Duchesse de Thuringe, veuve (1207–1231)
Fête le 19 novembre.
Riches ou pauvres, vierges du cloître ou chrétiennes vivant dans le monde, chacun peut trouver des leçons dans la vie de sainte Elisabeth de Hongrie. Fille de rois, elle fut au comble des joies de la terre et en connut les extrêmes misères ; elle ne vécut que vingt-quatre ans, mais ce peu de temps lui suffit pour qu’elle se montrât le modèle accompli des enfants et des fiancées, des épouses et des mères, des veuves et des religieuses, prompte à se sacrifier dans l’adversité comme dans la prospérité.
Un don du ciel.
Son père était André II, roi de Hongrie, et sa mère, Gertrude de Méranic, qui devait mourir assassinée en 1213. Elle vint au monde en 1207, le 7 juillet croit-on, à Presbourg ; son baptême fut célébré avec une grande magnificence.
Elisabeth n’avait encore que trois ans, et déjà elle donnait des marques d’une sainteté précoce. Son cœur, en même temps que son esprit, s’ouvrait à tous les sentiments de la foi et à tous les préceptes de la charité. Les pauvres étaient ses meilleurs amis, et on se plaisait à remarquer que, depuis la naissance de cette enfant bénie, les guerres avaient cessé en Hongrie, les dissensions intérieures s’étaient apaisées, les excès et les blasphèmes étaient moins fréquents.
Dieu, jaloux de la gloire de ses élus, entoura le berceau de l’humble Elisabeth d’une auréole de poésie et de gloire populaire. Le landgrave Hermann, duc de Thuringe, prince de Hesse et de Saxe et comte palatin, favorisait de tout son pouvoir les savants et les poètes ; or, l’un d’eux, le célèbre Klingsor, connu dans toute la Germanie, inspiré sans doute, avait dit un jour aux seigneurs de Hesse et de Thuringe :
Je vous apprendrai quelque chose de nouveau et de joyeux aussi ; je vois une belle étoile qui se lève en Hongrie et qui rayonne de là à Marbourg, et de Marbourg dans le monde entier. Sachez que, cette nuit même, il est né à Monseigneur le roi de Hongrie une fille qui sera donnée en mariage au fils du prince d’ici, qui sera sainte, et dont la sainteté réjouira et consolera toute la chrétienté.
Les assistants entendirent cette parole avec une grande joie et allèrent la répéter au duc. Celui-ci, ayant su qu’en effet le roi de Hongrie avait eu une fille, s’enquit plus tard des dispositions de cette enfant, et apprit avec bonheur tout ce qu’on disait de sa sainteté.
Fiançailles précoces.
C’en fut assez pour décider Hermann à demander la main de l’enfant au nom de son fils Louis, le futur Louis IV, suivant l’usage de l’époque qui permettait de conclure des alliances très précoces entre les familles souveraines. Le duc envoya donc des ambassadeurs au roi de Hongrie, et celui-ci ayant favorablement accueilli leur demande, Elisabeth, âgée seulement de quatre ans, leur fut amenée enveloppée d’une robe de soie brodée d’or et d’argent. On la coucha dans un petit lit d’argent massif, et les ambassadeurs l’emmenèrent, au milieu des larmes des parents et du peuple qui la chérissait.
Les fiançailles furent célébrées aussitôt après l’arrivée des ambassadeurs. Il y eut des banquets et des fêtes somptueuses données au peuple, et dès lors, Louis, alors âgé de onze ans, et Elisabeth, élevés ensemble, partagèrent les mêmes jeux et ne firent plus qu’un cœur et qu’une âme.
Chaque fois qu’elle le pouvait, l’enfant entrait dans la chapelle du château, faisait ouvrir un grand psautier, bien qu’elle ne sût pas lire, puis, joignant les mains et levant les yeux, elle se livrait avec un recueillement merveilleux à la méditation et à la prière.
Souvent elle conduisait ses amies au cimetière et leur disait :
– Souvenez-vous que nous ne serons un jour rien que de la poussière. Ces gens ont été vivants comme nous le sommes, et sont maintenant morts comme nous le serons ; c’est pourquoi il faut aimer Dieu. Mettons-nous à genoux, et dites avec moi : « Seigneur, par votre mort cruelle et par votre chère Mère Marie, délivrez ces pauvres âmes de leur peine ; Seigneur, par vos cinq plaies sacrées, faites-nous sauvés. »
Sa charité était sans bornes. Elle donnait tout ce qu’elle avait, et elle allait sans cesse dans les offices et les cuisines du château pour y ramasser des restes qu’elle portait avec soin aux pauvres, au vif mécontentement des officiers de la maison ducale.
