Janvier-Février 1991

Mgr Lefebvre : ce n’est plus seulement une question de liturgie qui nous sépare de Rome, mais une question de Foi

A l’oc­ca­sion du ving­tième anni­ver­saire de la fon­da­tion de la Fraternité sacer­do­tale Saint-​Pie X, Monseigneur Lefebvre a bien vou­lu répondre aux ques­tions que nous lui avons posées. « Ce n’est plus seule­ment une ques­tion de litur­gie, aus­si impor­tante soit-​elle, qui nous sépare de Rome, mais une ques­tion de Foi ». On retien­dra aus­si com­ment le pré­lat ruine les calom­nies qui ont été for­mu­lées contre lui à pro­pos des docu­ments conci­liaires sur la liber­té reli­gieuse et « L’Eglise dans le monde de ce temps ».

FIDELITER – Depuis les sacres il n’y a plus de contacts avec Rome ; cepen­dant comme vous l’a­vez racon­té, le car­di­nal Oddi vous a télé­pho­né vous disant : « II faut que les choses s’ar­rangent. Demandez un petit par­don au Pape et il est prêt à vous accueillir ». Alors pour­quoi ne pas ten­ter cette ultime démarche et pour­quoi vous paraît-​elle impossible ?

Monseigneur Lefebvre – C’est abso­lu­ment impos­sible dans le cli­mat actuel de Rome qui devient de plus en plus mau­vais. Il ne faut pas se faire d’illu­sions. Les prin­cipes qui dirigent main­te­nant l’Eglise conci­liaire sont de plus en plus ouver­te­ment contraires à la doc­trine catho­lique.

Devant la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, le car­di­nal Casaroli a récem­ment décla­ré : « Je désire m’at­tar­der quelque peu sur un aspect spé­ci­fique de la liber­té fon­da­men­tale de pen­sée et d’a­gir selon sa conscience, donc la liber­té de reli­gion… L’Eglise catho­lique et son Pasteur suprême, qui a fait des droits de l’homme l’un des grands thèmes de sa pré­di­ca­tion, n’ont pas man­qué de rap­pe­ler que, dans un monde fait par l’homme et pour l’homme, toute l’or­ga­ni­sa­tion de la socié­té n’a de sens que dans la mesure où elle fait de la dimen­sion humaine une pré­oc­cu­pa­tion cen­trale ». Entendre cela dans la bouche d’un car­di­nal ! De Dieu il n’en parle pas !

De son côté le car­di­nal Ratzinger, en pré­sen­tant un docu­ment fleuve sur les rela­tions entre le Magistère et les théo­lo­giens, affirme dit-​il « pour la pre­mière fois avec clar­té » que « des déci­sions du Magistère ne peuvent être le der­nier mot sur la matière en tant que telle » mais « une espèce de dis­po­si­tion pro­vi­soire… Le noyau reste stable mais les aspects par­ti­cu­liers sur les­quels ont une influence les cir­cons­tances du temps peuvent avoir besoin de rec­ti­fi­ca­tions ulté­rieures. A cet égard on peut signa­ler les décla­ra­tions des papes du siècle der­nier. Les déci­sions anti­mo­der­nistes ont ren­du un grand ser­vice mais elles sont main­te­nant dépas­sées ». Et voi­la, la page du moder­nisme est tour­née ! Ces réflexions sont abso­lu­ment insensées.

Enfin le Pape est plus œcu­mé­niste que jamais. Toutes les idées fausses du Concile conti­nuent de se déve­lop­per, d’être réaf­fir­mées avec tou­jours davan­tage de clar­té. Ils se cachent de moins en moins. Il est donc abso­lu­ment incon­ce­vable que l’on puisse accep­ter de col­la­bo­rer avec une hié­rar­chie semblable.

FIDELITER – Pensez-​vous que la situa­tion se soit encore dégra­dée depuis que vous aviez – avant les sacres – enga­gé des conver­sa­tions qui avaient abou­ti à la rédac­tion du pro­to­cole du 5 mai 1988 ?

