Saint Georges

Saint Georges et le dragon, par Willem Vrelant. Google Art Project

Martyr (+ vers 303). Patron des sol­dats et des ordres militaires.

Fête le 23 avril.

Vie résumée par l’abbé Jaud

Saint Georges naquit à Lydda, en Palestine ; son édu­ca­tion fut toute chré­tienne. Il sui­vit la car­rière des armes comme son père, et bien­tôt sa beau­té, sa dis­tinc­tion, son cou­rage, l’é­le­vèrent à la digni­té de tri­bun mili­taire dans la garde impériale.

Dioclétien ayant ral­lu­mé la per­sé­cu­tion contre les chré­tiens, l’in­di­gna­tion de Georges écla­ta en face même du tyran, devant lequel il exal­ta la gran­deur du Dieu véri­table et confon­dit l’im­puis­sance des fausses divi­ni­tés. Sa noble audace lui méri­ta le reproche d’in­gra­ti­tude et des menaces de mort.

Georges pro­fi­ta de ses der­niers jours de liber­té pour dis­tri­buer ses biens aux pauvres et affran­chir ses esclaves. Ainsi pré­pa­ré aux com­bats du Christ, le tri­bun aborde l’empereur lui-​même et plaide devant lui la cause des chrétiens.

– Jeune homme, lui répond Dioclétien, songe à ton avenir !

– Je suis chré­tien, dit Georges, je n’am­bi­tionne ni ne regrette rien dans ce monde ; rien ne sau­rait ébran­ler ma foi.

Il est alors bat­tu de verges, puis il subit l’af­freux sup­plice de la roue, après lequel un ange des­cend du Ciel pour gué­rir ses blessures.

Quelques jours après, le mar­tyr repa­raît plein de vie en pré­sence de l’empereur, qui le croyait mort ; il lui reproche de nou­veau sa cruau­té et l’en­gage à recon­naître le vrai Dieu. Trois jours il est aban­don­né sur un lit de chaux vive ; on lui met ensuite des chaus­sures de fer rou­gies au feu, on lui fait ava­ler un poi­son très violent.

Georges, par la grâce de Dieu, subit toutes ces épreuves sans en res­sen­tir aucun mal ; plu­sieurs païens même se conver­tissent à la vue de tant de mer­veilles. Reconduit de nou­veau dans sa pri­son, l’ath­lète invin­cible de la foi vit en songe Jésus-​Christ des­cendre vers lui :

« Georges, lui dit-​Il en lui pré­sen­tant une cou­ronne de pierres pré­cieuses, voi­là la récom­pense que Je te réserve au Ciel ; ne crains rien, Je com­bat­trai avec toi demain, et tu rem­por­te­ras sur le démon une vic­toire définitive. »

Le jour sui­vant, Dioclétien tâcha d’é­bran­ler le mar­tyr par des flat­te­ries : « Conduisez-​moi devant vos dieux, » dit Georges. On l’y conduit, croyant qu’il va enfin sacri­fier. Parvenu devant la sta­tue d’Apollon, il fait le signe de la Croix et dit : « Veux-​tu que je te fasse des sacri­fices comme à Dieu ? » La voix du démon répond : « Je ne suis pas Dieu ; il n’y a de Dieu que Celui que tu prêches. » Et en même temps la sta­tue tombe en pous­sière. Le peuple s’en­fuit épou­van­té, et l’empereur vain­cu, humi­lié et furieux, fait tran­cher la tête au martyr.

Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’an­née, Tours, Mame, 1950

Version longue (La Bonne Presse)

L’historien moderne vou­drait pou­voir retra­cer avec plus de pré­cision et de relief les divers épi­sodes de la vie et du mar­tyre de saint Georges. Malgré les tra­vaux des hagio­graphes, la figure de ce sol­dat chré­tien, mar­tyr au IVème siècle, que les Eglises latine et grecque fêtent, depuis long­temps, le 23 avril, reste, étant si loin de nous dans l’histoire, un peu impré­cise et comme mal éclai­rée. Elle est néan­moins très réelle, bien vivante et même l’une des plus véné­rées par les fidèles. En effet, le culte de saint Georges est presque contem­po­rain de son mar­tyre. Mais quand il s’agit de retra­cer les détails authen­tiques de la vie et de la pas­sion de ce mar­tyr, d’indiquer les titres par­ti­cu­liers et histo­riquement cer­tains qui expliquent l’antique et uni­ver­selle dévo­tion du peuple chré­tien envers lui, l’historien ren­contre, dans l’abondance même et la diver­si­té des docu­ments, de très graves dif­fi­cul­tés ou pro­blèmes à résoudre.

Récits apocryphes ou suspects relatifs à saint Georges.

C’est qu’en effet, peu de temps après la mort du mar­tyr, et plus tard au moment des Croisades, des bio­gra­phies apo­cryphes, des légendes sans fon­de­ment, des Passions ou des miracles sus­pects, sont venus, d’Orient sur­tout, voi­ler ou défor­mer même sa phy­sio­no­mie his­to­rique et la rela­tion exacte des sup­plices qu’il a endu­rés. Tout en met­tant au rang des saints mar­tyrs, dès le Vème siècle, ce témoin du Christ, l’Eglise romaine (deux siècles plus tard un Concile d’Orient por­te­ra la même sen­tence) dénonce et réprouve, vers 495, parce qu’elle est, par­tiel­le­ment au moins, l’œuvre des héré­tiques une rela­tion écrite en grec et assez connue en ce temps-​là, de la vie et des sup­plices de Georges le Martyr. Cette sorte de bio­gra­phie étant plu­tôt de nature à désho­no­rer la mémoire du sol­dat du Christ, est, à Rome, exclue, comme d’autres du même genre, des lec­tures litur­gique. Hélas ! elle a ins­pi­ré plus ou moins cer­tains bio­graphes des siècles pos­té­rieurs et ren­du sus­pects leurs tra­vaux. Pour démê­ler le vrai du faux et faire œuvre sérieuse, l’historien doit sou­mettre à un exa­men rigou­reux les récits rela­tifs à saint Georges. Les Bollandistes ont fait ce tra­vail pour plu­sieurs docu­ments grecs rela­tant la vie et les sup­plices du mar­tyr dont nous par­lons : ils indiquent quelle créance méritent cer­tains de ces textes, dont la valeur his­to­rique reste en défi­ni­tive pro­blé­ma­tique ou dis­cu­table. Une chose est cer­taine ; en dépit de la thèse contraire du pro­tes­tant Gibbon, on ne peut, mal­gré la com­mu­nau­té de nom, de patrie et de pro­fes­sion, iden­ti­fier Georges le grand mar­tyr, avec l’évêque intrus Georges de Cappadoce, triste per­son­nage pla­cé par les ariens en 339 sur le siège patriar­cal d’Alexandrie, lors du second exil de saint Athanase.

Le tribun militaire. – Légende de saint Georges terrassant le dragon.

Georges serait né vers 280. Originaire de la ville de Lydda en Syrie, sui­vant les uns, ou de Mitylène en Cappadoce, sui­vant d’autres, il fut éle­vé dans la reli­gion chré­tienne, car ses pa­rents, peut-​être ori­gi­naires de Palestine, étaient chré­tiens. Il reçut une ins­truc­tion et une édu­ca­tion conformes au rang social et à la for­tune, qui paraît avoir été assez consi­dé­rable, de sa famille. Parvenu à l’âge d’homme, Georges embras­sa, comme l’avait fait son père, la car­rière mili­taire. Enrôlé dans l’armée romaine, il se con­cilia par sa conduite, son intel­li­gence et la dis­tinc­tion de ses ma­nières, l’estime de ses chefs et bien­tôt il reçut le grade de tri­bun dans la garde impé­riale de Dioclétien.

