24 octobre 2015, Relatio Synodi de la XIVe Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques
I – L’Église à l’écoute de la famille ;
II – La famille dans le plan de Dieu ;
III – La mission de la famille.
Introduction
1 – Nous, les Pères synodaux, réunis autour du pape François, le remercions de nous avoir convoqués pour réfléchir avec lui et sous sa conduite à la vocation et à la mission de la famille aujourd’hui. Nous lui offrons le fruit de notre travail avec humilité, conscients des limites qu’il présente. Nous pouvons toutefois affirmer que nous avons toujours eu à l’esprit les familles du monde entier, avec leurs joies et leurs espérances, leurs tristesses et leurs angoisses. Les disciples du Christ savent qu”« il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. Leur communauté, en effet, s’édifie avec des hommes, rassemblés dans le Christ, conduits par l’Esprit Saint dans leur marche vers le Royaume du Père, et porteurs d’un message de salut qu’il faut proposer à tous. La communauté des chrétiens se reconnaît donc réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire » (Gaudium et spes-GS, 1). Remercions le Seigneur pour la fidélité généreuse avec laquelle tant de familles chrétiennes répondent à leur vocation et à leur mission, même devant les obstacles, les incompréhensions et les souffrances. Toute l’Église, unie à son Seigneur et soutenue par l’action de l’Esprit Saint, adresse ses encouragements à ces familles. Elle sait qu’elle détient une parole de vérité et d’espérance à adresser à tous les hommes. Le pape François l’a rappelé dans la célébration par laquelle s’est ouverte la dernière étape de ce parcours synodal dédié à la famille : « Dieu n’a pas créé l’être humain pour vivre dans la tristesse ni pour rester seul, mais pour le bonheur, pour partager son chemin avec une autre personne qui lui soit complémentaire (…). C’est le même dessein que Jésus (…) rappelle par ces paroles : « Au commencement de la création, Dieu les fit homme et femme. À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair. Ainsi, ils ne sont plus deux mais une seule chair » (Mc 10, 6–8 ; cf. Gn 1, 27 ; 2, 24) ». Dieu « unit les cœurs d’un homme et d’une femme qui s’aiment et les unit dans l’unité et l’indissolubilité. Cela signifie que le but de la vie conjugale n’est pas seulement de vivre ensemble pour toujours, mais de s’aimer pour toujours ! Jésus rétablit ainsi l’ordre qui était à l’origine et qui est origine. (…) C’est seulement à la lumière de la folie de la gratuité de l’amour pascal de Jésus que la folie de la gratuité d’un amour conjugal unique et jusqu’à la mort apparaîtra compréhensible » (Homélie de la messe d’ouverture du Synode, 4 octobre 2015).
2 – Lieu intime de joies et d’épreuves, la famille est la première et la plus importante « école d’humanité » (cf. GS, 52). En dépit des signaux annonciateurs de la crise que connaît l’institution familiale dans les divers milieux, le désir de famille reste vif au sein des jeunes générations. L’Église, experte en humanité et fidèle à sa mission, annonce avec une conviction profonde l”« évangile de la famille » : reçu avec la révélation de Jésus-Christ et continuellement enseigné par les Pères, par les Maîtres de la spiritualité et par le Magistère de l’Église. La famille revêt pour le cheminement de l’Église une importance particulière : « L’amour [de Dieu] est si grand qu’il a commencé à cheminer avec l’humanité, il a commencé à cheminer avec son peuple, jusqu’à ce qu’arrive le moment approprié et il lui a donné la plus grande preuve d’amour : son Fils. Et Son Fils, où l’a-t-il envoyé ? Dans un palais, dans une ville, pour créer une entreprise ? Il l’a envoyé dans une famille. Dieu est entré dans le monde par une famille. Et il a pu le faire parce que cette famille était une famille qui avait le cœur ouvert à l’amour, qui avait les portes ouvertes (François, Discours pour la Fête des Familles, Philadelphie, 26 septembre 2015). Les familles d’aujourd’hui sont envoyées comme des « disciples missionnaires » (cf. Evangelii gaudium-EG, 120). En ce sens, il est nécessaire que la famille se redécouvre comme sujet indispensable de l’évangélisation.
3 – Le pape a appelé le Synode des évêques à réfléchir sur les réalités de la famille : « Le fait de convenire in unum autour de l’Évêque de Rome est déjà un événement de grâce, dans lequel la collégialité épiscopale se manifeste sur un chemin de discernement spirituel et pastoral » (François, Discours à l’occasion de la veillée de prière pour la préparation du Synode extraordinaire sur la famille, 4 octobre 2014). En deux ans ont eu lieu l’Assemblée générale extraordinaire (2014) et l’Assemblée générale ordinaire (2015), qui ont rempli leur mission d’écouter les signes de Dieu et de l’histoire des hommes, dans la fidélité à l’Évangile. Le fruit du premier rassemblement synodal, auquel le peuple de Dieu a donné une importante contribution, a conduit à la Relatio Synodi. Notre dialogue et notre réflexion ont été guidés par une triple attention. L’écoute de la réalité de la famille aujourd’hui, dans la perspective de la foi, avec la complexité de ses lumières et de ses ombres. Le regard, tourné vers le Christ, pour repenser avec une fraîcheur renouvelée et avec enthousiasme la révélation, transmise dans la foi de l’Église. La discussion dans l’Esprit Saint, pour trouver les moyens par lesquels renouveler l’Église et la société dans leur engagement en faveur de la famille fondée sur le mariage entre un homme et une femme. L’annonce chrétienne concernant la famille est véritablement une bonne nouvelle. La famille, au-delà du fait qu’elle est sollicitée pour répondre aux problématiques d’aujourd’hui, est surtout appelée par Dieu à prendre toujours davantage conscience de sa propre identité missionnaire. L’assemblée synodale a été enrichie par la présence de couples et de familles dans un débat qui les concerne directement. Tout en conservant le fruit précieux de l’Assemblée précédente dédiée aux défis de la famille, nous nous sommes penchés sur sa vocation et sa mission dans l’Église et dans le monde contemporain.
I – Première partie – L’Église à l’écoute de la famille
4 – Le mystère de la création de la vie sur terre nous remplit d’émerveillement et de stupeur. La famille fondée sur le mariage de l’homme et de la femme est le lieu magnifique et irremplaçable de l’amour qui donne la vie. L’amour ne se réduit pas à l’illusion du moment. L’amour n’est pas une fin en soi. L’amour cherche la fiabilité d’un « tu » donné personnellement. Dans la promesse réciproque d’amour, pour le meilleur et pour le pire, l’amour se veut continu pour toute la vie, jusqu’à la mort. Le désir fondamental de construire un réseau d’affection solide entre les générations d’une même famille, nous apparaît comme très constant, au-delà des différences culturelles et religieuses et des changements sociaux. Dans la liberté du « oui » échangé par l’homme et la femme pour toute la vie, c’est l’amour de Dieu qui s’expérimente et qui se fait présent. Pour la foi catholique, le mariage est un signe sacré dans lequel l’amour de Dieu pour son Église devient efficace. La famille chrétienne fait donc partie de l’Église vécue : une « Église domestique ». Le couple et la vie dans le mariage ne sont pas des réalités abstraites. Elles restent imparfaites et vulnérables. C’est pourquoi il doit toujours y avoir une volonté de se convertir, de pardonner et de recommencer. En tant que pasteurs, il est de notre responsabilité de nous préoccuper de la vie des familles. Nous désirons être à l’écoute de leur réalité de vie et de leurs défis, et les accompagner avec le regard plein d’amour de l’Évangile. Nous désirons leur donner de la force et les aider à saisir leur mission aujourd’hui. Nous désirons aussi les accompagner de tout cœur dans leurs préoccupations, en leur donnant courage et espérance et en s’appuyant sur la miséricorde de Dieu.
Chapitre I – La famille et le contexte anthropologico-culturel
Le contexte socioculturel
5 – Dociles à ce que l’Esprit Saint nous demande, nous nous rapprochons des familles d’aujourd’hui dans leur diversité, sachant que « le Christ, nouvel Adam (…) manifeste pleinement l’homme à luimême » (GS, 22). Nous portons notre attention sur les défis contemporains qui influencent de multiples aspects de la vie. Nous sommes conscients de l’orientation dominante des changements anthropologico-culturels, qui font que les individus sont moins soutenus que par le passé par les structures sociales dans leur vie affective et familiale. D’autre part, il faut également prendre en considération le développement d’un individualisme exacerbé qui dénature les liens familiaux, faisant prévaloir l’idée d’un sujet qui se construit selon ses propres désirs, enlevant toute force aux liens existants. Pensons aux mères et aux pères, aux grands-parents, aux frères et soeurs, aux parents proches et plus éloignés et aux liens entre deux familles tissés par tout mariage. Il ne faut cependant pas oublier la réalité vécue : la solidité des liens familiaux continue partout à maintenir le monde en vie. L’énergie consacrée à protéger la dignité de toute personne – homme, femme et enfants –, des groupes ethniques et des minorités reste grande, tout comme la défense des droits de chaque être humain à grandir dans une famille. Leur fidélité n’est pas honorée si l’on ne réaffirme pas une claire conviction de la valeur de la vie familiale, en particulier en s’appuyant sur la lumière de l’Évangile, dans toutes les cultures. Nous sommes conscients des forts changements que les transformations anthropologico-culturelles concrètes amènent dans tous les aspects de la vie, et restons fermement convaincus que la famille est un don de Dieu, le lieu dans lequel il révèle la puissance de sa grâce salvifique. Aujourd’hui encore, le Seigneur appelle l’homme et la femme au mariage, il les accompagne dans leur vie familiale et il s’offre à eux tel un don ineffable ; il est un des signes des temps que l’Église est appelée à regarder et à interpréter « à la lumière de l’Évangile, de telle sorte qu’elle puisse répondre, d’une manière adaptée à chaque génération, aux questions éternelles des hommes sur le sens de la vie présente et future et sur leurs relations réciproques. Il importe donc de connaître et de comprendre ce monde dans lequel nous vivons, ses attentes, ses aspirations, son caractère souvent dramatique » (GS, 4).
Le contexte religieux
6 – La foi chrétienne est forte et vivante. Dans certaines régions du monde, on observe cependant un repli certain de l’influence religieuse dans l’espace social, ce qui impacte la vie des familles. Ce mouvement tend à reléguer la dimension religieuse dans la sphère privée et familiale, et risque de faire obstacle au témoignage et à la mission des familles chrétiennes dans le monde actuel. Dans des sociétés où le bien-être est élevé, les personnes risquent de mettre tous leurs espoirs dans une recherche effrénée de reconnaissance sociale et de prospérité économique. Dans d’autres régions du monde, les effets négatifs d’un ordre économique mondial injuste conduisent à des formes de religiosité exposées aux extrémismes sectaires et radicaux. Il faut aussi mentionner les mouvements animés par un fanatisme politico-religieux, souvent hostile au christianisme. Créant instabilité, semant le désordre et la violence, ils sont la cause de tant de misères et de souffrances pour la vie des familles. L’Église est appelée à accompagner la religiosité vécue dans les familles pour l’orienter dans un sens évangélique.
Le changement anthropologique
7 – Dans les différentes cultures, les relations et l’appartenance sont des valeurs importantes qui forgent l’identité des individus. La famille offre aux personnes la possibilité de se réaliser et de contribuer à la croissance des autres dans la société au sens large. L’identité chrétienne et ecclésiale de chacun, reçue dans le baptême, s’épanouit dans la beauté de la vie familiale. Dans la société d’aujourd’hui, on observe une multitude de défis qui se manifestent de façon plus ou moins forte dans les différentes parties du monde. Dans les diverses cultures, beaucoup de jeunes sont réticents à prendre des engagements définitifs dans leurs relations affectives, et ils choisissent souvent de vivre en concubinage ou d’avoir simplement des relations occasionnelles. La diminution de la natalité est le résultat de différents facteurs, parmi lesquels l’industrialisation, la révolution sexuelle, la peur de la surpopulation, les problèmes économiques, le développement d’une mentalité tournée vers la contraception et l’avortement. La société de consommation peut également dissuader d’avoir des enfants, simplement pour préserver sa liberté et son niveau de vie. Certains catholiques ont des difficultés à conduire leur vie en accord avec l’enseignement de l’Église catholique sur le mariage et la famille, et à voir dans cet enseignement la bonté du projet créateur de Dieu pour eux. Dans certaines parties du monde, les mariages diminuent, tandis que les séparations et les divorces sont nombreux.
