Saint Bernardin de Sienne

Frère Mineur de l’Observance, apôtre de l’Italie (1380–1444)

Fête le 20 mai.

Vie résumée par l’abbé Jaud

Le prin­ci­pal carac­tère de la vie de ce grand Saint, c’est son amour extra­or­di­naire pour la très Sainte Vierge. Né le 8 sep­tembre 1380, jour de la Nativité de Marie, Bernardin fut pri­vé, tout jeune, de ses nobles et pieux parents ; mais il trou­va dans une de ses tantes une véri­table mère. Voyant un jour cette femme refu­ser de don­ner à un pauvre, il lui dit : « Pour l’a­mour de Dieu, don­nez à ce pauvre ; autre­ment je ne pren­drai rien aujourd’hui. »

Sa pure­té était si grande, que le moindre mot incon­ve­nant l’af­fli­geait pro­fon­dé­ment : « Silence, disaient les étu­diants quand ils le voyaient appa­raître au milieu de leurs conver­sa­tions trop libres, silence, voi­ci Bernardin ! »

A dix-​sept ans, il entra dans une confré­rie de garde-​malades, et soi­gna pen­dant quatre ans, dans un hôpi­tal, avec un dévoue­ment et une dou­ceur rares, toutes les infir­mi­tés humaines. Se trai­tant lui-​même avec la der­nière dure­té, il ne son­geait qu’aux besoins des autres ; il parut sur­tout héroïque dans une peste affreuse, où il s’im­po­sa mille fatigues et bra­va mille fois la mort.

L’inspiration du Ciel le condui­sit alors chez les Franciscains, qui le lan­cèrent bien­tôt dans la pré­di­ca­tion. Grâce à la bon­té de sa Mère céleste, sa voix, faible et presque éteinte, devint inopi­né­ment claire et sonore ; Bernardin fut un apôtre aus­si brillant par son élo­quence que par sa science, et opé­ra en Italie de mer­veilleux fruits de salut.

Faisant un jour l’é­loge de la Sainte Vierge, il Lui appli­qua cette parole de l’Apocalypse : « Un grand signe est appa­ru au Ciel. » Au même ins­tant, une étoile brillante parut au-​dessus de sa tête. Une autre fois, par­lant en ita­lien, il fut par­fai­te­ment com­pris par des audi­teurs grecs qui ne connais­saient que leur langue maternelle.

Un jour, un pauvre lépreux lui deman­da l’au­mône ; Bernardin, qui ne por­tait jamais d’argent, lui don­na ses sou­liers ; mais à peine le mal­heu­reux les eut-​il chaus­sés, qu’il se sen­ti sou­la­gé et vit dis­pa­raître toute trace de lèpre.

Bernardin, allant prê­cher, devait tra­ver­ser une rivière et ne pou­vait obte­nir le pas­sage de la part d’un bate­lier cupide auquel il n’a­vait rien à don­ner. Confiant en Dieu il éten­dit son man­teau sur les eaux, et, mon­tant sur ce frêle esquif, pas­sa la rivière.

C’est à Bernardin de Sienne que remonte la dévo­tion au saint Nom de Jésus : il ne pou­vait pro­non­cer ce nom sans éprou­ver des trans­ports extra­or­di­naires. Il a été aus­si un des apôtres les plus zélés du culte de saint Joseph.

Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’an­née, Tours, Mame, 1950

Version longue (La Bonne Presse)

Ce Saint fut toute sa vie l’enfant ché­ri de la Sainte Vierge. C’est donc par une heu­reuse coïn­ci­dence que sa fête se trouve pla­cée au milieu du mois consa­cré à celle qu’il aima d’un amour si tendre et si constant.

Enfance innocente et charitable.

