Sainte Clotilde

Sainte Clotilde, vitrail de léglise saint Maurice à Chinon. © LPL

Reine de France (475–545)

Fête le 3 juin.

Les Burgondes occu­paient la Gaule méri­dio­nale, où ils s’étaient fait un royaume entre les ter­ri­toires des Romains et des Visigoths. Ils pas­sèrent en grande par­tie du catho­li­cisme à l’a­ria­nisme. Ce qui fut une cause d’affaiblissement à ajou­ter à tant d’autres déjà existantes.

A la mort du roi Gondovée, le royaume fut par­ta­gé entre ses quatre fils : Godomar, qui dis­pa­rut de bonne heure, Gondebaud, qui se fixa à Vienne, Godegisil à Genève et Chilpéric à Lyon.

La jeunesse de sainte Clotilde.

C’est ce der­nier qui fut le père de Clotilde. Il n’a guère atti­ré l’attention de l’histoire. On ignore s’il était catho­lique ou arien. Ce que l’on sait, c’est qu’il avait épou­sé une femme catho­lique, Carétène, qui fut, sur le trône, un exemple de toutes les ver­tus, et éle­va ses enfants dans la crainte de Dieu.

Clotilde naquit vers 474, pro­ba­ble­ment à Lyon. Elle eut une soeur cadette, nom­mée Sédéleube, qui, comme elle, réa­li­sa à la cour bur­gonde le type de la jeune fille chré­tienne. Leur mère pre­nait le plus grand soin d’éloigner d’elles les mul­tiples influences perni­cieuses qui se donnent rendez-​vous dans les cours, et de les éle­ver dans la pra­tique des ver­tus. Nul doute qu’elle ne leur ait appris à invo­quer sou­vent les âmes bien­heu­reuses sous le patro­nage des­quelles était née la chré­tien­té de Lyon, et, en par­ti­cu­lier, la jeune Blandine, l’esclave mar­tyre, dont l’image dut se pré­sen­ter sou­vent à l’esprit des deux jeunes princesses.

La mort de Chilpéric, vers 490, ame­na un grand chan­ge­ment dans la condi­tion des jeunes prin­cesses et de leur mère. Suivant les cou­tumes d’alors, le royaume fut divi­sé entre les deux frères sur­vivants, puisque le roi ne lais­sait pas de fils pour lui suc­cé­der. Gondebaud s’installa à Lyon, Carétène se reti­ra avec ses deux filles auprès de Godegisil, roi de Genève, appa­rem­ment parce que celui-​ci était catho­lique. Il devint ain­si le tuteur de Clotilde et de Sédéleube.

Affranchie de l’esclavage du trône, la veuve put désor­mais se consa­crer tout entière à sa reli­gion et à l’éducation de ses enfants. Sédéleube aban­don­na bien­tôt le monde pour se reti­rer dans le cloître. Elle devint la fon­da­trice de l’église Saint-​Victor dans le fau­bourg de Genève. Clotilde était réser­vée à des des­ti­nées plus écla­tantes et plus tragiques.

Le roi des Francs, Clovis, dont les exploits étaient racon­tés dans la Gaule tout entière, cher­chait alors une épouse. Il pen­sa à Clotilde, qui pou­vait avoir alors dix-​sept ans et était dans la pre­mière fleur de sa jeu­nesse et de sa beau­té. Le jeune roi dépê­cha un ambas­sa­deur pour sol­li­ci­ter la main de la princesse.

Les fiançailles.

Des légendes popu­laires, ampli­fiées et enjo­li­vées encore par dès nar­ra­teurs du viie et du viiie siècle, racontent ain­si l’entrevue du mes­sa­ger de Clovis, du nom d’Aurélien, avec la jeune fille.

Un jour que Clotilde dis­tri­buait le pain aux pauvres à la porte du palais, un men­diant, qui atten­dait depuis long­temps son tour, s’approcha et lui dit :

– J’ai un secret à vous dire.

– Parlez, répon­dit la cha­ri­table enfant.