Humilité et humiliations.
Elisabeth avait à peine atteint sa neuvième année quand elle perdit son beau-père (1216), le landgrave Hermann, qui avait toujours été un père pour elle. Louis, son fiancé, était trop jeune encore pour gouverner par lui-même. Il était sous la surveillance de sa mère, la duchesse Sophie, qui voyait avec déplaisir l’extrême dévotion d’Élisabeth et lui en faisait d’amers reproches.
Un jour de l’Assomption, la duchesse Sophie emmena avec elle sa fille Agnès et Elisabeth, leur disant :
– Descendons à la ville, allons à l’église de notre chère Dame. Mettez vos plus beaux habits et vos couronnes d’or.
Les jeunes princesses obéirent ; elles allèrent à l’église et se prosternèrent devant un grand Crucifix. A la vue du Sauveur mourant, Elisabeth déposa sa couronne et se prosterna le visage contre terre.
– Qu’avez-vous donc ? lui dit brusquement la duchesse. Qu’allez-vous faire de nouveau, Mademoiselle Elisabeth ? Les demoiselles doivent se tenir droites, et non se jeter par terre comme des folles ou comme de vieilles nonnes qui se laissent tomber à la façon de mules fatiguées. Ne pouvez-vous pas faire comme nous, au lieu de vous comporter comme les enfants mal élevés ? Est-ce que votre couronne est trop lourde ? A quoi sert de rester ainsi ployée en deux comme un paysan ?
Elisabeth se releva humblement :
– Chère dame, ne m’en voulez pas. Voici devant mes yeux mon Dieu et mon Roi, ce doux et miséricordieux Jésus, qui est couronné d’épines aiguës, et moi qui ne suis qu’une vile créature, je resterais devant lui couronnée de perles, d’or et de pierreries ! Ma couronne serait une dérision de la sienne !
Et aussitôt elle se mit à pleurer amèrement, car l’amour du Christ avait déjà blessé son cœur.
Non contents de l’injurier en public et en particulier, les officiers de la cour cherchèrent à détourner le jeune Louis de l’amour qu’il avait voué à Elisabeth. Ils disaient tout haut qu’une pareille béguine n’était pas faite pour leur prince, et qu’il fallait la renvoyer à son père. Mais Louis fut aussi sourd à leurs discours qu’il l’était à ceux de sa mère et de sa sœur Agnès.
– Voyez-vous, leur dit-il, cette grande montagne en face de nous ? Eh bien, quand même vous me donneriez une quantité d’or plus considérable que cette masse gigantesque, je ne renverrais pas Elisabeth.
Bonheur conjugal.
Enfin, en 1220, malgré tant d’oppositions, le mariage fut célébré au château de la Wartbourg. Louis avait vingt ans ; Elisabeth n’en avait que treize. Tous deux étaient innocents, encore plus par le cœur que par l’âge ; tous deux étaient unis encore plus par la foi que par la tendresse ; ils s’aimèrent en Dieu d’un incroyable amour. Ils étaient d’ailleurs dignes l’un de l’autre, car Louis avait les qualités morales d’un souverain chrétien. Passionné pour la justice, il employait toute la sévérité nécessaire pour punir les violateurs de ses lois. Il éloigna de la cour et priva de leurs emplois ceux qui opprimaient le peuple et étaient orgueilleux envers les pauvres. Les blasphémateurs étaient condamnés à porter pendant un certain temps un signe public d’ignominie. Inflexible envers ceux qui outrageaient la loi de Dieu, il était plein d’indulgence envers ceux qui lui manquaient à lui-même. Il était d’une prudence consommée et d’une véracité à toute épreuve. Toute sa vie pouvait se résumer dans la noble devise qu’il s’était choisie : « Piété, chasteté, justice. »
Elisabeth, de son côté, unissait en elle tous les avantages extérieurs aux vertus qui pouvaient la rendre chère à son mari. Malgré sa grande jeunesse et la vivacité presque enfantine de son amour pour lui, elle n’oubliait jamais qu’il était son chef, comme Jésus-Christ est le chef de l’Eglise, et elle lui était soumise. Du reste, le jeune prince lui accordait une pleine liberté pour ses œuvres de prière et de charité, et elle, se confiant en la piété et en la sagesse de son époux, ne lui cachait aucune de ses mortifications. Ils se faisaient mutuellement de douces exhortations pour avancer ensemble dans le chemin de la perfection, et cette sainte émulation les fortifiait et les maintenait dans le service de Dieu.