Bernardin naquit le 8 sep­tembre 1380, le jour de la nais­sance de la Sainte Vierge, à Massa Carrara, en Toscane, où Tollo, son père, Siennois, de l’illustre famille des Albizzeschi, gou­ver­nait en qua­li­té de pre­mier magis­trat. Sa mère, Néra, bien digne par sa pié­té de pos­sé­der un tel fils, ne devait pas jouir du spec­tacle de ses ver­tus, car elle mou­rut quand il n’avait que trois ans. Sur son lit de mort, elle confia l’enfant à sa sœur Diane, qui fut pour lui véri­ta­ble­ment une seconde mère. A six ans, Bernardin per­dit son père. Dès lors, le soin de son édu­ca­tion reve­nait tout entier à celte parente qui l’accepta avec joie. On vit éclore peu à peu, sous sa sage direc­tion, les germes de ver­tu que ren­fer­mait lame de l’enfant. Dans un âge si tendre, Bernardin était modeste, doux, humble, pieux ; il fai­sait ses délices de la prière et de la visite des églises. Très atten­tif aux ser­mons, il répé­tait à ses com­pa­gnons les paroles qu’il avait enten­dues, et il le fai­sait avec tant de fidé­li­té et de grâce qu’il était facile de pré­voir ce qu’il serait plus tard.

Sa vive sen­si­bi­li­té le por­tait aus­si à aimer ten­dre­ment le pro­chain. Un jour, où sans doute les aumônes avaient été plus abon­dantes qu’à l’ordinaire, sa tante ayant ren­voyé un pauvre sans rien lui don­ner, parce qu’il y avait à peine assez de pain pour suf­fire aux per­sonnes de la mai­son, Bernardin lui dit, les larmes aux yeux :

– Pour l’amour de Dieu, don­nons quelque chose à ce pauvre homme ; autre­ment, je ne pour­rai rien man­ger aujourd’hui. J’aime mieux me pas­ser de dîner que de lais­ser jeû­ner ce malheureux.

Sa tante, au lieu de s’irriter de tant de cha­ri­té, satis­fit avec bon­heur à son pieux désir.

A peine eut-​il atteint l’âge de onze ans qu’il dut se sépa­rer de celle qui avait gui­dé son enfance pour se rendre à Sienne auprès de ses oncles pater­nels, Christophe et Ange Albizzeschi. Ceux-​ci, dési­reux de culti­ver ses heu­reuses dis­po­si­tions, le mirent sous la conduite de deux célèbres pro­fes­seurs : Onuphre, le gram­mai­rien, et Jean de Spolète. Bernardin pro­fi­ta à mer­veille de leurs doctes leçons. Il fut bien­tôt à la tête de tous ses condis­ciples qu’il dépas­sait, non seule­ment en intel­li­gence et en savoir, mais, ce qui vaut mieux, en doci­li­té et en vertu.

Il s’appliqua sur­tout avec un soin extra­or­di­naire à veiller sur la pure­té de son âme. Au milieu de ces éco­liers for­més à la vie des Universités, que­rel­leurs, liber­tins, sédi­tieux, Bernardin conser­va sa pre­mière inno­cence. S’il enten­dait un mot bles­sant, son visage se cou­vrait aus­si­tôt d’une vive rou­geur qui témoi­gnait la peine qu’il en ressentait.

Parfois, cepen­dant, il ne se conten­tait pas de rou­gir. Un jour, un homme de qua­li­té, ayant fait en sa pré­sence une pro­po­si­tion déshon­nête, Bernardin, l’enfant doux et aimable, se redres­sant tout à coup, l’œil brillant d’une sainte colère, lui fer­ma la bouche par un coup de poing si violent qu’il reten­tit par toute la place. Le noble liber­tin, deve­nu la risée des spec­ta­teurs, se reti­ra confus. Mais celle répri­mande le frap­pa si vive­ment qu’il réso­lut dès lors de se cor­ri­ger. Il tint parole, et, depuis, toutes les fois qu’il enten­dait prê­cher Bernardin, le sou­ve­nir de cette cor­rec­tion le fai­sait fondre en larmes.

En face d’une ver­tu aus­si vaillante, le vice était for­cé de bais­ser pavillon. Dès que le Saint parais­sait : « Taisons-​nous, disaient les liber­tins, voi­ci Bernardin ! »

Quel était le secret de cette éner­gie si extra­or­di­naire ? Sa dévo­tion à Marie.