– Je suis Aurélien, dit-​il, ambas­sa­deur du roi très puis­sant des Francs, et il m’envoie vous pro­po­ser sa main et son trône. Comme gage de ma mis­sion, voi­ci son anneau.

Et le men­diant, écar­tant ses haillons d’emprunt, offrit à la prin­cesse l’anneau d’or du roi des Francs.

Quoique Clotilde fût habi­tuée à consi­dé­rer les pauvres comme les ambas­sa­deurs du Roi très puis­sant du ciel, cette pro­po­si­tion si inat­tendue trou­bla la jeune fille, qui répondit :

– Comment cela se fera-t-il ?

Et elle ajouta :

– Il n’est pas per­mis à une chré­tienne d’épouser un païen.

Aurélien lui témoi­gna les dis­po­si­tions favo­rables de Clovis pour l’Eglise, et le désir qu’il avait de choi­sir une reine catholique.

– Si je puis par cette union ame­ner Clovis à connaître davan­tage le vrai Dieu, j’accepte son anneau et portez-​lui le mien ; mais qu’il se hâte de me récla­mer comme sa fian­cée à mon oncle avant le retour de son conseiller, qui est mon ennemi.

Les choses semblent s’être pas­sées d’une manière moins roma­nesque. Clovis entre­te­nait avec les rois bur­gondes des rap­ports de bon voi­si­nage. Ses ambas­sa­deurs visi­taient assi­dû­ment les cours de Lyon et de Genève ; ils remar­quèrent Clotilde et en par­lèrent à leur maître. Heureux de se faire des Burgondes des alliés contre les Visigoths et, de plus, une prin­cesse catho­lique devant contri­buer à lui atta­cher davan­tage ses sujets d’origine romaine, le roi des Francs prê­ta une oreille favo­rable aux sug­ges­tions de ses envoyés, et finit par faire deman­der la main de Clotilde à son tuteur Godegisil, qui n’hésita pas à accueillir pareille demande, gage de paix et de sécu­ri­té pour son peuple.

Mais la jeune prin­cesse hési­ta à s’allier à un prince païen. Les évêques fré­quen­tant la cour bur­gonde furent cer­tai­ne­ment consul­tés et appor­tèrent une solu­tion paci­fiante à ce cas de conscience.

Rien ne fai­sant plus obs­tacle aux vœux de Clovis, le mariage fut déci­dé. Les fian­çailles eurent lieu par pro­cu­ra­tion à Chalon-​sur-​Saône. Selon le rite nup­tial des Francs, les ambas­sa­deurs de Clovis don­nèrent le sou et le denier qui repré­sen­taient l’achat de l’épouse par leur maître. Puis Clotilde se mit en route pour aller rejoindre celui dont elle par­ta­ge­rait désor­mais les destinées.

Son mariage.

Le mariage de Clovis et de Clotilde fut célé­bré en 493, à Soissons. Un ora­toire catho­lique fut ouvert pour la reine dans le palais du roi païen, et l’on y célé­bra les mystères.

Cependant, Clotilde n’imita point ces jeunes filles mariées à un impie et qui se résignent à lais­ser Dieu hors de la mai­son ; elle avait accep­té une mis­sion, elle jura de la rem­plir. D’abord, elle pria, elle jeû­na, elle mul­ti­plia les œuvres de misé­ri­corde, mais elle ne man­qua, en outre, aucune occa­sion d’instruire son mari.

Tant de force et tant de cha­ri­té réunies tou­chaient bien le cœur du roi, mais le Christ de Clotilde lui sem­blait un vain­cu qui n’avait pas su écra­ser ses enne­mis, et lui ne vou­lait ado­rer qu’un Dieu vain­queur par la for­cé bru­tale comme les héros de Germanie. Le vain­cu du Golgotha devait cepen­dant bien­tôt triom­pher de Clovis, et déjà le bar­bare sen­tait que le Dieu de Clotilde avait une puis­sance incon­nue, supé­rieure à celle de ses dieux.

Sainte Clotilde ins­truit le roi Clovis.

Ses enfants.

