Saint Stanislas de Cracovie

Saint Stanislas de Cracovie

Évêque de Cracovie et mar­tyr (1030–1079). Patron de la Pologne.

Fête le 7 mai.

Vie résumée par l’abbé Jaud

Saint Stanislas naquit de parents fort avan­cés en âge, mariés depuis trente ans et encore sans pos­té­ri­té. Dieu, qui avait des vues éle­vées sur cet enfant, lui ins­pi­ra dès son bas âge de grandes ver­tus, sur­tout la cha­ri­té pour les pauvres, et une mor­ti­fi­ca­tion qui le por­tait à jeû­ner sou­vent et à cou­cher sur la terre nue, même par les plus grands froids.

Après de brillantes études, il n’as­pi­rait qu’au cloître ; à la mort de ses parents, il ven­dit leurs vastes pro­prié­tés et en don­na le prix aux pauvres. Stanislas dut se sou­mettre à son évêque, qui l’or­don­na prêtre et le fit cha­noine de Cracovie.

Il fal­lut avoir recours au Pape pour lui faire accep­ter le siège de Cracovie, deve­nu vacant. Ses ver­tus ne firent que gran­dir avec sa digni­té et ses obli­ga­tions ; il se revê­tit d’un cilice, qu’il por­ta jus­qu’à sa mort ; il se fit remettre une liste exacte de tous les pauvres de la ville et don­na l’ordre à ses gens de ne jamais rien refu­ser à personne.

La plus belle par­tie de la vie de Stanislas est celle où il fut en butte à la per­sé­cu­tion du roi de Pologne, Boleslas II. Ce prince menait une conduite publi­que­ment scan­da­leuse. Seul l’é­vêque osa com­pa­raître devant ce monstre d’i­ni­qui­té, et d’une voix douce et ferme, condam­ner sa conduite et l’ex­hor­ter à la péni­tence. Le roi, furieux, atten­dit l’heure de se venger.

Le pon­tife avait ache­té pour son évê­ché, devant témoins, et il avait payé une terre dont le ven­deur était mort peu après. Le roi, ayant appris qu’il n’y avait pas d’acte écrit et signé, gagna les témoins par pro­messes et par menaces, et accu­sa Stanislas d’a­voir usur­pé ce ter­rain. L’évêque lui dit : « Au bout de ces trois jours, je vous amè­ne­rai comme témoin le ven­deur lui-​même, bien qu’il soit mort depuis trois ans. »

Le jour venu, le saint se ren­dit au tom­beau du défunt ; en pré­sence d’un nom­breux cor­tège, il fit ouvrir la tombe, où on ne trou­va que des osse­ments. Stanislas, devant cette tombe ouverte, se met en prière, puis touche de la main le cadavre : « Pierre, dit-​il, au nom du Père, du Fils et du Saint-​Esprit, viens rendre témoi­gnage à la véri­té outragée. »

A ces mots, Pierre se lève, prend la main de l’é­vêque devant le peuple épou­van­té, et l’ac­com­pagne au tri­bu­nal du roi. Le res­sus­ci­té convainc de calom­nie le roi et les témoins, et de nou­veau accom­pagne l’é­vêque jus­qu’au tom­beau, qu’on referme sur son corps, rede­ve­nu cadavre. Loin de se conver­tir, le roi impie jura la mort de Stanislas, et bien­tôt l’as­sas­si­na lui-​même pen­dant qu’il offrait le saint sacrifice.

Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’an­née, Tours, Mame, 1950

Version longue (La Bonne Presse)

Vers la fin du xe siècle vivait à Szczepanow, non loin de Cracovie, en Pologne, une famille ver­tueuse et sainte. Wielislas et Bogna des­cen­daient d’une race illustre. Ils possé­daient un domaine assez vaste et de grandes richesses. Wielislas, guer­rier cou­ra­geux autant que fervent chré­tien, s’était signa­lé dans plu­sieurs cam­pagnes des Polonais contre les Russes. Tou­tefois, à la guerre contre les hommes il pré­fé­rait la lutte contre le seul enne­mi de l’humanité, qui est Satan, « car, disait-​il avec rai­son, si cette lutte est plus longue, les palmes en sont aus­si plus belles et plus durables ». En consé­quence, de concert avec sa femme, il s’étudiait à mettre en pra­tique les conseils évan­gé­liques. Les biens de la terre étaient pour les deux époux une mon­naie avec laquelle ils achè­te­raient les tré­sors éter­nels du ciel ; les veuves, les pauvres, les orphe­lins trou­vaient chez eux un refuge assuré.

