Saint Gilbert de Neuffonts

Chevalier, croi­sé et père de famille (+ 1152). Epoux la Bienheureuse Pétronille. Père de la Bienheureuse Poncie. Il devint reli­gieux Prémontré. Fête le 7 juin.

Saint Gilbert de Neuffonts ou de Neufontaines, nom­mé quelque fois Giselbert ou Gislebert, a méri­té les hon­neurs des autels après avoir été expo­sé aux dan­gers du siècle pen­dant presque foute son exis­tence. Il a connu les joies de la famille, la gloire des armes, la féli­ci­té natu­relle que donnent les biens du monde la richesse, l’estime et la considération.

Une famille chrétienne.

Gilbert naquit vers la fin du xie siècle, sans doute à la limite de l’Auvergne et du Bourbonnais, dans un lieu que l’on ne peut pré­ciser avec cer­ti­tude et qui est peut-​être un vil­lage nom­mé Ecole, sur la paroisse de Mayet‑d’Ecole, aujourd’hui au dio­cèse de Moulins. Il appar­te­nait à une famille noble dont on ne sait rien de plus, bien qu’on l’ait dite d’une très haute et très ancienne noblesse et qu’on ait affir­mé sans aucune preuve que Gilbert des­cen­dait de la famille des Courtenay.

Quand il fut ado­les­cent, selon l’usage com­mun pour l’éducation des jeunes gen­tils­hommes, on l’envoya à la cour du roi de France Louis VI, dit le Gros.

Revenu plus tard dans ses domaines de l’Auvergne, il se maria à une femme riche en ver­tus, appe­lée Pétronille, dési­gnée aus­si par­fois sous les noms de Péronelle ou Pernelle. De cette union naquit une fille unique, qui reçut au bap­tême le nom de Poncie.

Toute la sol­li­ci­tude de Gilbert fut d’apporter à son foyer le bon­heur et la douce paix chré­tienne. Consacrer ses loi­sirs à l’éduca­tion de sa fille, visi­ter ses vas­saux, pro­cu­rer le secours et le pain aux misé­reux, conso­ler les familles déso­lées et mal­heu­reuses, don­ner un temps consi­dé­rable à la prière et aux exer­cices de pié­té, s’entre­tenir dans des conver­sa­tions pleines de cha­ri­té et de saintes affec­tions, telles étaient ses occu­pa­tions ordi­naires, que par­ta­geait avec joie Pétronille. Jusqu’au jour où il plut à Dieu de les éprou­ver et de leur faire goû­ter les sépa­ra­tions et les inquié­tudes, afin de les atti­rer à lui par la voie du déta­che­ment et du sacrifice.

Départ pour la Croisade.

C’était l’époque où, dans l’Europe chré­tienne, la che­va­le­rie fran­çaise authen­ti­quait ses titres de noblesse en bataillant pour la défense de la foi. On prê­chait encore la croi­sade sainte, car les efforts des des­cen­dants de Godefroy de Bouillon, sou­te­nus par les deux Ordres guer­riers de Saint-​Jean et du Temple, ne suf­fi­saient plus à arrê­ter les musul­mans. L’Islam se dres­sait de nou­veau, et, en l’année 1145, on apprit tout à coup en Occident que, pen­dant la nuit de Noël pré­cé­dente (1144), la ville d’Edesse, en Mésopotamie, avait été prise par les Turcs et noyée dans le sang de 30 000 chré­tiens. Cette nou­velle réveilla les anciennes ardeurs qui avaient sus­cité la pre­mière croisade.

Saint Bernard fait entendre à Vézelay sa parole ardente et enflam­mée ; la foule immense est empor­tée dans un élan irré­sis­tible ; on déchire ses vête­ments pour faire des croix.

Encouragé par Ornifle ou Arnoul, Abbé du monas­tère de Dilo (Dei-​Locus), situé dans le dio­cèse de Sens et appar­te­nant à l’Ordre de Prémontré, Gilbert, quoique déjà âgé de plus de quarante-​cinq ans, fut des pre­miers à reprendre l’épée. Ce ne fut d’ailleurs pas sans pleurs ni déchi­re­ment qu’il réso­lut de se sépa­rer de sa femme et de sa fille ; mais chez lui, les affec­tions natu­relles, si fortes et si puis­santes, furent vain­cues par les ardeurs de la charité.