Le serviteur de Marie.

Dès sa plus tendre jeu­nesse, il avait pris l’habitude de jeû­ner chaque same­di en son hon­neur, et la Sainte Vierge le récompen­sait en lui don­nant la force de vaincre ses passions.

Ses cama­rades d’études se moquaient un jour de lui parce qu’il ne cher­chait à plaire à aucune dame.

– La dame de mes pen­sées est la plus belle du monde, répon­dit Bernardin.

Tobia, une de ses cou­sines, ter­tiaire de Saint-​François, à qui la pié­té et un âge avan­cé don­naient des droits de sol­li­ci­tude spé­ciale, voyant l’enfant deve­nir un cava­lier brillant, s’émut des séduc­tions que le monde pou­vait exer­cer sur cette jeune âme et l’avertit de ses craintes ; il lui répondit :

– Je suis déjà pris par l’amour, car je sens que je mour­rai le jour même où je ne pour­rai voir celle qui m’est chère.

D’autres fois il ajoutait :

– Je m’en vais voir celle que j’aime, qui est plus belle et plus noble que toutes les filles de Sienne.

Tobia, enten­dant ces paroles et n’en com­pre­nant pas le sens, était pro­fon­dé­ment affli­gée et, vou­lant une fois éclair­cir les soup­çons qui la déso­laient, elle le sui­vit secrè­te­ment ; elle le vit de loin s’arrêter devant l’image de Marie, sculp­tée au fron­ton d’une des portes de Sienne. Là, à genoux sur le sol, Bernardin réci­ta pieu­se­ment ses prières, et, lorsqu’il les eut finies, il s’en retour­na tout droit à la mai­son. Tobia connais­sait désor­mais le secret de son jeune parent, et ces­sa de trem­bler pour lui.

La pen­sée de la Sainte Vierge rem­plis­sait, en effet, son esprit, et la pure­té imma­cu­lée de Marie ravis­sait son cœur.

Au milieu des exer­cices de la pié­té, le ver­tueux jeune homme pour­sui­vait ses études avec une ardeur que le ciel récom­pen­sait. Dès l’âge de treize ans, il avait fini son cours de phi­lo­so­phie, il étu­dia alors le droit civil et cano­nique, puis les Saintes Ecritures.

Dès qu’il eut goû­té à cette der­nière étude, toutes les autres sciences lui parurent sans attrait ; il employait son temps à lire et à com­prendre l’Evangile, et à le mettre en pratique.

Le serviteur des pauvres.

Il y avait à Sienne, dans l’hôpital Santa Maria del­la Scala, une humble confré­rie, dite des « Disciplinés de la Vierge », des­ti­née au ser­vice des malades. Bernardin, ses études finies, se hâta de s’y faire admettre ; il avait alors dix-​sept ans. Ce fut un spec­tacle tou­chant de voir ce jeune homme au corps frêle, au visage déli­cat, entou­ré jusque-​là de toutes les jouis­sances que pro­cure la richesse, revê­tu désor­mais d’habits gros­siers, assis­tant les pauvres dans leurs mala­dies les plus repous­santes, sans se lais­ser rebu­ter, ni par les piqûres de l’amour-propre ni par les répu­gnances de la chair, et fai­sant suivre ces exer­cices pénibles de longues médi­ta­tions et d’austérités effrayantes.

En 1400, la peste, qui avait déso­lé une par­tie de l’Italie, atta­qua la ville de Sienne et par­ti­cu­liè­re­ment l’hôpital Santa Maria del­la Scala. Il y mou­rait de dix-​huit à vingt per­sonnes par jour, de telle sorte que le per­son­nel de l’établissement fut empor­té presque tout entier par le fléau. Ce fut en cette occa­sion que Bernardin fit paraître admi­ra­ble­ment sa cha­ri­té. Non seule­ment il s’exposa lui-​même pour l’assistance des pes­ti­fé­rés, mais il fit tant par ses exhor­tations que douze hommes de cœur se joi­gnirent à lui ; pen­dant quatre mois, ces mar­tyrs du dévoue­ment, qu’on croyait per­dus, s’exposèrent à la conta­gion sans en rece­voir aucune atteinte.