Les contradictions culturelles
8 – Les conditions culturelles qui jouent sur la famille offrent dans de vastes parties du monde un cadre contrasté, notamment sous l’influence massive des médias. D’un côté, le mariage et la famille jouissent d’une grande estime, et l’idée que la famille représente le chemin le plus sûr pour des sentiments plus profonds et plus gratifiants reste dominante. D’un autre côté, cette image est parfois présentée comme le résultat d’attentes excessives et la conséquence de prétentions réciproques exagérées. Les tensions induites par une culture individualiste exacerbée, culture de la possession et de la jouissance, conduisent à des situations de souffrance et d’agressivité à l’intérieur des familles. On peut également mentionner une certaine vision du féminisme, qui dénonce la maternité comme une façon d’exploiter la femme et un obstacle à sa pleine réalisation. On constate aussi une tendance croissante à considérer la conception d’un enfant comme un simple instrument de l’affirmation de soi, à obtenir par tous les moyens. Un défi culturel de grande envergure émerge aujourd’hui avec l’idéologie du « genre », qui nie la différence et la réciprocité naturelle entre un homme et une femme. Elle nous projette dans une société sans différence de sexe, et sape la base anthropologique de la famille. Cette idéologie conduit à des projets éducatifs et à des orientations législatives qui promeuvent une identité personnelle et une intimité affective radicalement séparées de la différence biologique entre masculin et féminin. L’identité humaine est laissée à un choix individuel, qui peut évoluer dans le temps. Dans la vision de la foi, la différence sexuelle humaine porte en elle l’image et la ressemblance avec Dieu (cf. Gn 1,26–27). « Cela nous dit que non seulement l’homme pris en soi est à l’image de Dieu, non seulement la femme prise en soi est l’image de Dieu, mais aussi que l’homme et la femme, comme couple, sont l’image de Dieu. (…) Nous pouvons dire que sans l’enrichissement réciproque dans cette relation – dans la pensée et dans l’action, dans les attaches familiales et dans le travail, et également dans la foi – tous deux ne peuvent même pas comprendre pleinement ce que signifie être homme et femme. La culture moderne et contemporaine a ouvert de nouveaux espaces, de nouvelles libertés et de nouvelles perspectives pour une compréhension plus riche de cette différence. Mais elle a introduit également de nombreux doutes et beaucoup de scepticisme. (…) L’annulation de la différence (…) est le problème, pas la solution » (François, audience générale, 15 avril 2015).
Conflits et tensions sociales
9 – La qualité affective et spirituelle de la vie familiale est gravement menacée par la multiplication des conflits, par l’appauvrissement des ressources, par les phénomènes migratoires. De violentes persécutions religieuses, particulièrement à l’encontre des familles chrétiennes, dévastent des régions entières de notre planète, créant des mouvements d’exode et d’immenses vagues de réfugiés qui exercent de grandes pressions sur les capacités des régions d’accueil. Les familles ainsi éprouvées sont très souvent contraintes au déracinement et sont à la limite de la dissolution. La fidélité des chrétiens à leur foi, leur patience et leur attachement à leur pays d’origine sont admirables à tout point de vue. Les efforts de tous les responsables politiques et religieux pour répandre et protéger la culture des droits de l’homme sont encore insuffisants. Il faut encore respecter la liberté de conscience et promouvoir une coexistence harmonieuse entre tous les habitants fondée sur la citoyenneté, l’égalité et la justice. Le poids de politiques économiques et sociales iniques, même dans nos sociétés développées, a un lourd impact sur l’éducation des enfants, le soin des malades et des plus âgés. La dépendance à l’alcool, aux drogues et aux jeux d’argent est l’expression de ces contradictions sociales et du malaise qui en découle dans la vie des familles. L’accumulation de richesses par une minorité et le détournement de ressources destinées au projet familial accroissent l’appauvrissement des familles dans de multiples régions du monde.
Fragilité et force de la famille
10 – La famille, communauté humaine fondamentale, souffre grandement de son affaiblissement et de sa fragilité dans la crise culturelle et sociale actuelle. Elle n’en démontre pas moins sa capacité à trouver en elle-même le courage d’affronter l’inadéquation voire l’absence des institutions concernant la formation des personnes, la qualité des rapports sociaux, les soins apportés aux plus vulnérables. Il est donc particulièrement nécessaire d’apprécier à sa juste valeur la force de la famille, pour pouvoir la défendre dans sa fragilité. Une telle force réside essentiellement dans sa capacité d’aimer et d’apprendre à aimer. Aussi blessée soit-elle, une famille pourra toujours grandir en s’appuyant sur l’amour.
Chapitre II – La famille et le contexte socio-économique
La famille, ressource irremplaçable de la société
11 – « La famille est une école d’enrichissement humain (…), elle est le fondement de la société » (GS, 52). L’ensemble des liens de parenté, au-delà du cercle restreint de la famille, offre un soutien précieux à l’éducation des enfants, à la transmission des valeurs, à l’entretien des liens entre les générations, à l’enrichissement d’une spiritualité vécue. Alors que dans certaines régions du monde, cette vision de la famille est profondément ancrée dans la culture sociale dominante, elle apparaît ailleurs très affaiblie. Il est certain que, dans une époque de fragmentation accentuée des situations de vie, les multiples niveaux et facettes des relations entre famille proche et plus éloignée constituent souvent les uniques liens avec les origines et les racines familiales. Le soutien du réseau familial est encore plus nécessaire là où la mobilité du travail, les migrations, les catastrophes et l’exil mettent en danger la stabilité du noyau familial.
Politiques en faveur de la famille
12 – Les autorités responsables du bien commun doivent se sentir sérieusement engagées envers ce bien social fondamental qu’est la famille. La préoccupation première de l’administration de la société civile doit être de permettre et de promouvoir des politiques familiales qui soutiennent et encouragent les familles, en premier lieu celles qui sont les plus en difficulté. Il est nécessaire de reconnaître de façon plus concrète l’action compensatoire de la famille dans le contexte des « systèmes de welfare » modernes : elle redistribue les ressources et remplit des devoirs indispensables au bien commun, contribuant à rééquilibrer les effets négatifs des inégalités sociales. « La famille mérite une attention spéciale de la part des responsables du bien commun, parce qu’elle est la cellule fondamentale de la société, qui apporte des liens solides d’union sur lesquels se fonde la vie humaine en commun et, à travers la procréation et l’éducation de ses enfants, assure l’avenir et le renouvellement de la société ». (François, discours à l’aéroport international El Alto, Bolivie, 8 juillet 2015).
Solitude et précarité
13. Dans des contextes culturels où les relations sont fragilisées par des styles de vie égoïstes, la solitude est de plus en plus fréquente. Souvent, seul le sens de la présence de Dieu soutient les personnes face à ce vide. La sensation générale d’impuissance face à une réalité socioéconomique pesante, une pauvreté croissante et la précarité du travail : tout cela impose de façon toujours plus fréquente la recherche d’un emploi loin de sa famille, pour pouvoir la faire vivre. Une telle nécessité crée de longues absences et séparations qui affaiblissent les relations et isolent les membres de la famille les uns des autres. Il est de la responsabilité de l’État de créer les conditions en matière de législation et d’emploi pour garantir l’avenir des jeunes et les aider à réaliser leur projet de fonder une famille. La corruption, qui mine parfois ces institutions, entache profondément la confiance et l’espérance des nouvelles générations, et au-delà. Les conséquences négatives de cette défiance sont évidentes : elles vont de la crise démographique aux problèmes éducatifs, de la difficulté d’accueillir un nouveau-né au sentiment de poids que la présence des plus âgés peut susciter, jusqu’au fait de se laisser gagner par un malaise affectif pouvant parfois aboutir à l’agressivité et à la violence.
Économie et équité
14. Les conditions matérielles et économiques ont une influence sur la vie familiale dans les deux sens : elles peuvent contribuer à sa croissance et faciliter son développement, ou bien faire obstacle à son épanouissement, son unité et sa cohérence. À cause des contraintes économiques, les familles sont exclues de l’accès à l’éducation, à la vie culturelle et à une vie sociale active. L’actuel système économique produit diverses formes d’exclusion sociale. Les familles souffrent en particulier des problèmes liés au travail. Les possibilités pour les jeunes sont peu nombreuses, et l’offre de travail est très sélective et précaire. Les journées de travail sont longues et souvent alourdies de longs temps de trajet. Cela n’aide pas les familles à se retrouver entre elles, autour des enfants, et de nourrir les relations quotidiennes. La « croissance dans l’équité » exige « des décisions, des programmes, des mécanismes et des processus spécifiquement orientés vers une meilleure distribution des revenus » (EG, 204) et la mise en œuvre d’un soutien complet envers les pauvres. Des politiques familiales adéquates sont nécessaires à la vie familiale : elles sont les conditions d’un avenir vivable, harmonieux et digne.
Pauvreté et exclusion
15. Certains groupes sociaux et religieux se trouvent partout en marge de la société : ce sont les migrants, les gens du voyage, les sans domicile fixe, les réfugiés, les intouchables selon le système de castes, enfin ceux qui souffrent de maladies stigmatisantes socialement. La Sainte Famille de Nazareth elle aussi, a connu l’expérience amère de la marginalisation et du refus (cf. Lc 2,7 ; Mt 2, 13–15). Les paroles de Jésus sur le jugement dernier sont à ce propos sans équivoque : « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40). Le système économique actuel produit de nouvelles formes d’exclusion sociale, qui rendent souvent les pauvres invisibles aux yeux de la société. La culture dominante et les moyens de communication contribuent à aggraver cette situation. Cela est dû au fait que « dans ce système, l’homme, la personne humaine, a été ôtée du centre et a été remplacée par autre chose. Parce qu’on rend un culte idolâtre à l’argent. Parce que l’indifférence s’est mondialisée ! » (François, discours aux participants à la Rencontre mondiale des mouvements populaires, 28 octobre 2014). Dans un tel cadre, la condition des enfants suscite une préoccupation particulière : ils sont les victimes innocentes de l’exclusion, qui les rend véritablement et proprement « orphelins sociaux » et les marque tragiquement pour toute leur vie. Malgré les énormes difficultés qu’elles rencontrent, de nombreuses familles pauvres et marginalisées s’efforcent de vivre avec dignité dans leur vie quotidienne, se confiant à Dieu, qui ne déçoit pas et n’abandonne personne.
Écologie et famille
16. L’Église, grâce à l’impulsion du Magistère pontifical, souhaite que l’on repense profondément l’orientation du système mondial. Dans cette perspective, elle collabore au développement d’une nouvelle culture écologique : une pensée, une politique, un programme éducatif, un style de vie et une spiritualité. Puisque tout est intimement lié, comme l’affirme le pape François dans l’encyclique Laudato Si, il est nécessaire d’approfondir les aspects d’une « écologie intégrale » qui inclut non seulement les dimensions environnementales, mais également les dimensions humaines, sociales et économiques pour un développement durable et pour la sauvegarde de la création. La famille, qui fait partie de l’écologie humaine de manière particulière, doit être protégée de façon adéquate (cf. Jean-Paul II, Centesimus Annus, 38). Grâce à la famille, nous appartenons à l’ensemble de la création, nous contribuons de manière spécifique à promouvoir la protection de l’environnement, nous apprenons la signification d’avoir un corps et le langage plein d’amour de la différence homme-femme, et nous collaborons au dessein du Créateur (cf. LS, 5, 155). La conscience de tout cela exige une véritable conversion, à mener en famille. C’est au sein de celle-ci que l”« on cultive les premiers réflexes d’amour et de préservation de la vie, comme par exemple l’utilisation correcte des choses, l’ordre et la propreté, le respect pour l’écosystème local et la protection de tous les êtres créés. La famille est le lieu de la formation intégrale, où se déroulent les différents aspects, intimement reliés entre eux, de la maturation personnelle ». (LS, 213).
Chapitre III – Famille, inclusion et société
Le troisième âge
17. L’une des tâches les plus lourdes et les plus urgentes de la famille chrétienne est de protéger le lien entre les générations pour la transmission de la foi et des valeurs fondamentales de la vie. La plupart des familles respecte les personnes âgées, les entoure d’affection et voit en elles une bénédiction. Une reconnaissance particulière doit aller aux associations et aux mouvements familiaux qui oeuvrent en faveur des plus âgés dans les domaines spirituels et sociaux, en particulier ceux qui agissent en collaboration avec les prêtres ayant charge d’âmes. Dans certains milieux, les personnes âgées sont considérées comme une richesse dans la mesure où elles assurent la stabilité, la continuité et la mémoire des familles et des sociétés. Dans les sociétés très industrialisées, où leur nombre tend à augmenter tandis que la natalité diminue, elles peuvent être perçues comme un poids. D’autre part, les soins qu’elles requièrent mettent souvent leurs proches en difficulté. « Les personnes âgées sont des hommes et des femmes, des pères et des mères qui sont passés avant nous sur notre même route, dans notre même maison, dans notre bataille quotidienne pour une vie digne. Ce sont des hommes et des femmes dont nous avons beaucoup reçu. La personne âgée n’est pas un extraterrestre. La personne âgée, c’est nous, dans peu de temps, dans longtemps, mais cependant inévitablement, même si nous n’y pensons pas. Et si nous n’apprenons pas à bien traiter les personnes âgées, nous serons traités de la même manière » (François, audience générale, 4 mars 2015).
18. La présence des grands-parents dans la famille mérite une attention particulière. Ils sont le maillon entre les générations et assurent un équilibre psychoaffectif à travers la transmission de traditions et d’habitudes, de valeurs et de vertus dans lesquelles les plus jeunes peuvent reconnaître leurs racines. En outre, les grands-parents réfléchissent régulièrement avec leurs enfants sur les questions économiques, éducatives et sur la transmission de la foi aux petits-enfants. Beaucoup de personnes font le constat que c’est à leurs grands-parents qu’ils doivent leur initiation à la vie chrétienne. Comme dit le livre du Siracide : « Ne fuis pas la conversation des vieillards – eux-mêmes ont appris de leurs pères – car auprès d’eux tu acquerras l’intelligence et l’art de répondre en temps voulu » (Si 8,9). Espérons que dans la famille, dans la succession des générations, la foi soit communiquée et protégée comme un précieux héritage pour les nouvelles familles.
