Vierge et martyre († 303).
Fête le 10 décembre.
Sainte Eulalie de Mérida, que certains auteurs ont voulu à tort identifier avec sainte Eulalie de Barcelone, est la sainte Agnès de l’Espagne. Ce que nous possédons sur elle de meilleur est l’hymne troisième du Péri Stephanôn, recueil de quatorze hymnes « sur les couronnes » des martyrs, c’est-à-dire sur leur vie et leur mort, composé par Prudence, le plus grand poète chrétien du ive siècle et compatriote de la Sainte.
La fille du noble Libère.
Sur les bords de l’Anas, aujourd’hui la Guadania, dans la moderne province de l’Estremadure en Espagne, florissait, vers la fin du iiie siècle, Emerita-Augusta, métropole de la Lusitanie, aujourd’hui Mérida. Le christianisme y avait pénétré de bonne heure, comme il avait fait dans tous les grands centres de la péninsule dont près de la moitié des habitants pratiquaient alors la loi de l’Evangile. D’après Lactance, l’Espagne formait alors, avec l’Italie et l’Afrique, le domaine de Maximien Hercule, fanatique ennemi du nom chrétien.
A l’époque qui nous occupe vivait à Emerita-Augusta une jeune fille nommée Eulalie, ou « la bien disante ». Son père avait nom Libère ; celui de sa mère est inconnu. Tous deux appartenaient à la première noblesse du pays et jouissaient d’une immense fortune. Chrétiens, ils avaient élevé leur enfant dans la religion chrétienne et lui témoignaient la plus vivre tendresse. Eulalie méritait cette affection par les rares qualités qui se révélèrent en elle de très bonne heure. Il y avait en son naturel quelque chose de si exquis, qu’elle exerçait une sorte de fascination sur les personnes qui l’approchaient et particulièrement sur les jeunes filles de son âge. Toutes aspiraient à lui plaire, et chacun était heureuse quand elle avait pu obtenir d’elle un sourire, une gracieuse parole.
Son père avait confié son éducation à un prêtre nommé Donat ; il avait aussi adjoint pour compagne à sa fille, qui était peut-être enfant unique, une autre vierge appelée Julie.
Dès ses plus tendres années, Eulalie aimait déjà Jésus-Christ de tout son cœur et, sans presque savoir ce que c’était que la virginité, elle éprouvait déjà pour elle un attrait irrésistible. Prudence s’est plu à décrire en un langage, trop brillant sans doute, mais qui n’est pas sans charme, cette gracieuse et innocente jeunesse :
Avec le concours de treize printemps, écrit-il, avait alterné celui de douze hivers et, déjà, il était facile de voir que son âme, étrangère ici-bas, n’aspirait qu’à remonter au trône de son Père. Il ne fallait lui parler ni de fiançailles, ni de noces, ni de lit nuptial. Elle avait voué son corps au Christ. Les jeux étaient bien de son âge ; mais elle dédaignait d’y prendre part. Plaisirs délicats, délices amollissantes, douces senteurs des roses, riches et brillantes parures, elle aurait pu avoir toutes ces choses, mais elle les repoussait. Son air sérieux, sa démarche modeste, son maintien réservé, imprimaient le même respect que la chevelure blanche des vieillards.
La persécution de Dioclétien en Espagne.
Eulalie ne faisait que toucher au seuil de l’adolescence, lorsque, en 303, éclata la persécution de Dioclétien. Elle fit de grands ravages en Espagne. Sans doute il faut rejeter, avec les critiques sérieux, les inscriptions qui, en divers points de la péninsule, auraient célébré le triomphe religieux des empereurs et constaté « l’entière abolition du nom et de la superstition chrétienne ». Mais les documents vraiment historiques laissent voir combien fut grand l’acharnement des hauts fonctionnaires païens, et avec quelle ardeur ils s’associèrent à la cruelle politique des empereurs.
