Sainte Marthe

Marthe et Marie, par Jan Bruegel et Rubens, National Gallery of Ireland

Vierge, sœur de Marie de Béthanie et de Lazare (1er siècle)

Fête le 29 juillet.

Le nom de sainte Marthe est celui d’une des saintes femmes que nous voyons paraître dans le récit évan­gé­lique. Nous savons posi­ti­ve­ment quelle était la sœur de Lazare et de Marie de Béthanie. Mais si l’on veut pré­ci­ser davan­tage au sujet de sa famille, se pose une ques­tion assez déli­cate : celle de l’identité de Marie de Béthanie, de Marie la péche­resse qui inter­vient, por­tant un vase de par­fums, au repas chez Simon, et de Marie de Magdala, de laquelle sept démons étaient sor­tis. Les com­men­ta­teurs de l’Evangile voient les uns une même per­sonne ; d’autres deux ; les der­niers trois. Aucune rai­son grave ne s’oppose à la pre­mière de ces trois opi­nions, la plus géné­ra­le­ment admise, et l’Eglise elle-​même semble nous y ral­lier en rap­pe­lant ce triple sou­ve­nir le 22 juillet. Nous nous confor­me­rons à cette manière de voir, sans oublier, tou­te­fois, que la ques­tion n’est pas tran­chée. Le poète chré­tien Fortunat a été le pre­mier à don­ner à sainte Marthe le beau titre de « vierge » ; ce titre a été rati­fié par la croyance universelle.

La famille de sainte Marthe entre en amitié avec Notre-Seigneur.

Jésus avait été invi­té, peut-​être à Capharnaüm, chez Simon le pha­ri­sien, et il était assis dans la salle du fes­tin, lorsqu’une péche­resse trop connue de la ville ou des envi­rons vint se pros­ter­ner à ses pieds, et, les bai­sant, elle les lavait de ses larmes, les oignait d’un par­fum pré­cieux, qu’elle répan­dait avec pro­fu­sion d’un vase d’al­bâtre.

Le divin Maître, qui lit au fond des cœurs, décla­ra solen­nel­le­ment à la péche­resse pros­ter­née à ses pieds : « Tes péchés te sont remis. »

Cette femme ain­si jus­ti­fiée était Marie-​Madeleine, la sœur de Marthe, et, à par­tir de ce jour, les deux sœurs se mirent sans doute à la suite du Sauveur avec les saintes femmes, et le Sauveur dai­gna les dis­tin­guer de telle sorte que Marthe, Marie-​Madeleine et Lazare, leur frère, devinrent ses amis pri­vi­lé­giés sur la terre.

Jésus, écrit le P. Lacordaire, avait donc à Béthanie une famille tout entière d’amis. C’était là que, venant à Jérusalem, dans la ville où devait se consom­mer son sacri­fice, il se repo­sait des fatigues de sa pré­di­ca­tion et des dou­lou­reuses pers­pec­tives de l’avenir. Là, étaient des cœurs purs, dévoués, amis ; là, ce bien incom­pa­rable d’une affec­tion à l’épreuve de tout.

« La meilleure part. »

Un jour donc que Notre-​Seigneur se ren­dait à Jérusalem, il entra « dans un bourg » que ne pré­cise pas l’Evangile, mais qu’on peut croire être Béthanie.

Ce fut Marthe qui le reçut. Pendant qu’elle se livrait avec agi­tation à tous les soins domes­tiques, sa sœur Marie demeu­rait aux pieds du Sauveur, et elle écou­tait sa parole. Marthe ne sut pas alors le prix de cette contem­pla­tion divine, et, trou­vant que sa sœur ne com­pre­nait pas les devoirs de l’hospitalité, et en usait mal vis-​à-​vis d’elle, qui se dévouait à tout pré­pa­rer, elle ne put s’empêcher de remarquer :

« Seigneur, ne considérez-​vous pas que ma sœur me laisse tout pré­pa­rer ? Dites-​lui donc de venir à mon aide. »

Marie laisse au Christ le soin de prendre sa défense.