Avant de par­tir, il alla rece­voir la béné­dic­tion de son évêque, le véné­rable Aymeric II ; il mit ordre à ses affaires tem­po­relles ; il déci­da que tous les jours de son absence un pauvre vien­drait prendre sa place à table et rece­vrait la nour­ri­ture que, d’ordinaire, on lui des­ti­nait ; il confia Poncia à la sol­li­ci­tude de Pétronille et leur choi­sit comme conseiller, direc­teur et père, l’Abbé de Dilo.

Saint Gilbert est nommé commandant en chef.

Gilbert alla rejoindre Louis VII à Metz, qui était le rendez-​vous de toute la che­va­le­rie. L’armée se mit en marche en juin 1147, se diri­geant à tra­vers l’Allemagne ; mais déjà l’empereur Conrad avait pris les devants, dans son impa­tience de com­battre. Vaincu dans les mon­tagnes de la Lycaonie et pour­sui­vi par les Turcs, il fut heu­reux de rejoindre le roi de France et de mar­cher de concert avec lui. Quelques brillants suc­cès répa­rèrent le pre­mier échec. Mais si la bra­voure ne fai­sait pas défaut à Louis VII, il n’avait point les talents d’un capi­taine. A la suite d’un grave revers essuyé dans la chaîne du Taurus par le pre­mier corps d’armée des croi­sés, com­mandé ce jour-​là par Geoffroy de Rançon, le Conseil des barons déci­da de renon­cer à une pra­tique que nous condam­ne­rions sévère­ment et qui n’avait pour objec­tif que de ména­ger des sus­cep­ti­bi­li­tés dépla­cées : les chefs diri­geaient à tour de rôle les opérations.

Le roi don­na le com­man­de­ment suprême à un vieux guer­rier nom­mé Gilbert. Les grands et les petits, le roi lui-​même, maître des lois, jurèrent d’obéir à ce chef expé­ri­men­té et à tous ceux qu’il dési­gne­rait pour exé­cuter ses ordres. (Michaud.)

L’armée, pleine de confiance dans son nou­veau chef, s’avança jus­qu’à Satalie, où les Turcs vinrent l’attaquer ; ils furent repous­sés. Mais bien­tôt la faim, la cha­leur et la mala­die, jointes à la per­fi­die des Grecs qui, sans cesse, les tra­his­saient, for­cèrent les croi­sés à aban­don­ner leur pro­jet d’aller en Mésopotamie com­battre Nour-​Eddin ; et Louis VII se crut quitte de son vœu après s’être ren­du au Saint-​Sépulcre en simple pèle­rin. Des dis­sen­sions et des intrigues se mirent dans les rangs des croi­sés ; l’esprit de riva­li­té péné­tra par­mi eux, et Gilbert, après avoir satis­fait sa pié­té près des lieux sacrés, n’eut d’autre pen­sée que de ren­trer en Europe. Plût à Dieu que tous les che­va­liers eussent imi­té sa ver­tu autant que son cou­rage ! Sur le champ de bataille il était ter­rible, car sa bra­voure, mépri­sant le dan­ger et la mort, le por­tait tou­jours au plus fort de la mêlée ; ren­tré sous sa tente, il menait la vie d’un reli­gieux aus­tère, vivant reti­ré et silen­cieux, et pas­sant une par­tie de ses nuits en oraison.

Au com­men­ce­ment de l’automne 1148, après avoir dû lever le siège mis devant Damas, les croi­sés renon­çaient à leur entre­prise, et la mal­heu­reuse armée, déci­mée par la mala­die et la guerre, reprit tris­te­ment le che­min de l’Europe.

La voie de la perfection.