Le principal ennemi des chrétiens fut, en Espagne, un magistrat nommé Datianus, dont parlent plusieurs écrits martyrologiques. Ce n’était pas le gouverneur d’une des cinq provinces qui, depuis la réorganisation administrative de Dioclétien, formaient la division de la péninsule : nous le voyons, en effet, juger indifféremment dans plusieurs d’entre elles, et condamner des chrétiens dans la Tarraconaise, dans la Lusitanie, dans la province de Carthagène. Datianus fut soit le vicaire du « diocèse » d’Espagne, fonctionnaire considérable créé par Dioclétien, et investi pour tout le pays des plus hautes fonctions judiciaires, administratives et financières, soit un commissaire spécial délégué à la recherche des chrétiens. Datianus ayant passé à Emerita-Augusta y laissa Calpurnien pour presser l’exécution des ordres de Dioclétien,
Les parents de sainte Eulalie la cachent à la campagne pour la soustraire aux persécuteurs. — Sa fuite.
La vue des supplices soufferts par les chrétiens transporta d’indignation Eulalie : une sainte colère la saisit et elle n’eut bientôt qu’une pensée, rendre elle-même témoignage de sa foi, combattre à son tour les combats du Seigneur.
Son père et sa mère avaient pénétré ses sentiments secrets, mais ils étaient loin de les partager. Ils tremblaient que la tourmente ne leur ravît leur fille, et, craignant quelque imprudence de sa part, ils résolurent de l’éloigner. A trente milles d’Emerita, dans un recoin de montagne, sur les frontières de l’Andalousie actuelle, Libère possédait un domaine appelé villa Porcienne. Il y envoya Eulalie avec sa compagne Julie et une suite d’esclaves, sous la protection du prêtre Félix.
Cependant, Calpurnien s’empressait de faire exécuter les édits des empereurs, et, afin qu’aucun chrétien ne lui échappât, il annonça un sacrifice solennel auquel seraient obligés de prendre part tous les habitants de la cité. Chacun devait, à son tour, jeter de l’encens dans le feu, brûler du foie de porc devant l’idole ou accomplir quelque autre rite sacrilège.
Eulalie eut connaissance de cet édit, et, loin de s’en effrayer, elle n’en fut que plus résolue à subir le martyre. Avide de se jeter dans la mêlée, elle s’ouvrit discrètement de son dessein à Julie et elle n’eut aucune peine de l’amener à partager ses vues. Il ne s’agissait plus pour les deux jeunes filles que de se soustraire à la surveillance qui les retenait captives. A la faveur de la nuit elles se glissèrent dans l’atrium, jusqu’à la porte d’entrée, puis, l’ayant ouverte sans bruit, elles gagnèrent la campagne.
Tandis qu’elles cheminaient silencieusement par la nuit noire, tantôt traversant des fonds marécageux, tantôt gravissant et descendant des collines semées de ronces et d’épines qui leur déchiraient les pieds, un chœur d’anges les précédait, faisant luire devant elles une douce lumière, semblable à cette nuée qui dirigeait Israël fuyant vers le désert. Elles aussi, nous dit Prudence, elles fuyaient la terre de Pharaon pour se diriger vers la terre promise. Leur marche était rapide ; les milles disparaissaient derrière elles. Une héroïque émulation les remplissait. Eulalie, un moment, avait gagné du terrain et marchait la première. Julie fit un effort et l’atteignit :
– Tu as beau te hâter, ma sœur, lui dit-elle, j’arriverai avant toi.
Elle parlait de sa mort qui devait, en effet, précéder celle d’Eulalie.
Sainte Eulalie devant Calpurnien.
Le soleil était déjà levé quand elles entrèrent dans la ville. Eulalie courut à la place publique où Calpurnien siégeait sur son tribunal avec tout l’appareil de la puissance et présidait aux sacrifices. Dans son élan elle fend la foule, se jette au milieu des licteurs, parvient jusqu’au juge, et, se plaçant devant lui avec assurance, elle l’interpelle hardiment, lui reproche la cruauté dont il usait envers les chrétiens, la vanité de ses dieux, la tyrannie des empereurs.
– Isis, Apollon, Vénus, ne sont rien, lui fait dire Prudence, les idoles ne sont rien, Maximien lui-même n’est rien : étrange maître qui se repaît du sang innocent et ne se plaît qu’à déchirer les entrailles des saints. Il n’y a qu’un Dieu, seul vrai et seul grand, qui a tout fait, qui a créé l’homme à son image et qui seul a droit à ses adorations.
Et loi, ajoute-t-elle en s’adressant au juge, pourquoi es-tu venu ici, ennemi de ce Dieu à qui cette ville est presque entièrement dévouée, pour étouffer son culte au profit des démons et faire périr ses serviteurs ?