« Marthe, Marthe, dit alors le Maître avec dou­ceur et gra­vi­té, pour­quoi ce trouble et cette inquié­tude ? Tu te mets en peine pour beau­coup de choses ; or, une seule est néces­saire. Marie a choi­si la meilleure part, et elle ne lui sera pas enlevée. »

Un auteur, l’abbé H. Lesêtre, com­mente ain­si cette réponse :

Le Sauveur me blâme que ce qu’il y a d’excessif dans l’activité de Marthe ; cet excès empêche de son­ger au prin­ci­pal, qui est le soin de la vie spi­ri­tuelle. Marie a choi­si la bonne part, la part bonne par excel­lence ; celle que Marthe a prise pour elle n’est que d’une bon­té secon­daire. Notre-​Seigneur ne veut donc pas que Marie soit réduite à aban­don­ner le néces­saire et l’excellent pour ce qui est sim­ple­ment utile et bon.

La per­fec­tion ici-​bas consiste à unir la vie contem­pla­tive à la vie active.

Résurrection de Lazare.

Chassé de Jérusalem par les Juifs qui avaient mena­cé de le lapi­der, Notre-​Seigneur était retour­né dans la Galilée, quand Lazare, le frère de Marthe et de Marie, tom­ba malade à Béthanie. Aussitôt, les deux sœurs envoyèrent dire au Sauveur : « Seigneur, celui que vous aimez est malade. » Comme pour éprou­ver davan­tage la foi de Marthe et de Marie, et sans doute aus­si pour que l’éclat du miracle aug­mente la foi de ses dis­ciples et de tous ceux qui devaient en être les témoins, Jésus ne se hâte point de répondre à cet appel, et, quand il arrive à Béthanie, le cadavre de Lazare est depuis déjà quatre jours dans le tombeau.

Beaucoup de Juifs étaient accou­rus pour conso­ler les deux sœurs du mort. Dès que Marthe apprit l’arrivée de Jésus, sans ren­trer à la mai­son où Marie repo­sait, elle cou­rut au-​devant de lui et elle s’écria :

« Seigneur, si vous eus­siez été ici, mon frère ne serait pas mort ; mais je sais que tout ce que vous deman­de­rez à Dieu, Dieu vous l’accordera. »

« Ton frère res­sus­ci­te­ra », dit Jésus.

Mais Marthe ne pou­vait croire que sa prière était exau­cée : « Je le sais, il res­sus­ci­te­ra, quand tous res­sus­ci­te­ront, au der­nier jour. »

Jésus lui répond :

« Je suis la résur­rec­tion et la vie ; celui qui croit en moi, même s’il est mort, vivra, et celui qui vit et croit en moi, ne mour­ra point pour tou­jours ; crois-​tu cela ? »

Et Marthe, éclai­rée par la lumière d’en haut, de s’écrier : « Oui, Seigneur, je crois que vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant, qui êtes venu en ce monde. »

Marthe, après cette admi­rable parole, cou­rut vers sa sœur et lui dit à voix basse : « Le Maître est là et il t’appelle. »

A ces mots, Marie se leva pré­ci­pi­tam­ment et cou­rut se jeter aux pieds de Jésus, qui était encore à une cer­taine dis­tance de la mai­son, au lieu où Marthe l’avait ren­con­tré. Elle-​même répète le mot de sa sœur :

« Seigneur, si vous aviez été ici, mon frère ne serait pas mort. »

Alors, conduit dans la grotte funé­raire, le Christ, fré­mis­sant de dou­leur, s’avança vers le tom­beau, et il deman­da qu’on enle­vât la pierre. Mais Marthe, crai­gnant que l’odeur du cadavre ne l’incom­modât s’écria : « Maître, il sent déjà mau­vais ; il y a quatre jours qu’il est mort. » Jésus lui repar­tit avec une auto­ri­té pleine de dou­ceur : « Ne t’ai-je point dit que si tu crois, tu ver­ras la gloire de Dieu ? » Et, s’avançant vers la tombe ouverte, il ren­dit témoi­gnage à son Père qui est dans les cieux, et, d’une voix forte, il s’écria : « Lazare, viens dehors, »

– Seigneur, vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant !

A l’appel de son Dieu, le mort se réveilla sou­dain, et, en se levant mal­gré les entraves qui lui liaient les pieds et les mains, et le lin­ceul qui lui voi­lait la face, il appa­rut vivant, ren­dant hom­mage à Celui qui l’avait arra­ché à la mort. Ce miracle écla­tant devait inci­ter les pha­ri­siens et le grand-​prêtre à arrê­ter défi­ni­ti­ve­ment la mort de Notre-Seigneur.

On montre à Béthanie, dit l’auteur de Historiae Terrae Sanctae elu­ci­da­tio, une citerne taillée dans une roche appe­lée « la citerne de Sainte-​Marthe », où l’on dit que celle-​ci ren­con­tra la pre­mière fois Jésus-​Christ. On voit, en outre, au pied de cette citerne, une pierre oblongue peu éle­vée au-​dessus du reste du rocher, appe­lée vul­gai­re­ment « la pierre de Béthanie ». On l’a tou­jours gran­de­ment véné­rée, parce que, d’après la tra­di­tion, Jésus-​Christ s’y assit en atten­dant l’arrivée de Marie que Marthe était allée cher­cher… Les pèle­rins en détachent par res­pect des par­celles qu’ils recueillent et honorent comme des reliques… Quelques auteurs la nomment « la pierre du col­loque » ou « du dialogue ».

De la Passion à l’Ascension.

Six jours avant la Pâque, Jésus reve­nait à Béthanie. Il sou­pa chez Simon le lépreux ; Lazare était par­mi les convives, Marthe fai­sait encore le ser­vice. C’est pen­dant ce repas que, de nou­veau, Marie bri­sa le vase de par­fum, en répan­dit le conte­nu sur les pieds et la tête de Notre-​Seigneur, et lui essuya les pieds avec ses che­veux, provo­quant les mur­mures des uns, et, au contraire, l’approbation admi­ra­tive du Maître.

L’avant-veille de sa Passion, Jésus ne vint pas à Jérusalem, comme il le fai­sait les jours pré­cé­dents, pour ins­truire le peuple au Temple. Il pas­sa ces der­nières heures à Béthanie dans la prière et en de suprêmes épan­che­ments avec Marie, sa divine Mère, avec ses dis­ciples et avec la famille amie qui lui offrait l’hospitalité.

Dès lors, l’Evangile est muet au sujet de Marthe. Quand l’heure de la der­nière vic­toire fut venue, Jésus quit­ta Béthanie pour se rendre de nou­veau à Jérusalem. Pendant que Marie-​Madeleine, la péche­resse jus­ti­fiée, fon­dait en larmes en voyant souf­frir, pour effa­cer les péchés du monde, Celui qu’elle avait tant aimé, Marthe, plus calme dans son afflic­tion, sou­te­nait sans doute avec une tendre sol­li­ci­tude la Mère de Dieu, demeu­rant avec les autres saintes femmes au pied de la croix pen­dant la jour­née du Vendredi-​Saint, puis accom­pa­gnait en pleu­rant jusqu’au tom­beau le corps de Notre-Seigneur.

Quarante jours après sa résur­rec­tion le Christ quit­tait cette terre « et ce fut à la vue de Béthanie, le visage tour­né vers ses murs, du côté de l’Orient, qu’il mon­ta au ciel, presque à égale dis­tance du Calvaire où il était mort et de la mai­son où on l’avait le plus aimé ». (H.-D. Lacordaire.)

La tradition des Eglises provençales.

La seconde par­tie de la vie de sainte Marthe a fait cou­ler une grande quan­ti­té d’encre. C’est toute la ques­tion de l’apostolicité de l’Eglise des Gaules qui est en jeu. Au xviie siècle, Jean de Launoy, écri­vain d’esprit si cri­tique que près de trente de ses tra­vaux d’éru­dition figurent au Catalogue de l’Index publié sous le pon­ti­fi­cat de Pie XI, fai­sait paraître une dis­ser­ta­tion latine « Sur l’arrivée men­son­gère de Lazare et Maximin, Madeleine et Marthe en Pro­vence ». Depuis lors, d’autres écri­vains ont com­bat­tu dans le même sens tan­dis que se levaient dans l’autre camp des défen­seurs de l’opi­nion tra­di­tion­nelle, dont les titres les plus incon­tes­tables remontent au xiie siècle, ce qui n’exclut pas l’existence pos­sible de docu­ments antérieurs.

