Sainte Germaine Cousin

La mort de sainte Germaine, par Raoul Du faure de Pibrac, huile sur toile 1910, Église Sainte-Marie-Madeleine de Pibrac. Photo de Didier Descouens via Wikimedia

A côté des rois et des évêques, l’Eglise a accor­dé l’hon­neur des autels à des per­sonnes de la plus humble condi­tion, comme cette ber­gère († 1601) cano­ni­sée par Pie IX.

Fête le 15 juin.

Vie résumée

Germaine Cousin naquit à Pribrac, non loin de Toulouse. Sa courte vie de vingt-​deux ans est une mer­veille de la grâce. Fille d’un pauvre labou­reur, per­cluse de la main droite, scro­fu­leuse, elle fut, pour comble de mal­heur, pri­vée de sa mère, à peine sor­tie du ber­ceau. La petite orphe­line devint l’ob­jet de la haine et du mépris d’une belle-​mère aca­riâtre et sans cœur ; la dou­leur, née avec elle, devait être sa com­pagne jus­qu’à la mort. Cette pauvre igno­rante fut ins­truite par Dieu même dans la science de la prière.

Bergère des trou­peaux de la famille, elle pas­sait son temps en conver­sa­tions avec le Ciel ; le cha­pe­let était son seul livre ; la Sainte Vierge était sa Mère, les Anges ses amis, l’Eucharistie sa vie. Souvent on la vit age­nouillée dans la neige, tra­ver­sant à pied sec le ruis­seau voi­sin sans se mouiller, pour se rendre à l’é­glise, où elle assis­tait chaque jour au Saint Sacrifice et com­mu­niait sou­vent, pen­dant que ses bre­bis pais­saient tran­quilles autour de sa que­nouille plan­tée en terre. Charitable pour les pauvres, elle leur don­nait son pauvre pain noir, ne vivant guère que de l’a­mour de Dieu ; et, un jour, le Ciel renou­ve­la pour elle le miracle des roses devant les yeux de son impi­toyable marâtre.

A sa mort, les Anges et les Vierges célestes chan­tèrent au-​dessus de sa mai­son. Quarante ans plus tard, on trou­va, comme par hasard, mais pro­vi­den­tiel­le­ment, son corps intact avec un bou­quet de fleurs fraîches, sous les dalles de l’é­glise de sa paroisse. Elle est deve­nue une des grandes Thaumaturges et une des Saintes les plus popu­laires de la France.

Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’an­née, Tours, Mame, 1950

Version longue (La Bonne Presse)

Vie triste et inutile selon le monde, que celle de cette jeune fille occu­pée exclu­si­ve­ment à la garde d’un trou­peau, vouée du ber­ceau à la tombe aux infir­mi­tés, à la pau­vre­té, aux mau­vais trai­te­ments ; en réa­li­té, vie rayon­nante et sou­ve­rai­ne­ment bien­fai­sante par l’éclat des plus héroïques ver­tus de patience, de pié­té, de fidé­li­té au devoir. Dieu lui-​même écri­vit le poème de la glo­ri­fi­ca­tion post­hume de l’humble pas­tou­relle qui, par son corps mira­cu­leu­se­ment conser­vé, son cré­dit tout-​puissant au ciel, le culte public que l’Eglise lui rend, sur­vi­vra dans le cours des siècles.

Une enfant vouée à la souffrance dès le berceau.

Germaine Cousin naquit vers l’an 1579 à Pibrac, petit vil­lage dis­tant de trois lieues envi­ron de la ville de Toulouse. Malgré les ten­ta­tives des pro­tes­tants hugue­nots, les habi­tants, des culti­va­teurs, étaient res­tés inébran­la­ble­ment atta­chés à la doc­trine et aux pres­crip­tions de l’Eglise. Leurs chau­mières étaient pla­cées sur les flancs et au pied d’un coteau dont le som­met était cou­ron­né par une modeste église. Au nord et au midi du mame­lon, deux petites val­lées, où cou­laient le ruis­seau de l’Aussonnelle et son affluent le Courbet. Au-​delà des prai­ries s’étendait la forêt de Bouconne, assez rap­pro­chée, semble-​t-​il, de la ferme de Laurent Cousin, le père de Germaine.