Un manus­crit du XIIIème siècle et la Légende dorée du bien­heu­reux Jacques de Voragine attri­buent au jeune offi­cier un exploit mer­veilleux et che­va­le­resque. Georges, en route pour rejoindre sa légion, arrive dans la ville de Silène, en Libye. Un marais des envi­rons abri­tait un dra­gon énorme que per­sonne n’avait encore réus­si à tuer. Pour l’empêcher de dévas­ter la ville et la cam­pagne avoisi­nante, on lui aban­don­nait chaque jour deux bre­bis. Ces der­nières mena­çant de man­quer, le roi de l’endroit déci­da d’en rem­pla­cer une par une jeune fille tirée au sort. Un jour la fille même du roi fut dési­gnée. Malgré la dou­leur de son père, elle dut s’exécuter comme les autres. Elle s’achemina en pleu­rant vers le repaire de la bête. A ce moment parut un beau cava­lier, armé de l’épée et de la lance. Quand il eut connais­sance du sort réser­vé à la jeune fille, il fit le signe de la croix et fon­ça cou­ra­geu­se­ment sur le monstre furieux. D’un vigou­reux coup de lance il le trans­per­ça ; puis, lui fai­sant avec la cein­ture de la jeune fille un lien vigou­reux et pro­tecteur, il fit conduire le dra­gon jusque dans la ville. Là, il expli­qua au roi et à son peuple pour­quoi il avait pu ter­ras­ser leur grand enne­mi : il avait invo­qué le secours du seul Dieu véri­table. Tous pro­mirent de croire en Jésus-​Christ et de se faire bap­ti­ser, et Georges don­na alors à la bête infer­nale le coup de grâce.

Ce récit ne figure pas dans les anciennes bio­gra­phies du mar­tyr. Il appa­raît seule­ment à l’époque des Croisades et vient probable­ment d’Orient. Il n’a, semble-​t-​il, que la réa­li­té et la valeur d’un sym­bole. Le tri­bun romain est la per­son­ni­fi­ca­tion idéale du che­valier sans peur et sans reproche, com­bat­tant contre Satan et les infi­dèles pour défendre la foi chré­tienne, pro­té­geant en toute occa­sion la fai­blesse en danger.

Rarement légende connut tant de vogue. Elle fut pour les artistes de toute caté­go­rie, du XIIIème siècle à nos jours, un sujet de prédilec­tion, don­nant lieu à des œuvres d’art aus­si nom­breuses que variées, et cela tant en Orient que dans les pays d’Europe. C’est sur­tout – mais non exclu­si­ve­ment – sous l’aspect d’un jeune cava­lier, mon­té sur un che­val blanc, armé de la lance et de l’étendard de la croix, trans­per­çant un monstre qui menace une jeune fille, que Georges le Martyr est figu­ré dans l’iconographie du moyen âge et de la Renaissance.

Persécution de Dioclétien. – Saint Georges se déclare chrétien.

Au début du IVème siècle, sous Dioclétien, des mesures furent prises pour éli­mi­ner de l’armée impé­riale d’Orient, les nom­breux élé­ments chré­tiens qu’elle ren­fer­mait. Beaucoup de sol­dats durent renon­cer à la pro­fes­sion des armes, mais ne furent pas autre­ment inquié­tés. Quand le César Galère vint rejoindre Dioclétien à Nicomédie, il s’employa de toutes ses forces à obte­nir de lui des mesures plus rigou­reuses contre la reli­gion chré­tienne. Un édit fut affi­ché à Nicomédie, ordon­nant la démo­li­tion des églises et enle­vant aux chré­tiens toute digni­té et toute charge dans l’administration. Il fut lacé­ré par un jeune homme, disent les his­to­riens Eusèbe et Lactance ; par Georges le Tribun, hasardent quelques bio­graphes. Peu après, par deux fois le feu pre­nait au palais impé­rial. Galère en accu­sa les chré­tiens et il obtint de l’empereur effrayé de san­glantes repré­sailles contre le cler­gé et les chré­tiens de Nicomédie. La persé­cution ne tar­da pas à s’étendre à toute l’Asie Mineure et bien­tôt des édits géné­raux furent lan­cés, pres­cri­vant de contraindre par tous les moyens les fidèles à sacri­fier aux idoles.