Voici le résu­mé des tra­di­tions dont s’honorent les popu­la­tions de la côte méditerranéenne.

Après l’Assomption de la Sainte Vierge, Marie-​Madeleine, Marthe et sa ser­vante Marcelle, et Marie-​Salomé, qui s’étaient atta­chées au ser­vice de la Mère de Dieu, n’échappèrent pas à la per­sé­cu­tion qui s’éleva en Judée. Saisies par les Juifs, elles furent expo­sées aux flots avec Lazare, Maximin et quelques autres, sur un navire sans voiles, sans cor­dages, sans gouvernail.

Mais Jésus qui, au milieu de la tem­pête, avait sau­vé et conduit la barque de Pierre, veillait aus­si sur ses amis de Béthanie : les vagues irri­tées s’inclinèrent sou­dain devant les ser­vi­teurs du Christ, et la mer fit, à tra­vers ses mon­tagnes mou­vantes, un libre pas­sage au frêle esquif qu’elle mena­çait d’engloutir. Les anges diri­gèrent cette barque pri­vée de gou­ver­nail, et les flots la dépo­sèrent sur la terre des Gaules.

En sou­ve­nir de ce débar­que­ment mira­cu­leux, au lieu même où l’esquif est venu abor­der, s’élèvent aujourd’hui le hameau et l’église des Saintes-​Marie. On y conserve comme un pré­cieux dépôt les corps des saintes Marie-​Salomé et Jacobé, et il s’y fait de nom­breux miracles.

Les Saints prirent pos­ses­sion de la terre que Dieu leur don­nait : Lazare s’établit à Marseille, dont il fut le pre­mier évêque et où l’on vénère son tom­beau ; Trophime et Maximin allèrent fon­der la métro­pole d’Arles et l’archevêché d’Aix ; Marie-​Madeleine se réfu­gia dans la soli­tude de la Sainte-​Baume, où elle conti­nua sa vie de péni­tence et de contem­pla­tion ; Marthe et sa ser­vante Marcelle s’adonnèrent à la vie active, et diri­gèrent leurs pas du côté d’Avignon, puis se fixèrent en un endroit rap­pro­ché de Tarasco ou Tarasconos, aujour­d’hui Tarascon.

Sainte Marthe enchaîne le dragon.

Au moment où Marthe com­men­çait son œuvre d’évangélisation dans les cités rive­raines du Rhône, un monstre effroyable, qui, par sa des­crip­tion, rap­pelle les ani­maux anté­di­lu­viens que nous révèlent les fouilles géo­lo­giques, jetait la ter­reur dans toute la contrée. Son souffle répan­dait une fumée pes­ti­len­tielle, et sa gueule, armée de dents aiguës, fai­sait entendre des sif­fle­ments per­çants et des mugis­sements hor­ribles. Il déchi­rait avec ses dents et ses griffes tous ceux qu’il ren­con­trait, et la seule infec­tion de son haleine suf­fi­sait à ôter la vie.

Or, un jour que Marthe annon­çait la parole divine dans la ville de Tarascon, près de laquelle le monstre avait éta­bli son repaire, la foule s’écria : « Si vous par­ve­nez à détruire le dra­gon, nous embras­sons sans tar­der votre foi. – Si vous êtes dis­po­sés à croire, repar­tit la vierge, tout est pos­sible à l’âme qui croit. » Et, seule, elle s’avança vers l’antre redou­té, sui­vie de loin par la foule qui osait à peine la regarder.

Pour com­battre cet enne­mi ter­rible, Marthe n’a qu’une arme, le signe de la croix ; mais voi­ci qu’à ce signe l’animal farouche baisse la tête, il tremble, et Marthe, l’enchaînant avec sa cein­ture, l’amène comme un tro­phée de vic­toire aux habi­tants. Ceux-​ci ont peine à en croire leurs yeux et leur frayeur revient devant le monstre cap­tif. La vierge les ras­sure, et ils immolent avec joie le dra­gon vain­cu, en ren­dant grâces au Christ.

