Sainte Odile

Abbesse de Hohembourg et patronne de l’Alsace († 720).

Fête le 13 décembre.

Odile, cette fleur si suave dont le par­fum embaume encore l’Alsace, sor­tit d’une tige illustre, qui pro­dui­sit des rois, des évêques, des Papes et des Saints. Son père, troi­sième duc d’Alsace, s’appelait Adalric : en deve­nant chré­tien, il n’avait pas dépouillé com­plè­te­ment la vio­lence du bar­bare. Sa mère, Bereswinde, parente de saint Léger, évêque d’Autun, était, au contraire, douce, pieuse, aimante, charitable.

L’aveugle-née.

L’enfant naquit au viie siècle, à Obernai, au pied du Hohembourg, rési­dence ducale qui comp­tait alors huit cents feux. Sa nais­sance, d’abord saluée avec joie, fut sui­vie d’une amère décep­tion : Odile était aveugle.

– Ah ! s’écria le duc, la colère de Dieu me pour­suit ; pareil opprobre ne s’est jamais vu par­mi ceux de ma race.

Cédant à ses ins­tincts natu­rels, il ne recu­la pas devant la pen­sée d’un meurtre odieux, et il mit la tendre Bereswinde dans la ter­rible alter­na­tive ou de faire périr sa fille, ou de la sous­traire à tous les regards humains, pour cacher ce qu’il croyait un déshonneur.

Bereswinde, pour sau­ver son enfant, la confia, à l’insu d’Adalric, à une femme de Scherwiller, près Sélestat, qui avait été autre­fois sa sui­vante. Celle-​ci obtem­pé­ra si bien aux dési­rs de son ancienne maî­tresse que, dans la contrée, on se deman­da bien­tôt quelle pou­vait être cette petite aveugle, objet de tant de soins. Les sup­po­si­tions com­men­cèrent à cou­rir, et Bereswinde, aver­tie par la sui­vante, lui don­na l’ordre de quit­ter Scherwiller au plus vite pour se réfu­gier dans un monas­tère appe­lé Palme ou Balma, actuel­le­ment Baume-​les-​Dames. Les fugi­tives y furent accueillies par une amie de Bereswinde, qui pour­vut à leur entretien.

Son baptême.

L’enfant gran­dit au milieu des reli­gieuses, sous le regard de Dieu. L’histoire est muette sur les années ain­si pas­sées dans cette pieuse retraite par la jeune prin­cesse jusqu’au moment de son bap­tême, qu’elle reçut à l’âge de douze ans.

Un jour, saint Ehrard, évêque de Ratisbonne, eut une vision. « Lève-​toi, lui dit le Seigneur, pars pour le monas­tère de Palma : tu y trou­ve­ras une jeune fille aveugle de nais­sance. Prends-​la et baptise-​la au nom de la Sainte Trinité ; impose-​lui le nom d’Odile, et aus­si­tôt bap­ti­sée, elle recou­vre­ra la vue. »

Ehrard se hâta de par­tir et s’adjoignit en che­min le moine Hidulphe, son frère, alors reti­ré au monas­tère de Moyenmoutier, dans les Vosges. La céré­mo­nie du bap­tême s’accomplit sui­vant les rites de l’époque. Hidulphe tint la jeune fille sur les fonts, Erhard répan­dit sur elle l’eau sainte et fit ensuite sur ses yeux Fonction du saint-​chrême en disant : « Au nom du Seigneur Jésus-​Christ, que ton corps voie comme ton âme ! »

Ô pro­dige ! A ce moment les yeux d’Odile se des­sillèrent et leur pre­mier regard fut pour le ciel. L’évêque et le moine, les reli­gieuses, la jeune vierge, se lais­sèrent aller aux trans­ports de leur reconnais­sance et glo­ri­fièrent Dieu. Pour consom­mer cette œuvre, Ehrard bénit un voile, en cou­vrit la tête d’Odile et la consa­cra au Seigneur, puis il reprit le che­min de la Bavière, pen­dant qu’Hidulphe allait por­ter la nou­velle du miracle à Hohembourg. Adalric, occu­pé à guer­royer, fut peu tou­ché par l’événement, il ne se sou­cia nul­le­ment de rap­pe­ler Odile.

