la per­mis­sion de l’évêque, mariage d’ailleurs hono­rable, mais qui, à l’époque, était consi­dé­ré comme une mésal­liance. La jeune mar­quise de Mantoue devait être la mère de trois reli­gieuses, les pre­mières « Vierges de Jésus », qui toutes trois mou­rurent en odeur de sain­te­té entre 1645 et 1650.

Saint Louis récon­ci­lie son frère et le duc de Mantoue

Le saint reli­gieux dut séjour­ner plu­sieurs mois à Milan ; il y eut comme un pres­sen­ti­ment que l’heure appro­chait où Dieu l’appellerait à par­ta­ger la gloire des élus. Il repar­tit pour Rome en mai 1590.

Saint Louis se prépare à sa dernière heure. – Sa mort.

Cependant, la ville pon­ti­fi­cale était affli­gée par une épi­dé­mie ; Louis, mal­gré sa fai­blesse, obtint de soi­gner les conta­gieux ; au bout de quelques jours, ses supé­rieurs, vou­lant le ména­ger, l’en reti­rèrent pour l’hôpital, non conta­mi­né jusqu’alors, de la Consolation. Malgré cela, le 3 mars 1591, il était frap­pé à son tour. Le bruit de sa mort, car le genre de la mala­die ne par­don­nait pas, se répan­dit dans les cours ita­liennes, et un ser­vice fut célé­bré pour lui à Castiglione. Louis sur­vé­cut pour­tant, mais miné par une fièvre lente et par la toux. Son corps était deve­nu d’une mai­greur extrême ; le séjour pro­lon­gé au lit pro­vo­qua des plaies, dont une, grave, au talon.

Ces der­niers mois furent pour la com­mu­nau­té une source d’édifi­cation constante, pour le malade une pré­pa­ra­tion, qui lui parais­sait sans fin, de la vie du ciel. Enfin, le 20 juin, il affir­ma plu­sieurs fois qu’il mour­rait le jour même, insis­ta pour qu’on lui appor­tât le saint Viatique, et après avoir par­lé, avec un très grand calme, à cha­cun de ses visi­teurs, res­té seul avec deux reli­gieux, les yeux fixés sur un grand Crucifix indul­gen­cié, sa main droite tenant un cierge bénit et sa main gauche pres­sant un petit Crucifix, il expi­ra dans la nuit du 20 au 21 juin, en essayant de pro­non­cer le nom de Jésus.

Son culte.

Louis de Gonzague était à peine mort qu’on se par­ta­geait ses « reliques », ses che­veux, des frag­ments de son linge et de ses vête­ments, les plumes dont il se ser­vait. Les Pères vinrent lui bai­ser la main, bien qu’il ne fût pas prêtre ; contrai­re­ment à l’usage des pauvres de cette époque, usage adop­té par les Jésuites, son corps fut mis dans un cer­cueil. Le len­de­main de sa mort, il fut inhu­mé en l’église du Collège romain, dans la cha­pelle du Crucifix. Une exhu­mation eut lieu, en 1598, à cause du débor­de­ment du Tibre ; en 1602, les restes furent dépo­sés dans la sacris­tie du Collège, puis sous l’autel de saint Sébastien, et de là, en 1605, trans­fé­rés dans la cha­pelle de la Sainte Vierge, avec une épi­taphe por­tant le titre de « Bienheureux » : Beatus Aloysius.

En 1600, le « petit Saint » appa­rut dans la gloire à sainte Marie-​Madeleine de Pazzi, célèbre par ses visions, et dès lors le couvent des Carmélites de Florence com­men­ça à le prier comme un Bienheureux. Cette année-​là et les quatre années qui sui­virent, des pro­cès infor­ma­tifs furent ouverts en près de vingt dio­cèses ; François de Gonzague, évêque de Mantoue, et l’évêque de Brescia avaient auto­ri­sé, cha­cun dans le sien, des mani­fes­ta­tions cultuelles, comme le Droit canon le leur per­met­tait alors.