Consciente que la grâce que Dieu lui avait faite en l’unissant à un si saint mari l’obligeait à une fidélité plus grande envers son bienfaiteur céleste, Elisabeth n’oubliait pas dans son bonheur que nous sommes sur la terre pour souffrir, expier et mériter le ciel. Sous ses riches vêtements, elle portait toujours un cilice ; tous les vendredis et chaque jour en Carême, elle se faisait donner la discipline et reparaissait ensuite à la cour avec un visage joyeux.
Sa charité. – Miracles des roses et du manteau d’azur.
Le tendre amour d’Elisabeth envers les pauvres augmentait chaque jour. Elle donnait si rapidement tout ce qu’elle avait qu’il lui arriva souvent d’être obligée de prendre de ses propres vêtements pour soulager les malheureux.
De pauvres paysans étant venus se plaindre à elle que les serviteurs du duc leur avaient enlevé tous leurs bestiaux, elle courut chez son époux et en obtint la restitution immédiate.
Un jour qu’elle descendait par un petit sentier très rude et que l’on montre encore, portant dans son manteau du pain, de la viande, des œufs et autres aliments destinés aux pauvres, elle se trouva tout à coup en face de son mari. Etonné de la voir ainsi ployant sous le poids de son fardeau :
– Voyons ce que vous portez, lui dit-il.
En même temps il ouvre le manteau qu’elle tenait serré contre sa poitrine. Mais il n’y avait plus que des roses blanches et rouges, ce qui le surprit d’autant plus que ce n’était plus la saison des fleurs. Elisabeth se troublant, il voulut la rassurer ; mais il s’arrêta tout à coup en voyant apparaître sur sa tête une image lumineuse en forme de croix
Parmi tous les malheureux, les lépreux étaient l’objet de la plus tendre sollicitude de la bonne duchesse. Ayant rencontré un jour un de ces infortunés qui souffrait en outre d’une maladie de tête et dont l’aspect était horrible, elle le fit venir en secret, lui coupa elle-même les cheveux, le lava et lui pansa la tête, qu’elle tenait sur ses genoux.
Un Jeudi-Saint, elle rassembla un grand nombre de lépreux, leur lava les pieds et les mains, puis, se prosternant devant eux, elle baisa humblement leurs plaies et leurs ulcères.
Une autre fois, pendant l’absence du duc, Elisabeth, ayant soigné les pauvres et les malades avec un redoublement de zèle, prit l’un d’eux, un pauvre petit lépreux que tout le monde rebutait, le baigna elle-même, l’oignit d’un onguent et le déposa dans son propre lit. Le duc était revenu sur ces entrefaites, et, prévenu par sa mère, était prêt à se courroucer contre Elisabeth, quand, à la place de l’enfant lépreux, il vit Jésus-Christ lui-même crucifié et étendu dans le lit.
Elle obéissait avec une grande humilité et une parfaite exactitude à un prêtre nommé Conrad, directeur de sa conscience ; elle lui faisait connaître son âme avec beaucoup de confiance et de sincérité, pour recevoir ses conseils.
Dieu se plaisait parfois à récompenser par des prodiges l’esprit de pauvreté et de détachement de sa servante. Un jour qu’il y avait à la cour de Thuringe une grande assemblée de seigneurs, le duc vint tout affligé auprès de sa femme, lui reprochant de n’avoir aucun vêtement richement brodé et qui leur fît honneur.
– Mon cher seigneur, il faut, répond la duchesse, que cela ne t’inquiète pas, car je suis bien résolue à ne jamais mettre ma gloire dans mes vêtements. Je saurai bien m’excuser envers ces seigneurs et je m’efforcerai de les traiter avec tant de gaieté et d’affabilité, que je leur plairai autant que si j’avais les plus beaux habits.
Et aussitôt elle se met en prières, demandant à Dieu de lui venir en aide. Or, au grand étonnement du duc, elle parut revêtue d’un manteau de velours d’azur tout parsemé de perles.