De cette longue expé­di­tion Gilbert était reve­nu l’âme meur­trie. Il avait vu les hommes à décou­vert ; il avait étu­dié de près la misère pro­fonde de l’humanité, ordi­nai­re­ment pous­sée par ses inté­rêts, par les pas­sions, même les moins nobles, et recher­chant jusque dans les causes les plus saintes sa gloire per­son­nelle. Il avait vu les intrigues ; il avait été vic­time des tra­hi­sons, comme saint Ber­nard, que cer­tains vou­lurent rendre res­pon­sable de l’échec lamen­table subi. Gilbert avait sur­tout recon­nu, dans les insuc­cès d’une si grande entre­prise, la main de Dieu, qui avait puni les ini­qui­tés de beau­coup de croi­sés, en refu­sant la victoire !

Un jour de grande récep­tion les amis de Gilbert s’enhardirent à lui deman­der la cause de son incu­rable tris­tesse : « Je souffre, répond Gilbert, à cause des mal­heurs qui sont tom­bés sur nous ! Dieu nous a châ­tiés et nous l’avons méri­té ! Foin des fêtes et des joies ! Eloignez ces musi­ciens, car ce n’est point l’heure de se réjouir ! Alors que la reli­gion est mena­cée de périls si proches, il vaut mieux que le deuil rem­place les cris d’allégresse et que les jeûnes suc­cèdent aux festins ! »

Et sans plus attendre, Gilbert s’éloigne de ses amis, dans la soli­tude et le silence.

Dieu lui par­la au cœur, et quelques jours après il annon­çait à Pétronille la réso­lu­tion héroïque qu’il avait prise de suivre à la lettre le conseil du Sauveur : « Si vous vou­lez être par­faits, allez, ven­dez ce que vous avez, et donnez-​le aux pauvres ; » en deman­dant à sa ver­tueuse épouse la per­mis­sion d’accomplir un si grand sacri­fice. Or le tra­vail mer­veilleux de la grâce avait opé­ré une évo­lution paral­lèle dans le cœur de Pétronille, et elle lui avoua que ses dési­rs les plus ardents étaient de renon­cer à tout pour se consa­crer à Dieu. Mais quelles ne furent pas la sur­prise et la satis­fac­tion de l’ancien croi­sé, lorsque Poncia elle-​même dit à son père que depuis long­temps son choix était fait ; que son cœur avait été cap­ti­vé par les charmes d’un Epoux tout céleste et qu’elle lui avait juré de ne jamais appar­te­nir qu’à lui seul. Gilbert tom­ba à genoux et tous les trois louèrent ensemble, avec les accents de la plus ardente recon­nais­sance, la divine Bonté.

Forts des encou­ra­ge­ments de l’évêque de Clermont, Etienne de Mercœur, Gilbert et Pétronille ven­dirent aus­si­tôt leurs biens qui étaient immenses. Ils en dis­tri­buèrent la moi­tié aux pauvres et gar­dèrent l’autre moi­tié pour la construc­tion de deux monas­tères de l’Ordre de Prémontré, récem­ment fon­dé en 1120, près de Laon, par saint Norbert.

La bienheureuse Pétronille, abbesse.

Il était conve­nable qu’avant de pour­suivre ses propres pro­jets, Gilbert s’occupât des inté­rêts spi­ri­tuels de sa femme et de sa fille. Il choi­sit un lieu soli­taire et boi­sé, au pied d’une col­line, dans une fraîche val­lée arro­sée par la Sioule : on le nom­mait Aubeterre ou encore Aubepierre ; ces deux noms, qui se retrouvent dans les docu­ments anciens, signi­fient res­pec­ti­ve­ment (Terre-​blanche ou Pierre-​Blanche). Les ouvriers se mirent à l’œuvre, et à la fin de l’année 1150 la construc­tion d’un monas­tère était ache­vée et l’évêque de Clermont venait bénir cette mai­son, dédiée aux saints Gervais et Protais ; Pétronille et Poncie en pre­naient pos­ses­sion et se sépa­raient pour tou­jours du monde et de ses dan­gers. L’Abbé de Dilo conti­nua de leur assu­rer le secours de son ministère.

