Vierge et martyre (+ vers 180)
Fête le 22 novembre.
L’histoire de sainte Cécile a été rapportée, en des pages admirables que nous allons reproduire, par le grand écrivain Louis Veuillot.
De son temps, on croyait encore, d’après le Liber pontificalis et le Martyrologe romain, que le martyre de la Sainte avait eu lieu vers 230, sous le règne de l’empereur Alexandre Sévère et sous le pontificat du Pape saint Urbain Ier. L’archéologie moderne, à la suite des découvertes de Jean-Baptiste de Rossi, fait au contraire remonter les événements au règne de Marc-Aurèle, sous le pontificat de saint Soter, c’est-à-dire entre 177 et 180. Le Pontife du nom d’Urbain que nous verrons intervenir dans la vie de la vierge martyre était un évêque suburbicaire, servant d’auxiliaire à l’évêque de Rome lui-même, c’est-à-dire au Pape.
… Urbain… habitait une grotte creusée sous un temple des idoles, aux portes de Rome, non loin du tombeau de Caecilia Metella. C’est là que les fidèles…, en attendant une persécution nouvelle, venaient aux exhortations du Pontife et amenaient les néophytes pressés de recevoir le baptême. Des pauvres de Jésus-Christ, mendiants en apparence, se tenaient sur la voie, autant pour guider l’étranger que pour avertir si quelque péril s’annonçait.
Dans le nombre des fidèles que ces pauvres étaient accoutumés de voir et dont ils transmettaient fréquemment les messages au Pontife errant ou caché, ils admiraient une jeune fille, presque encore une enfant, dont la foi et la charité brillaient même en ces jours illustres du martyre. Elle était leur humble sœur et elle portait le grand nom des Caecilius, si fier et si retentissant…
Alors, le martyre était la fin probable et imminente de toute vie chrétienne. Cécile le savait et elle y trouvait la joie de son cœur. En attendant l’appel du Christ, elle vivait d’avance avec lui et sa prière ne cessait pas… Comme pour se créer une assurance de plus qu’elle répandrait son sang, elle voua au Christ sa virginité. Le Christ, répondant à son amour, lui rendit visible l’ange qui veillait sur elle, et elle vit que l’Epoux divin l’agréait et la garderait.
Cependant, les parents de Cécile l’engagèrent à Valérien, qui était jeune, noble et bon et qui l’aimait ardemment, mais qui portait le joug des idoles. Cécile avait pour Valérien l’affection d’une sœur, elle chérissait son âme, espérant l’amener à Dieu. Tremblante et confiante, elle se prépara pour le combat. Sous sa robe tissée de soie et d’or, elle cacha un cilice ; elle multiplia ses jeûnes et ses prières, et, remplie de force intérieure, elle abandonna sa main…
A la chute du jour, la mariée fut conduite à sa nouvelle demeure. Les torches nuptiales précédaient le cortège, la foule applaudissait, la vierge conversait en son cœur avec le Dieu des martyrs. Elle entra dans la maison où elle apportait la mort et la vie, la ruine absolue et l’immortelle gloire. Sous le portique, orné de tentures blanches et de fleurs, Valérien l’attendait. Suivant l’usage, il lui demanda : « Qui es-tu ? » Elle répondit par la formule consacrée : « Là où tu seras Caïus, je serai Caïa. »…
Quelques rites superstitieux lui furent sans doute épargnés ; d’autres purent s’accomplir. On lui présenta l’eau, signe de la pureté qui doit orner l’épouse ; on lui remit une clé, symbole de l’administration intérieure confiée à sa vigilance ; on la fit un instant asseoir sur une toison de laine, mémorial des travaux domestiques…