– Voilà, fît-elle en souriant doucement, ce que sait faire le Seigneur quand cela lui plaît.
Le deuil et la misère.
Cependant, le moment de l’épreuve arrivait. A l’appel du Souverain Pontife, en 1227, les princes chrétiens s’étaient armés pour aller combattre les infidèles, et le pieux et vaillant Louis s’était enrôlé des premiers dans la sainte milice. Malgré sa trop légitime douleur, Elisabeth lui avait dit :
– Contre le gré de Dieu, je ne veux pas te garder. Que Dieu t’accorde la grâce de faire en tout sa volonté ! je lui ai fait le sacrifice de toi et de moi-même. Que sa bonté veille sur toi ! que tout bonheur soit avec toi à jamais ! Pars donc au nom de Dieu.
Louis partit couvert des larmes de sa chère épouse, pour qui le bonheur d’ici-bas était à jamais évanoui. En effet, le duc ne devait pas revenir : il mourut en route, laissant aux chevaliers qui l’entouraient le douloureux devoir de rapporter à la duchesse de Thuringe les dernières paroles de tendresse qu’il prononça en pensant à elle.
De leur chaste et courte union, Louis et Elisabeth avaient eu quatre enfants. Hermann, l’aîné, devait succéder à son père, sous la tutelle de ses oncles Henri et Conrad ; mais ces deux hommes dénaturés, au lieu de protéger la veuve et les orphelins, chassèrent du palais Elisabeth et ses enfants, lui refusant d’emporter quoi que ce fût avec elle. La fille des rois descendit à pied le rude sentier qui menait à la ville. Elle portait dans ses bras son plus jeune enfant, qui n’avait pas deux mois ; les trois autres la suivaient, accrochés à ses jupes. Le froid était rigoureux. Elisabeth, au temps de sa grandeur, avait comblé les habitants d’Eisenach de ses bienfaits ; aucun cependant, par crainte du duc Henri, ne voulut la recevoir. Elle ne trouva d’asile que dans une étable à pourceaux. Ce dernier degré d’humiliation ramena le calme dans son âme ; elle sécha ses larmes, et elle se sentit remplie d’une joie surnaturelle. Elle entendit sonner Matines chez les Franciscains, entra dans leur église, et là elle épancha son âme dans les élans de la plus vive reconnaissance envers le Dieu pauvre et humilié qui l’appelait à l’honneur de partager ses opprobres.
Cependant, la vue de ses pauvres enfants, mourant de froid et de faim, ramena dans Elisabeth le sentiment de la douleur. Elle s’accusa alors d’être la cause de tant de maux, l’attribuant à ses péchés.
L’ingratitude humaine ne se montra jamais plus grande que chez les habitants d’Eisenach. Il y avait, entre autres, une vieille mendiante, qui avait été longtemps l’objet des soins d’Elisabeth. Un jour que celle-ci passait un ruisseau bourbeux sur quelques pierres étroites jetées là pour aider à le franchir, elle y rencontra cette même vieille qui, la bousculant rudement, la fit tomber, en criant :
– Tu n’as pas voulu vivre en duchesse pendant que tu l’étais ; te voilà pauvre et couchée dans la boue ; ce n’est pas moi qui te ramasserai.
Elisabeth se releva en riant.
– Voilà, dit-elle, pour l’or et les pierreries que je portais autrefois.
Renoncements. – Sous la livrée de sainte Claire.
Cependant, la famille d’Elisabeth s’émut en apprenant ses épreuves, et, tour à tour, sa tante, l’abbesse Mathilde, et son oncle, l’évêque de Bamberg, lui donnèrent asile à elle et à ses enfants. Ils voulurent même la décider à se remarier et à épouser l’empereur Frédéric II, mais Elisabeth n’avait plus de pensée que pour Dieu, et, dans son cœur de vingt ans, le dernier cri de la nature vaincue fut celui qu’elle poussa en voyant les restes de son mari :
« Vous savez, ô mon Dieu ! combien j’ai aimé cet époux qui vous aimait tant ; vous savez que j’aurais mille fois préféré à toutes les joies du monde sa présence qui m’était si délicieuse ; vous savez que j’aurais voulu vivre toute ma vie dans la misère, lui pauvre et moi pauvresse, mendiant de porte en porte le bonheur d’être avec lui, si vous l’aviez permis, ô mon Dieu ! Maintenant, je l’abandonne et je m’abandonne moi-même à votre volonté. Et je ne voudrais pas, quand même je le pourrais, racheter sa vie au prix d’un seul cheveu de ma tête, à moins que ce ne fût votre volonté, ô mon Dieu ! »
Les chevaliers qui avaient accompagné le duc Louis et ramené ses restes en Thuringe ne purent voir sans indignation comment Henri et Conrad se comportaient à l’égard de leur belle-sœur. Par des remontrances et peut-être surtout par des menaces ils décidèrent les princes à lui rendre justice, à réintégrer le jeune landgrave Hermann dans ses droits et à rappeler Elisabeth au château de la Wartbourg. Elisabeth n’eut que des paroles de douceur à l’égard de ces parents qui l’avaient persécutée.