Depuis ce temps, les Tarasconais célèbrent leur déli­vrance par une magni­fique pro­ces­sion, où l’on traîne un monstre enchaî­né figu­rant l’animal et qu’on appelle « la Tarasque ».

Marthe s’établit dans la ville qu’elle venait de déli­vrer ; elle se fit la ser­vante et l’hôtesse des pauvres, et une com­mu­nau­té de vierges se réunit sous sa direc­tion. Bientôt, les foules affluèrent auprès de sa demeure, qu’illustrèrent de nom­breux miracles.

Saint Trophime d’Arles et saint Eutrope, d’après la tra­di­tion, dédièrent dans la mai­son même de Marthe une église au Seigneur.

Cependant, sa sainte vie tou­chait à sa fin, Déjà l’hôtesse du Seigneur avait vu dans une vision l’âme de sa sœur, envi­ron­née par les anges, s’envoler vers l’Epoux ; elle-​même, en proie à une fièvre vio­lente, éten­due sur un lit de sar­ments, avait pré­vu sa mort prochaine.

Lorsque le jour dési­gné par elle fut arri­vé, par son ordre on éten­dit sous un arbre touf­fu de la paille recou­verte d’un cilice, et on la pla­ça dès le matin sur ce lit impro­vi­sé. Marthe deman­da l’image de Jésus cru­ci­fié. Puis, tour­nant ses regards vers les fidèles accou­rus pour recueillir son der­nier sou­pir, elle les sup­plia d’accélérer par leurs prières le moment de sa déli­vrance. Elle-​même éle­va les yeux vers la croix et expi­ra dans l’élan de la prière et de l’amour. C’était le 4 des calendes d’août, le hui­tième jour après la mort de sainte Madeleine ; Marthe avait soixante-​cinq ans.

Funérailles miraculeuses.

Ses obsèques, aux­quelles assis­ta une foule immense, furent illus­trées par un écla­tant miracle.

A l’heure où tout le monde était réuni pour la céré­mo­nie de l’inhu­mation, saint Front, évêque de Périgueux, qui avait pro­mis d’assister à ses funé­railles, se pré­pa­rait à célé­brer le saint sacri­fice. Assis sur sa chaise épis­co­pale, il atten­dait les fidèles, quand, sou­dain, il fut sai­si d’un som­meil mys­té­rieux. Alors Jésus lui appa­rut et lui dit : « Mon fils, venez accom­plir votre pro­messe, venez ense­ve­lir Marthe, mon hôtesse. » A peine le Sauveur avait-​il ache­vé ces paroles, que saint Front se trou­va dans l’église de Tarascon ; le Christ était à côté de lui, et tous deux appa­rurent au peuple, un livre à la main. Le Sauveur ordon­na à saint Front de sou­le­ver le corps avec soin, et ils le pla­cèrent dans le mau­so­lée, en pré­sence de tous les assis­tants éton­nés par cette brusque appa­ri­tion. Puis le Sauveur sor­tit de l’église, accom­pa­gné de Front ; un clerc s’approcha et lui deman­da qui il était et d’où il était venu. Pour toute réponse, le Christ lui lais­sa le livre qu’il avait entre les mains ; il y était écrit : « La mémoire de Marthe, l’hô­tesse du Christ, sera éternelle. »

Cependant, à Périgueux, le peuple était arri­vé dans l’église, et il se las­sait d’attendre, quand le diacre vint éveiller l’évêque : « Ne vous trou­blez pas, dit le pré­lat en s’adressant aux fidèles, je viens d’être ravi en esprit et trans­por­té à Tarascon, avec notre divin Maître, pour y rendre les devoirs de la sépul­ture à sainte Marthe, sa servante. »

Ce pro­dige, consta­té à la même heure par les habi­tants de Périgueux et ceux de Tarascon, ame­na au tom­beau de la Sainte un grand concours de pèle­rins. Chaque jour, des sourds, des aveugles, des para­ly­tiques, étaient gué­ris et ren­daient témoi­gnage à la puis­sance de son inter­ces­sion. Le pre­mier roi chré­tien des Francs, Clovis, affli­gé d’un mal très grave, fut gué­ri, vers l’an 5oo, en tou­chant le tom­beau de sainte Marthe, et, en recon­nais­sance, il céda à la basi­lique tous les bourgs, vil­lages, bois et terres qui s’étendaient de l’un et l’autre côté du Rhône sur un espace de trois lieues.