Monseigneur – Oh oui ! Par exemple le fait de la pro­fes­sion de foi qui est main­te­nant récla­mée par le car­di­nal Ratzinger depuis le début de l’année 1989. C’est un fait très grave. Car il demande à tous ceux qui les ont ral­liés ou qui pour­raient le faire de faire une pro­fes­sion de foi dans les docu­ments du Concile et dans les réformes post-​conciliaires. Pour nous c’est impossible.

Il fau­dra encore attendre avant d’en­vi­sa­ger une pers­pec­tive d’ac­cord. Pour ma part je crois que seul le Bon Dieu peut inter­ve­nir, car humai­ne­ment on ne voit pas de pos­si­bi­li­tés pour Rome de redres­ser le courant.

Pendant quinze ans on a dia­lo­gué pour essayer de remettre la Tradition en hon­neur, à la place qui lui est due dans l’Eglise. Nous nous sommes heur­tés à un refus conti­nuel. Ce que Rome accorde a pré­sent en faveur de la tra­di­tion, n’est qu’un geste pure­ment poli­tique, diplo­ma­tique pour for­cer les ral­lie­ments. Mais ce n’est pas une convic­tion dans les bien­faits de la tradition.

FIDELITER – Quand on voit que Dom Gérard et la Fraternité Saint-​Pierre ont obte­nu de conser­ver la litur­gie et le caté­chisme, sans – disent-​ils – n’a­voir rien concé­dé, cer­tains qui sont trou­blés de se trou­ver en situa­tion dif­fi­cile avec Rome, peuvent être ten­tés à la longue de se ral­lier a leur tour par las­si­tude. « Ils arrivent bien, disent-​ils, à s’en­tendre avec Rome sans n’a­voir rien lâché ».

Monseigneur - Quand ils disent qu’ils n’ont rien lâché, c’est faux. Ils ont lâché la pos­si­bi­li­té de contrer Rome. Ils ne peuvent plus rien dire. Ils doivent se taire étant don­nées les faveurs qui leur ont été accor­dées. Il leur est main­te­nant impos­sible de dénon­cer les erreurs de l’Eglise conci­liaire. Tout dou­ce­ment ils adhèrent, ne serait-​ce que par la pro­fes­sion de foi qui est deman­dée par le car­di­nal Ratzinger. Je crois que Dom Gérard est en passe de faire paraître un petit livre rédi­gé par l’un de ses moines, sur la liber­té reli­gieuse et qui va essayer de la justifier.

Du point de vue des idées. Ils virent tout dou­ce­ment et finissent par admettre les idées fausses du Concile, parce que Rome leur a accor­dé quelques faveurs pour la Tradition. C’est une situa­tion très dangereuse.

Au cours de l’au­dience qu’il a accor­dée à Dom Gérard et à une délé­ga­tion des moines du Barroux, le Pape a expri­mé le désir de les voir évo­luer tou­jours davan­tage. Il ne s’en est pas caché. Il faut qu’ils se sou­mettent encore plus à l’ar­che­vêque et qu’ils prennent garde de ne pas faire en sorte que les réformes conci­liaires soient sous-​estimées parce qu’on leur a accor­dé des excep­tions à la règle litur­gique du Conçue. Il fau­drait aus­si qu’ils fassent un effort pour rame­ner tous ceux qui ne sont pas encore dans l’o­béis­sance au Saint-Père.

Ce sont des invi­ta­tions pres­santes qui leur sont faites et c’est bien là le but des pri­vi­lèges qui leur ont été accordés.

C’est pour­quoi Dom Gérard a écrit à la Mère Anne-​Marie Simoulin, au Père Innocent-​Marie, aux Capucins de Morgon et à d’autres per­sonnes pour essayer même de me tou­cher. A son retour de Rome il a lan­cé cette offen­sive pour ten­ter de convaincre tous ceux qui ne le suivent pas d’emprunter son sillage et de se ral­lier à Rome.

Tout ce qui leur a été accor­dé, ne leur a été consen­ti que dans le but de faire en sorte que tous ceux qui adhèrent ou sont liés à la Fraternité s’en détachent et se sou­mettent à Rome.