Retour d’exil.

La mira­cu­lée apprit alors le secret de son ori­gine. Dès ce jour son cœur si tendre se trans­por­ta bien sou­vent au châ­teau d’Hohembourg, auprès de son père qu’elle ne pou­vait pas croire insen­sible à son amour filial, auprès de sa mère qu’elle ché­ris­sait sans l’avoir jamais vue, auprès de ses frères et de sa sœur.

Un jour que le désir de revoir ces êtres aimés la pres­sait plus que de cou­tume, elle réso­lut d’adresser un mes­sage à son frère, Hugues, dont on van­tait la géné­ro­si­té, afin de le sup­plier de mettre fin à l’exil si dur qu’elle subis­sait. Hugues, ayant lu la lettre de sa sœur, ne crai­gnit pas d’aller trou­ver Adalric :

– Très aimé sei­gneur, dit-​il, votre fille est en pays étran­ger, elle n’a pas la conso­la­tion de connaître son père et sa mère ; j’ose deman­der qu’elle puisse venir dans votre demeure et paraître en votre présence.

Adalric arrê­ta brus­que­ment son fils et le ren­voya avec dureté.

Mais Hugues aimait trop sa sœur incon­nue pour se décou­ra­ger. Jugeant le cœur de son père par le sien propre, il pen­sa qu’en plai­dant elle-​même de vive voix sa cause, Odile réus­si­rait là où il avait échoué. Il dépê­cha donc à l’insu d’Adalric une voi­ture et des gens du châ­teau pour aller cher­cher l’exilée.

Comme le duc était sur le Hohembourg avec son fils, il aper­çut dans la plaine une voi­ture et un nom­breux cortège.

– Que veulent ces gens ? demanda-t-il.

Hugues ne put se conte­nir et s’écria :

– C’est notre sœur qui revient !

La colère d’Adalric fut prompte et ter­rible. Hugues tout conster­né se jeta aux pieds de son père pour apai­ser son cour­roux, mais le duc hors de lui frap­pa d’un coup de bâton violent le géné­reux ado­les­cent qui s’affaissa et mourut.

Adalric, com­pre­nant la cruau­té de son acte, fut sai­si de remords ; « Malheur à moi, gémit-​il, parce que j’ai gran­de­ment encou­ru la colère du Père suprême pour avoir tué mon fils !… » Puis il réso­lut de vivre dans un cloître où il s’efforcerait d’apaiser Dieu par la péni­tence. Son carac­tère fut si chan­gé qu’il res­sen­tit une vive ten­dresse pour la fille qu’il avait jusque-​là mépri­sée. Il se rap­pe­la la détresse d’Odile et ordon­na à ses ser­vi­teurs de la rame­ner auprès de lui, puis, réso­lu à la trai­ter avec plus d’humanité, il la lais­sa libre d’entrer dans un monas­tère et pro­mit de lui accor­der ce qui conve­nait à une ser­vante de Dieu.

Un jour, le duc ren­con­tra sa fille cachant sous son man­teau un vase plein de farine. Touché de son aspect doux et humble :

– Très chère fille, lui dit-​il, où vas-​tu ? Que portes-tu ?

Odile répon­dit :

– Seigneur, je porte un peu de farine, afin d’en faire de la nour­riture pour quelques pauvres.

Le duc ému poursuivit :

– Ne t’afflige pas d’avoir mené jusqu’ici une vie misé­rable ; grâce à Dieu, lu vas en sor­tir bien­tôt avec éclat.

Le même jour, en effet, Adalric fit dona­tion à sa fille du châ­teau de Hohembourg avec toutes ses dépen­dances, en la sup­pliant d’y implo­rer sans cesse, avec le secours d’une Congrégation pieuse, la clé­mence divine pour le par­don de ses crimes.

Le manus­crit de Saint-​Gall, qui date de la pre­mière moi­tié du xe siècle et consti­tue la plus ancienne bio­gra­phie connue de sainte Odile, ne fait pas remon­ter la fon­da­tion du monas­tère de Hohembourg au retour immé­diat de la Sainte chez son père. Il laisse Odile dans un humble cloître où elle n’est qu’une simple reli­gieuse comme ses com­pagnes. Ce n’est qu’au bout d’un cer­tain temps qu’Adalric aurait été tou­ché des ver­tus de sa fille et aurait son­gé alors à lui don­ner son propre châ­teau pour y éta­blir un monas­tère qu’elle diri­gerait elle-même.