Et lorsque, enfin, les époux se trouvèrent seuls dans la chambre nuptiale, Cécile, forte de la vertu d’en haut, s’adressa doucement à Valérien : « Ami très cher, lui dit-elle, j’ai un secret qu’il faut que je te confie, mais peux-tu me promettre de ne le point livrer ? » Ayant reçu le serment du jeune homme, elle reprit : « Ecoute. Un ange de Dieu veille sur moi, car j’appartiens à Dieu… Si tu respectes ma virginité, alors il t’aimera comme il m’aime, et sa grâce s’étendra aussi sur toi. »
Troublé, Valérien répondit : « Cécile, pour que je puisse croire à ta parole, fais-moi voir cet ange. Quand je l’aurai vu, et si je reconnais qu’il est l’ange de Dieu, alors, ce à quoi tu m’exhortes, je le ferai. Mais, si c’est un autre homme que tu aimes, sache que je vous frapperai de mon glaive, et toi et lui. » Cécile reprit : « Si tu consens d’être purifié dans la fontaine qui jaillit éternellement, si tu veux croire au Dieu unique, vivant et véritable qui règne dans les cieux, tu pourras voir l’ange qui veille sur moi. » Valérien dit : « Et qui me purifiera afin que je voie l’ange ? »
Cécile répondit : « Il est un vieillard qui purifie les hommes afin qu’ils méritent de voir l’ange de Dieu. Va par la voie Appienne jusqu’au troisième milliaire. Là tu trouveras des pauvres qui demandent l’aumône aux passants. J’eus toujours soin de ces pauvres et mon secret leur est connu. Tu les salueras de ma part et tu leur diras : Cécile m’envoie vers le saint vieillard Urbain. J’ai un message secret à lui transmettre. Arrivé en présence du vieillard, tu lui rendras mes paroles. Il te purifiera et te revêtira d’habits nouveaux. A ton retour, dans ce lieu où nous sommes, tu verras l’ange saint, devenu aussi ton ami, et tout ce que tu lui auras demandé, il te le donnera. »
Valérien courut au Pontife, et celui-ci, l’ayant écouté, s’écria : « Seigneur Jésus-Christ, semeur des chastes résolutions, recevez le fruit de la semence que vous avez déposée au cœur de Cécile. Seigneur Jésus-Christ, bon pasteur, Cécile, votre brebis éloquente, vous a bien servi. Cet époux qu’elle avait reçu semblable à un lion impétueux, en un instant, elle en a fait un agneau très doux. Le voici déjà ! Déjà il croit, puisqu’il est venu. Ouvrez donc, Seigneur, la porte de son cœur à vos paroles ; qu’il reconnaisse que vous êtes son Créateur et qu’il renonce au démon ! »
Tandis qu’Urbain prolongeait sa prière, un second vieillard, d’aspect auguste, couvert de vêtements blancs comme la neige, apparut, tenant un livre en lettres d’or. Ce vieillard était Paul, l’Apôtre des Gentils, la seconde colonne de l’Eglise romaine. Présentant le livre, il dit à Valérien : « Lis, crois, mérite de contempler l’ange dont la vierge Cécile t’a promis la vue. » Valérien lut ces paroles : Un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ; un seul Dieu, Père de toutes choses, qui est au-dessus de tout et en nous tous. Le vieillard dit : « Crois-tu qu’il en est ainsi ? » Valérien s’écria : « Rien de plus vrai sous le ciel ! »
Cécile était restée en prières dans la chambre nuptiale. Lorsqu’elle y vit rentrer Valérien, elle connut aussitôt que le Christ et elle avaient triomphé. Valérien portait la tunique blanche des néophytes. Et lui, au même instant, connut que le Christ et Cécile étaient fidèles en leurs promesses ; près de l’épouse vierge, il vit debout l’ange au visage de flamme, aux ailes splendides, tenant dans ses mains deux couronnes de roses et de lis.
