Sainte Madeleine-​Sophie Barat

Vierge, fon­da­trice de l’Institut des Sœurs du Sacré-​Cœur (1779–1865)

Fête le 25 mai.

Sainte Madeleine-​Sophie Barat est une des plus belles âmes de fon­da­trices d’Instituts reli­gieux qu’ait vues la pre­mière moi­tié du xixe siècle. Vouée au Sacré Cœur de Jésus, elle en est, dans sa vie inté­rieure, la fidèle imi­ta­trice par son amour géné­reux, doux et humble ; dans sa vie exté­rieure, elle s’en fait l’apôtre infa­ti­gable, sur­tout par la fon­da­tion et la direc­tion d’une Congrégation. La nou­velle Société est, en effet, des­ti­née à pro­pa­ger le culte du Sacré Cœur en tra­vaillant à la sanc­ti­fi­ca­tion des âmes, sur­tout par l’ins­truction et l’éducation chré­tienne des jeunes filles.

Une éducation solide, austère et complète.

La future fon­da­trice naquit le 12 décembre 1779, à Joigny, dans le dio­cèse de Sens, en Bourgogne. Venue au monde dans des con­ditions fâcheuses cau­sées par un ter­rible incen­die qui écla­ta en pleine nuit près de la mai­son pater­nelle, elle ne sem­blait pas devoir vivre ; aus­si eut-​on hâte de la bap­ti­ser en lui don­nant son frère Louis pour par­rain. Contre toute pré­vi­sion, l’enfant se for­ti­fia ; elle gran­dit dans la douce atmo­sphère du foyer fami­lial. Elle fut parti­culièrement choyée par sa mère ; cette femme d’une nature ardente, d’une intel­li­gence et d’une déli­ca­tesse d’âme bien au-​dessus de sa condi­tion sociale, avait épou­sé un vigneron-tonnelier.

Sophie, qui était par son carac­tère un peu fou­gueux et très sen­sible à la fois, le vivant por­trait de sa mère, put suivre assez tôt les caté­chismes de sa paroisse. Charmé par les réponses intel­li­gentes et la can­deur de cette fillette qui, devant ses com­pagnes, disait tout haut ses petites fautes, le curé lui fit faire sa pre­mière Communion. Elle avait dix ans ; la grâce dut des­cendre à flots dans ce cœur si inno­cent et si vibrant d’amour pour Jésus.

A cette époque, Louis Barat ache­vait ses études théo­lo­giques au Grand Séminaire de Sens. Comme il n’avait pas l’âge requis pour rece­voir tout de suite le sacer­doce, on l’envoya pro­fes­ser les mathé­ma­tiques au col­lège de Joigny. Dieu le rame­nait près de sa sœur et filleule afin qu’il lui ser­vît de pré­cep­teur et de direc­teur. Il devi­na peut-​être les des­seins pro­vi­den­tiels ; ce qui est sûr, c’est qu’avec l’instruction adap­tée à l’âge et à l’esprit de la jeune fille, il lui don­na une édu­ca­tion forte, virile. On a jus­tement dit que pour un tel homme, il n’y avait qu’une manière pos­sible d’aimer sa sœur, c’était de la per­fec­tion­ner en taillant à coups rudes dans cette âme d’une blan­cheur écla­tante l’image de Jésus humble et déta­ché de tout.

Dans l’étude comme dans la ver­tu, Sophie fit de si rapides pro­grès que le pro­fes­seur fut ame­né à déve­lop­per son ins­truc­tion au-​delà des limites ordi­naires : il lui apprit le latin, le grec, au point qu’elle put lire dans le texte les grands auteurs clas­siques. Ordonné prêtre en 1795, après vingt mois d’une dure cap­ti­vi­té, l’abbé Barat obtint de sa famille, non sans peine, d’emmener sa sœur à Paris. Dans la mai­son de Mlle Duval, elle mena une vie pauvre et reti­rée, toute de prière et de tra­vail, appro­fon­dis­sant les auteurs sacrés, se per­fec­tion­nant dans l’étude et l’usage de l’italien et de l’espagnol, et, sur un autre plan, che­mi­nant dans la voie aus­tère de l’humilité et du renon­ce­ment com­plet à ses goûts.