FIDELITER – Dom Gérard reprend ain­si le rôle qui avait été dévo­lu à Mgr Perl.

Monseigneur – J’ai eu l’oc­ca­sion de voir au moins trois lettres que Mgr Perl a envoyées en réponse à des per­sonnes qui lui avaient écrit. C’est tou­jours la même chose. Il faut abso­lu­ment faire un effort auprès de ceux qui n’ont pas com­pris la néces­si­té de se ral­lier au Pape et au Concile. C’est dom­mage, écrit-​il, de consta­ter qu’il n’y a pas eu plus de ralliements.

FIDELITER – Vous avez dit en dési­gnant Dom Gérard et les autres : « Ils nous tra­hissent. Ils donnent main­te­nant la main à ceux qui démo­lissent l’Eglise, aux libé­raux, aux moder­nistes ». N’est-​ce pas un peu sévère ?

Monseigneur – Mais non. Ils ont fait appel à moi pen­dant quinze ans. Ce n’est pas moi qui suis allé les cher­cher. Ce sont eux-​mêmes qui sont venus vers moi pour me deman­der des appuis, de faire des ordi­na­tions, l’amitié de nos prêtres en même temps que l’ou­ver­ture de tous nos prieu­rés pour les aider finan­ciè­re­ment. Ils se sont tous ser­vis de nous tant qu’ils ont pu. On l’a fait de bon cœur et même géné­reu­se­ment. J’ai été heu­reux de faire ces ordi­na­tions, d’ou­vrir nos mai­sons pour qu’ils puissent pro­fi­ter de la géné­ro­si­té de nos bien­fai­teurs… Et puis, tout à coup, on me télé­phone . on n’a plus besoin de vous, c’est ter­mi­né. Nous irons chez l’ar­che­vêque d Avignon. On est main­te­nant d’ac­cord avec Rome. Nous avons signé un protocole.

Ce n’est pas de gaie­té de cœur que nous avons eu des dif­fi­cul­tés avec Rome Ce n’est pas par plai­sir que nous avons dû nous battre. Nous l’a­vons fait pour des prin­cipes, pour gar­der la foi catho­lique. Et ils étaient d accord avec nous. Ils col­la­bo­raient avec nous. Et puis tout à coup on aban­donne le vrai com­bat pour s’al­lier aux démo­lis­seurs sous pré­texte qu’on leur accorde quelques pri­vi­lèges. C’est inadmissible.

Ils ont pra­ti­que­ment aban­don­né le com­bat de la foi. Ils ne peuvent plus atta­quer Rome.

C’est ce qu’a fait aus­si le Père de Blignières. Il a chan­gé com­plè­te­ment. Lui qui avait écrit tout un volume pour condam­ner la liber­té reli­gieuse, il écrit main­te­nant en faveur de la liber­té reli­gieuse. Ce n’est pas sérieux. On ne peut plus comp­ter sur des hommes comme ceux-​là, qui n’ont rien com­pris à la ques­tion doc­tri­nale.

J’estime en tout cas qu’ils com­mettent une grave erreur. Ils ont péché gra­ve­ment en agis­sant comme ils l’ont fait, sciem­ment avec une désin­vol­ture invraisemblable.

J’ai enten­du dire que des moines auraient l’in­ten­tion de quit­ter le Barroux disant qu’ils ne peuvent plus vivre dans une atmo­sphère de men­songe. Je me demande com­ment ils ont pu res­ter jus­qu’à pré­sent dans cette atmosphère.

De même ceux qui sont chez Dom Augustin. Ils étaient encore plus tra­di­tio­na­listes que nous et à pré­sent ils ont com­plè­te­ment ver­sé de l’autre côté. Pour tous les jeunes qui sont là, c’est affreux de pen­ser à un tel ren­ver­se­ment. Ils sont entrés au monas­tère pour être vrai­ment dans la Tradition. C’était la Tradition la plus sûre, la plus ferme, plus encore que la Fraternité. Ils pen­saient être garan­tis pour tou­jours. Et puis ils retournent com­plè­te­ment leur veste… et ils res­tent. C’est inexplicable.