Désireux de vivre de plus en plus éloi­gnés du siècle, ils firent construire une église sur leur terre, afin d’assister plus commo­dément aux offices divins, en dehors des­quels ils consa­craient encore de longues heures à la prière et à l’oraison. Leur vie rude et soli­taire les fit regar­der comme des moines dans tout le pays. C’est pour­quoi aux étran­gers qui pas­saient près du châ­teau l’on disait : « Là vivent en soli­taires le sei­gneur Wielislas et son épouse Bogna. »

Prières exaucées. – Energie du jeune Stanslas.

Cependant, Wielislas et Bogna avan­çaient en âge et n’avaient pas d’enfant. Depuis trente années déjà le ciel sem­blait sourd à leurs prières. Ils allaient donc être sans héri­tier ; mais Dieu dai­gna bénir cette union res­tée si long­temps sté­rile. Stanislas naquit le 26 juillet 1000. L’étonnement fut grand dans Szczepanow. « Un enfant à cet âge, disaient les Polonais du voi­si­nage, rare­ment on voit chose pareille. » D’autres cir­cons­tances mira­cu­leuses aug­men­taient l’éton­nement général.

La mis­sion que Dieu réser­vait au jeune Stanislas récla­mait le mépris et le déta­che­ment abso­lu des choses de la terre. Il s’y pré­pa­ra de bonne heure. Plaire à Dieu était l’unique pré­oc­cu­pa­tion de cet enfant béni. Pour cela, il s’adonnait à la pra­tique de la cha­ri­té, du jeûne et de la mor­ti­fi­ca­tion. Il aimait à cou­cher sur la terre nue et à s’exposer aux plus grands froids. L’argent qu’il rece­vait de ses parents pour des plai­sirs légi­times, il s’empressait de le dis­tribuer aux pauvres. C’est ain­si que Dieu forme ceux qu’il pré­pare au combat.

Saint Stanislas prêtre et chanoine.

Quand Stanislas eut atteint l’âge néces­saire, ses parents lui firent étu­dier les belles-​lettres et la phi­lo­so­phie. Pour le per­fec­tion­ner en cette der­nière étude, il fut envoyé à Gniezno où flo­ris­sait alors l’école la plus illustre de la Pologne. De Gniezno, il vint probable­ment dans un monas­tère de Lorraine pour s’adonner à la théo­lo­gie. Durant les sept années qu’il y pas­sa, l’attrait de ses ver­tus lui conci­lia l’affection de tous ses condis­ciples. A son départ, l’école res­ta embau­mée du sou­ve­nir qu’elles y avaient laissé.

Durant son séjour en Lorraine, Stanislas apprit à mépri­ser encore plus le siècle et ses vani­tés. Il diri­geait toutes ses pen­sées vers le cloître, où il pour­rait ser­vir Dieu, loin du bruit et du tumulte mon­dains. « Mais, dit saint François de Sales, Dieu hait la paix de ceux qu’il a faits pour la guerre. » Aussi attendait-​il le moment fixé par sa grâce pour s’emparer de Stanislas. En effet, ce der­nier, à son retour en Pologne, s’étant vu par la mort de ses parents maître d’une for­tune consi­dé­rable, ven­dit le tout, et en don­na le prix aux pauvres. Dès lors, il espé­rait pou­voir réa­li­ser au plus tôt ses pieux des­seins, quand Lampert, évêque de Cracovie, l’appela, l’ordonna prêtre et le fit cha­noine de sa cathé­drale en 1062.

Il devient évêque de Cracovie.

Les habi­tants de Cracovie applau­dirent à l’heureux choix que l’évêque avait fait, en don­nant la prê­trise et un cano­ni­cat à Stanislas. Celui-​ci trem­blait à la vue du lourd far­deau qu’on impo­sait si tôt à ses faibles épaules. Aussi résolut-​il de se déta­cher de tout ce qui pour­rait l’empêcher de rem­plir digne­ment une charge aus­si impor­tante. Assidu au chœur et à l’oraison, il employait encore une grande par­tie de sa jour­née à l’étude de l’Ecriture, des Pères et de la théo­lo­gie. Grâce à ce tra­vail sou­te­nu et à son intel­li­gence peu ordi­naire, il acquit en peu de temps une telle science, que de toutes parts on venait le consul­ter ou le prendre pour arbitre des différends.