Clovis per­mit que son premier-​né fût bap­ti­sé, et Clotilde voyait déjà la cou­ronne du pre­mier roi chré­tien sur ce front régé­né­ré, lorsque la mort l’enleva sans pitié le hui­tième jour ; et le petit Ingomer, bap­ti­sé, cueillit sans com­bat une cou­ronne supé­rieure à celle de la terre.

– C’est la colère de mes dieux qui l’a frap­pé, s’écriait Clovis ; s’il n’avait pas été mar­qué par les chré­tiens, il vivrait !

Tous, effrayés, se tai­saient ; Clotilde seule osa pro­tes­ter et bénir le Seigneur qui avait réser­vé à son royaume le pre­mier fruit de son sein, et cette parole de véri­té cal­ma mieux Clovis que des conces­sions où l’on semble recon­naître que le bon Dieu a eu tort.

Aussi un second fils, Clodomir, étant né, la reine put le faire bap­ti­ser comme le premier.

Mais, hélas ! l’enfant, comme son aîné, tombe malade ; comme lui, il va mou­rir ! La colère de Clovis s’exhale en blas­phèmes, et Clotilde, moins tou­chée du deuil qui la menace que de ces offenses contré son Dieu, tombe à genoux et, dans son ardeur, répand des sup­pli­ca­tions et des actes d’amour qui sur­passent les blas­phèmes ; au lieu des malé­dic­tions que ceux-​ci attirent, la béné­dic­tion de Dieu des­cend sur le petit mori­bond qui, loin de rendre l’âme, est prédes­tiné à deve­nir le chef d’une très nom­breuse famille.

Le Dieu des armées.

La conver­sion de Clovis et de sa nation était* le but de tous les dési­rs de Clotilde et elle entre­prit les plus aus­tères péni­tences pour rendre ses prières plus puis­santes ; elle por­tait sous ses riches habits une chaîne de fer et se fla­gel­lait jusqu’au sang, s’offrant en vic­time pour le salut de son peuple.

Clovis aimait à lui confier ses pro­jets de com­bat, ses rêves de victoire.

– Tant que vous ne ser­vi­rez pas le vrai Dieu, lui répondait-​elle, je trem­ble­rai de vous voir reve­nir vain­cu et humi­lié. Jusqu’ici, vous n’avez pas ren­con­tré d’ennemis dignes de vous. Si, par mal­heur, vous êtes quelque jour acca­blé sous le nombre, vous invo­que­rez vai­ne­ment vos idoles impuissantes.

Le roi détour­nait alors l’entretien pour ne pas l’affliger, et deux ans se pas­sèrent pen­dant les­quels Clotilde per­sé­vé­ra dans la prière et les bonnes œuvres. Sainte Geneviève l’encourageait.

En 496, date deve­nue à jamais illustre, les Alamans enva­hirent la Gaule. Clovis, avide de signa­ler sa bra­voure, ras­semble ses guer­riers et, tout fré­mis­sant, les conduit à l’ennemi, à Tolbiac [1]. C’était une ter­rible bataille, et son cœur était rem­pli de joie, car la guerre était son bon­heur. Les Francs lut­tèrent avec leur cou­rage déjà pro­ver­bial ; mais que peut le cou­rage si Dieu refuse la vic­toire ? Et ce jour-​là, Dieu refu­sait la vic­toire ; il vou­lait, par la défaite, éclai­rer son serviteur.

En effet, Clovis, voyant ses sol­dats fai­blir, appe­lait à grands cris les dieux guer­riers, mais la défaite s’accentuait. Alors Clovis, se sou­ve­nant aus­si du vrai Dieu, éle­va les mains au ciel :

– Dieu de Clotilde ! Donne-​moi la vic­toire, et je me don­ne­rai à toi !

A l’instant, une force nou­velle s’empare de ses sol­dats ; ils ont refor­mé leurs rangs et les Alamans expient dans des flots de sang une heure de triomphe.

L’instruction du roi.