Contrairement à ce qu’on a dit, la famille de Laurent était l’une des prin­ci­pales du vil­lage. Son chef pos­sé­dait une cer­taine aisance : pro­prié­taire de plu­sieurs arpents de terre en bor­dure de la forêt, il ven­dait du bois et du char­bon, était fer­mier des Clarisses de Levignac, tenait même à Toulouse une bou­tique de chaus­sures et d’habits. En 1573 et 1574, il rem­plit les fonc­tions de maire de sa com­mune. Quand il épou­sa en troi­sièmes noces, Marie Laroche, une veuve qui appro­chait de la soixan­taine, il était déjà près de la tombe.

Germaine, l’enfant pré­des­ti­née, fut le fruit de ce der­nier mariage de « maître Laurent ». Elle parut dès les pre­miers ins­tants de sa vie comme vouée à la souf­france : fort ché­tive, elle était, de plus, per­cluse de la main droite et atteinte de scro­fules, dou­lou­reuses infir­mi­tés qu’elle por­te­ra dans le tom­beau et qui ser­vi­ront un jour à iden­ti­fier son corps. Encore au ber­ceau, elle per­dit son père, puis, trois ou quatre ans après sa nais­sance, sa pieuse mère, Armande de Rajols, femme d’Hugues Cousin, demi-​frère de Germaine et héri­tier de la mai­son et des biens pater­nels, eut tout natu­rel­le­ment la charge d’élever l’orpheline avec ses propres enfants ; bien qu’elle fût la belle-​sœur de la fillette, elle se mon­tra envers celle-​ci dure et bru­tale comme une marâtre. Au lieu de lui don­ner la com­pas­sion, les soins, le dévoue­ment qu’appelait tout natu­rel­le­ment l’état mala­dif et dis­gra­cié de Germaine, elle la prit en aver­sion, la délais­sa, l’écarta le plus pos­sible des autres membres de la famille, la trai­tant comme une étran­gère. Son mari, soit par une cou­pable indif­fé­rence à l’égard de sa petite sœur, soit par une lâche timi­di­té, aban­don­na l’enfant qu’il aurait dû protéger.

Les anges gardiens de l’orpheline

Une vieille domes­tique, Jeanne Aubian, au ser­vice des Cousin depuis de longues années, ser­vit à l’orpheline de seconde mère : elle la pro­té­gea, soi­gna ses plaies scro­fu­leuses, conti­nua l’éducation reli­gieuse déjà com­men­cée par Marie Laroche, pré­pa­ra par ses pieux conseils le grand jour de la pre­mière Communion. L’instruction et la for­ma­tion chré­tiennes de la fillette furent conti­nuées et per­fec­tion­nées par l’abbé Guillaume Carrié, prêtre zélé qui rem­plis­sait, à la grande satis­fac­tion de tout le vil­lage, les fonc­tions de curé de Pibrac, sans cepen­dant en avoir le titre ni les hono­raires, car la com­mune appar­te­nait depuis le xiiie siècle à l’Ordre de Malte et rele­vait pour l’administration parois­siale du grand prieur de Toulouse. Sous la sage direc­tion de son pas­teur, la petite Germaine, fidèle aux grâces divines, devint un modèle de pié­té, de modes­tie, de dou­ceur et de patience. Martyrisée dans son cœur qui ne pou­vait dis­tri­buer aux siens les tré­sors de ten­dresse qui le rem­plis­saient, elle n’avait pas au moins à com­pri­mer les élans de son amour can­dide mais géné­reux pour Jésus et pour la Sainte Vierge.

Dès qu’elle parut d’âge à ser­vir, c’est-à-dire aux envi­rons de ses neuf ans, en dépit de son triste état de san­té, elle fut com­mise, hiver et été, à la garde des bre­bis, sur les lisières de la forêt de Bouconne. C’était un moyen de la tenir tout le jour éloi­gnée de la mai­son pater­nelle et de lui faire gagner le mor­ceau de pain noir qu’on lui don­nait avec par­ci­mo­nie chaque matin pour sa nour­ri­ture quo­ti­dienne. De plus en plus, sa belle-​sœur la trai­tait comme une étran­gère, une pau­vresse, une conta­gieuse. Elle ne pou­vait appro­cher des autres enfants de la famille sans rece­voir des reproches sévères, voire des coups. Pas de place pour elle au foyer. Elle devait res­ter seule dans un coin de la mai­son ou près du trou­peau. La nuit, elle pre­nait son repos sur un botte de paille au fond de l’étable ou sur un tas de sar­ments pla­cés au fond d’un cou­loir, sous l’escalier.