Calpurnien, assez déconcerté, lui demande son nom et la raison de sa hardiesse.
– Je m’appelle Eulalie, réplique-t-elle, et si je suis encore petite, ce n’est pas une raison pour moi d’avoir peur de tes menaces et de tes supplices ; car j’ai déjà assez vécu sur terre pour désirer d’aller vivre éternellement dans le ciel.
Cette intrépide réponse n’irrita pas trop Calpurnien. Tant de jeunesse, tant de beauté et tant de charme l’intéressaient malgré lui. Il entreprit de gagner l’aimable enfant par la douceur, la comblant de caresses et de flatteries, comme on a coutume de faire avec une petite fille. Il lui représenta la noblesse de son origine, la délicatesse et la fraîcheur de sa jeunesse, l’heureux destin qui lui souriait si elle consentait à brûler un grain d’encens devant les dieux ; puis enflant la voix il essaya de l’effrayer, lui peignant, si elle se refusait à cet acte si facile, le sort affreux qui l’attendait : tortures, mort ignominieuse, désolation de son père et de sa mère :
– Ne persiste donc pas, ma fille, ajouta-t-il, dans un dessein qui, du reste, ne vient pas de toi, mais t’a été inspiré par quelques fanatiques, ennemis de ton bonheur.
Tandis que Calpurnien développait avec une certaine complaisance ces terrifiantes perspectives, le visage de la vierge devenait radieux ; son regard s’animait d’un feu divin et son corps même semblait flotter dans l’air. Elle répondit avec une telle fermeté que le juge comprit sans peine qu’il lui serait difficile de l’ébranler.
– A l’œuvre ! lui disait-elle. Emploie le feu, emploie le fer ; mutile des membres formés du limon de la terre ; rien de plus facile que de briser ce vase fragile qu’est mon corps ; mais le tranchant de ton glaive et la morsure de tes flammes ne pénétreront pas jusqu’à mon âme où est ma vie.
Puis, crachant au visage du magistrat stupéfait, elle s’élança vers l’autel et renversa l’idole ainsi que les réchauds où brûlait l’encens. Cet acte était de ceux qu’en principe l’Eglise réprouvait. De nombreux chrétiens d’Espagne ayant voulu l’imiter, le concile d’IIliberis les condamna et décréta que quiconque briserait les idoles, alors même que, de ce fait, il serait immolé pour la foi, ne pourrait être compté parmi les martyrs. Néanmoins ce qui eût été zèle téméraire, excès blâmable chez un adulte, devenait facilement digne de louange chez une enfant, emportée par un élan de générosité supérieur à son âge et incapable de maîtriser les mouvements tumultueux de son âme.
Elle est flagellée et jetée en prison.
L’audace d’Eulalie mit Calpurnien en fureur. Il livra l’héroïque chrétienne aux bourreaux avec ordre de la fouetter sans miséricorde, ce qui fut exécuté d’une manière si cruelle et si outrageante pour la pudeur que l’innocente victime en fit au juge d’amers reproches. Du reste, chaque coup ne provoquait chez la patiente que des louanges pour le Christ et des paroles de mépris pour les idoles. A la fin les bourreaux se lassèrent de frapper. Tant de courage dans une enfant si jeune déconcertait Calpurnien. Il redoubla de sollicitations, il eut recours aux pires menaces.
– Tes efforts sont inutiles, lui répondit la vierge. Ne vois-tu pas que je me ris de tes tourments ? Je te l’ai dit et te le répète : ils n’ont de prise que sur mon corps, ils n’en ont aucune sur mon âme.
Et du ton le plus décidé elle déclara de nouveau au magistrat qu’elle avait ses divinités en horreur, aussi bien que les empereurs qui les adoraient.
Calpurnien la fît jeter en prison. Sans doute pensait-il que le courage d’Eulalie tomberait de lui-même ou que la continuité des souffrances ne tarderait pas à le briser.
Martyre de sainte Julie, compagne de sainte Eulalie.
Avant la fin de ce premier jour Julie avait déjà cueilli la palme du martyre ; mais nous n’avons aucun détail sur son attitude devant le juge ni sur la nature de son supplice.
