Quand la Vierge parle

Vierge à l'Enfant couronnée par les anges, par Gérard David

Alors que nous débu­tons le mois de mai, tra­di­tion­nel­le­ment consa­cré à la dévo­tion à la très Sainte Vierge Marie, il convient de médi­ter un peu sur les exemples que nous donne notre Mère du Ciel. Contentons-​nous aujourd’hui d’examiner ses paroles.

Des paroles peu nombreuses

Rares sont les paroles que la sainte Ecriture nous rap­porte de la très Sainte Vierge Marie. On trouve là déjà toute une leçon pour nous qui abu­sons sou­vent de la langue pour par­ler à tort et à tra­vers. Personne ne parle beau­coup sans finir par par­ler mal.

Les cir­cons­tances de l’Annonciation et de la Visitation sont par­ti­cu­liè­re­ment élo­quentes à cet égard. Alors que la sainte Vierge vient d’apprendre de l’ange Gabriel la nou­velle la plus extra­or­di­naire que puisse entendre une créa­ture, c’est-à-dire qu’elle allait être la Mère du Sauveur, que fait la Vierge ? Qu’aurions-nous fait à sa place ?

Sans doute aurions-​nous pas­sé de mai­son en mai­son, de famille en famille, de com­mère en com­père pour annon­cer la nou­velle. Nouvelle d’autant plus impor­tante que nous aurions été favo­ri­sé d’une grâce plus grande.

Or, que nous dit la Sainte Ecriture ? « En ces jours-​là, Marie, se levant, s’en alla en grande hâte vers les mon­tagnes, dans une ville de Juda ; et elle entra dans la mai­son de Zacharie, et salua Elisabeth » (Lc 1, 39–40).

Voilà l’exemple de Marie : pas de com­mé­rage, pas de com­men­taire, pas de secret impru­dem­ment confié. Non, le sens du devoir et de la cha­ri­té fra­ter­nelle priment. Sa cou­sine, déjà âgée, atten­dait son pre­mier enfant : elle devait aller l’aider.

Si l’on exa­mine la lon­gueur et le conte­nu des paroles de la Vierge Marie, on s’aperçoit que celles qui sont adres­sées aux créa­tures (anges ou hommes) sont brèves, alors que celles qui s’adressent à Dieu sont longues (cf. le Magnificat). Voilà une nou­velle leçon que nous donne notre Mère du ciel.

Nous qui sommes inta­ris­sables dans nos dis­cours avec les créa­tures, nous sommes sou­vent brefs dans nos conver­sa­tions avec Dieu. La prière nous fatigue, nous ennuie ou ne nous inté­resse pas. Rien de tel chez la Vierge Marie qui converse lon­gue­ment avec la Sainte Trinité et qui se limite à l’indispensable avec les créatures.

Comment cela se fera-t-il ?

On s’imagine sou­vent la Vierge Marie comme vivant déjà dans le Ciel et dans la vision béa­ti­fique. Rien de plus faux lorsqu’on par­court les Evangiles.

Lorsque l’ange Gabriel lui annonce qu’elle serait la Mère du Messie, la Sainte Vierge ne peut s’empêcher de lui poser une ques­tion. Déjà unie à Saint Joseph par les liens du mariage, ayant voué sa vir­gi­ni­té à Dieu, elle ne com­prend pas com­ment conci­lier tous ces élé­ments. La ques­tion fleu­rit alors natu­rel­le­ment et sim­ple­ment sur ses lèvres : « Comment cela se fera-​t-​il ? car je ne connais point d’homme » (Lc 1, 34).

La Sainte Vierge, tant qu’elle a vécu sur cette terre a vécu de foi, comme nous. La vision, elle l’a eue après son Assomption. Jusque-​là, elle a dû croire ce qu’elle ne com­pre­nait pas nécessairement.

Aussi l’Evangile répète-​t-​il à son sujet plu­sieurs fois : « Et Marie gar­dait toutes ces choses dans son cœur et les médi­tait » (Lc 2, 19 et 51).