L’esprit bienheureux posa l’une de ces couronnes sur la tête de Cécile, l’autre sur la tête de Valérien, et leur dit : « Des jardins du ciel je vous apporte ces fleurs. Conservez-les par votre pureté, elles ne se faneront jamais, et jamais ne perdront leur parfum ; mais ceux-là seuls les verront qui seront purs comme vous. Et maintenant, ô Valérien, parce que tu as acquiescé au vœu de la chasteté de Cécile, le Christ, Fils de Dieu, m’a envoyé vers toi pour recevoir toute demande que tu aurais à lui adresser. »
Valérien répondit à l’ange : « La grande douceur de ma vie, c’est l’amitié de Tiburce, mon frère unique. Maintenant que je suis affranchi du péril, je me trouverais cruel d’y abandonner ce frère bien-aimé. Je réduirai donc toutes mes demandes à une seule : je supplie le Christ de délivrer mon frère Tiburce, comme il m’a délivré moi-même, et de nous rendre tous deux parfaits dans la confession de son nom… »
Au jour, Tiburce entra. S’approchant de Cécile, devenue sa sœur, il la salua par un baiser. « Mais, dit-il, d’où vient, ma sœur, cette senteur de roses et de lis en cette saison ? Elle m’enivre, et il me semble que tout mon être en est soudain renouvelé. – O Tiburce, dit Valérien, Cécile et moi nous portons des couronnes que tu ne peux voir encore. Si tu veux croire, tu verras… »
Avec l’ardeur du néophyte, Valérien commença d’instruire son frère. Il le pressa d’abjurer les idoles et de se rendre au vrai Dieu. Mais Tiburce ne comprenait pas bien. Il avait suivi le culte public par coutume, sans plus chercher à connaître ses dieux qu’il ne connaissait le Christ. Cécile intervint. Prenant le langage des prophètes si souvent répété par les martyrs, elle montra la honte des idoles. « Oui, s’écria Tiburce, il en est ainsi ! » Cécile, ravie de sa sincérité, l’embrassa : « C’est maintenant, lui dit-elle, que je te connais pour mon frère… »
Cependant, Tiburce, apprenant qu’il fallait aller au chef des chrétiens, se souvint d’avoir entendu parler de lui. « N’a‑t-il pas été, dit-il, condamné déjà deux fois ? S’il est découvert, il sera livré aux flammes et nous pourrons partager son sort. Ainsi, pour avoir voulu trouver une divinité qui se cache dans les cieux, nous rencontrerons sur la terre un supplice cruel. – Ne redoutons pas, dit Cécile, de perdre la vie qui passe, pour nous assurer celle qui durera toujours… – Qui est allé dans cette vie, répliqua Tiburce, et qui en est revenu ? »
Cécile reprit avec une grande majesté : « Le Créateur du ciel et de la terre et de tout ce qu’ils contiennent a engendré un Fils de sa propre substance avant tous les êtres, et il a produit par sa vertu divine l’Esprit-Saint ; le Fils, afin de créer par lui toutes choses ; l’Esprit-Saint pour les vivifier. Tout ce qui existe, le Fils de Dieu, engendré du Père, l’a créé ; tout ce qui est créé, l’Esprit-Saint, qui procède du Père, l’a animé. – Comment I s’écria Tiburce, tout à l’heure, tu disais que l’on ne doit croire qu’un seul Dieu, et maintenant tu parles de trois Dieux ?… » Cécile lui exposa le dogme de la Trinité ; ensuite, provoquant ses questions, elle déroula le mystère du Christ mort sur la croix pour le salut des âmes, enseveli, descendu aux enfers, victorieux de la mort, du sépulcre et du péché… .
Tiburce pleura, son âme appelait Dieu. « Frère, dit-il à Valérien, prends pitié de moi : conduis-moi sans retard devant l’homme qui purifie. » Ils se rendirent aussitôt près du Pontife. Urbain lui donna le baptême, et, après sept jours, par l’onction de l’Esprit-Saint, il le consacra soldat du Christ. Or, plein de la joie et de l’amour de Jésus, et plongé dans la plénitude de la vie chrétienne, Tiburce voyait continuellement les anges du Seigneur, et il conversait avec eux…
[Les deux frères furent bientôt dénoncés, poursuivis et, après une vaillante confession, ils eurent la tête tranchée ; leur fête est fixée au 14 avril.]