Au bout de ce temps, la peste ayant ces­sé, Bernardin, épuise de fatigues, tom­ba dans une fièvre vio­lente qui l’obligea quatre mois à gar­der le lit. Il sup­por­ta cette épreuve avec rési­gna­tion et édi­fia, autant par sa patience et sa doci­li­té qu’il l’avait fait par sa charité.

C’est pen­dant cette longue mala­die qu’il se for­ti­fia dans son pro­jet de se consa­crer entiè­re­ment à Dieu.

A peine fut-​il réta­bli qu’il se mit de nou­veau au ser­vice des malades. Une de ses tantes, Bartolomea, était deve­nue aveugle et avait récla­mé ses ser­vices. Bernardin la soi­gna plus d’un an, comme l’aurait fait le fils le plus dévoué, et lui fer­ma les yeux.

Saint Bernardin entre chez les Frères Mineurs.

Ce devoir accom­pli, notre Saint se reti­ra chez un de ses amis, aux extré­mi­tés de Sienne, et se fixa pour clô­ture abso­lue les murs de son jar­din. Dans cette soli­tude, il s’appliqua à l’oraison et à la péni­tence, afin d’appeler les lumières du ciel sur la route qu’il devait suivre.

Un jour qu’il répan­dait son cœur devant un cru­ci­fix, il enten­dit une voix qui lui disait : « Bernardin, tu me vois dépouillé de tout et atta­ché à une croix pour ton amour ; il faut donc aus­si, si tu m’aimes, que tu te dépouilles de tout et que tu mènes une vie crucifiée. »

Pour suivre ces conseils, Bernardin réso­lut d’entrer dans l’Ordre de saint François. Il prit l’habit au couvent de Colombaio, à quelques kilo­mètres de Sienne, le 8 sep­tembre 1402, vingt-​deuxième anni­ver­saire de sa nais­sance. Il est à remar­quer que, dans les trois années qui sui­virent, c’est à ce jour où l’Eglise célèbre la fête de la Nativité de Notre-​Dame qu’il fit sa pro­fes­sion, célé­bra sa pre­mière messe et prê­cha son pre­mier ser­mon. C’est ain­si que la Sainte Vierge vou­lut pré­si­der à sa triple voca­tion de reli­gieux, de prêtre et d’apôtre.

Dès son entrée dans la vie reli­gieuse, Bernardin, non content de suivre la règle de saint François, déjà si aus­tère, s’appliqua à détruire en lui, à force de veilles, de jeûnes et de mor­ti­fi­ca­tions, toute attache au monde. Il recher­chait avec empres­se­ment les mépris, les humi­lia­tions et les mau­vais trai­te­ments. Son plai­sir n’était jamais plus grand que lorsqu’on mar­chant dans les rues, les enfants lui disaient des injures et lui jetaient des pierres, à cause de la pau­vre­té de son habit et de la nudi­té de ses pieds : « Laissons-​les faire, disait-​il à ceux qui l’accompagnaient, ils nous four­nissent l’occasion de gagner le ciel. »

Le prédicateur.

Lorsqu’il eut fait sa pro­fes­sion, ses supé­rieurs lui ordon­nèrent de faire valoir son talent pour la pré­di­ca­tion que nous avons vu s’annoncer d’une manière si éton­nante à l’époque de son enfance.

Il trou­va d’abord de grandes dif­fi­cul­tés dans une fai­blesse de voix accom­pa­gnée d’enrouement ; mais sa bonne Mère était là. A peine l’eut-​il invo­qué que sa voix devint pure et écla­tante. Il reçut en même temps toutes les qua­li­tés néces­saires à un prédica­teur ; l’intelligence des saintes Lettres, l’élégance de la com­po­si­tion, la beau­té du geste et sur­tout un feu et un zèle admi­rables pour la conver­sion des âmes. Aussi, sa pré­di­ca­tion produisit-​elle en Italie des fruits merveilleux.