Toujours souf­frante, avec des plaies mal soi­gnées, misé­ra­ble­ment nour­rie et vêtue, elle était obli­gée de vivre dans les champs et les bois, expo­sée à toutes les rigueurs des sai­sons. Quand, le soir, épui­sée de fatigue, elle ren­trait à la mai­son qui était cepen­dant la sienne, bien sou­vent elle n’était accueillie que par les injures ou les reproches de sa ter­rible belle-​sœur : il n’y avait que froi­deur, dure­té et mépris pour la jeune fille, dans lame de ceux qui rem­pla­çaient ses parents. Les voi­sins et les autres habi­tants de Pibrac n’avaient pas non plus beau­coup de com­pas­sion et d’égards pour la pauvre ber­gère. Comme elle était d’ordinaire silen­cieuse, sup­por­tant tout avec patience, sans répondre aux raille­ries ou aux pro­vo­ca­tions, on se moquait d’elle comme d’une simple ou d’une idiote, on la tour­nait en ridi­cule. On la sur­nom­mait par­fois « la bigote », à cause de sa dévo­tion et de ses pra­tiques reli­gieuses. Certaines gens la pour­sui­vaient et la tour­men­taient, d’autant plus à l’aise que per­sonne ne pre­nait la défense de la vic­time et qu’elle-même souf­frait sans jamais se plaindre.

Les vertus et la piété de la bergère de Pibrac.

Infirmités, souf­frances du corps et du cœur, pri­va­tions de toutes sortes, mau­vais trai­te­ments de la part de sa famille, injures et moque­ries de la part de ses conci­toyens, Germaine Cousin ne connut guère que cela dans sa courte exis­tence : elle ne vécut qu’avec la dou­leur sous ses formes mul­tiples et, cepen­dant, elle vécut joyeuse et contente de souf­frir. « Dieu le veut ain­si », disait-​elle. Jamais une impa­tience, un mur­mure, une plainte, un sen­ti­ment de tris­tesse, de l’aigreur ou de l’aversion contre ceux qui la mal­trai­taient ou la mépri­saient, le témoi­gnage des contem­po­rains est for­mel sur ce point. Elle ne mani­fes­ta aucune jalou­sie parce que les enfants d’Hugues Cousin lui étaient injus­te­ment pré­fé­rés au foyer pater­nel : elle les aimait ten­dre­ment et cher­chait à leur rendre de petits ser­vices. Sans cesse elle mon­trait à la mai­son un visage tou­jours calme et sou­riant. Dieu lui avait don­né la grâce d’estimer et d’aimer la pau­vre­té, l’humiliation, les souffrances.

La petite ber­gère aimait si ten­dre­ment le Sauveur qu’elle se réjouis­sait de pou­voir lui res­sem­bler par l’abandon, le dénue­ment, les dou­leurs et la per­sé­cu­tion ; elle se gar­dait bien de lui deman­der la déli­vrance de ces maux : Dieu lui avait ensei­gné le prix ines­ti­mable du sacri­fice et la néces­si­té de la répa­ra­tion pour le péché. Son amour envers la sainte Eucharistie était d’autant plus ardent que son cœur était plus pur : il fal­lait bien aus­si répa­rer les sacri­lèges pro­fa­na­tions com­mises par les hugue­nots dans diverses églises de la région. Germaine avait le bon­heur de com­mu­nier assez sou­vent ; elle s’y pré­pa­rait par la confes­sion fré­quente et l’assistance presque quo­ti­dienne à la messe.

Elle célé­brait les fêtes mariales avec une dévo­tion par­ti­cu­lière, les sanc­ti­fiant par la pra­tique d’une ver­tu spé­ciale ou quelques œuvres de péni­tence., La réci­ta­tion du cha­pe­let était la prière habi­tuelle et favo­rite de la jeune fille, sa pro­tec­tion contre les assauts du démon, la source inta­ris­sable de lumières et de conso­la­tions. Au pre­mier coup de l’Angelus, elle se met­tait à genoux, en quelque endroit qu’elle se trou­vât, dans la boue, dans la neige, sur l’herbe humide. Cette jeune vierge, d’une pié­té si tendre et si intense, était conti­nuel­le­ment absor­bée en Dieu, au point non seule­ment de fuir tout ce qui pou­vait trou­bler son recueille­ment, comme les conver­sa­tions bruyantes, les jeux et les amu­se­ments pué­rils ou fri­voles des enfants de son âge, mais encore de ne trou­ver de vrais délices que dans la contem­pla­tion de Dieu, la prière et les visites à Jésus pré­sent au tabernacle.