Le lendemain, Calpurnien se rendit de bonne heure à son tribunal établi sur la place publique. Tous les habitants comparaissaient les uns après les autres. Ceux qui consentaient à sacrifier étaient renvoyés ; ceux qui, par leur refus, confessaient Jésus-Christ, livrés au supplice. Les tourments avaient un tel caractère d’atrocité que les chrétiens timides en étaient épouvantés ; quelques-uns d’entre eux abjuraient à la première sommation ; d’autres cherchaient des compromis pour sauvegarder à la fois leur conscience et leur vie ; mais l’impitoyable magistrat avait l’œil à tous les subterfuges et ramenait inexorablement les hésitants à la terrible alternative : ou sacrifier ou mourir.
Les derniers combats.
Tandis que d’un côté l’appel se continuait et que de l’autre on torturait les chrétiens demeurés fidèles, Calpurnien donna l’ordre de ramener Eulalie en sa présence. Quel ne fut pas son étonnement de la trouver aussi intrépide, aussi attachée à sa foi que la veille ! Il la condamna à subir une nouvelle flagellation. Mais on ne se contenta plus d’y employer les verges ordinaires ; on se servit de baguettes mouillées et de lanières de cuir armées de balles de plomb. Le corps de la victime ne fut bientôt plus qu’une plaie et ses os parurent à découvert. Cependant, disent les Actes, levant les yeux, elle chantait :
– Qu’ils sont beaux, Seigneur, les caractères que vous imprimez sur tous mes membres ! Qu’ils y marquent bien votre nom, et avec la pourpre de mon sang, les trophées de votre mort !
Cette sérénité étonnante dans des supplices si atroces, cette naïve joie d’enfant dans des déchirements si cruels dépassaient les forces de la nature. La miraculeuse puissance et la divine bonté du Christ éclataient à tous les yeux. Les cris de haine des païens avaient cessé de se faire entendre ; et même çà et là des larmes furtives tombaient des yeux. Calpurnien n’en fut que plus exaspéré. Successivement, et avec des intervalles, comme pour donner à la victime le temps de mieux déguster la souffrance, on lui versa de l’eau bouillante sur la poitrine, on la plongea dans un bain de chaux embrasée, on l’inonda de plomb fondu. Mais, après chacun de ces tourments, les chairs, au lieu de se détacher en lambeaux, se raffermissaient à vue d’œil ; les cicatrices se fermaient, la peau reprenait sa carnation et sa fraîcheur, et l’enfant apparaissait plus belle encore qu’auparavant. Ce qui frappait surtout les assistants, c’est que son corps devenait lumineux et que l’on éprouvait une joie ineffable à la contempler.
Incapable de rien comprendre à ce spectacle, Calpurnien attribuait à la magie les prodiges dont il était le témoin. Aussi, loin d’en être éclairé et converti, il n’en éprouvait qu’un nouveau sujet d’irritation.
– Qu’on saisisse, s’écria-t-il, cette jeune fille, rebelle aux ordres sacrés de nos empereurs, qu’on la conduise hors de la ville, au lieu de supplice réservé aux criminels, qu’on l’étende sur le chevalet, qu’on lui arrache les ongles, qu’on lui brûle les flancs avec des torches ardentes et qu’on la jette, pour en finir, toute vive dans les flammes !
Cette sentence atroce ne fît qu’accroître la joie de l’héroïque enfant. Enfin elle touchait au terme de sa course ; elle allait monter au ciel ! Le vieux récit de son martyre rapporte qu’elle voyait en ce moment à ses côtés les anges envoyés par le Christ pour lui prêter assistance. Elle s’entretenait silencieusement avec eux, ne leur demandant qu’une grâce, celle de ne pas s’opposer à la consommation de son martyre.
Le bûcher.
Dans leur empressement servile à exécuter l’ordre reçu, les bourreaux ne permirent même pas à Eulalie de reprendre ses vêtements et ils la poussèrent devant eux en cet état. C’était à qui l’accablerait le plus. Les uns, en la frappant, la renversaient à terre ; d’autres, la saisissant aux cheveux, la traînaient par le chemin. Parvenus hors de la ville, ils exécutèrent à la lettre les volontés de leur maître, y ajoutant encore d’eux-mêmes de plus affreux tourments. Leurs crocs de fer lui déchirèrent les flancs ; leurs torches embrasées lui brûlèrent les côtés à une si grande profondeur que les entrailles étaient mises à découvert. La martyre ne semblait rien sentir. Le peuple, au contraire, était consterné à ce spectacle d’horreur.