Le roi Clovis, vain­queur, n’attendit point, pour s’instruire de cette reli­gion, qu’il fût ren­tré, et, fai­sant che­vau­cher un saint ermite, saint Waast, à son côté, il appre­nait de lui le caté­chisme en rame­nant son armée vic­to­rieuse ; mais comme, en cet équi­page, les raison­nements sub­tils avaient peine à pro­duire leur effet, Dieu envoya au caté­chiste une argu­men­ta­tion sai­sis­sante pour le néo­phyte. A Vouziers, on ren­con­tra un pauvre aveugle, et le saint ermite le tou­chant, le gué­rit. Ce miracle ache­va d’ouvrir les yeux au roi. Cependant, Clotilde, infor­mée de la conver­sion subite du roi, atten­dait impa­tiem­ment son retour. L’âme de la Sainte fut rem­plie d’une joie inef­fable, quand le farouche guer­rier lui dit :

– Le Dieu de Clotilde m’a don­né la vic­toire, et désor­mais il sera mon Dieu.

Trois mille hommes de l’armée des Francs deman­dèrent à se faire ins­truire avec le roi et furent la souche de la nation fran­çaise, « Fille aînée de l’Eglise ».

Baptême de Clovis.

La céré­mo­nie du bap­tême et de la nais­sance de la France chré­tienne fut fixée au jour de Noël, et c’est saint Rémi, arche­vêque de Reims, qui fut des­ti­né à ver­ser l’eau sainte et à consa­crer la nou­velle nation chré­tienne dans son chef.

On rap­porte que c’est la veille de cette fête de Noël 496, si rem­plie de mer­veilles, que le saint arche­vêque consa­cra à la Très Sainte Vierge la nation qui allait naître, d’où le vieil adage : Royaume de France, royaume de Marie.

Un pre­mier pro­dige pré­cé­da alors celui du len­de­main : une lumière envi­ron­na l’é­vêque qui expo­sait sa doc­trine chré­tienne, et une voix se fit entendre : « La paix soit avec vous, ne crai­gnez pas, per­sé­vé­rez dans mon amour. » Aussitôt après, l’église fut rem­plie d’un par­fum sur­na­tu­rel, et Clovis et Clotilde tom­bèrent pros­ter­nés, tan­dis que Rémi, ins­pi­ré, s’écriait : « Votre pos­té­ri­té gou­ver­ne­ra noble­ment ce royaume. Elle glo­ri­fie­ra la sainte Eglise et héri­te­ra l’empire des Romains. Elle ne ces­se­ra de pros­pé­rer tant qu’elle sui­vra les voies de la véri­té et de la ver­tu. La déca­dence vien­dra par l’invasion des mau­vaises mœurs. »

Pendant ce dis­cours, le visage de l’homme de Dieu res­plen­dis­sait comme autre­fois celui de Moïse.

Une foule immense fut atti­rée en ce jour de Noël pour voir le bap­tême du pre­mier roi chré­tien et de ses guerriers.

Arrivé sur le seuil du bap­tis­tère, où les évêques réunis pour la circons­tance étaient venus à la ren­contre du cor­tège, ce fut le roi qui, le pre­mier, prit la parole et deman­da que saint Rémi lui confé­rât le bap­tême. « Eh bien ! Sicambre, répon­dit le confes­seur, incline hum­ble­ment la tête, adore ce que tu as brû­lé, brûle ce que tu as ado­ré. » Et la céré­mo­nie sacrée com­men­ça aus­si­tôt avec toute la solen­ni­té qu’elle a gar­dée à tra­vers les siècles. Répondant aux ques­tions litur­giques de l’officiant, le roi décla­ra renon­cer au culte de Satan et fit sa pro­fes­sion de foi catho­lique, dans laquelle, en confor­mi­té des besoins spé­ciaux de cette époque tour­men­tée par l’hérésie arienne, la croyance à la Très Sainte Trinité était for­mu­lée d’une manière par­ti­cu­liè­re­ment expresse. Ensuite, des­cen­du dans la cuve bap­tis­male, il reçut la triple immer­sion sacra­men­telle au nom du Père, du Fils et de l’Esprit-Saint. Au sor­tir du bap­tis­tère, on lui admi­nis­tra encore le sacre­ment de confir­ma­tion selon l’usage en vigueur dans les bap­têmes d’adultes.