De plus en plus, cette âme d’élite, cette intel­li­gence souple et culti­vée vou­lait appar­te­nir à Dieu seul, faire pour lui de grandes choses, au point de regret­ter de n’être pas un homme. La vierge au cœur viril et humble tout à la fois, qui dési­rait n’être rien pour que Dieu fût tout, pen­sait entrer au Carmel comme Sœur converse. La Providence avait sur elle des des­seins tout différents.

Rencontre du P. Varin.

Au len­de­main de la Révolution fran­çaise, quelques ecclé­sias­tiques se grou­pèrent en une petite com­mu­nau­té, en Allemagne d’abord, puis en France, sous le nom de « Pères de la foi ». Ils vou­laient recons­ti­tuer la Compagnie de Jésus. Le supé­rieur, le P. Léonor de Tournély, était très dévot envers le Sacré Cœur de Jésus ; de plus, il se sen­tait pous­sé par Dieu à fon­der une Société nou­velle pour l’éducation des jeunes filles. Avant de mou­rir à Vienne, en Autriche, le 9 juillet 1797, âgé seule­ment de trente ans, il confia au P. Joseph Varin d’Ainvelle, qui avait quit­té l’armée de Condé pour entrer dans la petite Société des Pères de la foi, le soin de réa­li­ser aux moments du Seigneur les vou­loirs divins. Le nou­veau supé­rieur ren­tra à Paris avec ses confrères en juin 1800. L’abbé Barat, cédant à l’attrait qui l’appelait, lui aus­si, à vivre sous la règle de saint Ignace, ras­su­ré, d’autre part, sur la voca­tion reli­gieuse de sa sœur, s’engagea dans l’association du P. Varin, ou, comme on disait aus­si, « du P. Joseph ».

Un jour, raconte ce der­nier, que je me trou­vais seul avec le P. Barat, dans la pauvre chambre qui nous ser­vait à la fois de dor­toir, de réfec­toire, de salle d’étude, de cui­sine et même de salon, assis tous deux sur une modeste cou­chette, je lui deman­dais s’il n’avait rien qui l’attachât au monde. Il me répon­dit qu’il avait une petite sœur, âgé de vingt ans, ayant appris le grec et le latin au point de tra­duire cou­ram­ment Homère et Virgile, capable de faire une bonne rhé­to­ri­cienne : elle croyait avoir la voca­tion reli­gieuse et entre­rait sans doute au Carmel. Pour l’instant, elle était allée pas­ser quelques semaines dans sa famille.

Cette réponse fut une révé­la­tion pour le P. Varin. Un mois après, il voyait pour la pre­mière fois Sophie Barat. L’instruction très au-​dessus de l’ordinaire que pos­sé­dait la jeune fille, son extrême modes­tie, sa timi­di­té même, confir­mèrent le prêtre dans la con­viction qu’il avait devant lui celle qui serait la pierre fon­da­men­tale de l’édifice pro­je­té en vue de la gloire du règne du Sacré-​Cœur de Jésus. Il com­mu­ni­qua son des­sein au P. Barat, qui consi­dé­ra sa tâche comme ache­vée. Désormais le P. Varin serait le guide et le père spi­ri­tuel de la future fon­da­trice, dont l’âme s’ouvrit en toute confiance et dila­ta­tion. Sur le conseil de son nou­veau direc­teur, Sophie renon­ça au Carmel.

Fondation de la Société du Sacré-​Cœur de Jésus.

Après avoir réflé­chi et prié, le P. Varin lui par­la des ver­tus et du pro­jet que, sous l’inspiration du ciel, le P. de Tournély avait conçu sans pou­voir le réa­li­ser : éta­blir une Société ensei­gnante vouée au Cœur de Jésus. Il décla­ra à Madeleine-​Sophie que Dieu l’appelait à tra­vailler à l’établissement de cette œuvre d’éducation chré­tienne. « J’y pen­se­rai », répondit-​elle, hési­tant à la vue de sa fai­blesse pour une telle entre­prise. « Il n’y a plus à y pen­ser, reprit le Père ; quand la volon­té de Dieu est connue, il ne s’agit que d’obéir. »

La jeune fille obéit. Avec trois com­pagnes, elle for­ma une petite com­mu­nau­té, à laquelle le P. Varin don­na une règle et des soins assi­dus. De l’avis de toutes, la géné­ro­si­té dans l’amour et l’apos­tolat, un esprit noble et fort mais tout détrem­pé de dou­ceur, devaient carac­té­ri­ser, selon la volon­té du Sacré Cœur, la nou­velle asso­cia­tion. Le 21 novembre 1800, après une retraite, les pieuses filles se consa­crèrent au Cœur de Jésus.