Le préfet Almachius ne tarda pas à prendre ses mesures pour s’emparer des biens de Valérien et de Tiburce. Il ne trouva rien. Déjà Cécile avait tout mis à l’abri dans le sein des pauvres. En même temps, elle déclarait hautement sa foi proscrite, et l’éclat de sa situation attirait trop les regards pour que le préfet pût paraître l’ignorer. Il se décida donc à sévir aussi contre elle. Mais, craignant l’intérêt qu’elle devait inspirer, il ne la cita pas à son tribunal. Il lui envoya des agents pour lui proposer simplement de sacrifier aux idoles, sans démonstration publique.
Ils se présentèrent, honteux de leur mission, touchés de respect et de douleur. Cécile leur dit : « Mes concitoyens et mes frères, eu fond de vos cœurs, vous détestez l’impiété de votre magistrat. Pour moi, il m’est glorieux et désirable de souffrir tous les tour
ments et de confesser Jésus-Christ ; mais je vous plains, vous qui servez de ministre à l’injustice. » A ces mots, ils pleurèrent de voir qu’une dame si noble, si vertueuse et si brillante, voulait mourir…
Elle leur dit : « Mourir pour le Christ, ce n’est pas sacrifier sa jeunesse, mais la renouveler. C’est donner un peu de boue pour
recevoir de l’or, échanger une demeure étroite et vile contre un palais. Ce qu’on offre à Jésus-Christ notre Dieu, il le rend au centuple et il ajoute la vie éternelle. » Voyant leur émotion, elle s’écria : « Ne croyez-vous point ce que vous venez d’entendre ? » Ils répondirent : « Nous croyons que le Fils de Dieu, qui possède une telle servante, est le Dieu véritable. – Allez, reprit Cécile. Dites au préfet que je lui demande de retarder un peu mon martyre. Vous reviendrez et vous trouverez ici celui qui vous rendra participants de la vie éternelle. »
Aussitôt, Cécile fît avertir Urbain qu’elle allait prochainement confesser Jésus-Christ, et qu’un grand nombre de personnes de tout âge, de tout sexe et de toute condition, touchées de la grâce divine, aspiraient au baptême. Urbain voulut venir lui-même, pour bénir une dernière fois Cécile et recevoir de ses mains virginales cette belle multitude que son sang prêt à couler gagnait par avance au Seigneur Jésus. Le baptême fut donné à quatre cents néophytes…
Quelques jours s’étaient passés. Par une volonté de Dieu, Almachius avait accordé ce délai. Il appela enfin Cécile. Elle parut devant lui avec la modestie d’une fille de l’Eglise, avec la fierté d’une patricienne, avec la majesté d’une épouse du Christ. Il lui demanda son nom et sa condition. Elle répondit qu’elle se nommait Cécile devant les hommes, mais que chrétienne était son plus beau nom ; quant à sa condition, qu’elle était citoyenne de Rome, de race noble et illustre. Il s’étonna de son assurance ; elle répondit que cette assurance lui venait de sa foi. Il l’avertit de prendre garde ; elle répondit qu’elle était fiancée à Jésus-Christ…
Il rappela la loi décrétée par les empereurs au sujet des chrétiens… « Cette loi, répondit Cécile, prouve que vous êtes cruels et non innocents. Si le nom de chrétien était un crime, ce serait à nous de le nier, à vous de nous obliger à le confesser… Mais nous connaissons la grandeur de ce nom sacré, et ne le renions pas… »
« Choisis cependant, dit Almachius : ou sacrifie, ou nie que tu sois chrétienne, et tu te retireras en paix. » Cécile se prit à sourire : « Le magistrat, dit-elle, veut que je renie le titre de mon innocence 1 Si tu admets l’accusation, pourquoi veux-tu me contraindre à nier ? Si ton intention est de m’absoudre, que n’ordonnes-tu l’enquête ? – Les accusateurs, reprit le juge, déposent que tu es chrétienne. Nie-le, et l’accusation est mise à néant. Si tu persévères, tu connaîtras ta folie. – Le supplice, dit Cécile, sera ma victoire. N’accuse de folie que toi-même, qui as pu croire que tu me