La légende de la fuite en Brisgau.

Ici se place ce que M. Welschinger qua­li­fie à la fois de nar­ra­tion contes­table et de fic­tion tou­chante, le manus­crit de Saint-​Gall étant muet sur ce point.

Lorsqu’Odile revint d’exil, elle aurait vu de nom­breux sei­gneurs bri­guer 6a main. Un prince de Germanie aurait été agréé par Adalric et par Bereswinde. Odile, qui ne vou­lait d’autre époux que le Seigneur, refu­sa. Son père insis­tant et mena­çant de la marier de force, la pieuse vierge se cou­vrit de haillons et s’enfuit. Elle arri­va bien­tôt sur les bords du Rhin, qu’elle pas­sa sur le bate­let d’un pêcheur moyen­nant une petite pièce de mon­naie, et se mit à mar­cher à l’aventure. Mais on s’était aper­çu de sa fuite au châ­teau d’Hohembourg, et Adalric et ses quatre fils étaient par­tis à sa recherche dans toutes les directions.

Arrivée aux portes de Fribourg, Odile, hale­tante, épui­sée, venait de s’as­seoir au pied d’un rocher. Tout à coup elle entend le bruit du galop des che­vaux, puis elle dis­tingue quelques cava­liers et recon­naît bien­tôt son père. « O Sauveur des hommes, s’écrie la vierge éper­due, cachez-​moi dans le sein de votre misé­ri­corde. » Alors le rocher s’entr’ouvre et la dérobe à tous les regards. Adalric passe outre et revient déso­lé à Hohembourg.

Quelque temps après, il fai­sait publier à son de trompe, dans tous ses domaines, qu’il lais­se­rait sa fille en liber­té, si elle reve­nait auprès de lui. Odile quit­ta sa retraite et ren­tra au châ­teau, mais aupa­ra­vant elle fit con­struire un ora­toire auprès d’une fon­taine qui avait jailli du rocher où elle s’était cachée.

Sainte Odile frappe le rocher et de l’eau jaillit.

Fondation des monastères de Hohembourg et de Niedermunster.

La fille d’Adalric avait accep­té avec joie, pour ins­tal­ler son mona­stère en l’an 680, la cime de la mon­tagne la plus remar­quable de l’Alsace. Les tra­vaux d’aménagement de l’ancienne for­te­resse en bâti­ments conven­tuels et en lieux de culte se pro­lon­gèrent dix ans. Odile y avait réuni sous sa direc­tion cent trente reli­gieuses, par­mi les­quelles ses trois nièces : Eugénie, Attale et Gudelinde, filles de son frère Adalbert.

En rai­son de son empla­ce­ment à pic, à 744 mètres d’altitude, Hohembourg était d’un accès dif­fi­cile aux infirmes. L’abbesse, inquiète de les voir paraître trop rare­ment au monas­tère, pro­po­sa aux reli­gieuses d’élever sur le ver­sant infé­rieur du mont un édi­fice hospi­talier pour rece­voir les per­sonnes débiles. On construi­sit d’abord une église dédiée à saint Martin. L’habitation pro­je­tée pour la récep­tion des pauvres plut si bien aux com­pagnes d’Odile, qu’elles deman­dèrent la per­mis­sion d’y bâtir une mai­son de retraite, parce que celle du som­met souf­frait d’une grande pénu­rie d’eau. Ce second monas­tère prit le nom de Niedermunster ou « Monastère d’en bas ».