Quant à Calpurnien, on l’avait vu suivre l’escorte, applaudir aux raffinements de cruauté des tortionnaires, puis, arrivé au lieu du supplice, se placer tout près de la victime afin de ne rien perdre des palpitations de la douleur. Eulalie l’aperçut et, se relevant avec énergie, elle l’apostropha d’une voix forte qui fut entendue de tous les spectateurs :
– Tu te repais de mon agonie, juge méchant, lui cria-t-elle. Eh bien, écoute-moi, je n’ai que quelques mots à te dire ; regarde-moi avec attention, considère bien ma figure et tous mes traits ; grave-les soigneusement en ta mémoire, afin que lu puisses sans hésiter les reconnaître un jour ; car tu me reverras.
Les forces trahissant son courage, elle s’arrêta, mais un instant après :
– Oui, tu me reverras, reprit-elle avec un ton d’exaltation sublime, au jour du jugement de Dieu, alors que, toi et moi, nous comparaîtrons au tribunal de Jésus-Christ, notre commun Seigneur, moi, pour recevoir l’éternel et joyeux salaire des tourments que j’endure, toi pour être à jamais châtié de l’inhumanité que tu déploies.
Quand le bûcher eut été dressé, on y fit entrer la victime ; la torche y fut appliquée ; les langues de feu montèrent, léchant ses membres délicats, et elles s’élevèrent bientôt jusqu’à la figure. Alors, inclinant doucement la tête, elle se pencha vers la flamme, ouvrit la bouche, comme pour l’aspirer et la boire et, à l’instant, les flammes s’éteignirent, le corps s’affaissa avec grâce ; Eulalie venait de rendre le dernier soupir. Tous, chrétiens et infidèles, virent alors de ses lèvres expirantes s’échapper une blanche colombe qui, légère et rapide, s’élança vers le ciel. Nul ne douta que ce ne fût l’âme très pure de la vierge qui s’envolait vers Dieu.
La mémoire de sainte Eulalie.
Les bourreaux stupéfaits s’étaient hâtés de fuir. Calpurnien, ordonna que le corps demeurât trois jours exposé aux insultes des païens et à la voracité des oiseaux de proie. Mais Dieu prit soin des restes mortels de sa servante. Une neige d’une éclatante blancheur tomba du ciel et la couvrit de flocons épais. Quand les chrétiens relevèrent le corps de la martyre quel ne fut pas leur étonnement de remarquer que cette neige avait effacé jusqu’à la plus légère trace du feu, cicatrisé les blessures et communiqué à la virginale dépouille une beauté plus merveilleuse que celle de la vie.
Au temps de Prudence s’élevait sur le tombeau d’Eulalie une riche basilique, décorée de marbres, d’or et de mosaïques.
L’Espagne entière se faisait un devoir d’y accourir. Saint Grégoire de Tours raconte qu’un insigne miracle s’y opérait chaque année. Au jour de la fête de sainte Eulalie, le 10 décembre, anniversaire de sa mort, trois arbres se couvraient de feuilles sauf, pourtant, lorsque le peuple, par ses péchés, s’était rendu digne de châtiment, auquel cas la miraculeuse verdure n’apparaissait pas tant que les coupables n’avaient pas fait pénitence.
Les historiens d’Espagne nous apprennent que la Sainte apparut à Théodoric, roi des Goths, pour lui faire lever le siège d’Emerita. Comme sainte Agathe et comme sainte Lucie, ses sœurs, elle était devenue la protectrice de sa patrie. Mais le rayonnement de son culte en dépassa vite les limites, puisque Bordeaux et Montpellier la choisirent pour patronne.
A quel point le culte de la vierge de Merida était populaire en deçà comme au-delà des Pyrénées, nous en avons une preuve dans la Cantilène de sainte Eulalie, œuvre poétique en langue romane, c’est-à-dire en français primitif, composée dès la fin du ixe siècle, le plus ancien monument connu de la poésie française.
L.-E.-B. Wohl.
Sources consultées. — Abbé F. Martin, Les Vierges martyres, t. II (Paris, 1874). — Paul Allard « Les persécutions en Espagne pendant les premiers siècles du christianisme », dans Revue des Questions historiques (Paris, 1886). — (V. S. B. P., n° 200.)