ferais renier le Christ. – Malheureuse femme, s’écria le préfet, ignores-tu donc que le pouvoir de vie et de mort est déposé entre mes mains par l’autorité des invincibles princes ? – Le pouvoir de vie et de mort, répliqua tranquillement Cécile, non ! Tes princes ne t’ont conféré que le seul pouvoir de mort. Tu peux ôter la vie à ceux qui en jouissent, tu ne la peux rendre à ceux qui sont morts. Dis donc que tes empereurs ont fait de toi un ministre de mort. Si tu dis davantage, tu mens sans profit. » Almachius, désignant à Cécile les statues qui s’élevaient dans le prétoire, lui dit : « Sacrifie aux dieux. »
La patricienne répondit : « Où as-tu la vue ? Ces choses que tu prétends être des dieux, moi et tous ceux qui ont la vue saine, nous n’y voyons que des pierres, de l’airain ou du plomb. – Prends garde, s’écria le préfet ; j’ai méprisé tes injures quand elles ne s’adressaient qu’à moi, mais l’injure contre les dieux, je ne la supporterai pas. – Préfet, reprit Cécile, tu n’as pas dit une parole dont je n’aie montré l’injustice ou la déraison, et maintenant te voilà convaincu de n’y plus voir. Tu t’exposes fâcheusement à la risée du peuple, Almachius ! tout le monde sait que Dieu est au ciel. Ces simulacres feraient plus de service, convertis en chaux. Ils s’usent dans leur oisiveté, et ne sauraient se défendre des flammes. Sache qu’ils sauraient moins encore t’en retirer toi-même ! Le Christ seul peut sauver de la mort et délivrer du feu. »
Cécile se tut. Elle avait vengé par ses réponses la dignité humaine que l’idolâtrie et la tyrannie païenne violaient si indignement ; elle avait flétri le matérialisme grossier qui asservissait encore ce monde racheté du sang d’un Dieu ; elle avait conquis la palme, il ne lui restait plus qu’à la cueillir. Almachius, de son côté, avait à venger et ses dieux et sa justice et la majesté de l’empire, et surtout lui-même. Il prononça une sentence de mort. Toutefois il n’osa pas ordonner l’exécution publique d’une femme si élevée par son rang, si respectée et si éloquente. Contraint de donner à sa justice les couleurs de l’assassinat, il commanda que Cécile fût reconduite chez elle et qu’on la fît mourir sans bruit, sans appareil de licteurs, sans effusion de sang, étouffée par la vapeur embrasée dans la salle de bains de son palais.
Le miracle déjoua ce lâche expédient. Une rosée céleste, semblable à celle qui rafraîchit la fournaise où furent jetés les trois enfants de Babylone, ne cessa de tempérer la vapeur brûlante. Après de longues heures les bourreaux, lassés d’alimenter le feu toujours impuissant, vinrent dire au préfet que Cécile vivait encore. Il envoya un licteur. Cécile, penchant la tête, s’offrit à l’épée. Le licteur frappa ; mais, en trois coups, il ne put abattre cette tête toujours sereine, et ne réussit qu’à faire jaillir le sang. Il s’enfuit. Une loi défendait au bourreau de frapper davantage la victime que trois coups n’avaient pas achevée.
Les chrétiens attendaient au dehors. Ils entrèrent en foule, pleins de pitié, de vénération et d’amour. Cécile expirante reconnut ses pauvres, ses néophytes, ses frères ; elle leur sourit. Ils s’empressèrent autour d’elle, se recommandant à ses prières, et recueillant sur des linges le sang de ses blessures. D’un moment à l’autre, il semblait que cette âme pure dût rompre ses derniers liens. Mais bientôt ceux qui l’environnaient comprirent qu’elle vivait par un nouveau miracle. Cécile, en effet, attendait quelque chose qu’elle avait demandé à Dieu. Il se passa ainsi trois jours. Durant ces trois jours, elle exhorta ces chrétiens à demeurer fermes dans la foi. De temps en temps, faisant approcher les plus pauvres, elle leur marquait sa tendresse et veillait à leur faire distribuer ce qui pouvait rester dans la maison.