Quand ces divers tra­vaux furent ache­vés, l’abbesse convo­qua toutes les Sœurs pour les consul­ter sur le genre de vie auquel allaient leurs pré­fé­rences : la vie cano­niale ou la vie régu­lière. A l’unanimité, les reli­gieuses répon­dirent qu’elles optaient pour la seconde, c’est-à-dire pour la vie du cloître qui oblige à des vœux per­pé­tuels, à des austé­rités et à des macé­ra­tions très rigou­reuses ; mais Odile leur dit avec dou­ceur et humilité :

– Je sais, mes très chères sœurs et mes très chères mères, que nous dési­rons impa­tiem­ment subir les règles les plus dures et les plus sévères pour l’amour du Christ. Cependant, je crains que si vous choi­sis­sez la vie régu­lière, vous n’encouriez les plaintes de celles qui vous suc­cé­de­ront, parce que ce lieu est, comme vous le savez, très pénible pour ce genre de vie, à tel point qu’on ne peut s’y pro­curer de l’eau sans les plus grandes dif­fi­cul­tés. J’en conclus, si cela convient à votre sagesse, qu’il vau­drait mieux suivre la vie canoniale.

Dociles au conseil, les reli­gieuses ado­ptèrent cette règle, qui impose la vie habi­tuelle de com­mu­nau­té et dans laquelle ont per­sé­vé­ré depuis toutes celles qui ont vécu dans les deux monastères.

Sainte Odile délivre du Purgatoire l’âme de son père.

Adalric mou­rut, croit-​on, en 690. Bereswinde ne sur­vé­cut que neuf jours à son époux ; elle ne fut pas malade : s’étant age­nouillée dans l’église du monas­tère, elle s’affaissa, et, après avoir été douce pen­dant toute sa vie, elle s’endormit dou­ce­ment en Dieu.

Odile ne se bor­na pas à ver­ser des larmes, elle vou­lut offrir pour le repos de ces âmes qu’elle avait tant aimées un jeûne rigou­reux et des prières continuelles.

Or, Adalric, son père, lui appa­rut entou­ré de flammes et livré à de grands tour­ments parce qu’il n’avait pas eu un regret assez pro­fond de cer­taines fautes et sur­tout parce qu’il avait refu­sé, durant plu­sieurs années, d’admettre sa fille aveugle au nombre de ses enfants.

Cette vision affli­gea vive­ment Odile ; la pen­sée que son père souf­frait à cause d’elle lui déchi­rait le cœur. Elle fit donc vœu de ne plus man­ger et de ne plus boire jusqu’à ce qu’Adalric fût déli­vré des peines qu’il endu­rait. Elle avait déjà pas­sé cinq jours dans ce jeûne extra­or­di­naire, lorsqu’elle vit tout à coup une clar­té éblouis­sante inon­der le lieu où elle priait. Elle aper­çut en même temps l’âme de son père rayon­nante de gloire : un ange et un saint cou­vert de vête­ments sacer­do­taux la condui­saient au ciel. Odile alors ren­dit grâce avec effu­sion à la bon­té divine.

Culte de sainte Odile pour saint Jean-Baptiste.

Odile avait voué au Précurseur de Jésus-​Christ le culte le plus ardent, parce que le bap­tême avait été pour elle l’occasion d’un miracle signa­lé. Elle son­geait à éle­ver une cha­pelle qui por­te­rait son nom ; elle priait beau­coup et deman­dait, par l’intercession du Saint, que l’emplacement le plus favo­rable lui fût désigné.

Une nuit, elle se leva avant Matines et alla se pros­ter­ner sur un rocher écar­té. Pendant qu’elle sup­pliait Dieu, saint Jean-​Baptiste dai­gna lui appa­raître, envi­ron­né d’une lumière écla­tante et vêtu comme au bord du Jourdain. La reli­gieuse char­gée d’annoncer l’office sor­tit à la même heure afin de voir, d’après le cours des astres, si le temps des Matines était arri­vé. Elle aper­çut une grande clar­té et s’approcha pour en connaître la cause. L’éclat de la lumière fut tel que, sai­sie de frayeur, elle se hâta de ren­trer dans le cloître, non sans avoir pu dis­tin­guer au milieu de la lueur la sainte abbesse. Celle-​ci, aus­si­tôt après Matines, fit appe­ler la reli­gieuse et lui défen­dit de par­ler de la vision noc­turne tant qu’elle serait encore de ce monde.

– La clar­té que vous avez vue, lui dit-​elle, ne s’est pas pro­duite pour moi ; elle envi­ron­nait saint Jean-​Baptiste, qui m’a ordon­né de bâtir une cha­pelle en son honneur.