Les miracles de la quenouille et du ruisseau torrentiel.

La vie d’une ber­gère est rude et mono­tone. Par tous les temps, de bon matin, Germaine condui­sait ses bre­bis dans les prés voi­sins de la forêt. Au pied d’un arbre, où une croix rus­tique était sus­pen­due, elle fai­sait sa prière, filait sa que­nouille. Quand la cloche annon­çait l’heure de la messe, l’irrésistible impul­sion de son amour pour Jésus l’arrachait à son trou­peau. Elle plan­tait sa que­nouille dans l’herbage et, confiant les ani­maux à la garde du divin Pasteur, elle se hâtait vers l’église pour assis­ter au Saint Sacrifice.

Sans doute, remarque Louis Veuillot, une telle conduite eût été blâ­mable en beau­coup d’autres, et ceux-​là ont une dévo­tion mal enten­due qui, pour la satis­faire, négligent les devoirs de leur état. Mais de la part de Germaine ce n’était qu’une obéis­sance prompte et aban­don­née à l’inspiration de Dieu. Elle savait qu’aucun acci­dent n’arriverait à son trou­peau et que le bon Dieu le gar­de­rait en son absence.

Et c’est ce qui arri­vait. Les bêtes lais­sées seules cou­raient plus d’un péril. Pourtant jamais de bre­bis éga­rées ou bien dévo­rées par les loups de la forêt ; jamais le moindre dom­mage cau­sé aux pâtu­rages ou aux champs voi­sins. La que­nouille fixée en terre repous­sait les car­nas­siers rôdeurs, main­te­nait le trou­peau dans le pacage. Sans doute, la conduite de la ber­gère expo­sait celle-​ci aux reproches et aux menaces de sa belle-​sœur, mais elle ne fut pas modi­fiée car Dieu l’inspirait, et d’ailleurs, dans le vil­lage, pas de bre­bis plus flo­ris­santes et plus belles que celles de Germaine Cousin.

Pour arri­ver jusqu’à l’église, la fille de maître Laurent devait tra­ver­ser un ruis­seau, le Courbet ; en temps de séche­resse, elle le pas­sait à gué ou en uti­li­sant quelques grosses pierres. A l’époque des pluies ou des orages, le filet d’eau deve­nu tor­rent offrait en dehors des pas­se­relles une bar­rière qua­si infran­chis­sable pour l’enfant.

Or, un matin qu’elle se ren­dait à la messe, Germaine ren­con­tra cette bar­rière mou­vante et dan­ge­reuse. Des pay­sans la regar­daient venir de loin, prêts à s’amuser de la décon­ve­nue de « la bigote » ; tout absor­bée dans le recueille­ment et la pen­sée de Dieu, la jeune fille mar­chait d’un pas tran­quille, et nul­le­ment inquiète de l’obstacle pla­cé sur sa route. Sans ralen­tir et sans hési­ter, elle posa le pied sur les eaux tor­ren­tielles ; aus­si­tôt le cou­rant s’immobilisa ; un cou­loir s’ouvrit entre deux murs liquides ; Germaine y pas­sa sans mouiller seule­ment le bas de sa robe, de son allure cou­tu­mière à la fois calme et rapide, comme si du miracle elle n’avait rien vu : on croit com­mu­né­ment que plus d’une fois Dieu sus­pen­dit le cours du tor­rent pour ne pas inter­rompre la prière de la pieuse vierge. Les pay­sans moqueurs furent sai­sis de crainte devant le pro­dige qui venait de se pro­duire sous leurs yeux.

Deux pay­sans s’é­tant cachés pour jouir de la décon­ve­nue de sainte Germaine, la voient tra­ver­ser un ruis­seau à pied sec.

Un modèle de charité : des fleurs miraculeuses dans un tablier.