Pénétré de dou­leur et d’indignation à la vue des mesures injustes et de la per­sé­cu­tion san­glante dont les chré­tiens d’Orient étaient vic­times, Georges réso­lut de prendre publi­que­ment leur défense. Après avoir dis­tri­bué ses biens aux pauvres et libé­ré les quelques esclaves à son ser­vice, il ne crai­gnit pas, soit dans un Conseil de fonc­tion­naires et de chefs mili­taires réuni par Dioclétien, soit dans une occa­sion moins solen­nelle, de plai­der la cause des per­sé­cu­tés, affir­mant que leur reli­gion était la seule vraie et qu’on ne devait rendre aux idoles aucun culte. Interrogé, Georges se décla­ra chré­tien. L’empereur lui dit alors : « Jeune homme, songe à ton ave­nir », et il lui fît entendre que de ter­ribles sup­plices puni­raient sa déso­béis­sance aux édits, mais qu’au contraire, des digni­tés et des charges plus éle­vées récom­pen­se­raient son apos­ta­sie. Le tri­bun réplique que ni les menaces ni les pro­messes de l’empereur ne seront capables de lui faire aban­don­ner le culte du vrai Dieu. Mis en colère par une pareille réponse, Dioclétien ordonne qu’on arrête et qu’on conduise en pri­son cet offi­cier de sa garde.

Saint Georges dis­tri­bue ses biens aux pauvres et libère ses esclaves.

Supplices horribles endurés par le confesseur de la foi. – Confusion d’un magicien.

Alors com­mence la dou­lou­reuse pas­sion du mar­tyr. Les récits qui en ont été faits par les hagio­graphes orien­taux énu­mèrent les sup­plices aux­quels le pri­son­nier a été pro­ba­ble­ment sou­mis, à des inter­valles plus ou moins rap­pro­chés : sup­plice de la roue gar­nie de lames aiguëes, sup­plice des ongles de fer, de la fla­gel­la­tion avec des nerfs de bœuf, du bain dans la chaux vive. Le sol­dat sup­porte tout avec un cou­rage sur­na­tu­rel et voit même ses bles­sures mira­culeusement guéries.

Le magis­trat char­gé de contraindre Georges à sacri­fier aux idoles a la convic­tion que son pri­son­nier recourt à des sor­ti­lèges pour se défendre de ces ter­ribles tor­tures. Alors il appelle à son secours un habile magi­cien. Celui-​ci, pour éprou­ver Georges, ima­gine de lui faire boire une liqueur empoi­son­née. Le chré­tien n’en res­sent aucun mal, selon la pro­messe faite par Jésus-​Christ dans son Evan­gile. Il déclare d’ailleurs à l’idolâtre que Dieu, dans sa toute-​puis­sance, peut accom­plir par ses enfants des choses encore plus extraor­dinaires, par exemple rendre la vie aux morts. Alors le magi­cien défia le mar­tyr de res­sus­ci­ter un défunt qui, peu de jours aupara­vant, avait été inhu­mé non loin de la pri­son, Georges fut conduit au lieu indi­qué : il se mit à prier, et voi­là que le mort sor­tit de sa tombe. Vaincu, le magi­cien confes­sa la puis­sance du Dieu des chré­tiens et aban­don­na le culte des idoles. Dioclétien furieux ordon­na de le décapiter.

Dans sa pri­son, le mar­tyr put, paraît-​il, rece­voir la visite de son jeune fils, et il deman­da qu’après sa mort son corps fût rame­né en Palestine. Peu de temps après, Georges com­pa­rut de nou­veau, pro­ba­ble­ment devant Dioclétien : le tri­bu­nal était dres­sé en plein air, près du temple d’Apollon. L’empereur essaye de l’attendrir en lui disant qu’il a pitié de sa jeu­nesse et qu’il le com­ble­ra d’hon­neurs si enfin il consent à sacri­fier aux dieux. « Mais où sont donc ces dieux ? Allons les voir. » Le pri­son­nier demande à être conduit dans le temple.