Le jour était à peine venu qu’Odile, pleine de joie, pre­nait déjà les pre­mières dis­po­si­tions pour cette œuvre pieuse. Le sanc­tuaire devait plus tard rece­voir le propre vocable de la Sainte. Pendant les tra­vaux un cha­riot char­gé de pierres et traî­né par des bœufs tom­ba d’un rocher haut de plus de soixante-​dix pieds. Les conduc­teurs cou­rurent rejoindre l’attelage, afin d’achever les mal­heu­reuses bêtes qu’ils croyaient bles­sées à mort. Mais les bœufs n’avaient point souf­fert et ils conti­nuaient à traî­ner tran­quille­ment le cha­riot intact dans un che­min si étroit qu’il sem­blait à peine pra­ti­cable à des chevaux.

Lorsque la cha­pelle fut ter­mi­née, saint Pierre vint lui-​même, pen­dant qu’Odile priait, accom­plir la céré­mo­nie de la consécration.

Le lépreux guéri. – Le vin augmenté. – La fontaine miraculeuse.

Un lépreux était tom­bé, mou­rant de faim, à la porte du monas­tère. Sa lèpre répan­dait une odeur tel­le­ment infecte, qu’on ne pou­vait séjour­ner à proxi­mi­té. Odile aver­tie se hâta de pré­pa­rer des ali­ments pour l’infortuné ; elle vint ensuite, l’embrassa, lui pré­sen­ta de sa propre main la nour­ri­ture, et sup­plia Dieu, en ver­sant d’abondantes larmes, de lui rendre la san­té ou tout au moins d’accroître en lui la ver­tu de rési­gna­tion. L’on put voir alors com­bien la prière du juste est puis­sante auprès de Dieu. Cet autre Lazare fut aus­si­tôt gué­ri ; on ne vit plus de trace de la lèpre, et toute infec­tion avait cessé.

Un jour que la cha­ri­té avait épui­sé les res­sources du monas­tère, la Sœur éco­nome vint trou­ver Odile :

– Dame abbesse, dit-​elle, je ne puis vous le cacher, il ne reste plus de vin pour les Sœurs. Voyez com­ment il faut faire.

– Ma fille, répon­dit la sainte Mère, ne vous inquié­tez pas davan­tage, ayez confiance en Dieu. Celui qui a nour­ri plu­sieurs mil­liers d’hommes avec cinq pains et deux pois­sons pour­ra, s’il plaît à sa toute-​puissance, aug­men­ter le peu de vin qui nous reste.

La reli­gieuse, après avoir reçu cet avis et la béné­dic­tion de l’ab­besse, s’éloigna. Quelle ne fut pas sa sur­prise de retrou­ver rem­pli le vase qu’elle avait lais­sé presque vide.

Certain jour, Odile reve­nait seule à Hohembourg ; elle ren­con­tra un lépreux, mou­rant de soif et de las­si­tude. La cha­ri­table abbesse, eût vou­lu venir à son aide, mais la fon­taine était trop loin. Alors, comme autre­fois Moïse, elle frap­pa de son bâton le rocher voi­sin, et aus­si­tôt il en jaillit une eau abon­dante et lim­pide, qui ren­dit la vie à ce mal­heu­reux. Aujourd’hui encore, cette source porte le nom de sainte Odile ; elle coule à 500 mètres envi­ron au-​dessous du couvent sous la saillie des rochers de la plate-​forme, et les fidèles viennent y cher­cher un remède contre les maux d’yeux.

La mort admirable de sainte Odile.

L’abbesse de Hohembourg, sen­tant sa mort pro­chaine, se ren­dit à la cha­pelle de Saint-​Jean-​Baptiste. Elle y assem­bla les reli­gieuses, leur recom­man­da d’aimer Dieu, leur deman­da des prières pour elle-​même et pour les siens, puis leur dit de se reti­rer dans l’oratoire voi­sin, pour y chan­ter des psaumes.