La renom­mée des ver­tus de Pétronille et de Poncie atti­ra bien­tôt une mul­ti­tude de chré­tiennes, qui vinrent cher­cher près des pieuses femmes, et sous les blanches livrées de saint Norbert, les conseils et les exemples pour avan­cer dans les voies de la per­fec­tion. Pétronille fut élue abbesse du monas­tère. Dieu mani­fes­ta en plu­sieurs cir­cons­tances la sain­te­té de sa ser­vante par des pro­diges ; et après sa mort, il dai­gna illus­trer son tom­beau de beau­coup de miracles. La bien­heu­reuse Poncie suc­cé­da à sa mère dans la charge de supé­rieure et comme elle don­na tou­jours l’exemple de la ver­tu et de la sain­te­té. Les noms de ces deux ser­vantes de Dieu sont cités dans des méno­loges avec le titre de Bienheureuses ou de Saintes, au 13 juillet qui est le jour de la mort de Pétronille. Poncie était hono­rée autre­fois le 20 mai dans le dio­cèse de Clermont.

L’abbaye de Neuffonts.

Gilbert s’était sépa­ré des pieuses recluses dès que les construc­tions du monas­tère avaient été ache­vées ; il était par­ti seul, cher­chant le silence. Il s’arrêta au bord de l’Andelot, tou­jours dans la val­lée de la Sioule, au plus épais d’un bois, près d’une source qui jaillit en neuf jets dif­fé­rents et qu’on nom­mait Neuffonts ou Neufontaines. Ce lieu appar­te­nait à Hugues, sire de Châtillon et sei­gneur d’Ecole, qui s’empressa, à la demande de Gilbert, son ami, de lui en aban­don­ner la propriété.

L’ancien che­va­lier deve­nu ermite ne vécut que d’un pain gros­sier, de racines, d’herbes amères et d’un peu d’eau. Il por­tait un cilice et était revê­tu d’un habit rude et pauvre ; tout son temps était employé à la prière.

Bientôt on sut au loin les aus­té­ri­tés de Gilbert ; on se racon­ta des mer­veilles de sa vie tout angé­lique, et plu­sieurs, atti­rés par son exemple, vinrent se mettre à son école et s’édifier au spec­tacle de ses ver­tus. L’ermite de Neuffonts fut obli­gé de renon­cer à la soli­tude et pen­sa dès lors à bâtir un monas­tère afin d’y mener, avec ceux que Dieu lui enver­rait, une vie com­mune sous la règle et l’obéissance. Il en pré­pa­ra les pre­mières assises ; mais l’évêque de Clermont lui fit obser­ver que cet endroit, humide et maré­ca­geux, n’était pas propre à être habi­té et qu’il fal­lait choi­sir un site plus salu­taire et plus éle­vé. Gilbert, mal­gré ses répu­gnances, obéit au pré­lat, et s’étant éloi­gné à une demi-​lieue de son ermi­tage réso­lut de se fixer en un lieu-​dit Le Creux des Fosses. Les ouvriers s’étaient mis au tra­vail, lorsqu’une armée de petits oiseaux arri­vèrent de tous les points de l’horizon, vol­ti­geant autour des maçons et des char­pen­tiers, les frap­pant de l’aile, comme pour les empê­cher de tra­vailler, puis, sai­sis­sant dans leurs pattes et leurs becs des frag­ments des maté­riaux, et les por­tant en toute hâte à Neuffonts, indi­quèrent ain­si qu’en ce lieu pré­des­ti­né devait s’élever l’édifice de la prière et de la sanctification.

Une armée de petits oiseaux impor­tu­nant les maçons leur fait com­prendre qu’ils doivent aller bâtir ailleurs.

Le couvent fut ache­vé en 1151 et béni la même année par Etienne de Mercœur, qui le pla­ça sous le vocable de la Sainte Vierge. Auparavant, Gilbert s’était ren­du à Dilo, près de son ami, l’Abbé Arnoul. Quoique déjà très avan­cé dans les voies spi­ri­tuelles, et par­ve­nu à un très haut degré de contem­pla­tion, il dési­rait cepen­dant s’instruire et se déve­lop­per encore dans les sciences divines ; il vou­lait sur­tout apprendre à obéir afin de savoir com­man­der. II enten­dait se plier et se for­mer à toutes les exi­gences d’une règle sévère, la pra­ti­quer jusque dans ses der­nières appli­ca­tions et comme se l’incorporer par une stricte et soi­gneuse expé­rience ; il reçut, des mains de son ami, l’habit blanc des Prémontrés, fit sa profes­sion per­pé­tuelle et, rem­pli d’ardeur, il par­tit, emme­nant quelques fer­vents reli­gieux de Dilo.