Par un nou­veau miracle, Georges fait avouer au démon caché dans une idole qu’il n’y a qu’un seul Dieu, puis, d’un signe de croix, pro­voque l’écroulement de toutes les sta­tues païennes, ce qui sou­lève une véri­table émeute.

Conversion de l’impératrice Alexandra. – Saint Georges est décapité.

Cependant, l’impératrice Alexandra, atti­rée par les cris tumul­tueux de la foule, s’approcha de Dioclétien et lui décla­ra qu’après tout ce qu’elle venait d’apprendre, elle vou­lait être chré­tienne. Au comble de la fureur, Dioclétien la fit battre de verges, puis enfin mettre à mort ain­si que trois de ses ser­vi­teurs, les saints Apollin, Isaac et Codrat ou Crotate. L’Eglise les fête le 21 avril, au moins dans cer­tains calendriers.

Puis, vou­lant en finir avec le jeune offi­cier de sa garde qui appa­raissait inébran­lable dans sa foi, Dioclétien pro­non­ça la sen­tence de mort. Georges est traî­né à la queue d’un che­val, à tra­vers toute la ville ; il est ensuite conduit hors des murs : là il est déca­pi­té. Ce mar­tyre eut lieu pro­ba­ble­ment à Nicomédie (cepen­dant, cer­tains récits indiquent les villes de Mitylène ou de Diospolis) et dans la pre­mière par­tie de l’année 303 ; Dioclétien se trou­vait à ce moment à Nicomédie. Le corps du Saint aura été ensuite trans­por­té, sui­vant son désir, à Diospolis (Lydda) en Palestine.

Fête et culte de saint Georges.

Il n’est pas cer­tain que Georges ait subi le mar­tyre le 23 avril de l’année 303. A ce jour, les anciens calen­driers contiennent le mot memo­ria (mémoire) au lieu du mot nata­lis (nais­sance à la vie glo­rieuse par la mort). Cependant, de très bonne heure, sa fête est célé­brée au 23 avril dans les Eglises d’Orient et d’Occident : chez les Grecs, elle est de pré­cepte. Le Saint est men­tion­né au 23 avril dans le Martyrologe romain : il est ins­crit à cette même date dans le Bréviaire romain, sous le rite semi-​double depuis saint Pie V, sans légende his­to­rique cepen­dant, avec une orai­son iden­tique à celle de saint Barnabé.

Dès le Vème siècle, le culte du mar­tyr appa­raît assez répan­du en Asie Mineure, en Egypte, en Italie, et il est par­fai­te­ment loca­li­sé. Il a son centre indis­cu­té et rayon­nant dans la ville de Diospolis (Lydda) en Palestine ; les pèle­rins y affluent pour véné­rer dans une magni­fique basi­lique, éle­vée peut-​être par Constantin, à moins que ce ne soit par Justinien, le tom­beau du martyr.