Du reste, le duc Henri, à qui appartenait de droit la régence pendant la minorité d’Hermann, la combla désormais d’égards et lui laissa une entière indépendance pour ses œuvres de piété et de charité. Le 23 mars 1228, qui était le Vendredi-Saint, elle fît solennellement profession dans le Tiers-Ordre séculier fondé par saint François d’Assise qui devait être canonisé quatre mois plus tard. En 1229, devenue fondatrice d’un Institut religieux apparenté à l’Ordre de sainte Claire, mais à vœux simples et sans clôture, ce qui lui permettait de servir les malades de l’hôpital, Elisabeth revêtit pour toujours les livrées religieuses, et prononça avec quelques compagnes les trois vœux de religion. Mais tout cela était peu, elle fit le sacrifice héroïque de se séparer de ses enfants. Deux de ses filles furent placées, suivant les mœurs du temps, dans des couvents, où elles prirent plus tard le voile ; une autre était fiancée au duc de Brabant.
La mort.
Un jour qu’elle était malade et qu’elle semblait dormir retournée contre la muraille, une de ses compagnes entendit comme une douce mélodie s’échappant des lèvres de la jeune religieuse.
– Oh ! Madame, lui dit-elle, que vous avez délicieusement chanté !
– Quoi ! répondit Elisabeth, as-tu donc entendu quelque chose ! Je te dirai qu’un charmant petit oiseau est venu se poser entre moi et la muraille ; et il m’a chanté d’une manière si douce et si suave, et il a tellement réjoui mon cœur et mon âme, qu’il m’a bien fallu chanter aussi. Il m’a révélé que je mourrais dans trois jours.
C’était, sans doute, ajoute le chroniqueur, son ange gardien qui venait ainsi miraculeusement l’avertir. Elisabeth se prépara aux noces de l’Agneau. Elle expira en prononçant ces paroles : « Ô Marie ! viens à mon secours… Le moment arrive où Dieu appelle ses amis à ses noces. L’Epoux vient au-devant de l’épouse. Silence ! Silence ! » C’était dans la nuit du 19 novembre 1231. Ses funérailles furent un triomphe. Les Frères Mineurs transportèrent son corps dans la chapelle de l’hôpital Saint-François où il resta exposé quatre jours entiers ; un suave parfum s’en exhalait. On l’ensevelit ensuite dans la chapelle même ; les fidèles venaient prier sur son tombeau et obtenaient de nombreuses grâces ; des malheureux, atteints de toute espèce d’infirmités, s’en retournaient guéris. Lorsqu’elle eut été canonisée par Grégoire IX du vivant de son père, le 27 mai 1235, on remplaça la chapelle par une grande et magnifique église, et les reliques de sainte Elisabeth furent déposées dans une belle châsse. Elles furent profanées et dispersées, à la Réforme, et on en a perdu la trace certaine. On les croit cependant à Vienne, au couvent des Elisabéthines, sauf le crâne, lequel fut acquis, à la fin du xvie siècle, par l’infante d’Espagne Isabelle-Claire-Eugénie ; celle-ci le fit transporter à Bruxelles, d’où il passa au château de La Roche-Guyon, dans l’actuel département de Seine-et-Oise, et de là, en 1830, à Besançon qui le conserve depuis lors. La fête de la Sainte a été portée au rite double par Clément X, le 29 mars 1671.
A. E. A.
Sources consultées. – Comte de Montalembert, Histoire de sainte Elisabeth de Hongrie, duchesse de Thuringe. – P. Léopold de Chérancé, O. M. G., Sainte Elisabeth de Hongrie (Paris, 1927). – (V. S. B. P., nos 41 et 1185.)