La socié­té du Sacré-​Cœur venait de naître à Paris dans la mai­son de Mlle Duval. Moins d’une année après, le 15 octobre 1801, la petite com­mu­nau­té se trans­por­tait dans un modeste pen­sion­nat d’Amiens : ce fut là le vrai ber­ceau des reli­gieuses du Sacré-​Cœur : elles le devaient au zèle actif de leur fon­da­teur, le P. Varin, et à l’appui d’un saint prêtre de l’endroit, l’abbé de Lamarche, ancien aumô­nier de ces Carmélites de Compiègne mar­tyres de la foi.

Sophie Barat fut dési­gnée comme pro­fes­seur des classes supé­rieures. La com­mu­nau­té vivait dans le tra­vail, la prière, l’obéis­sance et la plus grande pau­vre­té. Sophie avait appor­té pour toute for­tune un écu de six francs ; la nour­ri­ture se com­po­sait des restes des pen­sion­naires. Néanmoins une joie véri­table rem­plis­sait toutes les âmes, car on aimait Dieu et pour lui plaire on fai­sait volon­tiers n’importe quel sacri­fice. Dans la pre­mière semaine de juin 1802, Mlle Barat fit profession.

Supérieure à vingt-​trois ans : les fondations.

Peu avant la fin de l’année 1802, la supé­rieure de la commu­nauté, Mlle Loquet, quit­ta la Société, après avis du P. Varin. Elle retour­na à Paris. Pour la rem­pla­cer, cha­cun dési­gnait Sophie Barat. On la savait ins­truite, enten­due aux affaires, douce et géné­reuse, sur­tout très unie à Dieu. Pour vaincre toute résis­tance pro­ve­nant de la grande humi­li­té de la reli­gieuse, le P. Varin lui impo­sa, sans avis préa­lable, la charge vacante. « Servir Dieu, c’est faire sa volon­té, avait-​elle répon­du à son direc­teur qui l’interrogeait devant ses com­pagnes. – Eh bien ! repar­tit le Père avec auto­ri­té, sa volon­té est que vous soyez supé­rieure. » Ce fut un coup de foudre pour cette jeune fille de vingt-​trois ans, la plus jeune de toutes les Sœurs. Elle tom­ba à genoux, pleu­ra, sup­plia : sa peine fai­sait pitié. Le P. Varin fut inflexible. Pendant dix ans, sa fille spi­ri­tuelle deman­de­ra vai­ne­ment grâce. Dieu lui lais­se­ra jusqu’à l’extrême vieillesse, « pour l’expiation de mes péchés », répétera-​t-​elle sou­vent, 1e far­deau de la supériorité.

Le fon­da­teur conti­nua de s’occuper, mal­gré ses courses aposto­liques, de la plus impor­tante de ses œuvres. Ses lettres comme ses paroles répé­taient la devise pré­fé­rée : « Courage et confiance ! » Il insis­tait, dans ses conseils comme dans ses ordres, sur la viri­li­té et l’abnégation les plus grandes pos­sibles, sans dis­si­mu­ler à la Mère Barat qu’elle aurait beau­coup à souf­frir, car la croix est la ran­çon et le gage des béné­dic­tions divines.