De nom­breuses églises, ici et là, sont dédiées à saint Georges ou pla­cée sous son patro­nage. En Syrie on en a décou­vert plu­sieurs, por­tant des dédi­caces anciennes en langue grecque, dont une re­monterait même au milieu du xve siècle. La ville de Constantinople comp­tait cinq ou six églises ou ora­toires dédiés au saint mar­tyr ; l’une des plus fré­quen­tées se trou­vait sur les bords du détroit des Dardanelles. Diverses églises ou monas­tères d’Egypte sont pla­cés sous la pro­tec­tion du Saint. En 682, le Pape saint Léon II dédie l’église qu’il vient de faire res­tau­rer à Rome, au quar­tier du Vélabre, aux deux saints mili­taires Sébastien et Georges. Moins d’un siècle après, le Pape saint Zacharie y fera solen­nel­le­ment trans­porter la tête du tri­bun mar­tyr retrou­vée au Latran : l’église s’ap­pellera désor­mais Saint-​Georges in Velabro et le culte du Saint y pren­dra un déve­lop­pe­ment remar­quable. Il ne tarde guère à pé­nétrer en Gaule. Sainte Clotilde fait dédier à saint Georges l’autel de l’église de Chelles ; saint Germain, évêque de Paris, enri­chit d’une relique insigne du Saint – un bras – rap­por­tée de Jérusalem, l’église qu’il fonde sous le vocable de saint Vincent. Grégoire de Tours et le poète Fortunat célèbrent la gloire du grand mar­tyr. Cependant, ce fut sur­tout à par­tir des Croisades et grâce aux récits des Croisés attri­buant à l’intervention visible de saint Georges les suc­cès rem­por­tés sur les Sarrasins ou les Arabes en Syrie et en Palestine, sur les Maures en Espagne, sur les païens en Hongrie, que la dévo­tion envers saint Georges se répan­dit en Occident. Le sol­dat mar­tyr fut dès lors regar­dé comme le modèle et le patron des che­va­liers chré­tiens, com­bat­tant et au besoin don­nant leur sang pour défendre contre les infi­dèles la foi et les royaumes chré­tiens. La dévo­tion popu­laire a aus­si pla­cé saint Georges par­mi les qua­torze ou quinze Saints que l’on appelle « Auxiliateurs » ou « Interces­seurs » parce qu’on les regarde, sur­tout en Allemagne et en Italie, comme par­ti­cu­liè­re­ment secou­rables dans les mala­dies et les autres épreuves de la vie.

Le patronage de saint Georges.

Tous ceux qui ont embras­sé par pro­fes­sion la car­rière mili­taire, ceux qui com­battent par les armes, ceux mêmes qui les fabriquent, ont vou­lu avoir saint Georges pour pro­tec­teur. Il est le patron de qui­conque porte l’épée, l’arc, l’arquebuse ; le patron des guer­riers, des cava­liers, des croi­sés, des che­va­liers, des armu­riers, des armées chré­tiennes, etc. Ce patro­nage s’explique tout d’abord par la res­semblance de pro­fes­sion : saint Georges a été sol­dat, il a dû com­battre ; il a eu aus­si à défendre sa foi au prix de son sang.

De bonne heure saint Georges est pris pour patron spé­cial par plu­sieurs nations (Lithuanie, Russie, Suède, Saxe), Républiques et villes (République de Gênes, villes de Constantinople, de Ferrare, de Vesoul). Les Anglais le choi­sissent comme pro­tec­teur au synode d’Oxford en 1220, célèbrent d’une façon gran­diose sa fête, lui érigent de nom­breux sanc­tuaires. Des mon­naies à l’effigie du Saint ont été frap­pées autre­fois à Ferrare, en Angleterre, à Gênes, d’où le nom de « geor­gine » don­née à la mon­naie de cette der­nière ville. En cette cité, qui se glo­ri­fie d’avoir don­né le jour à Christophe Colomb, exis­tait au moyen âge une banque très puis­sante, l’Office ou Banco de Saint-​Georges, la plus ancienne banque de l’Europe, assu­rant les opé­ra­tions du cré­dit mobi­lier et fon­cier ; le grand navi­gateur trai­ta avec elle au sujet de ses har­dies entreprises.

Environ soixante-​quinze com­munes de France portent le nom de Saint-​Georges ; il importe tou­te­fois, au sujet de plu­sieurs, de ne pas oublier que le nom de Georges, dont l’étymologie est « labou­reur », a été por­té par plu­sieurs Saints, notam­ment par l’apôtre et pre­mier évêque du Velay, dont la fête se célèbre le 10 novembre. En Italie nous trou­vons envi­ron qua­rante loca­li­tés de ce nom ; dix au Canada. Un cer­tain nombre de monas­tères, pla­cés sous le vocable de saint Georges, jouissent de quelque renom dans le pas­sé ou le pré­sent. Ce sont géné­ra­le­ment des monas­tères béné­dic­tins de l’un ou de l’autre sexe. En France, on en trouve dans les dio­cèses d’Arras, de Rennes, de Rouen. En Suisse, ce sont les cou­vents de Saint-​Gall et de Stein. En Italie, celui de Saint-​Georges, à Venise, vit un Conclave et l’élection de Pie VII (1799–1800). A Venise, encore, le nom de Saint-​Georges in Algha rap­pelle une Congréga­tion de Chanoines à laquelle appar­tint saint Laurent Justiniani.