Le veuvage
19. Le veuvage est une expérience particulièrement difficile pour celui qui a vécu le choix du mariage et de la vie familiale comme un don. Cependant il peut, sous le regard de la foi, être valorisé de différentes façons. À partir du moment où l’on se retrouve à vivre cette expérience, certains savent utiliser leur énergie avec encore plus d’implication pour leurs enfants et leurs petits-enfants, trouvant dans cette expression de l’amour une nouvelle mission éducative. Le vide laissé par le conjoint disparu est dans un certain sens rempli par l’affection des proches qui valorisent les personnes veuves, leur donnant de protéger ainsi la mémoire si précieuse de leur mariage. Ceux qui ne peuvent compter sur la présence de proches à qui se consacrer et dont ils peuvent recevoir affection et attention, doivent être soutenus par la communauté chrétienne avec une attention et une disponibilité particulières, surtout s’ils se trouvent dans une situation de pauvreté. Les personnes veuves peuvent célébrer une nouvelle union sacramentelle sans rien enlever à la valeur de leur précédent mariage (cf. 1 Co 7,39). Aux débuts et au cours de son histoire, l’Église a manifesté une attention toute particulière envers les veuves (cf. 1 Ti 5,3–16), allant jusqu’à instituer l’ordo viduarum (l’ordre des veuves), qui pourrait être aujourd’hui remis en pratique.
Les dernières années de vie et le deuil en famille
20. La maladie, l’accident ou la vieillesse qui conduisent à la mort ont des répercussions sur toute la vie familiale. L’expérience du deuil devient particulièrement douloureuse quand la perte concerne un enfant ou un jeune. Cette difficile expérience demande une attention pastorale particulière, également à travers l’implication de la communauté chrétienne. Valoriser les derniers instants de la vie est aujourd’hui d’autant plus nécessaire que l’on essaie par tous les moyens d’ignorer le moment du trépas. La fragilité et la dépendance des personnes âgées sont alors mises à profit de façon inique pour de simples raisons économiques. De nombreuses familles nous montrent qu’il est possible d’affronter les dernières étapes de la vie en mettant en valeur le sens de l’accomplissement et de l’intégration de la vie tout entière dans le mystère pascal. De nombreuses personnes âgées sont accueillies dans des structures ecclésiales où elles peuvent vivre dans une ambiance sereine et familiale, sur les plans matériel et spirituel. L’euthanasie et le suicide assisté constituent de graves menaces pour les familles dans le monde entier. Leur pratique est légale dans de nombreux États. L’Église, tout en condamnant fermement ces pratiques, se sent le devoir d’aider les familles qui prennent soin de leurs membres les plus âgés et malades, et de promouvoir par tous les moyens la dignité et la valeur de la personne jusqu’à la fin naturelle de sa vie.
Les personnes avec des besoins particuliers
21. Un regard particulier doit être porté sur les familles avec des personnes handicapées. Le handicap, qui surgit dans leur vie, constitue un défi profond et inattendu, et bouleverse les équilibres, les désirs et les attentes. Cela apporte des émotions contradictoires et mène à des décisions difficiles à prendre et à gérer, tout en imposant des devoirs, des actions à mener dans l’urgence et des nouvelles responsabilités. L’image de la famille et tout son rythme de vie sont profondément perturbés. Les familles qui acceptent avec amour cette épreuve difficile d’avoir un enfant handicapé méritent toute notre admiration. Elles donnent à l’Église et à la société un témoignage précieux de fidélité au don de la vie. La famille pourra découvrir, avec toute la communauté chrétienne, de nouveaux gestes et de nouveaux langages, d’autres formes de compréhension et d’identité, sur le chemin d’accueil et d’attention au mystère de la fragilité. Les personnes handicapées constituent pour la famille un don et une opportunité de grandir dans l’amour, dans l’aide réciproque et dans l’unité. L’Église, famille de Dieu, veut être une maison accueillante pour les familles avec des personnes handicapées (cf. Jean-Paul II, homélie pour le jubilé des porteurs de handicap, 3 décembre 2000). Elle contribue à les aider dans leurs relations familiales et dans leur éducation, et leur offre des moyens de participer à la vie liturgique de la communauté. Pour certaines personnes handicapées abandonnées ou demeurées seules, les institutions ecclésiales d’accueil constituent souvent l’unique famille. Le Synode exprime à ces dernières sa vive gratitude et son profond soutien. Un tel processus d’intégration s’avère plus difficile dans les sociétés où perdurent la stigmatisation et les préjugés – qui vont jusqu’à être théorisés dans une vision eugéniste. Cependant, de nombreuses familles, communautés et mouvements ecclésiaux découvrent et célèbrent les dons de Dieu dans ces personnes aux besoins spécifiques, en particulier leur singulière capacité à communiquer et à rassembler. Une attention particulière est accordée aux personnes handicapées qui survivent à leurs parents et famille plus large qui les ont soutenues tout au long de leur vie. La mort de ceux qui les ont aimées et qu’elles ont aimés les rend particulièrement vulnérables. Une famille qui accepte, avec le regard de la foi, la présence de personnes handicapées, pourra reconnaître et garantir la qualité et la valeur de toute vie, avec ses besoins, ses droits et ses opportunités. Elle sollicitera des services et des soins, et favorisera une présence affectueuse dans toutes les phases de la vie.
Les personnes célibataires
22. Beaucoup de personnes qui ne se marient pas se consacrent non seulement à leur famille d’origine, mais elles rendent aussi souvent de grands services dans leur cercle d’amis, leur communauté ecclésiale et leur vie professionnelle. Il n’en reste pas moins que leur présence et leur contribution sont souvent négligées, et cela leur procure un certain sentiment de solitude. On trouve souvent chez elles de nobles motivations, qui conduisent à leur pleine implication dans les domaines artistiques, scientifiques ou pour le bien commun. Beaucoup mettent également leurs talents au service de la communauté chrétienne, dans le cadre d’activités de charité et de bénévolat. Puis il y a celles qui ne se marient pas car elles entrent dans la vie consacrée, par amour du Christ et de leurs frères. Leur engagement est une source d’enrichissement pour la famille, que ce soit dans l’Église ou dans la société.
Migrants, réfugiés et persécutés
23. Les conséquences des phénomènes migratoires sur la famille méritent une attention pastorale particulière. Cela touche, avec des modalités différentes, des populations entières dans diverses parties du monde. L’Église a joué dans ce domaine un rôle de premier plan. Aujourd’hui plus que jamais, la nécessité de maintenir et de développer ce témoignage évangélique (cf. Mt 25,35) semble urgente. L’histoire de l’humanité est une histoire de migration : cette vérité est inscrite dans la vie des peuples et des familles. Même notre foi nous le redit : nous sommes tous des pèlerins. Cette conviction doit susciter en nous compréhension, ouverture et responsabilité face aux défis des migrations, tant pour celles vécues dans la souffrance que pour celles qui sont considérées comme une opportunité. La mobilité des hommes, qui correspond au mouvement historique naturel des peuples, peut se révéler être une authentique richesse, tant pour la famille qui émigre que pour le pays qui l’accueille. Toute autre chose est la migration forcée des familles, résultat de situations de guerre, de persécutions, de pauvreté, d’injustices, marquée par les aléas d’un voyage qui met les vies en danger, traumatise les personnes et déstabilise les familles. L’accompagnement des migrants exige une pastorale spécifique tournée vers la famille immigrante, mais aussi vers les membres des familles restés dans leur pays d’origine. Cet accompagnement doit être mené dans le respect de leur culture, de leur formation religieuse et humaine, de la richesse spirituelle de leurs rites et traditions. Il doit prendre s’il le faut la forme d’une approche pastorale spécifique : « Il est important de considérer les migrants non seulement en fonction de la régularité ou de l’irrégularité de leur condition, mais surtout comme des personnes qui, une fois leur dignité assurée, peuvent contribuer au bien-être et au progrès de tous, en particulier lorsqu’ils assument la responsabilité de leurs devoirs envers ceux qui les accueillent, en respectant de façon reconnaissante le patrimoine matériel et spirituel du pays hôte, en obéissant à ses lois et en contribuant à ses charges (François, message pour la journée mondiale des migrants et des réfugiés 2016, 12 septembre 2015). Les migrations sont particulièrement dramatiques et dévastatrices pour les familles et pour les individus quand elles se déroulent en dehors de la légalité et sont organisées par des circuits internationaux de traite des êtres humains. On peut en dire de même quand elles concernent des femmes ou des enfants livrés à eux-mêmes, contraints à des séjours prolongés dans des lieux de passage, dans des camps de réfugiés, où il est impossible d’envisager un parcours d’intégration. La pauvreté extrême ou d’autres situations de désintégration amènent parfois les familles à vendre leurs propres enfants à des fins de prostitution ou de trafic d’organes.
24. La rencontre avec un nouveau pays et une nouvelle culture est d’autant plus difficile quand les conditions d’un accueil et d’une acceptation authentiques, dans le respect des droits de tous et d’une coexistence pacifique et solidaire, ne sont pas réunies. Ce devoir interpelle directement la communauté chrétienne : « La responsabilité d’offrir accueil, solidarité et assistance aux réfugiés revient avant tout à l’Église locale. Elle est appelée à incarner les exigences de l’Évangile en allant, sans faire de distinctions, au-devant de ces personnes alors dans le besoin et dans la solitude » (Conseil pontifical Cor Unum et Conseil pontifical pour la pastorale des migrants et des personnes en déplacement, Les réfugiés, un défi à la solidarité, 26). Aujourd’hui, dans beaucoup de cas, le mal du pays, la nostalgie pour les racines perdues et les difficultés d’intégration sont des problèmes qui ne sont pas surmontés et qui créent de nouvelles souffrances, même pour la deuxième ou troisième génération de familles de migrants, alimentant les phénomènes de fondamentalisme et de violent rejet de la part de la culture qui accueille. Pour dépasser ces difficultés, la rencontre entre familles est une ressource précieuse, et les femmes jouent souvent un rôle essentiel dans le processus d’intégration, à travers le partage d’expérience au sujet de la croissance des enfants. En effet, même dans la situation de précarité qui est la leur, elles témoignent d’une culture de l’amour familial qui encourage les autres familles à accueillir et à protéger la vie, en se montrant solidaires. Les femmes peuvent transmettre aux nouvelles générations la foi vivante dans le Christ, qui les a soutenues dans l’expérience douloureuse de la migration et qui en a été renforcée. Les persécutions des chrétiens, ainsi que celles de minorités ethniques et religieuses en diverses parties du monde, spécialement au Moyen-Orient, constituent une grande épreuve non seulement pour l’Église mais pour toute la communauté internationale. Tout effort pour favoriser le maintien des familles et des communautés chrétiennes dans leur pays d’origine doit être soutenu. Benoît XVI a affirmé : « Un Moyen-Orient sans ou avec peu de chrétiens n’est plus le Moyen-Orient, car les chrétiens participent avec les autres croyants à l’identité si particulière de la région » (Exhortation apostolique Ecclesia in Medio Oriente, 31).
Quelques défis particuliers
25. Dans certaines sociétés subsiste encore la pratique de la polygamie ; dans d’autres contextes, on pratique encore les mariages arrangés. Dans les pays où la présence de l’Église catholique est minoritaire, les mariages mixtes avec des disparités de culte sont nombreux, avec toutes les difficultés que cela comporte concernant les aspects juridiques, le baptême, l’éducation des enfants et le respect réciproque face aux différences en matière de foi. Dans ces mariages, il peut exister le risque du relativisme ou de l’indifférence, mais cela peut aussi favoriser l’esprit oecuménique et le dialogue interreligieux, dans une harmonieuse cohabitation de communautés vivant dans un même lieu. Dans de nombreux endroits, et pas seulement en Occident, se diffuse largement la pratique d’une cohabitation avant le mariage ou même de cohabitation sans aspirer à un lien institutionnel. À cela s’ajoute souvent une législation civile qui compromet le mariage et la famille. Dans de nombreux endroits du monde, à cause de la sécularisation, la référence à Dieu diminue fortement et la foi n’est plus un fait social partagé.
Les enfants
26. Les enfants sont une bénédiction de Dieu (cf. Gn 4,1). Ils doivent occuper la première place dans la vie familiale et sociale, et constituer une priorité dans l’action pastorale de l’Église : « En effet, l’on peut juger la société à la façon dont on y traite les enfants, mais pas seulement moralement, sociologiquement aussi, si c’est une société libre ou une société esclave d’intérêts internationaux. (…) Les enfants nous rappellent (…) que nous sommes toujours des enfants (…). Et cela nous renvoie toujours au fait que nous ne nous sommes pas donné la vie nous-mêmes mais que nous l’avons reçue » (François, audience générale, 18 mars 2015). Cependant, les enfants deviennent souvent objets de litige entre les parents et sont les véritables victimes des déchirements familiaux. Les droits des enfants sont négligés de multiples façons. Dans certaines régions du monde, ils sont considérés comme une véritable marchandise, traités comme des travailleurs à bas coûts, utilisés pour faire la guerre, objets de tout type de violence physique et psychologique. Les enfants migrants sont exposés à différentes sortes de souffrances. De plus, l’exploitation sexuelle de l’enfance constitue l’une des réalités les plus scandaleuses et perverses de la société actuelle. Dans les sociétés traversées par la violence à cause de la guerre, du terrorisme ou de la présence du crime organisé, les situations familiales dégradées se multiplient. Dans les grandes métropoles et dans leurs périphéries, le phénomène des enfants des rues se développe dramatiquement.