En 1804, Sophie, gra­ve­ment atteinte par la mala­die (on par­lait de can­cer et de phti­sie), pas­sa, par obéis­sance, deux mois à Paris ; les soins dévoués et intel­li­gents des Filles de la Charité lui firent beau­coup de bien. A son retour à Amiens, elle consa­cra en la fête de l’Assomption sa com­mu­nau­té à la Sainte Vierge, et, grâce à l’aide de Marie, elle la trans­por­ta six semaines plus tard, le 29 sep­tembre, dans un local plus vaste, l’ancien couvent de l’Oratoire. Les voca­tions arrivent, plu­sieurs cueillies ici et là par le P. Varin. Ce der­nier a pré­pa­ré aus­si la fon­da­tion d’une nou­velle mai­son. En dé­cembre 1804, la Mère Barat, avec deux com­pagnes, arrive à Gre­noble, au monas­tère de Sainte-​Marie d’en Haut. Une ancienne Visitandine, Philippine Duchesne, femme à l’esprit et au cœur tout virils, et quelques autres reli­gieuses grou­pées autour d’elle, veulent, sur le conseil du P. Varin, s’agréger à la Société du Sacré-​Cœur. La pru­dence, la dou­ceur et la ver­tu de Sophie obtiennent, mal­gré les dif­fi­cul­tés, le résul­tat dési­ré. Aux deux éta­blis­se­ments, il faut une Supérieure géné­rale. La Mère Barat est élue le 18 jan­vier 1805. Elle éta­blit quelque temps après le novi­ciat de la Société à Poitiers, dans une ancienne abbaye de Feuillants deve­nue un pen­sion­nat. Elle y amène de Bordeaux quelques pos­tu­lantes, et prend part aux tra­vaux les plus rudes. Elle dirige les novices dans les voies de la géné­ro­si­té, implan­tant dans les âmes l’esprit de sacri­fice, l’amour de la croix, le renon­ce­ment à la volon­té propre. Après Poitiers, la fon­da­tion d’une mai­son à Niort en 1808 se fit dans le dénue­ment le plus évangélique.

Une crise périlleuse : l’élaboration des Règles de l’institut.

Une crise dou­lou­reuse allait éprou­ver le jeune Institut. L’abbé de Saint-​Estève, aumô­nier de la mai­son d’Amiens, lui avait impo­sé son influence et des inno­va­tions étran­gères à l’esprit du Sacré-​Cœur. Se don­nant les pré­ro­ga­tives de fon­da­teur, il éla­bo­ra des Constitu­tions dénuées d’unité et d’originalité. Elles furent désap­prou­vées par le P. Varin et par toutes les mai­sons, sauf Amiens : celle de Doorsile près de Gand se sépa­ra même de la Société. La Mère Barat pria, patien­ta, se fit pen­dant des années, par de fré­quentes visites à ses filles, la gar­dienne du véri­table esprit de l’œuvre. En 1813, avec le fon­da­teur, elle rédige à Chevroz les Règles défi­ni­tives et les emporte à Amiens. L’abbé de Saint-​Estève, trans­fé­ré à Rome, réso­lut de faire approu­ver son œuvre per­son­nelle dans ses plans ; les reli­gieuses du Sacré-​Cœur deve­naient les « Apostolines ». Il se hasar­da même à écrire, en 1815, que seule sa Société était recon­nue et approu­vée, que toutes les mai­sons de France devaient rele­ver de celle de Rome, sous peine d’être dis­soutes. Heureusement il fut désa­voué à Rome ; dès lors la cause du Sacré-​Cœur triom­phait. Mme Barat pré­sen­ta les véri­tables Constitutions au Conseil géné­ral de la Société réuni à Paris. Toutes les conseillères y don­nèrent leur adhé­sion ; à la fin de l’année 1815, la Supérieure géné­rale pou­vait dire que toutes ses filles ne fai­saient vrai­ment qu’un seul cœur et une seul âme dans le Cœur de Jésus. Onze ans plus tard, le 22 décembre 1826, Léon XII don­ne­ra à l’œuvre l’approbation pontificale.

Merveilleuse extension de la Société : les épreuves.

Pendant ces années dou­lou­reuses, la Mère Barat n’eut aucun mot de blâme pour ceux qui ébran­laient la Société dans son esprit et son but. Pourtant elle souf­frit beau­coup. Plusieurs fois même sa vie fut en dan­ger, par suite de mala­dies ou d’accidents. Dans l’hiver de 1823, les méde­cins l’avaient condam­née : une de ses nièces fit le sacri­fice de sa vie pour sa tante ; elle fut écou­tée et exau­cée. C’était la ran­çon d’extensions sans cesse grandissantes.

Le novi­ciat géné­ral fut éta­bli à Paris, d’abord à la rue des Postes (plus tard rue Lhomond), puis à l’hôtel Biron. En 1817, cinq reli­gieuses, sous la conduite de Mme Duchesne, l’ardente mis­sion­naire du Sacré-​Cœur, fon­dèrent en Louisiane cette mis­sion d’Amé­rique si fer­tile en pro­diges et en bien­faits sur­na­tu­rels. En France il y eut, avant la révo­lu­tion de 1830, les fon­da­tions de Lyon (la Ferrandière), de Bordeaux, du Mans, d’Autun, de Besançon, de Metz. Pour cette der­nière mai­son, comme pour celle de Bordeaux et pour d’autres encore, ce sont des petites com­mu­nau­tés locales qui, afin de reprendre vie, veulent s’agréger au Sacré-​Cœur. Le Pape Léon XII deman­da à Charles X d’installer les reli­gieuses de Mme Barat dans le couvent de la Trinité-​des-​Monts à Rome. La fon­da­tion de Turin fut faite sur la géné­reuse et intel­li­gente initia­tive du roi de Sardaigne, Charles-​Félix, et de la reine Marie Christine.