FIDELITER – Le Père de Blignières, l’Abbé de Nantes et Dom Gérard vous ont pra­ti­que­ment accu­sé de men­songe quand vous avez assu­ré ne pas avoir signé deux docu­ments du Concile Dignitatis huma­nae sur la liber­té reli­gieuse et Gaudium et Spes. La revue Sedes sapien­tiae a repro­duit un docu­ment tiré des archives du Vatican où figure votre nom écrit de votre main. Qu’en est-​il exac­te­ment et quel est ce document ?

Monseigneur – Cette idée de l’in­ter­pré­ta­tion des signa­tures signi­fiant une appro­ba­tion des docu­ments conci­liaires a ger­mé dans le cer­veau mal inten­tion­né du Père de Blignières.

Les appro­ba­tions ou refus des docu­ments étaient évi­dem­ment accom­plis pour chaque docu­ment en par­ti­cu­lier. Le vote était secret, accom­pli sur des fiches indi­vi­duelles, et fait avec un crayon spé­cial qui per­met­tait le cal­cul élec­tro­nique des votes. Les fiches étaient ramas­sées par les secré­taires, de la main de chaque votant.

Les grandes feuilles qui cir­cu­laient de main en main par­mi les Pères du Concile et où cha­cun appo­sait sa signa­ture n’a­vaient aucun sens de vote pour ou contre, mais signi­fiaient notre pré­sence à cette séance de votes pour quatre documents.

Il fau­drait vrai­ment prendre les Pères qui ont voté contre les textes pour des girouettes, en fai­sant croire qu’ils auraient approu­vé ce qu’ils ont refu­sé une demi-​heure avant.

On voit ce que l’on peut attendre de l’i­ma­gi­na­tion de ceux qui sont des girouettes et qui adorent ce qu’ils avaient brû­lé aupa­ra­vant, comme le Père de Blignières, Dom Gérard et la girouette par excel­lence qu’est l’Abbé de Nantes.

FIDELITER – Certains par­mi les fidèles sont ten­tés de gar­der de bonnes rela­tions avec ceux qui se sont ral­liés, voire d’as­sis­ter à la messe ou aux céré­mo­nies qu’ils célèbrent, pensez-​vous qu’il y a là un danger ?

Monseigneur – J’ai tou­jours mis en garde les fidèles par exemple vis-​à-​vis des sédé­va­can­tistes. Ils disent aus­si : la messe est bien, nous y allons.

Oui, il y a la messe. Elle est bien, mais il y a aus­si le ser­mon ; il y a l’am­biance, les conver­sa­tions, les contacts avant et après, qui font que tout dou­ce­ment on change d’i­dées. C’est donc un dan­ger et c’est pour­quoi d’une manière géné­rale j’es­time que cela fait un tout. On ne va pas seule­ment à la messe, on fré­quente un milieu.

Il y a évi­dem­ment des gens qui sont atti­rés par les belles céré­mo­nies qui vont aus­si à Fontgombault, où l’on a repris la messe ancienne. Ils se trouvent dans un cli­mat d’am­bi­guï­té qui à mon sens est dan­ge­reux. Dès lors que l’on se trouve dans cette ambiance, sou­mis au Vatican, sou­mis en défi­ni­tive au Concile, on finit par deve­nir œcu­mé­niste.

FIDELITER – Le Pape est très popu­laire. Il mobi­lise les foules, il veut ras­sem­bler tous les chré­tiens dans l’œ­cu­mé­nisme, dont il a dit qu’il fai­sait la pierre angu­laire de son pon­ti­fi­cat. A pre­mière vue cela peut paraître une noble pen­sée de vou­loir effec­ti­ve­ment ras­sem­bler tous les chrétiens.