Godefroy Kurth

Une légende rap­porte que, les caté­chu­mènes étant des­cen­dus dans l’eau régé­né­ra­trice, le clerc qui devait pré­sen­ter le saint chrême ne pou­vait fendre la foule. La céré­mo­nie était inter­rom­pue, lorsqu’au milieu de l’angoisse saint Rémi vit une blanche colombe des­cendre de la voûte du temple et lui pré­sen­ter une petite ampoule rem­plie de saint chrême [2]. Le Pontife com­prit que c’était un don du ciel et en oignit Clovis.

C’est à ce sou­ve­nir qui a valu à la cathé­drale de Reims l’honneur des sacres des rois de France.

L’écusson de la Trinité.

Clotilde vaquait à la prière dans la soli­tude, et une légende, très en vogue au xve siècle, rap­porte que le saint ermite quelle consul­tait dans la forêt de Poissy lui remit un jour un écus­son de la Trinité : trois lis sur un ciel bleu, qui devait être gra­vé sur les armes du roi.

Celui-​ci accep­ta et fit Fessai de la puis­sance de la Trinité dans une grande bataille qu’il livra aux ariens, à Vouillé en Poitou, et où il fut vainqueur.

Clovis vou­lait ven­ger le père de Clotilde, s’emparer de la Bour­gogne et en chas­ser Gondebaud. La reine le sup­plia de renon­cer à la ven­geance ; il ne vou­lut pas l’écouter, et entra dans une poli­tique plus digne d’un bar­bare que d’un chré­tien ; mais une mala­die grave l’ayant réduit à toute extré­mi­té, Dieu per­mit que la reine exer­çât de nou­veau un empire salu­taire sur son âme, car elle appe­la saint Séverin, abbé d’Agaune, qui gué­rit le roi par le contact de son man­teau, afin qu’il eût le temps de se pré­pa­rer à la mort. Saint Séverin, après de nom­breux miracles accom­plis à Lutèce, actuel­le­ment Paris, pré­cé­da Clovis devant le sou­ve­rain Juge afin d’être son avo­cat. Le roi mou­rut à son tour le 27 novembre 511.

Épreuves.

Clotilde ayant remis les rênes du gou­ver­ne­ment aux mains de ses trois fils, Clodomir, Childebert, Clotaire, et de leur frère Thierry, né d’une pre­mière union de Clovis, se reti­ra à Tours, près du tom­beau de saint Martin, pour mou­rir dans la solitude.

Elle se retran­cha tout luxe et tout faste inutile, et vécut plu­tôt en recluse qu’en reine. Sa table fru­gale et aus­tère était ouverte à tous les pauvres. Des étoffes d’une laine gros­sière rem­pla­çaient ses vête­ments royaux. Elle cou­chait sur la dure.

Et, certes, la France avait besoin des prières d’une sainte. Ses princes, divi­sés par l’ambition, se fai­saient une guerre fra­tri­cide, Clodomir fut l’une des pre­mières vic­times, tué à Vézeronce, dans le Dauphiné, en 524.

Clotilde vou­lut éle­ver les enfants, encore en bas âge, de son mal­heu­reux fils, afin de les rendre capables de lui suc­cé­der : et elle les aima tendrement.

Mais Childebert et Clotaire lui firent dire un jour :

– Envoyez-​nous nos neveux, nous les ferons éle­ver sur le pavois.

Elle pré­pa­ra sans défiance les orphe­lins et les revê­tit de leurs plus beaux orne­ments. En les remet­tant aux envoyés, elle les embras­sa et leur dit :

– Allez, je ne croi­rai plus avoir per­du mon fils Clodomir, si je vous vois réta­blis dans son héritage.