Sainte Madeleine-​Sophie Barat donne à Mme Duchesne l’au­to­ri­sa­tion d’al­ler au Nouveau-​Monde fon­der une mai­son de son ordre.

Dans la pre­mière moi­tié du xixe siècle, les reli­gieuses du Sacré-​Cœur s’installent en Italie (Parme, Gênes, Pérouse, etc.), en Suisse, en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en Irlande, en Angleterre, en Pologne, en Espagne. A chaque nou­velle preuve de la bon­té misé­ri­cor­dieuse de Dieu envers l’Institut, la fon­da­trice, qui se dépen­sait sans comp­ter pour la plus grande gloire du Sacré Cœur, s’humiliait et répé­tait : « Qu’il est doux de devoir se confier en Jésus ! »

La révo­lu­tion de 1830 obli­gea Mme Barat, inca­pable de mar­cher par suite d’une chute sur­ve­nue l’année pré­cé­dente, à ins­tal­ler le novi­ciat à Montet, en Suisse. Elle put ensuite visi­ter ses mai­sons du Midi, puis de l’Italie, éta­blir un novi­ciat romain, fon­der les rési­dences de Bruxelles (Jette-​Saint-​Pierre), de Marseille, de Nantes.

Refonte des Constitutions. – L’Institut en péril.

L’accroissement consi­dé­rable de la Congrégation néces­si­tait quelques chan­ge­ments d’ordre secon­daire dans les Constitutions exis­tantes. Malgré Mme Barat et les amis de l’Institut, le Conseil géné­ral de 1839 fit une refonte presque totale des Règles dans le moule de celles de la Compagnie de Jésus, trans­por­ta à Rome la maison-​mère, par­ta­gea la Société en pro­vinces. Ces nou­veaux sta­tuts modi­fiaient le but, l’esprit de la Congrégation fon­dée par le P. Varin qui décla­rait avec tris­tesse ne plus retrou­ver l’œuvre primitive.

Des chan­ge­ments si pro­fonds sus­ci­tèrent en France les protes­tations de plu­sieurs évêques, l’opposition active de l’archevêque de Paris. Le gou­ver­ne­ment mena­ça de dis­soudre la Société du Sacré-​Cœur. Il n’y eut plus chez les reli­gieuses la par­faite uni­té d’esprit et de cœur. La fon­da­trice, après le Conseil, avait consa­cré son Institut à Notre-​Dame des Sept-​Douleurs. Profondément triste et impuis­sante, elle pria, prê­cha la paix, agit avec pru­dence. Elle était comme tirée en des direc­tions contraires par les par­tis en pré­sence. Préventions injus­ti­fiées, ingra­ti­tudes, sus­pi­cions ou blâmes inju­rieux, attaques de la part de per­sonnes qu’elle aimait, elle sup­por­ta tout sans se plaindre ni même se dis­cul­per ou se défendre. Enfin, en mars 1843, Grégoire XVI décla­ra que la Société devait être gou­ver­née confor­mé­ment aux Règles confir­mées par Léon XII en 1826.

Quelques années plus tard, la révo­lu­tion de 1848 fer­ma les floris­santes mai­sons de Turin, de Pignerol, de Saluces, de Parme, de Gênes, et mena­ça même celles de Rome. Ce furent des mois de souf­frances et de sacri­fices pour la Mère Barat, tou­jours sou­mise et confiante mal­gré tout. Le 19 avril 1850, le P. Varin mou­rait. Mais la croix est l’arbre de la vie, et avec elle viennent tous les biens. L’Institut éten­dait chaque année son acti­vi­té apostolique.