La femme
27. La femme joue un rôle déterminant dans la vie des personnes, de la famille et de la société. « Chaque personne humaine doit la vie à une mère, et presque toujours, elle lui doit une grande partie de son existence qui suit, de sa formation humaine et spirituelle » (François, audience générale, 7 janvier 2015). La mère protège la mémoire et le sens de la naissance pour toute la vie : « Marie, cependant, retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur (Lc 2,19.51). Il n’en reste pas moins que la condition féminine dans le monde est marquée par de grandes différences, dues principalement à des facteurs socioculturels. Il faut défendre et promouvoir la dignité de la femme. Il ne s’agit pas seulement d’un problème de ressources économiques, mais d’une perspective culturelle autre, comme le montrent les conditions de vie difficiles pour les femmes dans de nombreux pays ayant connu un développement récent. Encore de nos jours, dans de nombreuses situations, être une femme est cause de discrimination : même la maternité est pénalisée au lieu d’être valorisée. D’un autre côté, dans certaines cultures, la stérilité pour une femme est source de discrimination sociale. Il ne faut pas non plus oublier les phénomènes croissants de violence dont les femmes sont victimes au sein de la famille. L’exploitation des femmes et les violences faites à leur corps sont souvent liées à l’avortement et à la stérilisation forcée. À cela s’ajoutent les conséquences négatives de pratiques liées à la procréation, telles que la gestation pour autrui, ou le marché des gamètes et des embryons. L’émancipation féminine requiert de repenser la répartition des tâches entre époux et leur responsabilité commune en ce qui concerne la vie familiale. Le désir d’enfant à tout prix n’a pas conduit à des relations familiales plus heureuses et plus solides. Au contraire, dans de nombreux cas, elle a aggravé de fait l’inégalité entre femmes et hommes. Pour contribuer à la reconnaissance sociale de leur rôle déterminant, on pourrait valoriser davantage les responsabilités des femmes au sein de l’Église : leur intervention dans les processus de décision, leur participation au gouvernement de certaines institutions, leur implication dans la formation des ministres ordonnés.
L’homme
28. L’homme joue un rôle tout aussi décisif dans la vie de la famille, en particulier dans la protection et le soutien envers son épouse et ses enfants. Modèle de cette figure paternelle, saint Joseph, homme juste qui, dans le danger « prit avec lui l’enfant et sa mère dans la nuit » (Mt 2,14) et les mit à l’abri. De nombreux hommes sont conscients de l’importance de leur rôle dans la famille et le vivent avec les qualités propres du caractère masculin. L’absence de père marque gravement la vie familiale, l’éducation des enfants et leur insertion dans la société. Son absence peut être physique, affective, intellectuelle ou spirituelle. Ce manque prive les enfants d’un modèle paternel de référence. L’implication croissante des femmes dans le monde du travail, hors de la maison, n’a pas été compensée de manière adéquate par une implication plus importante des hommes dans la sphère domestique. Dans le contexte actuel, la sensibilité de l’homme à son devoir de protection de son épouse et des enfants contre toute forme de violence et de dégradation s’est affaiblie. « Le mari – dit Paul – doit aimer sa femme « comme son propre corps » (Ep 5, 28) ; l’aimer comme le Christ « a aimé l’Église et s’est livré pour elle » (v. 25). Mais vous les maris (…), comprenez-vous cela ? Aimer votre femme comme le Christ aime l’Église ? (…) L’effet de la radicalité du dévouement demandé à l’homme, pour l’amour et la dignité de la femme, à l’exemple du Christ, doit avoir été immense, dans la communauté chrétienne elle-même. Ce germe de nouveauté évangélique, qui rétablit la réciprocité originelle du dévouement et du respect, a grandi lentement au fil des siècles, puis a fini par prévaloir » (François, audience générale, 6 mai 2015).
Les jeunes
29. Beaucoup de jeunes continuent à considérer le mariage comme le grand désir de leur vie et le projet de fonder une famille comme la réalisation de leurs aspirations. En pratique, ils adoptent cependant des attitudes différentes face au mariage. Ils sont souvent conduits à repousser leur mariage pour des problèmes économiques, liés au travail ou aux études. Parfois aussi pour d’autres raisons, comme l’influence des idéologies qui dévalorisent le mariage et la famille, l’échec d’autres couples qu’ils ne veulent pas eux-mêmes connaître, la peur de quelque chose qu’ils considèrent comme trop grand et trop sacré, les opportunités sociales et les avantages économiques liés au concubinage, une conception purement émotionnelle et romantique de l’amour, la peur de perdre sa liberté et son autonomie, le refus de quelque chose qui est perçu comme institutionnel et bureaucratique. L’Église regarde avec appréhension cette défiance de tant de jeunes vis-à-vis du mariage, et souffre de voir avec quelle précipitation tant de fidèles décident de mettre fin à leur engagement conjugal pour en démarrer un nouveau. Les jeunes baptisés sont encouragés à ne pas hésiter devant la richesse que procure le sacrement du mariage à leur projet d’amour, forts du soutien qu’ils reçoivent de la grâce du Christ et de la possibilité de participer pleinement à la vie de l’Église. Il est donc nécessaire d’identifier plus précisément les motivations profondes du renoncement et du découragement. Les jeunes peuvent prendre davantage confiance dans l’engagement du mariage en voyant ces familles qui, dans la communauté chrétienne, leur offrent l’exemple fiable d’un témoignage durable dans le temps.
Chapitre IV – Famille, affectivité et vie
L’importance de la vie affective
30. « Celui qui veut donner de l’amour doit lui aussi le recevoir comme un don. L’homme peut assurément, comme nous le dit le Seigneur, devenir source d’où sortent des fleuves d’eau vive (cf. Jn 7, 37–38). Mais pour devenir une telle source, il doit luimême boire toujours à nouveau à la source première et originaire qui est Jésus-Christ, du cœur transpercé duquel jaillit l’amour de Dieu (cf. Jn 19, 34) » (DCE, 7) . Le besoin de prendre soin de soi, de se connaître en profondeur, de vivre de façon plus harmonieuse avec ses émotions et ses sentiments, de chercher des relations affectives de qualité, doit déboucher sur le don de l’amour pour les autres et sur le désir de construire des relations créatives, responsabilisantes et solidaires, comme au sein d’une famille. Le défi pour l’Église est d’aider les couples pour faire mûrir la dimension émotionnelle et la dimension affective en encourageant le dialogue, la vertu et la confiance en l’amour miséricordieux de Dieu. Le dévouement total que requiert le mariage chrétien est un puissant antidote à la tentation d’une existence individuelle repliée sur soi.
La formation au don de soi
31. La qualité des relations familiales a un impact en premier chef sur la formation affective des jeunes générations. La rapidité avec laquelle se déroulent les transformations de la vie contemporaine rend plus difficile l’accompagnement des personnes pour qu’elles mûrissent dans la formation de leur affectivité. Il exige également une action pastorale appropriée, riche d’une connaissance approfondie de l’Écriture et de la doctrine catholique, et dotée d’instruments éducatifs adaptés. Une connaissance de la psychologie de la famille sera bienvenue pour que soit transmise de façon efficace la vision chrétienne : cet effort éducatif doit démarrer dès la catéchèse de l’initiation chrétienne. Cette formation aura soin de mettre en valeur la vertu de la chasteté, comprise comme une intériorisation des sentiments qui favorise le don de soi.
Fragilité et immaturité
32. Dans le monde actuel, de nombreuses tendances culturelles visent à imposer une sexualité sans limite, dont on veut explorer tous les aspects, même les plus complexes. La question de la fragilité affective est d’une grande actualité : une affectivité narcissique, instable et changeante n’aide pas la personne à gagner en maturité. Nous dénonçons avec fermeté la forte diffusion de la pornographie et de la commercialisation du corps, favorisées notamment par un mauvais usage d’internet, ainsi que la prostitution forcée et son exploitation. Dans ce contexte, les couples sont parfois incertains, hésitants, et ont du mal à trouver les moyens de grandir. Nombreux sont ceux qui ont tendance à rester dans les premiers stades de la vie émotionnelle et sexuelle. La crise du couple déstabilise la famille et peut avoir, avec les séparations et les divorces, de sérieuses conséquences sur les adultes, les enfants et la société, affaiblissant l’individu et les liens sociaux. La baisse de la démographie, due à une mentalité antinataliste et soutenue par des politiques mondiales de « santé reproductive », menace le lien entre les générations. Il en découle aussi un appauvrissement économique et une perte généralisée d’espérance.
Technique et procréation humaine
33. La révolution biotechnologique dans le domaine de la procréation humaine a amené la possibilité de manipuler l’acte créateur, le rendant indépendant de la relation sexuelle entre l’homme et la femme. De cette façon, la vie humaine et la parentalité sont devenues des réalités qui ne sont plus nécessairement corrélées, avant tout sujettes aux désirs des individus ou des couples, qui ne sont pas nécessairement hétérosexuels ou mariés. Ce phénomène est apparu ces derniers temps comme une nouveauté absolue pour l’humanité, et se diffuse de plus en plus. Tout cela a de profondes répercussions sur la dynamique des relations, sur la structure de la vie sociale et sur les dispositions juridiques, qui interviennent pour donner un cadre réglementaire à des pratiques déjà existantes et des situations différentes. Dans ce contexte, l’Église ressent la nécessité de dire une parole de vérité et d’espérance. Il faut partir de la conviction que l’homme vient de Dieu et vit constamment en sa présence : « La vie humaine est sacrée parce que, dès son origine, elle comporte « l’action créatrice de Dieu » et demeure pour toujours dans une relation spéciale avec le Créateur, son unique fin. Dieu seul est le Maître de la vie, de son commencement à son terme : personne, en aucune circonstance, ne peut revendiquer pour soi le droit de détruire directement un être humain innocent » (Congrégation pour la Doctrine de la foi, Instruction Donum vitae, introduction, 5 ; cf. Jean-Paul II, Evangelium vitae, 53).
Le défi pour la pastorale
34. Une réflexion capable de reposer les grandes questions sur la signification de l’existence humaine, trouve un terrain favorable dans les attentes les plus profondes de l’humanité. Les grandes valeurs du mariage et de la famille chrétienne correspondent à cette recherche qui traverse l’existence humaine, même en ces temps marqués par l’individualisme et l’hédonisme. Il faut accueillir les personnes avec compréhension et délicatesse dans leur existence concrète, et savoir soutenir leur recherche de sens. La foi encourage le désir de Dieu et la volonté de se sentir comme faisant pleinement partie de l’Église même quand on a vécu l’échec ou que l’on se trouve dans les situations les plus difficiles. Le message chrétien contient toujours en lui la réalité et la dynamique de la miséricorde et de la vérité qui convergent dans le Christ : « La vérité première de l’Église est l’amour du Christ. L’Église se fait servante et médiatrice de cet amour qui va jusqu’au pardon et au don de soi. En conséquence, là où l’Église est présente, la miséricorde du Père doit être manifeste » (MV, 12). Dans la formation à la vie conjugale et familiale, l’approche pastorale devra tenir compte de la pluralité des situations concrètes. Si, d’une part, il faut promouvoir des parcours qui garantissent la formation des jeunes au mariage, il faut d’autre part accompagner ceux qui vivent seuls ou qui ne forment pas de nouvelle cellule familiale, restant souvent liés à leur famille d’origine. Les couples qui ne peuvent avoir d’enfants doivent aussi faire l’objet d’une attention pastorale particulière de la part de l’Église, qui doit les aider à découvrir le dessein de Dieu les concernant, au service de toute la communauté. Tous ont besoin d’un regard de compréhension, en tenant compte du fait que les situations d’éloignement par rapport à la vie ecclésiale ne sont pas toujours voulues, mais sont souvent induites et parfois même subies. Il n’y a pas d’exclus du point de vue de la foi ; tous sont aimés de Dieu et sont au centre de l’action pastorale de l’Église.
II – Deuxième partie La famille dans le plan de Dieu
35. Discerner la vocation de la famille dans la multitude des situations que nous avons évoquées dans la première partie demande une orientation sûre en termes de cheminement et d’accompagnement. Cette boussole est la parole de Dieu dans l’histoire, dont le point culminant est Jésus-Christ, « le chemin, la vérité et la vie » pour tous les hommes et femmes qui constituent une famille. Nous nous mettons donc à l’écoute de ce que l’Église enseigne sur la famille à la lumière de l’Écriture sainte et de la Tradition. Nous sommes convaincus que cette parole répond aux attentes humaines les plus profondes en termes d’amour, de vérité et de miséricorde, et qu’elle réveille les capacités de don et d’accueil, même dans les cœurs brisés et humiliés. C’est dans ce contexte que nous croyons que l’évangile de la famille commence avec la création de l’homme à l’image de Dieu, qui est amour et qui appelle l’homme et la femme à l’amour, selon sa ressemblance (cf. Gn 1, 26–27). La vocation du couple et de la famille à la communion de vie et d’amour perdure dans toutes les étapes du dessein de Dieu malgré les limites et les péchés des hommes. Cette vocation est fondée depuis le début sur le Christ rédempteur (cf. Ep 1, 3–7). Il restaure et améliore l’alliance matrimoniale des origines (cf. Mc 10, 6), guérit le cœur humain (cf. Jn 4, 10), lui donne la capacité d’aimer comme lui aime l’Église, s’offrant pour elle (cf. Ep 5, 32).