Il se prê­tait avec dou­ceur aux exi­gences de tous, à ce point que plu­sieurs, émer­veillés, sor­taient de chez lui en disant : « Cet homme est admi­rable ; c’est un saint. » A la mort de Lampert qui arri­va en 1072, il fut choi­si par le cler­gé et le peuple réunis pour lui suc­cé­der. Celte fois, le pieux cha­noine résis­ta, et rien ne put le faire céder, si ce n’est l’ordre du Pape Alexandre II, que Stanislas reçut comme s’il fût éma­né du divin Maître lui-même.

Il se croyait si indigne de la nou­velle charge qui lui incom­bait, qu’il redou­bla d’austérités et de ver­tus, afin d’obtenir d’en haut la force néces­saire ; il se revê­tit d’un cilice qu’il ne quit­ta plus jusqu’à la mort. Son inépui­sable cha­ri­té appa­rut plus grande de jour en jour. Les pauvres étaient nom­breux à Cracovie ; le saint évêque s’en fit don­ner une liste exacte, et ordon­na aux gens de sa mai­son de ne rien refu­ser à per­sonne. Au reste, lui-​même pré­si­dait sou­vent à la dis­tri­bu­tion des aumônes, don­nant avec le pain qui refait le corps celui qui refait l’âme. Il parais­sait en ces cir­cons­tances si humble et si doux, que tous ces mal­heu­reux pleu­raient de joie de ren­con­trer un tel père.

Comment il se venge des injures.

Malgré tant de bon­té, Stanislas fut plus d’une fois en butte aux pires injures, mais sa ver­tu était au-​dessus de toute épreuve. Un sei­gneur l’invita un jour à venir consa­crer une église dans sa pro­priété. L’évêque y consent avec joie. Au jour fixé il se rend, accom­pagné de ses clercs, à la mai­son du sei­gneur. Il arrive à la porte du cas­tel. Or, on ne sait pour quel motif, à sa vue, le sei­gneur s’emporte avec une incroyable inso­lence et en arrive à le chas­ser en l’accablant d’invectives. Quelques-​uns même de ses ser­vi­teurs se lancent sur les per­sonnes escor­tant le pon­tife, et les accablent de coups. Stanislas n’opposa pas la moindre résis­tance et se reti­ra avec sa suite dans un pré voi­sin. Pour toute ven­geance il fait à Dieu cette prière : « Seigneur, on m’empêche de bénir le lieu que j’étais appe­lé à vous consa­crer ; don­nez à celui où je me trouve votre sainte béné­dic­tion. » Il passe la nuit en proie aux dou­leurs de la faim et du froid dans ce pré qui fut appe­lé dans la suite le « pré béni », nom qu’il conserve encore aujourd’hui.

A quelques jours de là, le sei­gneur, confus de sa conduite, vint deman­der par­don à l’évêque ; il lui pro­mit de répa­rer sa faute, en menant désor­mais une vie plus chré­tienne, et, comme gage de sa sin­cé­ri­té, il fît pré­sent du pré à l’Eglise de Cracovie.

Saint Stanislas devant l’impie Boleslas.

La Pologne était alors gou­ver­née par Boleslas II, dit le Hardi, deve­nu roi en 1077. Ce prince, qui s’était mon­tré valeu­reux dans la guerre contre les Russes, et plein de libé­ra­li­té envers ses sujets, ter­nit la gloire ain­si acquise par des actions hon­teuses et iniques tout ensemble. Les scan­dales de sa vie, d’abord secrets, écla­tèrent bien­tôt au grand jour, et l’indignation de ses sujets fut à son comble.

Nul cepen­dant n’osait lui faire de reproches. Seul, Stanislas, s’armant du cou­rage que donnent la prière et la grâce divine, osa com­pa­raître devant le monarque cou­pable et, sous un lan­gage dic­té par la cha­ri­té et la fer­me­té apos­to­liques, il blâ­ma ses désordres et l’exhorta à faire péni­tence. Le tyran entra dans une grande fureur contre l’homme de Dieu. Entre autres injures, il lui dit :

– Ai-​je à rece­voir des conseils d’un homme vil comme vous, qui êtes indigne de l’épiscopat et méri­te­riez d’être jeté en pâture aux pourceaux ?