« Ah ! le moi si je le tenais, je l’étranglerais. »

A en croire Mme Barat, elle n’était pour rien dans la fon­da­tion et l’essor mer­veilleux de sa Société ; elle n’était qu’un obs­tacle per­pétuel, mon­trant bien par son exis­tence que Jésus seul agis­sait et gou­ver­nait. Elle ne vou­lait pas qu’on lui don­nât le nom de fon­da­trice. Le Cœur de Jésus était le seul fon­da­teur. « C’est une révé­la­tion de l’humilité que la Mère Barat », disait un évêque.

Lui adres­ser des éloges, sur­tout en public, était lui infli­ger un véri­table sup­plice ; elle se ven­geait par une fine repar­tie ou en n’invitant plus jamais l’orateur indis­cret. « Ah ! le moi, si je le tenais, je l’étranglerais. » Elle affir­mait par contre que l’humi­lité était le grand moyen de répa­ra­tion, la ver­tu des nobles âmes, l’aiguille qui rac­com­mode bien des trous dans les actions impar­faites. Joignant les actes aux paroles, elle cher­chait toutes les occa­sions de rendre ser­vice aux Sœurs converses : balayant, éplu­chant les légumes, gar­dant les ani­maux de l’étable. La pra­tique de sa vie, c’était de sup­por­ter tout ce qui vient du pro­chain, sans rien don­ner à sup­por­ter à per­sonne. Elle se fai­sait une loi de cacher ses souf­frances et ses péni­tences : « Il faut, disait-​elle, faire son secret de ce que l’on souffre, ce silence est agréable au Cœur de Jésus. »

Il faut bien le dire, l’amour du Cœur de Jésus avait fait l’unité, la beau­té et la fécon­di­té de cette longue exis­tence. Jusqu’au der­nier sou­pir, Mme Barat fit connaître et aimer le divin Cœur, s’immola pour en pro­cu­rer la gloire et pour sau­ver les âmes, réali­sant plei­ne­ment le tes­ta­ment spi­ri­tuel lais­sé en avril 1863 à ses filles.

Le soir d’une belle vie. – Dans la gloire des Saints.

La vieillesse de Mme Barat fut, comme le reste de sa vie, vouée à l’amour, à l’imitation et à l’apostolat du Cœur de Jésus. Quoique très affai­blie par l’âge et les infir­mi­tés, la Supérieure géné­rale con­tinua à diri­ger sa Congrégation. En 1864, elle réunit et pré­side le hui­tième Conseil géné­ral de la Société. On refuse la démis­sion qu’elle pré­sente : elle obtient d’avoir comme vicaire la Mère Goetz. L’année sui­vante, elle sou­ligne ces paroles pour ses filles : « Tout, absolu­ment tout, au Cœur de Jésus ! » Frappée d’une conges­tion céré­brale, le 22 mai, elle per­dit l’usage de la parole : elle avait prié Dieu qu’il n’y eût pas pour elle, au lit de mort, des paroles qui seraient comme un tes­ta­ment. Elle mou­rut le jeu­di 25 mai 1865 dans la nuit : c’était la fête de l’Ascension. Elle avait quatre-​vingt-​cinq ans et gou­ver­nait ses filles depuis plus de soixante ans ; son Institut comp­tait alors plus de 3 000 religieuses.

Son corps embau­mé fut dépo­sé à Conflans-​Charenton, près de Paris ; il fut ensuite trans­por­té en 1904 au couvent de Jette-​Saint-​Pierre, près de Bruxelles, et, après la béa­ti­fi­ca­tion faite par Pie X, le 24 mai 1908, on le mit dans une magni­fique châsse. Le 25 mai 1925, soixante ans, jour pour jour, après la mort, Pie XI cano­nisait Madeleine-​Sophie Barat : en cette année jubi­laire, l’Institut qu’elle avait fon­dé comp­tait 150 éta­blis­se­ments répan­dus dans presque toutes les par­ties du monde.

Sa sta­tue a été pla­cée, en sep­tembre 1934, à Saint-​Pierre de Rome par­mi celles des fon­da­teurs d’Ordres.

F. Carret.

Sources consul­tées. – Mgr Baunard, Histoire de la Vénérable Mère Madeleine-​Sophie Barat, fon­da­trice de la Société du Sacré-​Cœur de Jésus (Paris, 1876). – Ch. Geoffroy de Grandmaison, La Bienheureuse Mère Barat (col­lec­tion Les Saints, Paris). – (V. S. B. P., nos 1197 et 1198.)