De retour à la cha­pelle, les reli­gieuses trou­vèrent leur supé­rieure endor­mie dans la mort et elles en res­sen­tirent la dou­leur la plus vive. Elles se déso­laient sur­tout à la pen­sée que l’abbesse avait ren­du le der­nier sou­pir sans avoir reçu le Viatique. Elles se mirent alors à sup­plier Dieu de la rani­mer. Or, rap­porte le manus­crit de Saint-​Gall, l’âme d’Odile ren­tra tout à coup dans son corps et la ser­vante de Dieu adres­sa ces paroles à ses compagnes :

« Mes très chères mères et mes très chères sœurs, pour­quoi m’avoir impo­sé une telle inquié­tude ? Pourquoi avoir sup­plié le Seigneur de com­man­der à mon âme de reprendre le poids dont elle était déli­vrée ? En effet, par la grâce divine, et en com­pa­gnie de la vierge Lucie, je jouis­sais déjà d’un bon­heur tel que la langue ne peut l’exprimer, l’oreille, l’entendre, l’œil, le voir ! » Ses com­pagnes lui répon­dirent quelles avaient agi ain­si pour n’être point accu­sées de l’avoir lais­sée quit­ter la terre sans avoir reçu le corps du Seigneur. Alors Odile se fit appor­ter le calice où étaient le corps et le sang du Sauveur, et le pre­nant dans sa main, com­mu­nia, puis, devant les reli­gieuses qui la contem­plaient, ren­dit le der­nier sou­pir. « Le calice, dit le manus­crit de Saint-​Gall, demeure encore aujourd’hui dans le mona­stère en sou­ve­nir de ce fait admirable. » 

Il fut conser­vé à Hohembourg, jusqu’à l’an 1546. A cette date, eurent lieu l’incendie du mona­stère et la dis­per­sion des reli­gieuses. On pla­ça le calice dans le tré­sor épis­co­pal de Saverne, d’où il dis­pa­rut pen­dant la guerre de Trente Ans.

Le culte de sainte Odile.

D’après les plus anciens docu­ments, sainte Odile serait morte en l’an 720. Son culte remonte presque à cette date, car le manus­crit de Saint-​Gall lui donne déjà le titre de bien­heu­reuse, et celui de Berne (xie siècle) fixe sa fête au 13 décembre. En 773, Charlemagne vint visi­ter le tom­beau d’Odile. En 1045, Brunon, le saint évêque de Toul, rebâ­tit l’église de Hohembourg et en fil la dédi­cace. Cinq ans plus tard, deve­nu le Pape Léon IX, il publia une bulle Parentum nos­tro­rum (jan­vier 1050) qui peut être consi­dé­rée comme la charte offi­cielle du culte de la Patronne de l’Alsace. Ce docu­ment fut con­firmé par d’autres bulles de Lucius III, d’Innocent IV et de Gré­goire X.

En 1354, l’empereur Charles IV fit ouvrir le tom­beau de la Sainte et y enle­va l’avant-bras droit, qu’il des­ti­nait à la cathé­drale de Prague, où on le vénère encore. Sous la Révolution, le tom­beau fut bri­sé, mais son pré­cieux conte­nu, mis en sûre­té dans l’église d’Otrott, petit vil­lage au bas de la mon­tagne, put échap­per aux pro­fa­na­teurs, et réin­té­gra Hohembourg en 1799. Le 6 octobre de l’année sui­vante, une céré­mo­nie solen­nelle en célé­bra le retour.

Le tom­beau fut de nou­veau ouvert en 1840, mais cette fois en pré­sence du cler­gé et de plu­sieurs méde­cins, et le 7 juillet 1841 les reliques étaient ren­fer­mées dans une grande et belle châsse, pour être expo­sées à la véné­ra­tion des fidèles. Depuis qu’à la suite d’une dona­tion faite à l’évêché de Strasbourg l’Eglise a repris pos­ses­sion, en 1853, du cloître et des cha­pelles de Hohembourg, les pèle­rins se pressent de nou­veau en foule sur le mont Sainte-​Odile appe­lé aus­si Odilienberg, pour y véné­rer les restes de la Patronne de l’Alsace.

A. L. Sources à consul­ter. – Abbé Winterer, Histoire de sainte Odile et de l’Alsace chré­tienne (Strasbourg, 1869). – Henri Welschinger, Sainte Odile (Collection Les Saints, 1920). – (V. S. B P., n° 249.)