36. Cette vocation reçoit sa forme ecclésiale et missionnaire du lien sacramentel qui consacre la relation conjugale indissoluble entre les époux. L’échange des consentements, qui l’institue, signifie pour les époux un engagement de don réciproque et d’accueil, total et définitif, en « une seule chair » (Jn 2, 24). La grâce de l’Esprit Saint fait de l’union des époux un signe vivant du lien du Christ avec l’Église. Leur union devient ainsi, pour toute leur vie, source de grâces multiples : fécondité et témoignage, guérison et pardon. Le mariage se réalise dans la communauté de vie et d’amour, et la famille devient évangélisatrice. Les époux, devenus ses disciples, sont accompagnés par Jésus dans leur chemin vers Emmaüs, ils le reconnaissent à la fraction du pain, et ils s’en retournent à Jérusalem illuminés par sa résurrection (cf. Lc 24, 13–43). L’Église annonce à la famille son lien avec Jésus, en vertu de l’incarnation par laquelle il fait partie de la Sainte Famille de Nazareth. La foi reconnaît dans le lien indissoluble des époux un reflet de l’amour de la Trinité divine, qui se révèle dans l’unité de vérité et de miséricorde proclamée par Jésus. Le Synode se fait l’interprète du témoignage de l’Église, qui adresse au peuple de Dieu une parole claire sur la vérité de la famille selon l’Évangile. Aussi éloignée soit-elle, rien n’empêche qu’elle soit touchée par cette miséricorde et soutenue par cette vérité.
Chapitre I – La famille dans l’histoire du salut
La pédagogie divine
37. Dans la mesure où l’ordre de la création est déterminé par son orientation vers le Christ, il convient de distinguer sans les séparer les différents degrés selon lesquels Dieu communique à l’humanité la grâce de l’alliance. En raison de la pédagogie divine, selon laquelle le dessein de la création se réalise dans celui de la rédemption par étapes successives, il faut comprendre la nouveauté du sacrement du mariage dans la continuité du mariage naturel des origines, fondé sur l’ordre de la création. C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre la façon d’agir salvifique de Dieu dans la vie chrétienne également. Puisque tout a été fait par le Christ et pour lui (cf. Col 1, 16), les chrétiens « découvrent avec joie et respect les semences du Verbe qui s’y trouvent cachées ; ils doivent en même temps être attentifs à la transformation profonde qui s’opère parmi les nations » (AG, 11). L’incorporation du croyant dans l’Église via le baptême s’accomplit pleinement par les autres sacrements de l’initiation chrétienne. Dans cette Église domestique qu’est sa famille, il entreprend ce « processus dynamique qui va peu à peu de l’avant grâce à l’intégration progressive des dons de Dieu » (FC, 9), à travers la conversion continuelle de l’amour qui sauve du péché et donne plénitude de vie. Face aux défis contemporains de la société et de la culture, la foi tourne son regard vers Jésus-Christ en contemplant et en adorant son visage. Jésus a regardé les femmes et les hommes qu’il a rencontrés avec amour et tendresse, accompagnant leurs pas avec vérité, patience et miséricorde, en annonçant les exigences du Royaume de Dieu. « Chaque fois que nous revenons à la source de l’expérience chrétienne, de nouvelles routes et des possibilités impensables s’ouvrent » (François, Discours lors de la veillée de prière de préparation au synode sur la famille, 4 octobre 2014).
L’icône de la Trinité dans la famille
38. L’Écriture et la Tradition nous donnent accès à une connaissance de la Trinité qui se révèle à nous sous des traits familiers. La famille est image de Dieu, qui « dans son mystère le plus intime, n’est pas une solitude, mais une famille, puisqu’il porte en lui-même la paternité, la filiation et l’essence de la famille qu’est l’amour » (Jean-Paul II, Homélie durant la messe au séminaire Juan de Palafox à Puebla de Los Angeles, 28 janvier 1979) . Dieu est une communion de personnes. Dans le baptême, la voix du Père désigne Jésus comme son Fils bien aimé, et c’est l’Esprit Saint qu’il faut reconnaître dans cet amour (cf. Mc 1, 10–11). Jésus, qui a réconcilié toute chose en lui et a sauvé l’homme du péché, n’a pas seulement ramené le mariage et la famille à leur forme originelle, mais il a aussi élevé le mariage au rang de signe sacramentel de son amour pour l’Église (cf. Mt 19, 1–12 ; Mc 10, 1–12 ; Ep 5, 21–32). C’est dans la famille humaine, rassemblée par le Christ, qu’a été restituée « l’image et la ressemblance » de la Sainte Trinité (cf. Gn 1, 26), mystère dont jaillit tout véritable amour. Par l’Église, le mariage et la famille reçoivent du Christ la grâce de l’Esprit Saint, pour être témoins de l’évangile de l’amour de Dieu jusqu’à l’accomplissement de l’Alliance au dernier jour pour les noces de l’agneau (cf. Ap 19, 9 ; Jean-Paul II, Catéchèses sur l’amour humain). L’alliance d’amour et de fidélité dont vit la Sainte Famille de Nazareth illumine le fondement de toute famille et la rend capable d’affronter les vicissitudes de la vie et de l’histoire. Sur ces bases, toute famille, malgré ses faiblesses, peut devenir une lumière dans l’obscurité de ce monde. « Une leçon de vie familiale. Que Nazareth nous enseigne ce qu’est la famille, sa communion d’amour, son austère et simple beauté, son caractère sacré et inviolable ; apprenons de Nazareth comment la formation qu’on y reçoit est douce et irremplaçable ; apprenons quel est son rôle primordial sur le plan social » (Paul VI, Discours tenu à Nazareth, 5 janvier 1964).
La famille dans l’Écriture sainte
39. L’homme et la femme, par leur amour fécond, continuent l’œuvre créatrice et collaborent avec le Créateur à l’histoire du salut au travers de la succession des générations (cf. Gn 1, 28 ; 2, 4 ; 9, 1.7 ; 10 ; 17, 2.16 ; 25, 11 ; 28, 3 ; 35, 9.11 ; 47, 27 ; 48, 3–4). La réalité du mariage sous sa forme exemplaire est décrite dans le livre de la Genèse, auquel renvoie également Jésus dans sa vision de l’amour conjugal. L’homme se sent incomplet car privé d’une aide qui lui « corresponde », qui se tienne devant lui (cf. Gn 2, 18.20) dans un dialogue d’égal à égal. La femme est donc de la même matière que l’homme, ce qui est symboliquement représenté par la côte, ou encore de la même chair, comme l’homme le proclame dans son chant d’amour : « Cette fois-ci, voilà l’os de mes os et la chair de ma chair » (Gn 2, 23). Les deux deviennent ainsi « une seule chair » (cf. Gn 2, 24). Cette réalité fondamentale de l’expérience du mariage est magnifiée dans l’évocation de l’appartenance réciproque que l’on trouve dans la déclaration d’amour prononcée par la femme dans le Cantique des Cantiques. La formule reprend celle de l’alliance entre Dieu et son peuple (cf. Lv 26, 12) : « Mon bien-aimé est à moi, et moi, je suis à lui… je suis à mon bien-aimé, mon bien-aimé est à moi » (Ct 2, 16 ; 6, 3). En outre, dans le Cantique des Cantiques, l’entrelacement constant de la sexualité, de l’éros et de l’amour est significatif, comme la rencontre entre la dimension corporelle et la tendresse, le sentiment, la passion, la spiritualité et le don total. Tout en étant conscient que peuvent survenir des moments sombres marqués par l’absence ou le dialogue interrompu entre lui et elle (cc. 3 et 5), la certitude de la puissance de l’amour face à tout obstacle n’en demeure pas moins, car « l’amour est fort comme la mort » (Ct 8, 6). La prophétie biblique pour célébrer l’alliance d’amour entre Dieu et son peuple ne recourt pas seulement au symbole des noces (cf. Is 54 ; Jr 2, 2 ; Ez 16), mais à l’expérience familiale tout entière, comme le montre de façon particulièrement forte le prophète Osée. Sa dramatique expérience matrimoniale et familiale (cf. Os 1–3) devient le signe de la relation entre le Seigneur et Israël. Les infidélités du peuple n’annulent pas l’amour invincible de Dieu que le prophète représente comme un père, qui guide et ramène à lui son fils « par des liens d’amour » (cf. Os 11, 1–4).
40. Dans les paroles de vie éternelle que Jésus a laissées à ses disciples dans son enseignement sur le mariage et la famille, on peut distinguer trois étapes fondamentales dans le projet de Dieu. Au départ, il y a la famille des origines, quand Dieu créateur a institué le premier mariage entre Adam et Eve comme fondement solide de la famille. Dieu n’a pas seulement créé l’être humain masculin et féminin (cf. Gn 1, 27), mais il les a aussi bénis afin qu’ils soient féconds et qu’ils se multiplient (cf. Gn 1, 28). Pour cela, « l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un » (cf. Gn 2, 24). Ensuite, cette union, blessée par le péché, a connu différentes variantes dans la forme historique du mariage au sein de la tradition d’Israël : entre monogamie et polygamie, entre stabilité et divorce, réciprocité et subordination de la femme à l’homme. La concession faite par Moïse sur la possibilité de la répudiation (cf. Dt 24, 1sq.), qui persistait du temps de Jésus, doit se comprendre dans ce cadre. Enfin, la réconciliation du monde perdu avec la venue du Sauveur rétablit non seulement le projet divin d’origine, mais conduit l’histoire du peuple de Dieu vers un nouvel accomplissement. L’indissolubilité du mariage (cf. Mc 10, 2–9) n’est pas à comprendre en premier lieu comme une contrainte imposée à l’homme, mais bien comme un don fait aux personnes unies par le mariage.
Jésus et la famille
41. L’exemple de Jésus est un paradigme pour l’Église. Le fils de Dieu est venu dans le monde au sein d’une famille. Durant ses trente années de vie cachée à Nazareth – périphérie sociale, religieuse et culturelle de l’empire (cf. Jn 1, 46) – Jésus a vu en Marie et Joseph la fidélité vécue dans l’amour. Il a commencé sa vie publique par le miracle de Cana, réalisé lors d’un banquet pour des noces (cf. Jn 2, 1–11). Il a annoncé l’évangile du mariage comme une plénitude de la révélation qui reprend le projet originel de Dieu (cf. Mt 19, 4–6). Il a partagé des moments quotidiens d’amitié avec la famille de Lazare et de ses soeurs (cf. Lc 10, 38) et avec la famille de Pierre (cf. Mt 8, 14). Il a écouté les pleurs de parents pour leurs enfants, leur rendant la vie (cf. Mc 5, 41 ; Lc 7, 14–15) et manifestant ainsi la véritable signification de la miséricorde, laquelle implique la restauration de l’Alliance (cf. Jean-Paul II, Dives in Misericordia, 4) (16). Cela apparaît clairement dans les rencontres avec la Samaritaine (cf. Jn 4, 1–30) et avec la femme adultère (cf. Jn 8, 1–11), qui prennent conscience de leur péché devant l’amour gratuit de Jésus. La conversion « est une tâche ininterrompue pour toute l’Église qui « enferme des pécheurs dans son propre sein » et qui « est donc à la fois sainte et appelée à se purifier, et qui poursuit constamment son effort de pénitence et de renouvellement ». Cet effort de conversion n’est pas seulement une œuvre humaine. Elle est le mouvement du « cœur contrit » attiré et mû par la grâce à répondre à l’amour miséricordieux de Dieu qui nous a aimés le premier (CEC 1428). Dieu offre gratuitement son pardon à qui s’ouvre à l’action de sa grâce. Cela intervient par la pénitence, et la résolution de conduire sa vie selon la volonté de Dieu, effet de sa miséricorde à travers laquelle il nous réconcilie avec lui. Dieu met dans notre cœur la capacité à suivre le chemin de l’imitation du Christ. Les paroles et l’attitude de Jésus montrent clairement que le Royaume de Dieu est l’horizon qui donne sens à toute relation (cf. Mt 6, 33). Les liens familiaux, bien que fondamentaux, ne « sont pas absolus » (CEC, 2232). Troublant fortement ceux qui l’écoutaient, Jésus a relativisé les relations familiales au regard du Royaume de Dieu (cf. Mc 3, 33–35 ; Lc 14, 26 ; Mt 10, 34–37 ; 19, 29 ; 23, 9). Cette révolution des liens affectifs que Jésus introduit dans la famille humaine constitue un appel radical à la fraternité universelle. Personne ne reste exclu de la nouvelle communauté rassemblée au nom de Jésus, car nous sommes tous appelés à faire partie de la famille de Dieu. Jésus montre comment la complaisance de Dieu accompagne le chemin des hommes par sa grâce, transforme le cœur endurci par sa miséricorde (cf. Ez 36, 26) et l’amène à son accomplissement par le mystère pascal.