– Prince, répon­dit l’homme de Dieu avec une fier­té noble et cal­mé, je sais le res­pect que je dois à votre auto­ri­té, et, sur ce point, je ne pense pas avoir failli à mon devoir. Mais je n’oublie pas davan­tage que la digni­té apos­to­lique dont je suis revê­tu est de beau­coup supé­rieure à celle des rois. Car il est d’institution divine que les rois et les autres princes doivent se sou­mettre à la juri­dic­tion spi­ri­tuelle de l’évêque, alors même qu’il serait issu de race moins noble que la leur. Si donc vous avez sou­ci du salut de votre âme, vous devez écou­ter les conseils que je vous donne. C’est le seul moyen de vivre en paix avec Dieu et de régner avec gloire sur vos sujets.

Ces paroles, loin d’amener le roi à rési­pis­cence, ne firent que l’endurcir et l’enflammer contre celui qui se pré­sen­tait comme le méde­cin le plus dévoué de son âme et son véri­table ami.

Vengeance de Boleslas.

Stanislas avait ache­té à un cer­tain Pierre la terre de Piotrawin qu’il avait adjointe à son Eglise. Le prix conve­nu avait été entière­ment payé. Néanmoins, soit négli­gence, soit excès de confiance, il n’avait pas exi­gé la signa­ture du ven­deur, l’affaire ayant été conclue devant plu­sieurs témoins. Boleslas appe­la ces der­niers et s’efforça par ses menaces et ses caresses de les ame­ner à ses vues, à quoi il réus­sit par­fai­te­ment. Pierre était mort depuis quelques années déjà. D’après les ins­truc­tions du roi, ses neveux décla­rèrent que ladite terre de Piotrawin avait été usur­pée par l’évêché.

A cette nou­velle l’évêque se fit fort de les confondre tous par l’aveu même des témoins ; mais, hélas 1 ces der­niers par­lant contre leur conscience, il vit, mal­gré ses efforts, sa cause per­due sans retour. Il ne put sup­por­ter une telle injus­tice. Saisi donc d’une sainte indi­gna­tion, il deman­da trois jours de délai.

– Cet espace de temps écou­lé, je vous amè­ne­rai, comme témoin de la véri­té, Pierre lui-​même, quoiqu’il soit dans la terre depuis trois ans.

Un éclat de rire accueillit ses paroles. L’impie Boleslas se hâta d’ac­corder le délai sol­li­ci­té, assu­ré qu’il était d’y trou­ver une nou­velle occa­sion d’humilier le ser­vi­teur de Dieu.

Le témoignage d’un ressuscité.

Le pré­lat se reti­ra avec quelques clercs et laïques fer­vents dans l’église bâtie à Piotrawin. Il impo­sa aux siens un jeûne rigou­reux. Il se pros­ter­na ensuite au pied de l’autel, où il ne ces­sa de deman­der avec larmes que le Seigneur lui envoyât son aide.

Vint le troi­sième jour. Après avoir célé­bré le saint Sacrifice, l’évêque se revêt de ses orne­ments pon­ti­fi­caux, et, sui­vi par son cor­tège, s’avance pro­ces­sion­nel­le­ment vers le tom­beau de Pierre. Arrivé là, il ordonne d’enlever la terre qui recouvre la tombe. Le cadavre était presque entiè­re­ment réduit en pous­sière. Stanislas se met à genoux et renou­velle ses ins­tances auprès de Dieu dans une prière pro­lon­gée. Cette prière ter­mi­née, il touche de la main le cadavre.

– Pierre, au nom du Père, du Fils et du Saint-​Esprit, je t’ordonne de quit­ter la tombe pour venir rendre témoi­gnage à la véri­té tra­hie par les enfants des hommes.

Aussitôt, ô pro­dige ! Pierre se lève vivant. L’évêque le prend par la main ; un fris­son d’effroi agite les assis­tants. Des émis­saires courent annon­cer le miracle à Boleslas en plein tri­bu­nal. Il ne veut pas y croire. Vient enfin Stanislas, accom­pa­gné du res­sus­ci­té qu’il tient tou­jours par la main. Il se pré­sente au roi :

– Prince, lui dit-​il, voi­ci le témoin le plus irré­cu­sable de la véri­té vio­lée par vous et vos complices.

Le tyran se tut épou­van­té. Pierre alors, éle­vant la voix, s’écrie :

– Voici que Dieu, tou­ché des prières de son ser­vi­teur Stanislas, m’envoie sur la terre pour rendre témoi­gnage à la véri­té devant ce tri­bu­nal. En pré­sence de tous, je déclare que j’ai ven­du ma terre à l’évêque et à son Eglise, et que j’en ai reçu le prix conve­nu. Quand à mes neveux, ils n’ont aucun droit sur elle : la calom­nie seule a pu les conduire à la revendiquer.