C’est dire que la Sainte Vierge est un modèle pour notre vie de foi. Bien plus, elle est la gar­dienne de notre foi. Virgo fide­lis, ora pro nobis !

Faites tout ce qu’il vous dira

Au début de la vie publique de Notre Seigneur, on retrouve Notre-​Dame qui se fera ensuite très dis­crète jusqu’à la Passion. C’est Marie qui avait été invi­tée la pre­mière aux noces de Cana (Jn 2, 1) et seule­ment après Jésus et ses dis­ciples (Jn 2, 2).

Or, la très Sainte Vierge se rend compte la pre­mière que le vin va man­quer. Les jeunes, époux, leurs parents et amis, les invi­tés en géné­ral ne s’étaient aper­çus encore de rien. Marie, en bonne maî­tresse de mai­son, atten­tion­née, déli­cate, pré­ve­nante, dis­crète aus­si, se rend compte du désastre qui menace les époux en ce jour de joie.

Ni la mater­ni­té divine de Marie, ni sa vie de foi ne sont un pré­texte pour se dis­pen­ser des tâches quo­ti­diennes. Ce n’est pas parce qu’elle prie et qu’elle médite que Marie laisse Saint Joseph se débrouiller pour man­ger et l’Enfant Jésus laver son linge.

Certes, le com­man­de­ment de la cha­ri­té est unique, mais il a deux objets hié­rar­chi­sés : Dieu et le pro­chain. L’authentique amour de Dieu n’éloigne jamais les âmes des créa­tures de Dieu, sur­tout de celles qui les entourent.

Marie fait alors remar­quer sim­ple­ment à Jésus que le vin est sur le point de man­quer. Malgré la réponse appa­rem­ment peu enga­geante de son Fils, elle encou­rage les ser­vi­teurs par ces paroles : « Faites tout ce qu “il vous dira » (Jn 2, 5).

Que dira-​t-​il ? Elle ne le sait pas. Que commandera-​t-​il ? Elle l’ignore. Mais ce qui est sûr, c’est que ce qu’il dira devra être obéi et ce qu’il com­man­de­ra devra être exécuté.

L’obéissance de Marie à Dieu est incon­di­tion­nelle et sans réserve, car « Dieu seul est bon » (Mt 19, 17). Il n’y a donc pas à s’inquiéter sur la bon­té de ses volon­tés par­ti­cu­lières. Il n’y a qu’à exécuter.

L’obéissance de Marie et celle qu’elle nous conseille est à mil lieux d’une dis­cus­sion syn­di­cale qui ter­mine à trois heures du matin avec la signa­ture du com­pro­mis entre les par­ties en pré­sence. « Faites tout ce qu’il vous dira ».

Votre père et moi …

Attardons-​nous sur une der­nière parole de Marie qui nous indique aus­si l’esprit dans lequel nous devons vivre pour être chrétiens.

Après avoir cher­ché Jésus pen­dant trois jours à l’issue de leur pèle­ri­nage à Jérusalem, ses parents le retrouvent au Temple où II dis­cute avec les doc­teurs. En bonne mère, pré­oc­cu­pée par l’absence inex­pli­quée de son Fils, la Sainte Vierge s’exclame : « Voici que votre père et moi nous vous cher­chions, tout affli­gés » (Lc 2, 48).

Nous qui connais­sons tous les pri­vi­lèges, toutes les grâces, toutes les faveurs dont la Sainte Vierge a été gra­ti­fiée, il ne fait aucun doute qu’elle sur­pas­sait Saint Joseph en beau­coup de choses. Si Marie avait dit : « Moi et votre père nous vous cher­chions », nous n’aurions pas trou­vé cela illé­gi­time, étant don­née sa sainteté.

Et pour­tant, la Sainte Vierge sait que sain­te­té et auto­ri­té sont deux réa­li­tés qui ne se recouvrent pas néces­sai­re­ment. Elle est sans conteste plus sainte que lui. Mais, lui, il est et il demeure le chef de la Sainte Famille. C’est donc lui qui est cité en pre­mier lieu : « Votre père et moi… ».

Source : La Lettre de Notre-​Dame du Très Saint Rosaire n°113, mai 2007.