On ne pou­vait entendre sans émo­tion sa parole toute brû­lante de cha­ri­té. Les pécheurs, pris sou­dain de repen­tir, se confes­saient et retour­naient chez eux cor­ri­gés. Les hommes venaient dépo­ser entre ses mains les dés, les cartes et autres ins­tru­ments de jeux défen­dus ; les femmes lui appor­taient leurs parures, leurs che­veux, leurs fards et tous ces objets de vani­té qui per­ver­tissent l’âme en embel­lis­sant le corps.

A celte époque, l’Italie était mise à feu et à sang par la guerre des Guelfes et des Gibelins ; le Saint par­vint, à force d’ex­hor­ta­tions, à adou­cir les esprits et à désar­mer des adver­saires jusque-​là irréconciliables.

Au reste, la puni­tion ne tar­dait point lorsqu’on mépri­sait ses conseils. On assure qu’ayant prê­ché quatre dis­cours sur la néces­si­té de la récon­ci­lia­tion géné­rale, il s’écria à la fin du der­nier : « Que tous ceux qui ont des sen­ti­ments de paix viennent se ran­ger à ma droite. » Un jeune gen­til­homme res­ta seul à sa gauche et mur­mu­ra. Le pré­di­ca­teur le reprit sévè­re­ment et lui pré­dit une fin misé­rable ; ce qui se véri­fia peu de temps après.

Si l’on ajoute au don de l’éloquence celui des miracles, on com­prendra quelle influence les paroles de Bernardin devaient avoir sur les peuples qu’il évangélisait.

Une petite fille, étant venue au monde avec deux ulcères ter­ribles, dont un sur la poi­trine, par où sor­tait le souffle de ses pou­mons, fut gué­rie par une béné­dic­tion qu’il lui donna.

Un jour, un pauvre lépreux lui deman­da l’aumône. Comme il ne por­tait jamais d’argent, il lui don­na ses sou­liers. A peine le mal­heu­reux les eut-​il chaus­sés qu’il se sen­tit sou­la­gé : il vit dis­paraître peu après toute trace de sa ter­rible maladie.

Se ren­dant à Mantoue, Bernardin arri­va sur les bords d’une rivière que la pro­fon­deur de l’eau ne lui per­met­tait pas de tra­ver­ser à gué. Un bate­lier se trou­vait là : il lui deman­da de vou­loir bien le con­duire à l’autre bord, mais celui-​ci refu­sa, voyant qu’il n’aurait pas de rému­né­ra­tion. Confiant dans le ciel pour lequel il allait tra­vailler, le ser­vi­teur de Dieu éten­dit alors son man­teau sur les eaux et, sur ce frêle esquif, tra­ver­sa la rivière à pied sec.

Ces pro­diges arri­vaient par­fois au milieu de ses ser­mons et en aug­men­taient l’effet. C’est ain­si que, fai­sant l’éloge de la Sainte Vierge, il lui appli­qua ces paroles de l’Apocalypse : « Un grand signe est appa­ru au ciel. » Au même ins­tant, une étoile, d’une admi­rable clar­té, appa­rut au-​dessus de sa tête, aux yeux de l’audi­toire ébloui. Une autre fois, prê­chant devant des Grecs qui ne savaient pas l’italien, il se fit com­prendre d’eux comme s’il avait par­lé leur langue maternelle.

Bernardin, apôtre ins­pi­ré et thau­ma­turge, pos­sé­dait à un degré émi­nent une qua­li­té sans laquelle les pré­di­ca­teurs ne sau­raient con­quérir les âmes. A l’exemple de Jésus-​Christ, il pra­ti­quait lui-​même tout ce qu’il ensei­gnait aux autres. Au milieu de ses tra­vaux évan­géliques si nom­breux et si absor­bants, il n’omettait aucun des exer­cices de la règle fran­cis­caine. Toutes les nuits, il se levait pour assis­ter à l’office, et le matin, après avoir dit sa messe, il consa­crait une heure entière à l’oraison. Son humi­li­té était si grande qu’il ne mar­chait que la tête bais­sée : il n’entreprenait jamais rien sans deman­der conseil à ceux qui l’entouraient.