En 1604, le 21 juin, le por­trait du saint Jésuite fut expo­sé à Rome en l’église du Collège romain ; de même, à Castiglione, le 28 juillet. Mieux encore : le 21 mai 1605, le Pape Paul V, imi­tant l’exemple de son pré­dé­ces­seur Clément VIII, auto­rise ver­ba­le­ment l’emploi du titre de « Bienheureux », l’exposition du por­trait avec une auréole, au tom­beau de Louis de Gonzague, ain­si que l’ex­hi­bi­tion des ex-voto.

Pendant ce temps, le bien­heu­reux Robert Bellarmin était mis à la tête d’une Commission car­di­na­lice char­gée d’examiner la cause ; cette Commission conclut non seule­ment à la béa­ti­fi­ca­tion, mais même à la cano­ni­sa­tion ; deux ans plus tard, le même car­di­nal pou­vait pré­senter au Pape trente et un miracles recon­nus authentiques.

Louis de Gonzague fut béa­ti­fié par un Bref de Paul V en date du 19 octobre 1605, et il attes­tait, le même jour, par une gué­ri­son, la puis­sance de son intercession.

Sa mère, la mar­quise douai­rière de Mantoue, était morte depuis le 3 avril pré­cé­dent ; si elle n’avait pu assis­ter à la béa­ti­fi­ca­tion, du moins elle avait eu la joie d’en voir tous les signes pré­cur­seurs, et l’honneur insigne d’être inter­pel­lée l’année pré­cé­dente, du haut de la chaire, par un pré­di­ca­teur : « O mère fortunée… »

Paul V concé­da la messe propre et l’office du Bienheureux aux Etats des princes de Gonzague en 1617 et aux mai­sons romaines de la Compagnie de Jésus en 1618 ; Grégoire XV éten­dit cette faveur à toute la Compagnie en 1621 ; Clément X ins­cri­vit son nom au Mar­tyrologe romain, hon­neur réser­vé le plus sou­vent au seuls Saints.

Par les soins et aux frais du bien­heu­reux Robert Bellarmin, la chambre mor­tuaire fut trans­for­mée en une cha­pelle ; celle-​ci a été détruite plus tard pour la construc­tion de l’église Saint-​Ignace, où les reliques furent trans­fé­rées en 1649, et où un autel spé­cial fut dédié au bien­heu­reux Louis de Gonzague, cin­quante ans après.

Benoît XIII le cano­ni­sa par une Bulle du 26 avril 1726 ; les céré­monies solen­nelles eurent lieu seule­ment le 31 décembre sui­vant, en même temps que pour saint Stanislas Kotska, Jésuite lui aus­si, et mort l’année même où Louis venait au monde. La fête de saint Louis de Gonzague a été fixée eu 21 juin, au lieu du 20, les Romains du xvie siècle comp­tant les jours non de minuit à minuit, mais à par­tir du cou­cher du soleil.

Le même Pape Benoît XIII, en 1729, don­na saint Louis pour patron à la jeu­nesse et per­mit à tous les prêtres de célé­brer sa messe et son office ; de plus, il accor­da des pri­vi­lèges à la dévo­tion des « Six dimanches » en l’honneur de saint Louis de Gonzague, privi­lèges qui furent pré­ci­sés dans un sens exten­sif par Benoît XIV en 1740 ; enfin Grégoire XVI, en 1842, éten­dit à l’Eglise uni­ver­selle la messe et l’office propres.

Des fêtes magni­fiques eurent lieu pour célé­brer le deuxième cente­naire de sa cano­ni­sa­tion ; et Pie XI célé­bra à cette occa­sion une messe papale à Saint-​Pierre de Rome le 31 décembre 1926.

A. J. D.

Sources consul­tées. – P. Virgile Gepari, Saint Louis de Gonzague, tra­duc­tion du P. L. Michel (1891, Einsiedeln). – J.-M. Daurignac, Vie de saint Louis de Gonzague (Paris). – (V. S. B. P., nos 228 et 1475.)