Gilbert eût dési­ré deve­nir le der­nier par­mi ses frères ; il agit de tout son pou­voir pour faire élire un Abbé par­mi les reli­gieux qui l’avaient sui­vi, mais Hugues, second géné­ral de l’Ordre, l’établit, mal­gré ses refus, supé­rieur de la com­mu­nau­té, car il pen­sait que le capi­taine qui avait com­man­dé avec tant d’habileté et de bra­voure l’armée des croi­sés, était tout dési­gné pour mener le paci­fique bataillon de ses moines au com­bat spi­ri­tuel de la perfection.

L’hôpital de Neuffonts.

En même temps que Gilbert jetait les fon­de­ments de son cou­vent, où même aupa­ra­vant d’après cer­tains bio­graphes, il éle­vait à quelques pas de là un vaste hôpi­tal où il vou­lait rece­voir, con­soler et sou­la­ger les souf­frances des mal­heu­reux croi­sés, qui avaient contrac­té, dans les expé­di­tions loin­taines, un mal hor­rible la lèpre, et qui l’avaient impor­tée en Europe. Ces sol­dats connais­saient l’héroïque che­va­lier et ils venaient nom­breux implo­rer sa pitié, alors qu’ils étaient repous­sés des villes comme des objets d’horreur. Gilbert les accueillit avec une pater­nelle ten­dresse, et ain­si ses anciens com­pa­gnons d’armes devinrent les pre­miers hôtes de son cha­ri­table éta­blis­se­ment. Il mon­tra alors plus d’héroïsme qu’il n’en avait mani­fes­té dans les plaines de la Palestine, et Dieu, comme pour d’autres Saints, se plut à récom­pen­ser, par des gué­risons mira­cu­leuses, ses actes d’un cou­rage sublime. Les miracles atti­raient une foule de malades, les uns dévo­rés par la fièvre, les autres épui­sés par des affec­tions ner­veuses ; il les gué­ris­sait sou­vent, tou­jours il les sou­la­geait et les ren­voyait consolés.

Un jour, une noble dame, tout éplo­rée, amène à ses pieds sa fille unique, seule sur­vi­vante de frères enle­vés aux ten­dresses mater­nelles. La malade se mou­rait d’épuisement et de mélan­co­lie. Sa mère avait deman­dé sans suc­cès les secours de la science humaine : il ne lui res­tait plus qu’une suprême espé­rance : la puis­sance mira­culeuse de Gilbert. Cette espé­rance ne fut point déçue : l’Abbé touche avec l’eau bénite le front de la jeune fille, et sou­dain, elle se redresse, vivante et forte ; elle marche d’un pas assu­ré et chante les louanges de Dieu.

Gilbert avait de tendres sol­li­ci­tudes pour les enfants malades, à qui il témoi­gnait toute sa com­pas­sion. Il aimait à répé­ter la sen­tence du Maître : « Laissez venir à moi les petits enfants. » Et quand il recons­ti­tuait de la parole et du geste, sur les têtes blondes, la scène où le Christ pro­non­ça ces mots divins, les enfants se levaient, leur mal s’était éva­noui, et il les ren­dait pleins de vie et de joie à leurs parents.

Mort de saint Gilbert. – Son culte.

Il y avait un an que Gilbert était prieur de Neuffonts, quand sa der­nière heure son­na ; mais, depuis long­temps, il avait com­men­cé l’œuvre de sa sanc­ti­fi­ca­tion. La vie reli­gieuse était venue mar­quer le cou­ron­ne­ment d’une exis­tence toute faite déjà de sacri­fices héroïques et d’abnégation : en lui elle ache­va de puri­fier et de per­fectionner le Saint. Nous avons signa­lé sa cha­ri­té, mais nous n’avons rien de ses ver­tus monas­tiques, de sa régu­la­ri­té, de sa pater­nelle direc­tion, de sa douce bon­té envers ses reli­gieux qui l’aimaient comme un père, de la sagesse pro­fonde de ses conseils, de son amour de l’étude, de ses mor­ti­fi­ca­tions effrayantes et sur­tout de son zèle enflam­mé à défendre l’Eglise de Dieu contre les simo­niaques, si nom­breux à cette époque, et contre les héré­tiques ; les uns et les autres n’eurent point d’adversaire plus intré­pide que l’an­cien croi­sé deve­nu moine.