Chapitre II – La famille dans le Magistère de l’Église
Les enseignements du concile Vatican II
42. Sur la base de ce qu’elle a reçu du Christ, l’Église a développé au cours des siècles un riche enseignement sur le mariage et la famille. L’une des expressions les plus élevées de ce Magistère a été proposée par le concile oecuménique Vatican II dans la Constitution pastorale Gaudium et Spes, qui consacre un chapitre entier à la dignité du mariage et de la famille (cf. GS, 47–52). Voici comment il définit le mariage et la famille : « La communauté profonde de vie et d’amour que forme le couple a été fondée et dotée de ses lois propres par le Créateur ; elle est établie sur l’alliance des conjoints, c’est-àdire sur leur consentement personnel irrévocable. Une institution, que la loi divine confirme, naît ainsi, au regard même de la société, de l’acte humain par lequel les époux se donnent et se reçoivent mutuellement » (GS, 48). Le « véritable amour conjugal » (GS, 49) implique le don mutuel de soi, inclut et intègre la dimension sexuelle et affective, correspondant au dessein de Dieu (cf. GS, 48–49). Ainsi, il devient clair que le mariage, et l’amour conjugal qui l’anime, « sont ordonnés par nature à la procréation et l’éducation des enfants » (GS, 50). L’enracinement des époux en Dieu est par ailleurs souligné : le Christ Seigneur « vient à la rencontre des époux chrétiens par le sacrement de mariage » (GS, 48) et demeure avec eux (sacramentum permanens). Il assume l’amour humain, le purifie, le conduit à sa plénitude, et donne aux époux, avec son Esprit, la capacité de le vivre, en imprégnant toute leur vie de foi, d’espérance et de charité. De cette manière, les époux sont comme consacrés et, par une grâce particulière, ils édifient le Corps du Christ et constituent une Église domestique (cf. LG, 11). Aussi l’Église, pour comprendre pleinement son mystère, regarde-t-elle la famille humaine qui le manifeste d’une façon authentique.
Paul VI
43. Le bienheureux Paul VI, dans le sillage du concile Vatican II, a approfondi la doctrine sur le mariage et sur la famille. En particulier, par l’encyclique Humanae vitae, il a mis en lumière le lien intime entre l’amour conjugal et l’engendrement de la vie : « L’amour conjugal exige des époux une conscience de leur mission de paternité responsable, sur laquelle, à bon droit, on insiste tant aujourd’hui, et qui doit, elle aussi, être exactement comprise. (…) Un exercice responsable de la paternité implique donc que les conjoints reconnaissent pleinement leurs devoirs envers Dieu, envers eux-mêmes, envers la famille et envers la société, dans une juste hiérarchie des valeurs » (HV, 10) . Dans son exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi, Paul VI a mis en évidence le rapport entre la famille et l’Église : « Au sein de l’apostolat évangélisateur des laïcs, il est impossible de ne pas souligner l’action évangélisatrice de la famille. Elle a bien mérité, aux différents moments de l’histoire, le beau nom d” »Église domestique » sanctionné par le concile Vatican II. Cela signifie que, en chaque famille chrétienne, devraient se retrouver les divers aspects de l’Église entière. En outre, la famille, comme l’Église, se doit d’être un espace où l’Évangile est transmis et d’où l’Évangile rayonne » (EN, 71).
Jean-Paul II
44. Saint Jean-Paul II a consacré à la famille une attention particulière à travers ses catéchèses sur l’amour humain et sur la théologie du corps. Dans ces documents, il a offert à l’Église une richesse de réflexions sur la signification sponsale du corps humain et sur le projet de Dieu sur le mariage et sur la famille depuis le début de la création. En particulier, s’agissant de la charité conjugale, il a décrit la façon dont les époux, dans leur amour mutuel, reçoivent le don de l’Esprit du Christ et vivent leur appel à la sainteté. Dans sa Lettre aux familles Gratissimam sane et surtout dans l’exhortation apostolique Familiaris consortio, Jean-Paul II a qualifié la famille de « route de l’Église » ; il a offert une vision d’ensemble sur la vocation à l’amour de l’homme et de la femme ; il a proposé les lignes fondamentales d’une pastorale de la famille et de la présence de la famille dans la société. « Au sein du mariage et de la famille se tisse un ensemble de relations interpersonnelles – rapports entre conjoints, paternité-maternité, filiation, fraternité – à travers lesquelles chaque personne est introduite dans la « famille humaine » et dans la « famille de Dieu » qu’est l’Église » (FC, 15)..
Benoît XVI
45. Benoît XVI, dans l’encyclique Deus caritas est, a repris le thème de la vérité de l’amour entre l’homme et la femme, qui ne s’éclaire pleinement qu’à la lumière de l’amour du Christ crucifié (cf. DCE, 2). Il y réaffirme que « le mariage fondé sur un amour exclusif et définitif devient l’icône de la relation de Dieu avec son peuple et réciproquement : la façon dont Dieu aime devient la mesure de l’amour humain » (DCE, 11). Par ailleurs, dans son encyclique Caritas in veritate, il met en évidence l’importance de l’amour familial comme principe de vie dans la société, lieu où s’apprend l’expérience du bien commun. « Continuer à proposer aux nouvelles générations la beauté de la famille et du mariage, la correspondance de ces institutions aux exigences les plus profondes du cœur et de la dignité de la personne, devient ainsi une nécessité sociale, et même économique. Dans cette perspective, les États sont appelés à mettre en œuvre des politiques qui promeuvent le caractère central et l’intégrité de la famille, fondée sur le mariage entre un homme et une femme, cellule première et vitale de la société, prenant en compte ses problèmes économiques et fiscaux, dans le respect de sa nature relationnelle » (CiV, 44).
François
46. Le pape François, abordant le lien entre la famille et la foi, écrit dans l’encyclique Lumen fidei : « Le premier environnement dans lequel la foi éclaire la cité des hommes est donc la famille. Je pense surtout à l’union stable de l’homme et de la femme dans le mariage. (…) Promettre un amour qui soit pour toujours est possible quand on découvre un dessein plus grand que ses propres projets » (LF, 52). Dans son exhortation apostolique Evangelii Gaudium, le pape rappelle le caractère central de la famille au milieu des défis culturels d’aujourd’hui : « La famille traverse une crise culturelle profonde, comme toutes les communautés et les liens sociaux. Dans le cas de la famille, la fragilité des liens devient particulièrement grave parce qu’il s’agit de la cellule fondamentale de la société, du lieu où l’on apprend à vivre ensemble dans la différence et à appartenir aux autres, et où les parents transmettent la foi aux enfants. Le mariage tend à être vu comme une simple forme de gratification affective qui peut se constituer de n’importe quelle façon et se modifier selon la sensibilité de chacun. Mais la contribution indispensable du mariage à la société dépasse le niveau de l’émotivité et des nécessités contingentes du couple » (EG, 66). Le pape François a par ailleurs consacré un cycle complet de catéchèses aux thèmes concernant la famille. Ces catéchèses approfondissent les sujets sur la famille, les expériences qui y sont vécues et les phases de la vie.
Chapitre III – La famille dans la doctrine chrétienne
Le mariage dans l’ordre de la création et la plénitude sacramentelle
47. L’ordre de la rédemption éclaire et réalise celui de la création. C’est pourquoi le mariage naturel se comprend pleinement à la lumière de son accomplissement sacramentel : c’est seulement le regard fixé sur le Christ que l’on connaîtra pleinement la vérité des rapports humains. « En réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné. (…) Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation » (GS, 22). Il apparaît particulièrement opportun de comprendre selon une clef christocentrique les propriétés naturelles du mariage qui constituent le bien des conjoints (bonum coniugum), qui comprend l’unité, l’ouverture à la vie, la fidélité et l’indissolubilité. À la lumière du Nouveau Testament selon lequel tout a été créé par le Christ et pour lui (cf. Col 1, 16 ; Gn 1, 1sq.), le concile Vatican II a voulu exprimer sa considération pour le mariage naturel et pour les éléments positifs présents dans les autres religions (cf. LG, 16 ; NA, 2) et dans les diverses cultures, malgré des limites et des insuffisances (cf. RM, 55). Le discernement de la présence des semina Verbi dans les autres cultures (cf. AG, 11) peut aussi être appliqué à la réalité du mariage et de la famille. Outre le vrai mariage naturel, il existe des éléments positifs qui sont présents dans les formes matrimoniales d’autres traditions religieuses. Ces formes – fondées quoi qu’il en soit sur la relation stable et vraie entre un homme et une femme –, nous les considérons comme étant orientées vers ce sacrement. Le regard tourné vers la sagesse humaine des peuples, l’Église reconnaît aussi cette famille comme cellule de base nécessaire et féconde à la coexistence humaine.
Indissolubilité et fécondité de l’union sponsale
48. La fidélité indéfectible de Dieu à l’alliance est le fondement de l’indissolubilité du mariage. L’amour complet et profond entre les conjoints ne se fonde pas seulement sur les capacités humaines : Dieu soutient cette alliance avec la force de son Esprit. Le choix que Dieu a fait envers nous se reflète d’une certaine manière dans le choix du conjoint : de même que Dieu tient sa promesse même quand nous échouons, de même l’amour et la fidélité conjugale sont valables « pour le meilleur et pour le pire ». Le mariage est don et promesse de Dieu, qui écoute la prière de ceux qui demandent son aide. La dureté de cœur de l’homme, ses limites et sa fragilité face à la tentation sont un grand défi pour la vie commune. Le témoignage de couples qui vivent fidèlement leur mariage met en lumière la valeur de cette union indissoluble et suscite le désir de renouveler continuellement l’engagement de la fidélité. L’indissolubilité correspond au désir profond d’amour réciproque et durable que le Créateur a mis dans le cœur de l’homme, il est un don qu’il fait luimême à chaque couple : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas » (Mt 19, 6 ; cf. Mc 10, 9). L’homme et la femme accueillent ce don et en prennent soin afin que leur amour puisse durer toujours. Face à la sensibilité de notre temps et aux difficultés effectives à maintenir des engagements définitifs, l’Église est appelée à proposer les exigences et le projet de vie de l’évangile de la famille et du mariage chrétien. « Saint Paul, parlant de la vie nouvelle dans le Christ, affirme que les chrétiens – tous les chrétiens – sont appelés à s’aimer les uns les autres comme le Christ les a aimés, c’est-à-dire « soumis les uns aux autres » (Ep 5, 21), ce qui signifie au service les uns des autres. Et il introduit ici l’analogie entre le couple mari et femme, et le couple Christ et Église. Il est clair que cette analogie est imparfaite, mais nous devons en saisir le sens spirituel, un sens révolutionnaire et de la plus haute importance, et en même temps simple, à la portée de tout homme et de toute femme qui s’abandonnent à la grâce de Dieu » (François, audience générale, 6 mai 2015). Encore une fois, c’est une annonce qui donne l’espérance !
Les biens de la famille
49. Le mariage est la « communauté de toute la vie, ordonnée par nature au bien des conjoints ainsi qu’à la procréation et à l’éducation des enfants » (CIC, can. 1055 – § 1). Dans l’accueil réciproque, les époux se promettent don total, fidélité et ouverture à la vie. Dans la foi et avec la grâce du Christ, ils reconnaissent les dons que Dieu leur offre et ils s’engagent en son nom devant l’Église. Dieu consacre l’amour des époux et en confirme l’indissolubilité, leur offrant sa grâce pour vivre la fidélité, l’accueil réciproque et l’ouverture à la vie. Rendons grâce à Dieu pour le mariage car, à travers la communauté de vie et d’amour, les époux chrétiens connaissent le bonheur et expérimentent le fait que Dieu les aime personnellement, avec passion et tendresse. L’homme et la femme, individuellement et en tant que couple – a rappelé le pape François – « sont l’image de Dieu ». Leur différence « ne vise pas l’opposition, ou la subordination, mais la communion, l’engendrement, toujours à l’image et ressemblance de Dieu » (Audience générale, 15 avril 2015). L’objectif d’union du mariage est un appel constant et renouvelé à faire grandir et à approfondir cet amour. Dans leur union d’amour, les époux expérimentent la beauté de la paternité et de la maternité ; ils partagent les projets et les peines, les désirs et les préoccupations ; ils apprennent à prendre soin l’un de l’autre et à se pardonner mutuellement. Dans cet amour, ils célèbrent leurs moments heureux et se soutiennent dans les passages difficiles de leur vie.
50. La fécondité des époux, au sens plein, est spirituelle : ils sont des signes sacramentaux vivants, sources de vie pour la communauté chrétienne et pour le monde. L’acte de génération, qui manifeste le « lien indissociable » entre union et procréation – mis en évidence par le bienheureux Paul VI (cf. HV, 12) – doit être compris dans l’optique de la responsabilité des parents dans l’engagement qu’ils prennent de veiller sur leurs enfants et de leur donner une éducation chrétienne. Ce sont les fruits les plus précieux de l’amour conjugal. À partir du moment où l’enfant est une personne, il dépasse ceux qui l’ont créé. « Être fils et fille, en effet, selon le dessein de Dieu, signifie porter en soi la mémoire et l’espérance d’un amour qu’il a réalisé luimême en allumant la vie d’un autre être humain, original et neuf. Et pour les parents, chaque enfant est lui-même, il est différent, il est autre » (François, audience générale, 11 février 2015). La beauté du don réciproque et gratuit, la joie de la vie naissante et le soin plein d’amour de tous les membres, des plus petits aux plus âgés : voilà certains des fruits qui confèrent au choix de la vocation familiale son caractère unique et irremplaçable. Les relations familiales concourent de manière décisive à la construction solidaire et fraternelle de la société humaine, qu’on ne peut réduire à une simple cohabitation d’habitants d’un territoire ou de citoyens d’un État.