A ces mots, il se tourne vers eux et leur dit :

– Quelle folie a pu vous por­ter à com­mettre un tel crime, les uns par malice, les autres par timi­di­té ? Si vous ne faites pas péni­tence aus­si­tôt, Dieu fera peser sur vous son bras ven­geur en cette vie et en l’autre.

Forcé par cet argu­ment non moins incon­tes­table qu’étrange, le des­pote liber­tin déclare le droit du côté du saint pré­lat. Mais sa fureur, loin de tom­ber, n’en fut au contraire que for­ti­fiée et enflam­mée davantage.

A la voix de saint Stanislas, un mort vient témoi­gner en sa faveur devant le roi.

Pensée d’un ressuscité sur la vie présente.

En sor­tant du tri­bu­nal, la foule se pres­sait autour du res­sus­ci­té pour lui adres­ser diverses ques­tions. Il y répon­dit le moins possible :

– Car, disait-​il, je ne dois le faire que par ordre de Stanislas.

Celui-​ci le recon­dui­sit à son sépulcre, et là, en pré­sence du peuple et des clercs, il lui fît cette demande :

– Pierre, veux-​tu que, pour rendre grâce au Seigneur du bien­fait qu’il vient de nous accor­der, je lui demande de te lais­ser encore avec nous quelques années ?

– Père saint, répondit-​il, que ferais-​je dans cette vie misé­rable de la terre, qui doit plu­tôt être appe­lée mort que vie ? Je vous en sup­plie, ne m’empêchez pas d’aspirer à cette vie vrai­ment bienheu­reuse, où l’on voit Dieu face à face. Jusqu’ici j’étais dans les flammes du pur­ga­toire, j’espère en sor­tir bien­tôt. Daignez donc prier pour moi le Seigneur afin que mon espoir se réa­lise au plus vite ; ou, si la jus­tice s’y oppose, que mes peines soient du moins en grande par­tie diminuées.

Le pré­lat n’insista pas. Il pro­mit de prier beau­coup pour Pierre ; celui-​ci des­cen­dit dans sa tombe, et son âme s’échappant de son corps ren­tra dans l’éternité. Le cler­gé et le peuple réci­tèrent les prières habi­tuelles pour les morts. La fosse fut com­blée, et tous se reti­rèrent émer­veillés et réso­lus en même temps de pro­fi­ter du temps qui leur res­tait pour mener une vie plus édi­fiante, pour méri­ter la vie heu­reuse dont le res­sus­ci­té venait de parler.

L’autel ensanglanté.

Boleslas reçut encore du pon­tife plu­sieurs aver­tis­se­ments au sujet de ses crimes :

– C’en est assez, dit-​il enfin, il faut faire dis­pa­raître cet importun.

La mort de l’évêque fut médi­tée et arrê­tée en Conseil secret. Cette déci­sion, mal­gré les pré­cau­tions prises pour la tenir cachée, fut connue du peuple. Stanislas en conçut une grande joie. Depuis long­temps, en effet, il dési­rait la palme du martyre.

Toutefois, le 11 avril 1079, jour où le crime devait être com­mis, le pon­tife, vou­lant célé­brer la messe en lieu sûr, se reti­ra dans un sanc­tuaire véné­ré des Polonais et appe­lé l’église Saint-Michel.

Le roi l’y sui­vit de près avec des sol­dats. Quand ils arri­vèrent, l’évêque avait com­men­cé le saint Sacrifice. Le tyran atten­dit à la porte avec l’espoir d’en voir bien­tôt la fin. Mais Stanislas célé­brait plus len­te­ment que de cou­tume. Les meur­triers s’impatientaient. Boleslas envoya des sol­dats pour le tuer à l’autel. Ces der­niers entrent réso­lus, mais à peine sont-​ils au pied de l’autel qu’une force divine les ren­verse. Il leur est impos­sible de faire un pas en avant et ils ne par­viennent à sor­tir de l’église qu’en se traî­nant péni­ble­ment par terre. Le roi ne veut pas croire ce qui leur est arri­vé. Deux fois encore les meur­triers tentent d’accomplir le crime, deux fois encore ils sont renversés.