Monseigneur – Le Pape veut faire l’u­ni­té en dehors de la foi. C’est une com­mu­nion. Une com­mu­nion à qui ? A quoi ? En quoi ? Ce n’est plus une uni­té. Celle-​ci ne peut se faire que dans l’u­ni­té de la foi. C’est ce que l’Eglise a tou­jours ensei­gné. C’est pour­quoi il y avait les mis­sion­naires, pour conver­tir à la foi catho­lique. Maintenant il ne faut plus conver­tir. L’Eglise n’est plus une socié­té hié­rar­chique, c’est une com­mu­nion. Tout est faus­sé. C’est la des­truc­tion de la notion de l’Eglise, du catho­li­cisme. C’est très grave et cela explique que nom­breux soient les catho­liques qui aban­donnent la foi.

Quand on ajoute à cela tous les pro­pos scan­da­leux qui ont été tenus à l’oc­ca­sion du synode sur le sacer­doce, les décla­ra­tions comme celles des car­di­naux Decourtray et Danneels, on se demande com­ment il peut encore y avoir des catholiques.

Après Assise et après de sem­blables décla­ra­tions, on com­prend qu’il y ait beau­coup de gens qui s’en aillent chez les Mormons, chez les Témoins de Jéhovah ou ailleurs. Ils perdent la foi, c’est normal.

FIDELJTER – A pro­pos du synode, le car­di­nal Lorscheider, annon­çant que deux Brésiliens mariés avaient été ordon­nés prêtres, a deman­dé que soit étu­diée la pos­si­bi­li­té d’or­don­ner des hommes mariés « de vie éprouvée ».

Monseigneur – Tout cela est diri­gé contre le céli­bat des prêtres. Le synode qui va se tenir en Afrique sera pro­ba­ble­ment une étape vers l’a­bo­li­tion du céli­bat des prêtres, si tou­te­fois le Bon Dieu n’in­ter­vient pas avant.

FIDELITER – On cite en exemple le déve­lop­pe­ment du catho­li­cisme et l’ac­crois­se­ment consi­dé­rable du nombre des voca­tions dans les pays d’Afrique, notam­ment au Zaïre, où l’on compte plu­sieurs cen­taines de séminaristes.

Monseigneur – Mais il faut voir com­ment ils sont for­més. Dans ces pays du Tiers-​monde il y a beau­coup d’en­fants et c’est une pro­mo­tion sociale que d’être prêtre. Ce n’est mal­heu­reu­se­ment pas un réel pro­grès du catholicisme.

Je ne dis pas que tout soit néga­tif. Mais ce sont tous des sémi­na­ristes conci­liaires, avec la nou­velle messe, l’in­tro­duc­tion du tam-​tam, l’in­cul­tu­ra­tion dans la litur­gie. Quelle reli­gion vont-​ils avoir ? Ce ne sera plus la reli­gion catho­lique, mais une espèce de syn­cré­tisme reli­gieux avec des mani­fes­ta­tions pure­ment exté­rieures. C’est grave, parce que c’est la démo­li­tion de tout le tra­vail accom­pli par les missionnaires.

FIDELITER – Plus qu’une ques­tion de litur­gie, dites-​vous sou­vent, c’est main­te­nant une ques­tion de foi qui nous oppose à la Rome actuelle.

Monseigneur – Certainement la ques­tion de la litur­gie et des sacre­ments est très impor­tante, mais ce n’est pas la plus impor­tante. La plus impor­tante c’est celle de la foi. Pour nous elle est réso­lue. Nous avons la foi de tou­jours, celle du concile de Trente, du caté­chisme de saint Pie X, de tous les conciles et de tous les papes d’a­vant Vatican II.

Pendant des années ils se sont effor­cés à Rome de mon­trer que tout ce qui était dans le Concile était par­fai­te­ment conforme à la Tradition. A pré­sent ils se découvrent. Le car­di­nal Ratzinger ne s’é­tait jamais pro­non­cé avec autant de clar­té. Il n’y a pas de Tradition. Il n’y a plus de dépôt à trans­mettre. La tra­di­tion dans l’Eglise, c’est ce que dit le Pape aujourd’­hui. Vous devez vous sou­mettre à ce que le Pape et les évêques disent aujourd’­hui. Pour eux voi­là la tra­di­tion, la fameuse tra­di­tion vivante, seul motif de notre condamnation.