Vérité et beauté de la famille
51. C’est avec une joie intime et un profond réconfort que l’Église regarde les familles qui sont fidèles aux enseignements de l’Évangile, les remerciant et les encourageant pour le témoignage qu’elles offrent. Grâce à elles, la beauté du mariage indissoluble et fidèle pour toujours devient crédible. C’est dans la famille que mûrit la première expérience ecclésiale de la communion entre personnes, où se reflète, par grâce, le mystère d’amour de la Sainte Trinité. « C’est ici que l’on apprend l’endurance et la joie du travail, l’amour fraternel, le pardon généreux, même réitéré, et surtout le culte divin par la prière et l’offrande de sa vie » (CEC, 1657). L’évangile de la famille nourrit aussi ces graines qui attendent encore de mûrir et doit prendre soin des arbres qui se sont desséchés et qui ne doivent pas être laissés à l’abandon (cf. Lc 13,6–9). L’Église, en tant que maîtresse confiante et mère prévenante, tout en reconnaissant que, pour les baptisés, il n’existe pas d’autre lien nuptial que le lien sacramentel et que toute rupture de ce dernier va à l’encontre de la volonté de Dieu, est également consciente de la fragilité de beaucoup de ses enfants qui peinent sur le chemin de la foi. « Par conséquent, sans diminuer la valeur de l’idéal évangélique, il faut accompagner avec miséricorde et patience les étapes possibles de croissance des personnes qui se construisent jour après jour. (…) Un petit pas, au milieu de grandes limites humaines, peut être plus apprécié de Dieu que la vie extérieurement correcte de celui qui passe ses jours sans avoir à affronter d’importantes difficultés. La consolation et l’aiguillon de l’amour salvifique de Dieu, qui œuvre mystérieusement en toute personne, au-delà de ses défauts et de ses chutes, doivent rejoindre chacun » (EG, 44). Il faut protéger cette vérité et cette beauté. Face aux situations difficiles et aux familles blessées, il faut toujours rappeler un principe général : « Les pasteurs doivent savoir que, par amour de la vérité, ils ont l’obligation de bien discerner les diverses situations » (FC, 84). Le degré de responsabilité n’est pas le même dans tous les cas, et il peut exister des facteurs qui limitent la capacité de décision. C’est pourquoi, tout en exprimant avec clarté la doctrine, il faut éviter des jugements qui ne tiennent pas compte de la complexité des diverses situations, et il est nécessaire d’être attentif à la façon dont les personnes vivent et souffrent à cause de leur condition.
Chapitre IV – Vers la plénitude ecclésiale de la famille
Le lien intime entre Église et famille
52. La bénédiction et la responsabilité que représente une nouvelle famille, scellée dans le sacrement ecclésial, comportent la disponibilité à soutenir et promouvoir, au sein de la communauté chrétienne, l’alliance fondamentale entre l’homme et la femme. Cette disponibilité, dans le cadre du lien social, de l’engendrement des enfants, de la protection des plus faibles et de la vie commune, comporte une responsabilité qui doit être soutenue, reconnue et appréciée. En vertu du sacrement du mariage, chaque famille devient à part entière un bien pour l’Église. Dans cette perspective, ce sera certainement un don précieux, pour l’Église d’aujourd’hui, de considérer également la réciprocité entre famille et Église : l’Église est un bien pour la famille, la famille est un bien pour l’Église. Protéger le don sacramentel du Seigneur concerne non seulement la famille, mais également la communauté chrétienne, à sa manière. Face à l’apparition de la difficulté, si lourde soit elle, de protéger l’union conjugale, un travail de discernement sur ce que chacun a fait et sur les manquements correspondants, devra être mené par le couple avec l’aide des pasteurs et de la communauté.
La grâce de la conversion et de l’accomplissement
53. L’Église reste proche des époux dont le lien s’est tellement affaibli qu’un risque de séparation se présente. Dans le cas d’une relation terminée dans la douleur, l’Église ressent le devoir d’accompagner ce moment de souffrance, afin d’éviter que ne naissent des oppositions désastreuses entre les conjoints. Une attention particulière doit être portée aux enfants, qui sont les premiers touchés par la séparation, afin qu’ils en souffrent le moins possible : « Quand un père et une mère se font du mal, l’âme des enfants souffre terriblement » (François, audience générale, 24 juin 2015). Le soin pastoral de l’Église envers les fidèles qui vivent en concubinage ou qui ont simplement contracté un mariage civil ou bien sont divorcés remariés, est inspiré par le regard du Christ, dont la lumière éclaire tout homme (cf. Jn 1,9 ; GS, 22). Dans la perspective de la pédagogie divine, l’Église se tourne avec amour vers ceux qui participent à sa vie de manière imparfaite : elle invoque avec eux la grâce de la conversion, les encourage à accomplir le bien, à prendre soin l’un de l’autre avec amour et à se mettre au service de la communauté dans laquelle ils vivent et travaillent. Dans les diocèses, il est souhaitable de mettre en place des parcours de discernement et d’impliquer ces personnes pour les aider et les encourager dans la maturation d’un choix conscient et cohérent. Les couples doivent être informés sur la possibilité de recourir au processus de déclaration en nullité de mariage.
54. Quand l’union atteint une véritable stabilité à travers un lien public – et qu’elle est caractérisée par une affection profonde, par une responsabilité à l’égard des enfants, et par une capacité à surmonter les épreuves –, cela peut être l’occasion d’accompagner le couple vers le sacrement du mariage, pour autant que ce soit possible. La situation est tout autre dans le cas où la vie commune n’est pas établie en vue d’un éventuel futur mariage, et qu’il n’y a pas de volonté d’établir un rapport institutionnel. La réalité des mariages civils entre un homme et une femme, des mariages dits « traditionnels » et, en tenant bien compte des différences, également des concubinages, est un phénomène émergent dans de nombreux pays. De plus, la situation de fidèles qui ont établi une nouvelle union demande une attention pastorale particulière : « Au cours des dernières décennies (…) s’est beaucoup accrue la conscience de la nécessité d’un accueil fraternel et attentif, dans l’amour et la vérité, à l’égard des baptisés qui ont établi une nouvelle vie commune après l’échec du mariage sacramentel ; en effet, ces personnes ne sont nullement excommuniées » (François, audience générale, 5 août 2015).
55. L’Église part des situations concrètes des familles d’aujourd’hui, qui ont toutes besoin de miséricorde, en commençant par celles qui souffrent le plus. Avec le cœur miséricordieux de Jésus, l’Église doit accompagner ses enfants les plus fragiles, marqués par un amour blessé et perdu, leur redonnant confiance et espérance, comme la lumière d’un phare ou d’un flambeau apportée au milieu des gens pour éclairer ceux qui ont perdu le cap ou qui se trouvent au milieu de la tempête. La miséricorde est « le centre de la révélation de Jésus-Christ » (MV, 25) . En elle resplendit la souveraineté de Dieu, par laquelle il est toujours à nouveau fidèle à ce qu’il est, c’est-à-dire à l’amour (cf. 1 Jn 4, 8), et à son alliance. « C’est justement dans sa miséricorde que Dieu manifeste sa toutepuissance » (Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, II-II, q. 30, art. 4 ; cf. Missel Romain, Prière d’ouverture du 26e dimanche du temps ordinaire). Annoncer la vérité avec amour est en soi un acte de miséricorde. Dans la Bulle Misericordiae Vultus, le pape François affirme : « La miséricorde n’est pas contraire à la justice, mais illustre le comportement de Dieu envers le pécheur ». Et il poursuit : « Dieu ne refuse pas la justice. Il l’intègre et la dépasse dans un événement plus grand dans lequel on fait l’expérience de l’amour, fondement d’une vraie justice (MV, 21). Jésus est le visage de la miséricorde de Dieu le Père : « Dieu a tant aimé le monde (…) pour que, par lui, (le Fils), le monde soit sauvé » (Jn 3, 16–17).
III – Troisième partie La mission de la famille
56. Depuis le début de l’histoire, Dieu a prodigué son amour à ses enfants (cf. LG, 2), afin qu’ils puissent avoir la plénitude de la vie en Jésus-Christ (cf. Jn 10,10). À travers les sacrements de l’initiation chrétienne, Dieu invite les familles à entrer dans cette vie, à la proclamer et à la communiquer aux autres (cf. LG, 41). Comme le pape François nous le rappelle avec force, la mission de la famille se tourne de plus en plus vers l’extérieur, dans le service de nos frères et soeurs. C’est la mission de l’Église à laquelle chaque famille est appelée à participer de façon unique et privilégiée. « En vertu du baptême reçu, chaque membre du Peuple de Dieu est devenu disciple missionnaire » (EG, 120. Dans le monde entier, nous pouvons voir dans la réalité des familles un tel bonheur et une telle joie, mais aussi tant de souffrances et d’angoisses. Nous voulons regarder cette réalité avec les yeux du Christ, quand il la regardait au moment où il a cheminé parmi les hommes de son temps. Nous voulons avoir une attitude de compréhension pleine d’humilité. Notre désir est d’accompagner chacune et toutes les familles afin qu’elles découvrent la meilleure voie pour dépasser les difficultés qu’elles rencontrent sur leur chemin. L’Évangile est aussi, toujours, un signe de contradiction. L’Église n’oublie jamais que le mystère pascal est central dans la Bonne Nouvelle que nous annonçons. Elle veut aider les familles à reconnaître et à accueillir la croix quand elle se présente devant eux, afin qu’elles puissent la porter avec le Christ sur le chemin qui mène à la joie de la résurrection. Ce travail demande « une conversion pastorale et missionnaire, qui ne peut laisser les choses comme elles sont » (EG, 25). La conversion touche ensuite profondément la façon de vivre et de s’exprimer. Il est nécessaire d’adopter un langage qui fasse sens. L’annonce doit permettre d’expérimenter que l’évangile de la famille est la réponse aux attentes les plus profondes de la personne humaine : à sa dignité et à sa pleine réalisation dans la réciprocité, dans la communion et dans la fécondité. Il ne s’agit pas seulement de présenter des règles, mais bien d’annoncer la grâce qui permet de vivre les biens de la famille. La transmission de la foi rend aujourd’hui plus que jamais nécessaire un langage en mesure d’atteindre chacun, en particulier les jeunes, pour leur communiquer la beauté de l’amour familial et leur faire comprendre la signification de mots tels que le don, l’amour conjugal, la fidélité, la fécondité, la procréation. Le besoin d’un langage nouveau et plus adapté se présente avant tout au moment de faire découvrir la sexualité aux enfants et aux adolescents. Beaucoup de parents et de nombreuses personnes qui sont impliquées dans la pastorale éprouvent des difficultés à trouver un langage approprié et en même temps respectueux, qui associe la nature de la sexualité biologique avec la complémentarité du couple qui s’enrichit mutuellement, mais aussi avec l’amitié, l’amour et le don de l’homme et de la femme.
Chapitre I – La formation de la famille
La préparation au mariage
57. Le mariage chrétien ne peut être réduit à une tradition culturelle ou à une simple convention juridique : il est un véritable appel de Dieu qui exige un discernement attentif, une prière constante et une maturation adaptée. Pour cela, des parcours de formation sont nécessaires, qui doivent accompagner la personne et le couple en proposant à la fois les contenus de la foi et l’expérience de vie de toute la communauté ecclésiale. Pour que cette aide soit efficace, il faut aussi que la catéchèse en amont du mariage – parfois pauvre en termes de contenu – soit améliorée, car elle fait partie intégrante de la pastorale ordinaire. La pastorale des futurs époux doit aussi s’inscrire dans l’engagement plus large de la communauté chrétienne à présenter de façon adaptée et convaincante le message évangélique sur la dignité de la personne, sa liberté et le respect de ses droits. Les trois étapes mentionnées dans Familiaris Consortio doivent être bien présentes (cf. 66) : la préparation préalable, qui passe par la transmission de la foi et des valeurs chrétiennes au sein de sa famille ; la préparation plus proche, qui correspond aux parcours de catéchèse et aux expériences formatrices vécues au sein de la communauté ecclésiale ; enfin la préparation directe au mariage, qui fait partie d’un parcours plus large sur la vocation.
58. Dans le changement culturel en cours, ce sont souvent des modèles en décalage par rapport à la vision chrétienne de la famille qui sont présentés. La sexualité est souvent déconnectée d’un projet d’amour authentique. Dans certains pays, les autorités publiques imposent même des projets de formation qui proposent des contenus en opposition avec la vision humaine et chrétienne : sur ces projets, l’Église affirme avec force la liberté qui est la sienne d’enseigner sa propre doctrine et le droit à l’objection de conscience des éducateurs. Par ailleurs, la famille, même si elle demeure le premier lieu d’éducation (cf. GE, 3), ne peut être l’unique lieu de formation à la sexualité. Pour cela, il convient d’organiser de véritables parcours pastoraux, spécifiques, dédiés soit aux célibataires soit aux couples, avec une attention particulière au moment de la puberté et de l’adolescence, dans lesquels on aidera à découvrir la beauté de la sexualité dans l’amour. Le christianisme proclame que Dieu a créé l’homme en tant qu’homme et femme, et les a bénis afin qu’ils ne forment qu’une seule chair et transmettent la vie (cf. Gn 1, 27–28 ; 2, 24). Leur différence, dans leur égale dignité personnelle, est la marque de la bonté de la création de Dieu. Selon le principe chrétien, l’âme et le corps, tout comme le sexe biologique (sex) et le rôle socioculturel du corps (gender), peuvent être distingués, mais non séparés. Il apparaît donc nécessaire de développer les sujets de formation dans les parcours en amont du mariage afin que ceux-ci deviennent des parcours d’éducation à la foi et à l’amour, intégrés au cheminement de l’initiation chrétienne. Dans cette optique, il faut rappeler l’importance des vertus, parmi lesquelles la chasteté, condition précieuse pour une croissance sincère de l’amour entre deux personnes. Ce parcours de formation devrait être un chemin tourné vers le discernement de la vocation personnelle et de celle du couple, en veillant à une meilleure synergie entre les différents domaines pastoraux. Les parcours de préparation au mariage doivent aussi être proposés par des couples mariés en mesure d’accompagner les futurs époux avant leur mariage et dans les premières années de leur vie matrimoniale, valorisant ainsi le rôle de ministre que doit jouer le couple. La valorisation pastorale des relations personnelles favorisera l’ouverture progressive des esprits et des cœurs à la plénitude du plan de Dieu.