Enfin, Boleslas se résout à agir lui-​même. Il marche donc vers l’autel. Rien ne l’arrête. D’un coup d’épée il tue sa vic­time, puis s’armant d’un cou­teau, il sai­sit par la tête le corps qui pal­pite, et pour le rendre le plus dif­forme pos­sible, lui coupe les oreilles, le nez et les joues ; après quoi il le livre à la bru­ta­li­té des sol­dats. Ceux-​ci le découpent en mor­ceaux qui sont dis­per­sés dans la cam­pagne par ordre du monstre couronné.

Sépulture miraculeuse.

Quatre jours après, le roi et ses conseillers vinrent visi­ter le lieu où avaient été jetés les membres de l’évêque mar­tyr. Ils les croyaient dévo­rés par les chiens ou les oiseaux de proie. A leur stu­pé­fac­tion, quatre beaux aigles vol­ti­geaient autour de ces reliques, prêts à les défendre contre qui­conque se serait appro­ché pour les ravir.

La nuit sui­vante, plu­sieurs chré­tiens ver­tueux virent au-​dessus de chaque lam­beau du corps une lumière radieuse et très vive que l’on pou­vait aper­ce­voir de loin. Animés par ces pro­diges et indi­gnés de la lâche­té des parents du Saint, qui n’osaient enfreindre la défense de Boleslas, les cha­noines de Cracovie, accom­pa­gnés de quelques laïques, allèrent durant la nuit recueillir les reliques véné­rées. Par un nou­veau miracle attes­tant une fois de plus la sain­teté de l’évêque, ces restes pré­cieux étaient à peine réunis, que le corps repre­nait sa forme ordi­naire, sans qu’il res­tât la moindre cica­trice, comme si le pré­lat fût mort de la mort la plus douce.

On l’enterra dans l’église Saint-​Michel. Le prince n’osa pas trou­bler les funé­railles par quelque crime nou­veau. D’ailleurs, l’heure de la ven­geance divine avait son­né. En 1081, tan­dis que la mémoire de saint Stanislas était bénie par tous les Polonais, Boleslas, excom­mu­nié et décla­ré déchu du trône par saint Grégoire VII, était obli­gé de fuir en Hongrie sous la répro­ba­tion una­nime de ses sujets. Il y mou­rut au monas­tère d’Ossiac, en 1083, après une péni­tence sévère que ter­mi­na une mort heu­reuse, obte­nue, dit-​on, par l’in­tercession de sa victime.

Stanislas fut cano­ni­sé par Innocent IV, le 17 sep­tembre 1253, et en 1595, sous Clément VIII, sa fête fut ins­crite au mar­ty­ro­loge romain, le 7 mai.

La dévotion à saint Stanislas.

Les reliques du saint évêque furent trans­fé­rées de Skalkat (en fran­çais : la Rochelle, nom de la petite col­line cou­ron­née par l’église Saint-​Michel, près de laquelle Stanislas fut mas­sa­cré) à la cathé­drale de Cracovie, où elles sont conser­vées dans une magni­fique châsse d’argent dépo­sée sur l’autel au milieu du tran­sept. Quant au chef du Saint, il est ren­fer­mé dans un pré­cieux reli­quaire d’or.

Chaque année, le dimanche après la fête de saint Stanislas, qui est célé­brée le 8 mai en Pologne, le Chapitre de la cathé­drale, ayant à sa tête le prince-​archevêque, se rend en pro­ces­sion à l’église de Skalkat, qui a été recons­truite au xviiie siècle et appar­tient depuis 1172 aux moines Paulins. Les anciens rois de Pologne, depuis Ladislas le Bref (Lokietek) (1306–1333), avaient cou­tume de se rendre en pèle­ri­nage de péni­tence à ce sanc­tuaire, à la veille de leur couronnement.

Le culte de saint Stanislas est très répan­du en Pologne, où la plu­part des dio­cèses l’ont pris pour patron. La basi­lique cathé­drale de Wilna a été éri­gée sous son patro­nage et celui de saint Ladislas, roi. Sur l’ensemble du ter­ri­toire polo­nais, on compte près de 3oo églises en l’honneur du Saint. C’est aus­si sous son vocable qu’est pla­cé, à Rome, le sanc­tuaire natio­nal des Polonais ; il est enfin spé­cialement hono­ré à Nancy, depuis le séjour en Lorraine du roi Stanislas de Pologne, au xviiie siècle.

A.-B. Catoire.

Sources consul­tées. – Bollandistes. – Vincent, O. P., Vita S. Stanislai (1260). – (V. S. B. P., n° 323.)