Le culte. – Les reliques.

L’essentiel de tout cet ensemble de tra­di­tions, sur lequel nous ne pré­ten­dons pas nous pro­non­cer, est ain­si résu­mé dans la leçon du Bréviaire :

… Il est rap­por­té qu’après l’Ascension de Notre-​Seigneur, Marthe, sai­sie par les Juifs avec son frère, sa sœur et de nom­breux autres chré­tiens, et pla­cée dans un navire pri­vé de voiles et de gou­ver­nail, se diri­gea vers Massilia (Marseille). Devant ce miracle et sous l’effet de leur pré­di­ca­tion, les Massilienses (habi­tants de Massilia) et les popu­la­tions voi­sines furent gagnés à la foi. Quant à Marthe, après avoir conquis par la sain­te­té admi­rable de sa vie et par sa cha­ri­té l’attachement et l’admiration de tous les Massilienses, elle se reti­ra avec quelques pieuses femmes dans un lieu écar­té loin des hommes. Elle y vécut long­temps avec une pié­té et une pru­dence admi­rables, et enfin, après avoir pré­dit sa mort long­temps d’avance, ren­due illustre par ses miracles, elle émi­gra vers le Seigneur.

Le texte du Martyrologe, le même dans l’édition de Grégoire XIII et dans l’édition publiée par les soins de Benoît XV, dit simplement :

A Tarascon, dans la Gaule nar­bon­naise, sainte Marthe, vierge, hôtesse de notre Sauveur, sœur de la bien­heu­reuse Marie-​Madeleine et de saint Lazare.

En 1187, eurent lieu la décou­verte et la trans­la­tion du corps de sainte Marthe. Son tom­beau, qui se trouve dans l’église sou­ter­raine de Tarascon, objet d’un culte immé­mo­rial, a été long­temps le centre d’un magni­fique pèle­ri­nage. Avant d’être recou­vert en 1653 par un grand céno­taphe de marbre blanc, il était flan­qué des sta­tues de Notre-​Seigneur et de saint Front ense­ve­lis­sant celle qui l’avait ser­vi avec dévoue­ment dans sa mai­son de Béthanie.

Plusieurs églises se glo­ri­fient de pos­sé­der des reliques de sainte Marthe. On dit notam­ment que son pied gauche serait en Belgique, Un bras serait conser­vé à Cabanès, au dio­cèse de Rodez ; la relique, authen­ti­quée par Mgr Giraud qui fut évêque de ce dio­cèse de 1830 à 1842, était conser­vée avant la Révolution dans une châsse por­tant l’inscription : Dona Martha. Jeté sur le par­vis de l’église, ce bras fut recueilli et caché par une per­sonne chré­tienne. Une relique iden­tique se trouve à Roujan, au dio­cèse de Montpellier ; jadis elle était conser­vée par les Chanoines régu­liers de Saint-​Ruf, de l’Ordre augus­ti­nien, au prieu­ré de Notre-​Dame de Cassan. Il n’est pas pos­sible, à moins d’un miracle, de savoir s’il s’agit bien, dans l’une et l’autre paroisses, de Marthe de Béthanie, la sainte hôtesse du Sauveur.

Tarascon honore sainte Marthe pour patronne et célèbre sa fête sous le rite double de pre­mière classe avec octave.

L’Eglise copte com­mé­more sainte Marthe au 1er octobre, et célèbre au 1er jan­vier sa « dor­mi­tion » et celle de sa sœur.

A. D.

Sources consul­tées. – H. Lesêtre, Marthe, dans Dictionnaire de la Bible, de Vigouroux (Paris, 1908). – J.-M. Olivier, O. P., Les ami­tiés de Jésus (Paris, 1903). – Abbé M.-M. Sicard, Sainte Marie-​Madeleine (Paris). – H.-D. Lacor­daire, O. P., Sainte Marie-​Madeleine (Paris, 1914). – (V. S. B. P., n° 8.)