Ils ne cherchent plus main­te­nant à prou­ver que ce qu’ils disent est conforme à ce qu’a écrit Pie IX, à ce qu’a pro­mul­gué le concile de Trente. Non tout cela est fini, c’est dépas­sé, comme dit le car­di­nal Ratzinger. C’est clair et ils auraient pu le dire plus tôt. Ce n’é­tait pas la peine de nous faire par­ler, de dis­cu­ter. C’est main­te­nant la tyran­nie de l’au­to­ri­té, parce qu’il n’y a plus de règle. On ne peut plus se réfé­rer au passé.

Dans un sens les choses deviennent aujourd’­hui plus claires. Elles nous donnent tou­jours davan­tage rai­son. Nous avons affaire à des gens qui ont une autre phi­lo­so­phie que la nôtre, une autre manière de voir, qui sont influen­cés par tous les phi­lo­sophes modernes et sub­jec­ti­vistes. Pour eux il n’y a pas de véri­té fixe, il n’y a pas de dogme. Tout est en évo­lu­tion. C’est là une concep­tion tout à fait maçon­nique. C’est vrai­ment la des­truc­tion de la foi. Heureusement, nous, nous conti­nuons de nous appuyer sur la Tradition !

FIDELITER – Oui, mais vous êtes seul contre tous.

Monseigneur – Oui, c’est un grand mystère.

FIDELITER – Dans le der­nier bul­le­tin « INTROIBO », le Père André note que bien qu’ils disent la nou­velle messe, une dizaine d’é­vêques four­nissent un espoir. Ils sont qua­li­fiés « d’é­vêques tra­di­tion­nels » par le « Trombinoscope épiscopal ».

Monseigneur – Oui, mais ils sont tous conci­liaires. Il n’y a que Mgr de Castro Mayer et moi qui ayons résis­té au Concile et à ses appli­ca­tions, alors que pen­dant le Concile nous étions 250 à être oppo­sés à ses erreurs.

On me fai­sait relire récem­ment la pro­phé­tie de Notre-​Dame-​de-​Quito[1], où au début du XVIIe siècle, la Très Sainte Vierge Marie a révé­lé à une sainte reli­gieuse la dis­so­lu­tion des mœurs et la crise affreuse qui atteint aujourd’­hui l’Eglise et son cler­gé [2], annon­çant aus­si qu’un pré­lat se consa­cre­rait à la res­tau­ra­tion du sacerdoce.

La Très Sainte Vierge a annon­cé cela pour le XXe siècle. C’est un fait. Le Bon Dieu a pré­vu ce moment dans l’Eglise.

FIDELITER – Vous avez sou­li­gné que vous aviez acquis la convic­tion que l’œuvre que vous avez entre­prise est bénie du Bon Dieu, car en plu­sieurs occa­sions, elle aurait pu disparaître.

Monseigneur – Oui, c’est vrai. Nous avons tou­jours subi des attaques, très dures, très pénibles. Souvent des gens qui ont tra­vaillé avec nous, qui ont été nos amis se sont retour­nés contre nous et sont deve­nus vrai­ment des enne­mis. C’est très dou­lou­reux, mais il n’y a rien à faire. On s’a­per­çoit au bout de quelque temps que ceux qui nous en veulent et qui essayent de nous détruire, sombrent et que nous, nous conti­nuons, il faut croire tout de même que la ligne de foi et la Tradition telle que nous l’a­vons adop­tée, telle que nous la sui­vons est impé­ris­sable, parce que c’est l’Eglise et que Dieu ne peut pas lais­ser périr son Eglise.

FIDELITER – Qu’est-​ce que vous pou­vez dire à ceux. d’entre les fidèles qui espèrent tou­jours en la pos­si­bi­li­té d’un arran­ge­ment avec Rome ?