Il eut sou­vent des com­bats à sou­te­nir pour la chas­te­té ; mais il en sor­tit tou­jours vic­to­rieux. Un jour, tan­dis qu’il fai­sait la quête, une dame le pria d’entrer chez elle pour lui don­ner son aumône. Lorsqu’il fut entré, elle lui décou­vrit effron­té­ment la pas­sion qu’elle avait depuis long­temps pour lui et lui décla­ra que, s’il n’y consen­tait, elle allait appe­ler au secours comme s’il lui fai­sait vio­lence, et le cou­vrir ain­si de honte. Un évé­ne­ment si impré­vu embar­ras­sa d’abord Bernardin ; mais, ayant invo­qué la Sainte Vierge, il reçut subi­te­ment l’esprit de conseil, et, non seule­ment il se tira avec une pru­dence admi­rable de ce dan­ger, mais il exci­ta un vif repen­tir dans le cœur de celte femme qui, depuis, res­ta fidèle à son mari.

Là ne se bornent pas ses épreuves. La pre­mière fois qu’il prê­cha à Milan, le duc Philippe-​Marie Visconti se lais­sa pré­ve­nir contre lui à l’occasion de cer­taines paroles qu’il avait pro­non­cées dans ses ser­mons. Il lui ordon­na même, sous peine de mort, de chan­ger de lan­gage. Bernardin décla­ra géné­reu­se­ment que ce serait pour lui un grand bon­heur que de mou­rir pour la véri­té. Le duc vou­lut alors le cor­rompre pour le décrier ensuite et mon­trer au peuple que ce pré­di­ca­teur, si dés­in­té­res­sé en appa­rence, n’était pas insen­sible à l’appât des richesses. Il lui envoya donc une bourse de cinq cents ducats, le priant d’en dis­po­ser pour ses propres besoins.

– Dites à votre sei­gneur et maître, répon­dit Bernardin à l’officier char­gé de lui remettre ce pré­sent, que saint François a pour­vu à tous les besoins de ses enfants, et ne leur a lais­sé d’autre solli­citude que celle de ser­vir Dieu et d’être utiles au prochain.

Touché de cette remon­trance, le duc fit repor­ter les ducats au Saint, en le priant de les accep­ter pour les pauvres.

– Si cela est, dit le Saint au mes­sa­ger, suivez-​moi jusqu’aux pri­sons. Et là, en sa pré­sence, il déli­vra un grand nombre de pri­sonniers qui y étaient déte­nus pour dettes.

Une conduite aus­si géné­reuse ache­va de désa­bu­ser le duc de Milan : il conçut pour Bernardin une véné­ra­tion pro­fonde dont il ne se dépar­tit jamais.

Saint Bernardin uti­lise une somme, qui lui avait été envoyée pour le cor­rompre, à déli­vrer des pri­son­niers pour dettes.

Le saint nom de Jésus.

C’est à Bernardin de Sienne que remonte la dévo­tion au saint nom de Jésus. Il ne pou­vait pro­non­cer ce nom sacré sans éprou­ver des trans­ports extra­or­di­naires. Souvent, à la fin de ses ser­mons, il mon­trait au peuple un tableau sur lequel le mono­gramme du Christ : J. H. S. était ins­crit en lettres d’or envi­ron­nées de rayons. Il invi­tait alors ses audi­teurs à se mettre à genoux et à s’unir à lui pour ado­rer le Rédempteur des hommes.

Cette dévo­tion, taxée tout d’abord de nou­veau­té, lui atti­ra beau­coup de désa­gré­ments. Certains termes qu’il avait cou­tume d’em­ployer furent inter­pré­tés d’une façon maligne. Averti par des per­sonnes envieuses, le Pape Martin V envoya cher­cher Bernardin et le condam­na à gar­der le silence pour tou­jours. L’humble reli­gieux se sou­mit sans cher­cher à se jus­ti­fier. Mais le Pape ne tar­da pas à décou­vrir la calomnie.