Ordres militaires et chevaleresques.

De tous les noms qui figurent au calen­drier, celui de saint Georges a été choi­si le plus sou­vent comme patron des Ordres mi­litaires éta­blis dans les divers pays d’Europe. Le plus ancien est l’Ordre constan­ti­nien de Saint-​Georges, qu’on a fait remon­ter à l’empereur Constantin, c’est-à-dire au IVème siècle ; plus vraisembla­blement il fut ins­ti­tué en 1190, ce qui repré­sente une anti­qui­té véné­rable, par l’empereur de Constantinople Isaac-​Ange Comnène.

En Espagne, l’Ordre de Saint-​Georges d’Alfana fut ins­ti­tué dans la loca­li­té du même nom, au dio­cèse de Tortosa, en 1363 ; il devait être uni, en 1899, à l’Ordre plus ancien et plus célèbre de Notre-​Dame de Montesa.

La Franche-​Comté vit naître, entre 1390 et 1400, un ordre de Chevalerie de Saint-​Georges, l’Ordre de Rougemont. Philibert de Miolans, sei­gneur de Rougemont, ayant rap­por­té d’Orient une relique de saint Georges, fit bâtir une cha­pelle pour l’y rece­voir. Avec plu­sieurs gen­tils­hommes du voi­si­nage il ins­ti­tua une associa­tion qui ne dis­pa­rut offi­ciel­le­ment que sous la Restauration.

En Autriche, un Ordre reli­gieux et mili­taire fut fon­dé par l’em­pereur Frédéric III, vers 1468 ; éri­gé par le Pape Paul II, son centre était l’abbaye béné­dic­tine de Millestadt, au dio­cèse de Salzbourg. Sur cet Ordre se gref­fa, vers la fin du XVème siècle, une confré­rie ou mieux une Société dont les membres s’engageaient soit à com­battre les Turcs, soit à aider l’Ordre de leurs aumônes ; le Pape Alexandre VI (+ 1503) vou­lut y être ins­crit comme confrère.

L’Ordre de Saint-​Georges de Gênes, créé en 1472, par l’empe­reur d’Allemagne Frédéric III, et dont le doge de Gênes était le grand-​maître, fut de courte durée.

Le Pape Paul III (+ 1549) ins­ti­tua un Ordre de Saint-​Georges, dont le siège était à Ravenne ; il avait pour mis­sion de faire la chasse aux pirates qui atta­quaient les côtes de la Marche d’Ancône, dans les Etats de l’Eglise ; l’Ordre fut abo­li par Grégoire XIII ( + 1585). La Bavière a, depuis 1729, un Ordre de Saint-​Georges, défen­seur de l’Immaculée Conception. En Russie, l’impératrice Catherine II fon­da en 1769 un Ordre du même nom, pour récom­penser le mérite mili­taire. Un Ordre civil et mili­taire, dit de Saint-​Michel et de Saint-​Georges, a été fon­dé en Angleterre en 1818. Ce fut aus­si sous la pro­tec­tion de saint Georges qu’Edouard III mit l’Ordre célèbre de la Jarretière qu’il ins­ti­tua en 1330.

On voit par cette énu­mé­ra­tion incom­plète com­bien le culte de saint Georges a tou­jours été cher aux chrétiens. 

F. C.

Sources consul­tées. – Mgr Paul Guérin, Les Petits Bollandistes, t. IV (Paris, 1897). – J. Darche, Vie de saint Georges (Paris, 1866). – A. Marouillier, Saint Georges (col­lec­tion « l’Art et les Saints », Paris, 1923). – Tillemont, Mémoires, etc., t. V. – L. du Broc de Segange, Les saints patrons (Paris, 1886). – H. Delbhaye, Stwicius (Bruxelles, 192g). – Hélyot, Dictionnaire des Ordres reli­gieux, édi­tion Migne (Paris, 1847–1859). – (V. S. B. P., n° 369)