La pauvre ber­gère de Pibrac aimait Dieu de toute son âme : à cause de cela elle aimait sin­cè­re­ment les enfants et leur ren­dait tous les ser­vices pos­sibles. Si elle igno­rait tout des sciences humaines et pro­fanes jusqu’à la lec­ture, elle connais­sait fort bien le caté­chisme et les obli­ga­tions du chré­tien. On la voyait réunir les petits pâtres ou les enfants des alen­tours pour leur apprendre les véri­tés de la reli­gion, les prières usuelles ; elle leur recom­man­dait d’aimer Dieu, de fuir le péché, de se gar­der des mau­vaises com­pa­gnies. A l’aumône du pain spi­ri­tuel, la caté­chiste joi­gnait celle du pain cor­po­rel : n’ayant même pas le néces­saire pour elle-​même, elle par­ta­geait encore avec les misé­reux le maigre mor­ceau de pain qu’elle rece­vait chaque jour pour sa sub­sis­tance. Il est à croire que Jésus devait mul­ti­plier ce pain, tant la cha­ri­table jeune fille sou­la­geait d’indigents. Sa belle-​sœur la soup­çon­na et l’accusa de voler à la mai­son le pain don­né en aumône. Elle la sur­veilla. Avertie un jour d’hiver que Germaine avait quit­té la métai­rie avec des restes de pain dans son tablier, elle la rejoi­gnit au pâtu­rage, bien déci­dée à la cor­ri­ger sévè­re­ment à coups de bâton. Quelques habi­tants avaient enten­du les accu­sa­tions et les pro­pos mena­çants de cette femme en colère. Ils la rejoi­gnirent bien vite afin de l’empêcher de mal­trai­ter l’orpheline. Cette der­nière essuya les reproches les plus vio­lents de sa ter­rible belle-​sœur qui fina­le­ment, comme preuve convain­cante qu’elle disait vrai, déplia vio­lem­ment le tablier recé­leur. Au grand éton­ne­ment de tous, il en tom­ba des fleurs belles et fraîches ; jamais on n’en avait vu de pareilles et la sai­son des fleurs était pas­sée depuis longtemps.

Une fois de plus, le miracle avait jus­ti­fié la ver­tu de l’humble et pauvre ber­gère On en par­la beau­coup dans Pibrac. Il valut à Germaine une défé­rence plus affec­tueuse de la part de ses com­pa­triotes et un trai­te­ment plus humain dans la mai­son fra­ter­nelle : Hugues et sa femme lui offrirent dès lors au foyer domes­tique la place qu’on lui avait refu­sée jusque-​là, mais la jeune fille vou­lut conser­ver et son emploi et le misé­rable réduit qui lui ser­vait de chambre.

L’envol d’une âme virginale pour le ciel.

Maintenant que son émi­nente ver­tu était recon­nue, Germaine aurait moins à souf­frir ; mais pré­ci­sé­ment c’était un signe que sa des­ti­née et sa mis­sion sur la terre étaient accom­plies. L’heure de la déli­vrance et de la joie dans la récom­pense avait son­né. La ber­gère de Pibrac mou­rut comme elle avait vécu, tout sim­ple­ment. C’était au mois de juin de l’an 1601. Un soir, après avoir ren­tré son trou­peau, elle se cou­cha sur les sar­ments. Le len­de­main matin, on ne l’aperçut pas à l’heure cou­tu­mière : on la trou­va morte ; pen­dant la nuit, elle s’était endor­mie dans le Seigneur. Elle avait vingt-​deux ans envi­ron. Un prêtre en voyage, pas­sant aux envi­rons de Pibrac, la nuit où Germaine mou­rut, vit au-​dessus de la métai­rie des Laurent Cousin un cor­tège lumi­neux qui remon­tait au ciel après s’être arrê­té sur la ferme et y avoir pris l’âme rayon­nante de la ber­gère. A la même heure, deux moines abri­tés non loin de là dans les restes d’un vieux cas­tel virent un spec­tacle à peu près semblable.

Toute la paroisse assis­ta aux funé­railles. Dans le cer­cueil, on don­na à la jeune fille une parure vir­gi­nale : sur sa tête, on mit une cou­ronne tres­sée d’épis de seigle et d’œillets, dans ses mains jointes, un cierge en forme de croix ; on enve­lop­pa le corps d’un drap blanc piqué de feuilles vertes et de fleurs des champs. La bière ne por­tait aucun signe dis­tinc­tif, aucune ins­crip­tion : la tombe, pro­ba­ble­ment celle où maître Laurent avait été inhu­mé par pri­vi­lège, se trou­vait à l’intérieur de l’église parois­siale, en face de la chaire. On y dépo­sa le corps de Germaine, qu’on cou­vrit d’une dalle. Les fidèles ne tar­dèrent pas à oublier la douce et ver­tueuse ber­gère : son sou­ve­nir dis­pa­rut peu à peu, à mesure que mou­raient les contem­po­rains ou les membres de la famille.