Le troisième jour, le saint Pontife Urbain, à qui la prudence n’avait pas encore permis d’approcher, entra près de la martyre. C’était lui que Cécile attendait. Tournant vers le Père des fidèles ses regards consolés, elle lui dit : « Père, j’ai demandé au Seigneur ce délai de trois jours pour remettre aux mains de Votre Béatitude les pauvres que je nourrissais, et je vous lègue aussi cette maison, afin que, consacrée par vous, elle soit pour toujours une église. » Après ces paroles, son œil mourant vit les cieux s’ouvrir. Elle était couchée sur le côté droit, les genoux réunis. Ses bras s’affaissèrent l’un sur l’autre ; elle tourna contre terre sa tête sillonnée par le glaive, et son âme s’envola doucement.
Urbain présida aux funérailles de Cécile. On ne toucha pas à ses vêtements, on respecta jusqu’à l’attitude de son corps… La nuit venue, on le porta au cimetière de Calixte, sur la voie Appienne. Valérien, Tiburce et Maxime reposaient à peu de distance, au cimetière de Prétextat…
Louis Veuillot.
Le culte. – La basilique.
Le palais de la martyre fut presque aussitôt converti en une église placée sous son vocable. Vers la fin du viie siècle, le Pape saint Grégoire le Grand la restaura et la consacra à nouveau, et y établit l’une des « stations » de Carême. Au ixe siècle, saint Pascal Ier, ayant eu en 822 la joie de retrouver les reliques de la Sainte à la Catacombe de Calixte, les fit transporter en cette basilique restaurée et consacrée par lui ; aux côtés de Cécile prirent place les corps des saints Tiburce, Valérien et Maxime.
Dès lors le culte de la vierge martyre se propagea rapidement, non seulement en Occident, mais encore en Orient. Son nom figure au Canon de la messe et aussi dans les Litanies des Saints ; dans le Bréviaire, elle a un office propre presque en entier. Elle est honorée pour patronne par les musiciens, en raison d’une phrase des Actes dont le sens exact est celui-ci : « Tandis que résonnaient les concerts profanes de ses noces, Cécile chantait en son cœur un hymne d’amour à Jésus son véritable Epoux. »
Près de la basilique romaine de Sainte-Cécile se trouve depuis des siècles un monastère que restaura saint Pascal Ier. Nous le voyons occupé successivement par les Bénédictins, les Chanoines réguliers, la Congrégation du Rédempteur (fondée par sainte Brigitte), enfin par les Humiliés. L’établissement passa ensuite en commende, puis fut confié en 1527, ainsi que la basilique, aux religieuses Bénédictines ; après 1870 les Clarisses sont venues occuper une partie des immeubles sans que disparussent pour autant les droits des filles de sainte Claire.
L’église Sainte-Cécile est un titre cardinalice ; en 1599, l’un de ses titulaires, le pieux cardinal Sfondrato, procéda à une reconnaissance des reliques de la Sainte ; le Pape Clément VIII offrit une châsse d’argent et présida lui-même, le 22 novembre de la même année, la translation solennelle dans la crypte aménagée sous le maître-autel. De 1899 à 1901, le cardinal Rampolla, après des fouilles importantes sous le pavé de la basilique, fit agrandir la crypte et la décora d’une manière somptueuse.
Sources consultées. – Louis Veuillot, Le parfum de Rome (Couvres complètes, t. IX, Paris, 1926). – Dom Prosper Guéranger, Sainte Cécile et la société romaine aux deux premiers siècles (Paris, 2e édition, 1884). – Annuaire pontifical catholique (Paris, 1900, 1901, 1903). – G. de Rossi-Re, « La basilique de Sainte-Cécile », dans l’Osservatore Romano (Cité du Vatican, 1932). – (V. S. B. P., n° 198.)