Après avoir mûre­ment exa­mi­né la conduite et la doc­trine du ser­vi­teur de Dieu, il recon­nut son inno­cence, le com­bla d’éloges et lui per­mit de prê­cher par­tout où il lui plai­rait. Il le pres­sa même d’accepter l’évêché de Sienne en 1427. Mais le ser­vi­teur de Dieu trou­va moyen d’éluder cette proposition.

Eugène IV, suc­ces­seur de Martin V, lui offrit sans plus de suc­cès les évê­chés de Ferrare et d’Urbin. Le Saint vou­lait mou­rir dans la robe du reli­gieux, chère à son humi­li­té, et dans les fonc­tions de l’a­pos­to­lat, aux­quelles il avait consa­cré sa vie.

Non content d’être utile aux sécu­liers, Bernardin de Sienne tra­vailla aus­si à la per­fec­tion de ses frères. Elu vicaire géné­ral de son Ordre, il réta­blit l’étroite obser­vance dans plu­sieurs cou­vents, et il en fit bâtir un grand nombre de nou­veaux, à la plu­part des­quels il don­na le nom de Sainte-​Marie de Jésus, alliant ain­si les deux dévo­tions si chères à son cœur. Quand il prit l’habit, il n’y avait pas plus de vingt monas­tères de l’étroite obser­vance dans toute l’Italie, et envi­ron deux cents reli­gieux. Lorsqu’il mou­rut, il y avait plus de trois cents cou­vents et près de cinq mille religieux.

Trois ans après son élec­tion, il par­ta­gea, avec saint Jean de Capistran, son dis­ciple, cette charge deve­nue trop lourde pour ses épaules affai­blies par toute sorte de tra­vaux. Puis, ses infir­mi­tés aug­men­tant, il dut s’en démettre tout à fait. Il n’en recom­men­ça pas moins ses courses apos­to­liques. Une ter­rible sédi­tion ayant écla­té à Massa Carrara, lieu de sa nais­sance, il réta­blit tout dans l’ordre par un dis­cours fort pathé­tique sur la cha­ri­té chrétienne.

Ce fut son der­nier bien­fait. Attaqué par une fièvre maligne, il fut aver­ti par saint Pierre Célestin, qui lui appa­rut près de la ville d’Aquila, que sa fin était proche. Une fois muni des sacre­ments, il pria ses frères de l’étendre sur le sol nu de sa cel­lule, afin qu’il lui fût don­né de rendre le der­nier sou­pir de la même manière que son Père saint François. C’est ain­si qu’il ren­dit son âme à Dieu, à Aquila, le 20 mai 1444, la veille de l’Ascension, à l’heure des Vêpres, tan­dis que l’on chan­tait au chœur cette antienne : « Mon Père, j’ai fait connaître votre nom aux hommes que vous m’avez don­nés ; main­te­nant, je prie pour eux et non pour le monde, parce que je viens à vous. » Il était âgé de 64 ans.

Culte.

Dès la mort connue, tout le peuple entou­ra le corps de Bernardin d’une grande véné­ra­tion, qui s’accrut par le fait des nom­breux miracles qui ne ces­saient de s’opérer par son inter­ces­sion. Sur les ins­tances de la répu­blique de Sienne et du roi de Naples, le Pape Eugène IV fit com­men­cer le pro­cès de cano­ni­sa­tion qui reçut son cou­ron­ne­ment le 24 mai 1450, jour où Nicolas V pro­cla­ma saint l’apôtre de l’Italie Bernardin de Sienne. Alexandre VII, le 15 sep­tembre 1657, éten­dit à l’Eglise uni­ver­selle sa fête sous le rite semi-double.

A. G.

Sources consul­tées. – Paul Thureau-​Dangin, Saint Bernardin (Paris, 1926). – R. P. Léon, O. F. M., L’auréole séra­phique (Paris). – Acta sanc­to­rum. – (V. S. B. P., n° 67.)