Monseigneur – Nos vrais fidèles, ceux qui ont com­pris le pro­blème et qui nous ont jus­te­ment aidés à pour­suivre la ligne droite et ferme de la Tradition et de la foi, crai­gnaient les démarches que j’ai faites à Rome. Ils m’ont dit que c’é­tait dan­ge­reux et que je per­dais mon temps. Oui, bien sûr, j’ai espé­ré jus­qu’à la der­nière minute qu’à Rome on témoi­gne­rait d’un petit peu de loyau­té. On ne peut pas me repro­cher de ne pas avoir fait le maxi­mum. Aussi main­te­nant, à ceux qui viennent me dire : il faut vous entendre avec Rome, je crois pou­voir dire que je suis allé plus loin même que je n’au­rais dû aller.

FIDELITER – Vous répon­dez : vous n’a­vez pas à craindre, parce que nous sommes avec la Tradition, avec les conciles d’a­vant Vatican II, avec tout ce que les papes qui l’ont pré­cé­dé ont déclaré…

Monseigneur – Oui, c’est évident, si nous inven­tions quelque chose on pour­rait craindre que notre inven­tion ne sub­siste pas. Mais nous ne fai­sons rien de nouveau.

Il y a peu de temps je voyais un évêque, un de mes amis avec lequel nous avons tra­vaillé pen­dant le Concile et qui était tout à fait d’ac­cord avec moi à ce moment là. Et il me disait : « C’est mal­heu­reux que vous soyez en dif­fi­cul­té avec Rome ».

Comment, lui ai-​je répon­du, vous qui avez lut­té au Concile pour les mêmes motifs que moi, pouvez-​vous main­te­nant vous éton­ner ? Nous avons fait des réunions conti­nuelles ensemble et avec d’autres pour essayer de main­te­nir la ligne de la Tradition dans le Concile. Et a pré­sent vous avez aban­don­né tout cela. Est-​ce que ce que nous fai­sions était répréhensible ?

Voyez les résul­tats du Concile. Est-​ce que vous pou­vez m’en don­ner qui soient bons, qui soient posi­tifs. Où et dans quel domaine le Concile et les réformes qu’il a engen­drées, ont-​ils appor­té un renou­veau extra­or­di­naire dans l’Eglise ?

Il n’a pas pu répondre. Il n’y a rien. Tout est négatif.

FIDELITER – Et le charismatisme ?

Monseigneur – C’est encore néga­tif. C’est le diable, puisque des cha­ris­ma­tiques viennent nous deman­der de les exor­ci­ser. Il faut croire qu’ils sont pos­sé­dés par le diable.

Ils appellent l’Esprit. Quel esprit ? Qu’il y en ait par­mi eux qui soient de bonne volon­té, sans doute, qui s’ef­forcent de prier, de faire des ado­ra­tions sans doute, mais le démon est malin. Il attire d’un côté, de l’autre il récupère.

Nous n’a­vons pas fini de lut­ter. Moi dis­pa­ru, mes suc­ces­seurs auront encore à combattre.

Mais le Bon Dieu peut tout. Au plan poli­tique il aurait été dif­fi­cile de pré­voir il y a un ou deux ans ce qui se passe actuel­le­ment. On n ima­gi­nait pas que le rideau de fer serait levé, que l’Allemagne se réuni­fie­rait. Maintenant on dit que l’é­cla­te­ment de l’empire sovié­tique est proche.

J’ai reçu une lettre d’un évêque ukrai­nien qui vou­lait prendre contact avec nous, pour qu’on l’aide à édi­ter un caté­chisme, parce qu’ils n ont plus rien. Il a fait plus de quinze ans de pri­son sovié­tique avec d’autres. Un cer­tain nombre d’entre eux sont main­te­nant libérés.

Il a retrou­vé son dio­cèse dans un état épou­van­table, parce que tout appar­tient désor­mais à l’Eglise ortho­doxe. Ils ont tout pris. Alors, ils essayent de récu­pé­rer ce qu’ils peuvent, mais ils ont contre eux le Vatican, qui est empoi­son­né par cette affaire. Le retour de ces évêques et de ces prêtres qui veulent faire revivre l’Eglise catho­lique en Ukraine gêne le Vatican, qui ne veut sur­tout pas avoir d’his­toires avec le Kremlin et avec les ortho­doxes. Ce renou­veau catho­lique en Ukraine les gêne. C’est ce que m’é­crit cet évêque : « II y a vrai­ment un mys­tère qui plane pour nous en ce qui concerne l’at­ti­tude de Rome. »

Pour nous ce n’est pas un mystère !