Gilbert mou­rut au milieu des œuvres de la cha­ri­té, dans les bras de ses reli­gieux, char­gé de mérites, encore jeune, mais épui­sé par les aus­té­ri­tés et les macé­ra­tions, le 6 juin 1152, dix-​huit années, jour pour jour, après son illustre Père saint Norbert.

Il avait vou­lu repo­ser dans te petit cime­tière de l’hôpital, au milieu de ses pauvres, comme pour se cacher encore. Mais Dieu mani­fes­ta bien­tôt la gloire de son ser­vi­teur par des pro­diges écla­tants qui sem­blèrent jaillir de son tom­beau. Les popu­la­tions accou­rurent plus nom­breuses ; en l’année 1159, Pierre, son deuxième suc­ces­seur en qua­li­té d’Abbé, pro­cé­da à la trans­la­tion de ses reliques que l’on dépo­sa, dans un magni­fique monu­ment, au milieu de l’église abba­tiale. Les miracles redou­blèrent : toutes les infir­mi­tés étaient gué­ries, et l’on vit bien les pré­di­lec­tions du ser­vi­teur de Dieu pour les petits enfants se mani­fes­ter même après sa mort, puisque plu­sieurs enfants mort-​nés et pri­vés du bap­tême que l’on dépo­sa sur son tom­beau revinrent à la vie. Les mères lui consa­craient leurs enfants pour atti­rer sur eux sa pro­tec­tion ; on les revê­tait de l’habit des Prémontrés, dont ils devaient por­ter, pen­dant sept ans, la blanche livrée.

Dès le xiiie siècle, la fête de Gilbert, véné­ré comme un Saint ou un Bienheureux, était célé­brée à la fois par l’Ordre de Prémontré et par le dio­cèse de Clermont ; mais pour les Prémontrés la date du 6 juin cor­res­pon­dant, nous l’avons vu, avec la mort de saint Nor­bert, et, d’autre part, Clermont célé­brant ce même jour la transla­tion des reliques de saint Bonnet, la fête de saint Gilbert fut trans­fé­rée au len­de­main, 7 juin.

Le 19 octobre 1612 la grande tour de l’église du monas­tère s’écroula, mais on retrou­va le tom­beau du Saint abso­lu­ment intact sous les décombres.

Peu de temps après, le pro­cu­reur syn­dic des Prémontrés, le P. Jean Lepaige, dési­reux d’apporter des reliques de saint Gilbert à son couvent de Paris, vint à Neuffonts. Le 24 octobre 1615, le tom­beau fut ouvert par Joachim d’Estaing, évêque de Clermont, et quelques reliques pré­le­vées dont les unes devaient être trans­fé­rées à Paris et les autres dépo­sées dans un reli­quaire mobile ; après quoi la plus grande par­tie reprit place dans le sar­co­phage. Dom Lepaige écri­vit par la suite la vie de saint Gilbert, dont il res­sen­tit lui-​même la puis­sance auprès de Dieu.

Un peu plus tard, les reliques du saint Abbé furent expo­sées dans une châsse au-​dessus du maître-​autel. Elles dis­pa­rurent sans espoir à la Révolution ; on sup­pose quelles ont été brû­lées à cette époque. L’abbaye fut ven­due ; quant à l’église, qui tom­bait en ruines, elle fut abat­tue vers 1830, et ses pierres concou­rurent à bâtir une église voi­sine, celle de Brout-​Vernet, située éga­le­ment au dio­cèse actuel de Moulins.

A. L.

Sources consul­tées. – Acta Sanctorum, t. I de juin (Paris et Rome, 1867). – Abbé S.-M. Mosnier, Les Saints d’Auvergne, t. I (Paris, v. 1900). – I. V. S., O. P., Vie de saint Gilbert, fon­da­teur de l’ab­baye de Neufontaines (Namur, 1890). – (V. S. B. P., n° 901.)