La résurrection d’un souvenir : un tombeau glorieux, les honneurs des autels.

Dieu n’oubliait pas, et il avait fixé la date de la résur­rec­tion mira­cu­leuse du sou­ve­nir. En 1644, le fos­soyeur de Pibrac sou­lève la dalle située près de la chaire, dans l’église, car une parente des Cousin, Endoualle, a deman­dé à être enter­rée là, à l’emplacement réser­vé à sa famille. Or, avec sa bêche, Guillaume Cassé, tout sur­pris, heurte et érafle le visage d’une morte dont le corps repose presque à fleur à terre. Dégagé, ce corps à l’aspect d’un cadavre fraî­che­ment enfoui : les membres sont intacts, réunis, entou­rés de chair encore molle à plu­sieurs endroits ; la langue est des­sé­chée ; le cou porte des cica­trices résul­tant de plaies, la main droite est un peu dif­forme ; les linges et le lin­ceul sont bien conser­vés ain­si que les fleurs et les épis de seigle, aus­si frais qu’au jour de la mois­son. Tous les anciens de la paroisse retrouvent dans cette morte Germaine Cousin qu’ils connurent jadis et qui fut enter­rée à cet endroit quarante-​trois ans plus tôt. Ils racontent sa vie et parlent de ses ver­tus que Dieu lui-​même sem­blait attes­ter par la conser­va­tion de ses restes mortels.

Le corps fut pla­cé debout, près de la chaire, afin que tout le monde pût le voir. On le dépo­sa ensuite en une caisse de plomb, dans la sacris­tie, où on le véné­ra pen­dant plus d’un demi-​siècle : il y fut l’instrument ou l’occasion de miracles nom­breux et écla­tants. Sous la Terreur, on le jeta dans une fosse avec de la chaux vive ; quand on le repla­ça à la sacris­tie en 1795, les chairs avaient dis­pa­ru, mais la peau conti­nuait à recou­vrir les os et le corps res­tait entier. On le vénère aujourd’hui dans une châsse pré­cieuse. Près de deux siècles après les enquêtes cano­niques faites en 1661 et 1699, le pro­cès de cano­ni­sa­tion fut repris avec suc­cès, à la demande de la popu­la­tion et d’une tren­taine d’évêques, aux envi­rons de 1842. La cause fut intro­duite à Rome, sous Grégoire XVI, le 25 juin 1845. Dès lors, la marche du pro­cès est rapide : décla­ra­tion de l’héroïcité des ver­tus en 1850 ; appro­ba­tion des miracles en 1853 ; béa­ti­fi­ca­tion, le 7 mai 1854, sous le pon­ti­fi­cat de Pie IX. Le même Pape cano­ni­sa la ser­vante de Dieu le 29 juin 1867, en même temps que saint Josaphat Kuncewicz, les mar­tyrs de Gorcum, saint Paul de la Croix, saint Léonard de Port-​Maurice et sainte Marie-​Françoise des Cinq-​Plaies. Cette cano­ni­sa­tion, la plus impor­tante des deux seules céré­mo­nies de ce genre que devait voir le pon­ti­fi­cat de Pie IX, revê­tit un éclat excep­tion­nel, car elle se fit en pré­sence de plus de quatre cents évêques réunis à Rome pour célé­brer le dix-​huitième cen­te­naire de la mort du Prince des apôtres.

Le culte de la ber­gère de Pibrac n’est pas limi­té aux divers dio­cèses (Toulouse, Audi, Montauban, etc.) de la région Sud-​Ouest de la France ; il s’épanouit aus­si en diverses autres régions ou nations ; en Chine, en Amérique, en Afrique, à Ceylan. Non loin de l’église parois­siale de Pibrac on a construit une basi­lique en rap­port avec l’affluence consi­dé­rable des pèle­ri­nages : la mai­son natale de sainte Germaine Cousin rap­pelle aux visi­teurs la pau­vre­té, la patience et l’humilité héroïques de la fille de maître Laurent.

F. Carret.

Sources consul­tées. – Mgr Paul Guérin, Les Petits Bollandistes, t. VII (Paris, 1897). – François Veuillot, Sainte Germaine Cousin (Paris, 1927). – Louis et François Veuillot, Sainte Germaine Cousin, col­lec­tion Les Saints (Paris). – Ghan. P. Subercaze, Sainte Germaine de Pibrac (Toulouse). – (V. S. B. P., n° 71.)