Quel ne fut donc pas son trouble lorsqu’un séna­teur lui pré­sen­ta, de la part de Childebert et de Clotaire, des ciseaux et une épée nue ;

– Très glo­rieuse reine, dit-​il, nos maîtres vous prient de fixer le sort des enfants de Clodomir. Voulez-​vous qu’on leur coupe la che­ve­lure avec ces ciseaux, ou qu’on les égorge avec ce glaive ?

Eperdue, hors d’elle-même, sans savoir ce qu’elle disait, Clotilde s’écria :

– S’ils ne sont point éle­vés au royaume, j’aime les voir morts que tondus !

Car il s’agissait non d’une voca­tion sainte, mais d’un déshon­neur à impo­ser à ses enfants, et elle avait le droit de pro­tes­ter énergi­quement. Toutefois, elle se repen­tit amè­re­ment de ces paroles trop vives.

L’envoyé rap­por­ta à ses maîtres ce men­songe : « La reine approuve la mort », et ils mas­sa­crèrent les enfants quelle aimait. L’un d’eux échap­pa, fut caché dans un cloître et, fidèle aux leçons de sa grand’mère, devint saint Cloud.

Pour comble de maux, la sainte veuve reçut en ces tristes jours un mou­choir tout rouge du sang de sa fille Clotilde. Elle l’avait mariée, en 526, à Amalaric, roi des Visigoths, pour le conver­tir. Mais ce linge ensan­glan­té révé­lait assez le mar­tyre que la prin­cesse avait à sup­por­ter pour défendre sa foi (531).

Ses deux fils, Childebert et Clotaire, prirent bien­tôt les armes l’un contre l’autre. Comme elle n’avait pu les détour­ner ni par ses avis ni par ses conseils, elle recou­rut à la prière. Un jour que les deux frères allaient enga­ger la bataille, une ter­rible tem­pête éclate sou­dain. Au milieu du fra­cas de la foudre on voit tom­ber du ciel des flots de soufre et de feu, et une grêle de pierres dis­perse les armées, en tuant seule­ment les sol­dats de l’agresseur.

La reine, qui ne ces­sait de faire prier, fon­da une foule de monas­tères et d’églises à Paris, à Rouen, à Tours, à Chelles, à Laon, aux Andelys.

C’est pen­dant que les ouvriers souf­fraient de la soif, lors de la construc­tion du monas­tère des Andelys, qu’elle fit sur­gir une fon­taine, et que, le vin venant à man­quer, elle chan­gea de l’eau en un vin déli­cieux afin d’aider ceux qui tra­vaillaient pour la gloire de Dieu.

Après trente-​quatre ans d’un veu­vage rem­pli de grandes œuvres, le 3 juin 545, Clotilde mou­rut à Tours, et son âme mon­ta au ciel pour prier auprès du trône de Dieu en faveur du pays de France.

Son corps fut bien­tôt trans­por­té à Paris et reçu avec hon­neurs par l’évêque saint Germain, puis inhu­mé à côté de celui de Clovis. Leur tom­beau a été pro­fa­né à la Révolution, et la rue Clovis passe sur son empla­ce­ment. Mais il existe encore quelques reliques de sainte Clotilde et son culte s’est pro­pa­gé avec zèle dans le cœur des fidèles, sur­tout à Paris et à Reims, depuis le xixe siècle.

A. E. R.

Sources consul­tées. – Godefroy Kurth, Sainte Clotilde (Collection Les Saints) ; Clovis (Bruxelles, 1923). – Abbé L. Poulin, Sainte Clotilde (Paris, Bonne Presse, 1899). – (V. S. B. P., nos 173, 175.)

Notes de bas de page
  1. On croit que Tolbiac était une ville de l’ancienne Gaule, dans la pro­vince appe­lée IIe Germanique. Elle s’appelle aujourd’hui Zulpich, dans la Prusse rhé­nane, à quelques lieues Sud-​Ouest de Cologne.[]
  2. Cette ampoule inépui­sable ser­vit au sacre de nos rois jusqu’à la Révolution. Les com­mis­saires de la Convention la firent bri­ser. Un Rémois en sau­va des par­celles qui furent enchâs­sées dans la nou­velle ampoule qui ser­vit au sacre de Charles X (1825).[]