FIDELITER – Quel bilan peut-​on dres­ser de la Fraternité après vingt ans d’existence ?

Monseigneur – Le Bon Dieu a vou­lu la Tradition. Je suis inti­me­ment convain­cu que la Fraternité repré­sente le moyen que le Bon Dieu a vou­lu pour gar­der et main­te­nir la foi, la véri­té de l’Eglise et ce qui peut être encore sau­vé dans l’Eglise. Grâce aus­si aux évêques qui entourent le Supérieur géné­ral de la Fraternité, qui rem­plissent leur rôle indis­pen­sable de main­te­neurs de la foi, de pré­di­ca­teurs de la foi, et qui com­mu­niquent les grâces du sacer­doce et de la confir­ma­tion, la Tradition demeure inchan­gée et tou­jours source féconde de la vie divine.

Tout cela est vrai­ment très conso­lant et je pense que nous devons remer­cier le Bon Dieu et conti­nuer à gar­der fidè­le­ment les tré­sors de l’Eglise, en espé­rant qu’un jour ces tré­sors repren­dront la place qui leur est due à Rome et qu’ils n’au­raient jamais dû perdre.

Propos recueillis par André CAGNON

Source : Fideliter n° 79 de janvier-​février 1991

Notes de bas de page

  1. Note de LPL : extrait du ser­mon des sacres du 30 juin 1988 : « Dernièrement, notre prêtre qui est char­gé du prieu­ré de Bogota, en Colombie, m’a appor­té un livre fait sur les appa­ri­tions de Bon Successo – du Bon Succès – qui a une église, grande église en Equateur, à Quito, capi­tale de l’Equateur – et des appa­ri­tions qui ont eu lieu à une reli­gieuse d’un couvent de Quito et cela peu de temps après le concile de Trente. C’est donc à plu­sieurs siècles, comme vous le voyez. Eh bien, la Très Sainte Vierge a dit à cette reli­gieuse – cela a été consi­gné, cette appa­ri­tion a été recon­nue par Rome, par les auto­ri­tés ecclé­sias­tiques puisqu’on a construit une magni­fique église pour la Vierge dont, d’ailleurs, disent les his­to­riens, le visage de la Vierge aurait été ter­mi­né, le sculp­teur était en train de ter­mi­ner le visage de la Vierge lorsqu’il a trou­vé le visage de la Vierge fait mira­cu­leu­se­ment, cette Vierge mira­cu­leuse est donc là hono­rée avec beau­coup de dévo­tion par les fidèles de l’Équateur – et cette Vierge a pro­phé­ti­sé pour le XXe siècle, elle a dit expli­ci­te­ment : « Pendant le XIXe siècle et la plus grande par­tie du XXe siècle, des erreurs se pro­pa­ge­ront de plus en plus for­te­ment dans la Sainte Église, met­tront l’Église dans une situa­tion de catas­trophe abso­lue, de catas­trophe, et les mœurs se cor­rom­pront, et la Foi dis­pa­raî­tra. » Il semble que nous ne pou­vons pas ne pas consta­ter et, je m’excuse de conti­nuer ce récit de cette appa­ri­tion, mais elle parle d’un pré­lat qui s’opposera abso­lu­ment à cette vague d’apostasie et à cette vague d’impiété en pré­ser­vant le sacer­doce, en fai­sant des bons prêtres. Vous ferez l’application si vous vou­lez ; moi je ne veux pas la faire, je ne puis pas. J’ai été moi-​même stu­pé­fait en lisant ces lignes, je ne peux pas le nier, c’est comme cela, c’est ins­crit, c’est impri­mé, c’est consi­gné dans les archives de cette appa­ri­tion. []
  2. Cf FIDELITER N” 66 – Nov. – Dec. 1988.[]

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.