La célébration du mariage
59. La liturgie du mariage est un événement unique, qui se vit dans un contexte familial et social festif. Le premier des signes de Jésus se produit au banquet des noces de Cana : le bon vin du miracle du Seigneur égaye la naissance d’une nouvelle famille, il est le vin nouveau de l’Alliance du Christ avec les hommes et les femmes de tout temps. La préparation du mariage occupe longuement les futurs époux. Elle constitue pour eux un temps précieux, pour leurs familles et leurs amis, qui doit être enrichi par sa dimension proprement spirituelle et ecclésiale. La célébration du mariage est justement l’occasion d’inviter en nombre à la célébration du sacrement de la réconciliation et de l’eucharistie. La communauté chrétienne, à travers sa participation cordiale et joyeuse, accueillera en son sein la nouvelle famille afin que, en tant qu’Église domestique, elle se sente comme faisant partie de la grande famille ecclésiale. La liturgie du mariage devrait être préparée par une catéchèse mystagogique qui doit permettre au couple de prendre conscience que la célébration de leur alliance a lieu « dans le Seigneur ». Le célébrant a fréquemment l’opportunité de s’adresser à une assemblée composée de personnes qui participent peu à la vie ecclésiale ou appartiennent à d’autres confessions chrétiennes ou communautés religieuses. Il s’agit là d’une occasion précieuse d’annoncer l’Évangile du Christ qui peut susciter dans les familles présentes la redécouverte de la foi et de l’amour qui viennent de Dieu.
Les premières années de la vie familiale
60. Les premières années de mariage sont une période vitale et délicate durant laquelle la conscience qu’ont les couples de leur vocation et de leur mission va croissant. D’où l’exigence d’un accompagnement pastoral qui continue après la célébration du sacrement. La paroisse est le lieu où des couples plus expérimentés peuvent être mis à la disposition des couples plus jeunes, avec l’aide éventuelle d’associations, mouvements ecclésiaux et communautés nouvelles. Il convient d’encourager les époux à une attitude fondamentalement ouverte à l’accueil du grand don que sont les enfants. Il faut souligner l’importance de la spiritualité familiale, de la prière et de la participation à l’eucharistie dominicale, en invitant les couples à se réunir régulièrement pour aider à faire grandir leur vie spirituelle et leur solidarité face aux exigences concrètes de la vie. La rencontre personnelle avec le Christ à travers la lecture de la Parole de Dieu, au sein de la communauté ou chez soi, spécialement sous forme de lectio divina constitue une source d’inspiration pour la vie quotidienne. Liturgie, prière et eucharisties célébrées pour les familles, en particulier lors d’anniversaires de mariage, nourrissent la vie spirituelle et le témoignage missionnaire de la famille. Dans les premières années de vie conjugale, on constate souvent une certaine introversion du couple, avec en conséquence un isolement par rapport à la communauté. Consolider le réseau relationnel entre les couples et créer des liens forts sont nécessaires pour le développement de la vie chrétienne de la famille. Les mouvements et les groupes ecclésiaux garantissent souvent de telles occasions de croissance et de formation. L’Église locale, intégrant ces différents apports, doit se charger de la coordination de la pastorale proposée aux jeunes familles. Dans la première phase de la vie conjugale, la non-satisfaction du désir d’enfants procure un découragement particulier. Cette situation est souvent à l’origine de crises qui débouchent rapidement sur une séparation. C’est pour cette raison aussi que la proximité de la communauté envers les jeunes époux est si importante, à travers le soutien affectueux et discret de familles fiables.
La formation des prêtres et des autres acteurs de la pastorale
61. Un renouveau de la pastorale à la lumière de l’évangile de la famille et de l’enseignement du Magistère est nécessaire. Il convient pour cela de proposer une formation plus adéquate des prêtres, des diacres, des religieux et des religieuses, des catéchistes et des autres acteurs de la pastorale, qui doivent promouvoir l’intégration des familles dans la communauté paroissiale, en particulier à l’occasion des parcours de formation à la vie chrétienne en vue des sacrements. Les séminaires en particulier, dans leurs parcours de formation humaine, spirituelle, intellectuelle et pastorale, doivent préparer les futurs prêtres à devenir des apôtres de la famille. Dans la formation à leur ministère, le développement affectif et psychologique ne peut être négligé, en y intégrant directement des parcours adaptés. Les parcours de formation et les cours destinés spécifiquement aux acteurs de la pastorale doivent rendre ceux-ci capables de bien intégrer ce parcours de préparation au mariage dans la dynamique plus large de la vie ecclésiale. Dans leur période de formation, les candidats au sacerdoce doivent vivre des périodes appropriées dans leur propre famille et être guidés pour acquérir l’expérience de la pastorale familiale, afin d’avoir une bonne connaissance de la situation actuelle de la famille. La présence des laïcs et des familles, en particulier la présence féminine dans la formation sacerdotale, favorise l’appréciation de la variété et de la complémentarité des différentes vocations au sein de l’Église. L’engagement propre à ce précieux ministère pourra recevoir une vitalité et un caractère concret par une alliance renouvelée entre les deux principales formes de vocation à l’amour : celle du mariage, qui débouche sur la famille chrétienne, fondée sur l’amour choisi, et celle de la vie consacrée, image de la communion du Royaume, qui part de l’accueil inconditionnel de l’autre comme don de Dieu. Dans cette communion des vocations se produit un échange fécond de dons, qui ravive et enrichit la communauté ecclésiale (cf. Ac 18, 2). La direction spirituelle de la famille peut être considérée comme un des ministères des paroisses. Nous suggérons que le service diocésain pour la famille et les autres services de la pastorale puissent intensifier leur collaboration en ce domaine. Dans la formation permanente du clergé et des acteurs de la pastorale, il est souhaitable que l’on continue à veiller par des moyens adaptés au développement de la dimension affective et psychologique, qui leur sera indispensable pour l’accompagnement pastoral des familles, également dans la perspective des situations d’urgence particulières liées à des cas de violence domestique et d’abus sexuels.
Chapitre II – Famille, procréation, éducation
La transmission de la vie
62. La présence de familles nombreuses dans l’Église est une bénédiction pour la communauté chrétienne et pour la société, car l’ouverture à la vie est une exigence intrinsèque à l’amour conjugal. À cet égard, l’Église exprime sa vive gratitude aux familles qui accueillent, éduquent, entourent d’affection et transmettent la foi à leurs enfants, et de manière particulière à ceux qui sont plus fragiles et marqués par le handicap. Ces enfants, nés avec des besoins spécifiques, attirent l’amour du Christ et demandent à l’Église de les protéger comme une bénédiction. Une mentalité répandue réduit malheureusement le fait de donner la vie à la simple recherche d’une satisfaction individuelle ou de couple. Les facteurs d’ordre économique, culturel et éducatif exercent parfois un poids déterminant, contribuant à la forte baisse de la natalité qui affaiblit le tissu social, compromet les rapports entre générations et rend plus incertaine la vision du futur. Dans ce domaine également, il faut partir de l’écoute des personnes et reconnaître la beauté et la vérité d’une ouverture inconditionnelle à la vie, ce dont l’amour humain a besoin pour être vécu en plénitude. On voit ici la nécessité de diffuser toujours davantage les documents du Magistère de l’Église qui promeuvent la culture de la vie. La pastorale familiale devrait davantage impliquer les spécialistes catholiques en matière biomédicale dans les parcours de préparation au mariage et dans l’accompagnement des époux.
La responsabilité procréatrice
63. Selon l’ordre de la création, l’amour conjugal entre un homme et une femme et la transmission de la vie sont ordonnés l’un à l’autre (cf. Gn 1, 27–28). De cette façon, le Créateur a fait participer l’homme et la femme à l’œuvre de sa création et a en même temps fait d’eux des instruments de son amour, leur confiant la responsabilité de l’avenir de l’humanité à travers la transmission de la vie humaine. Les époux s’ouvriront à la vie en formant « un jugement droit : ils prendront en considération à la fois leur bien et celui des enfants déjà nés ou à naître ; ils discerneront les conditions aussi bien matérielles que spirituelles de leur époque et de leur situation ; ils tiendront compte enfin du bien de la communauté familiale, des besoins de la société temporelle et de l’Église elle-même » (GS, 50 ; cf. VS, 54- 66). Conformément au caractère personnel et humainement complet de l’amour conjugal, la juste route pour la planification familiale est celle du dialogue consensuel entre les époux, du respect des rythmes et de la prise en considération de la dignité du partenaire. En ce sens, l’encyclique Humanae Vitae (cf. 10–14) et l’exhortation apostolique Familiaris Consortio (cf. 14 ; 28–35) doivent être redécouvertes afin de raviver la disponibilité à la procréation, en décalage avec une mentalité souvent hostile à la vie. Il faut exhorter de façon répétée les jeunes couples à donner la vie. De cette façon, l’ouverture à la vie pourra croître, dans la famille, dans l’Église et dans la société. À travers ses nombreuses institutions pour enfant, l’Église peut contribuer à créer une société, mais également une communauté de foi, qui soient davantage adaptées aux enfants. Le courage de transmettre la vie est particulièrement renforcé lorsque il y a une atmosphère adaptée aux plus petits, dans laquelle on offre une aide et un accompagnement dans le travail d’éducation des enfants (coopération entre paroisses, parents et familles). Le choix responsable de la parentalité présuppose la formation de la conscience, qui est « le centre le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre » (GS, 16). Plus les époux cherchent à écouter Dieu et ses commandements dans leur conscience (cf. Rm 2, 15) et se font accompagner spirituellement, plus leur décision sera profondément libérée d’un choix subjectif et de l’alignement sur les comportements de leur environnement. Par amour de cette dignité de la conscience, l’Église rejette de toutes ses forces les interventions coercitives des États en faveur de la contraception, de la stérilisation ou de l’avortement. Le recours aux méthodes fondées sur « les rythmes naturels de fécondité (HV, 11) doit être encouragé. On mettra en lumière que « ces méthodes respectent le corps des époux, encouragent la tendresse entre eux et favorisent l’éducation d’une liberté authentique » (CEC, 2370). Il faut toujours mettre en avant le fait que les enfants sont un don merveilleux de Dieu, une joie pour les parents et pour l’Église. C’est à travers eux que le Seigneur renouvelle le monde.
La valeur de la vie dans toutes ses phases
64. La vie est don de Dieu et un mystère qui nous dépasse. C’est pourquoi il ne faut en aucune manière en éliminer les débuts et la fin. Il est au contraire nécessaire d’accorder à ces phases une attention particulière.Aujourd’hui, trop facilement, « on considère l’être humain en lui-même comme un bien de consommation, qu’on peut utiliser et ensuite jeter. Nous avons mis en route la culture du « déchet » qui est même promue » (EG, 53). Sur ce sujet, il revient à la famille, soutenue par toute la société, d’accueillir la vie naissante et de prendre soin de sa phase ultime. Face au drame de l’avortement, l’Église affirme avant tout le caractère sacré et inviolable de la vie humaine et s’implique concrètement en sa faveur (cf. EV, 58). Grâce à ses institutions, elle offre des conseils aux femmes enceintes, soutient les filles-mères, s’occupe des enfants abandonnés, est proche de ceux qui ont souffert d’un avortement. À ceux qui oeuvrent dans des structures de santé, on rappelle leur obligation morale à l’objection de conscience. De la même façon, l’Église sent non seulement l’urgence d’affirmer le droit à la mort naturelle, en évitant l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie, mais prend également soin des plus âgés, protège les personnes handicapées, assiste les malades en phase terminale, conforte les mourants, rejette fermement la peine de mort (cf. CEC, 2258).
Adoption et placement
65. L’adoption des enfants, orphelins et abandonnés, accueillis comme ses propres enfants, est du point de vue de la foi la forme d’un authentique apostolat familial (cf. AA, 11), rappelé à plusieurs reprises et encouragé par le Magistère (cf. FC, 41 ; EV, 93). Le choix de l’adoption et de l’accueil d’un enfant placé constitue une fécondité particulière de l’expérience conjugale, au-delà des situations dans lesquelles elle est douloureusement marquée par la stérilité. Un tel choix est le signe éloquent de l’accueil à la création, témoignage de foi et accomplissement de l’amour. Elle rend une dignité réciproque à un lien interrompu : aux époux qui n’ont pas d’enfants et aux enfants qui n’ont pas de parents. Toutes les initiatives visant à faciliter les procédures d’adoption sont donc soutenues. Les trafics d’enfants entre pays et continents doivent être empêchés par des dispositions législatives et par le contrôle des États. La continuité des relations parentales et des relations d’éducation a comme fondement nécessaire la différence sexuelle entre l’homme et la femme, tout comme la procréation. Face à ces situations dans lesquelles l’enfant est vu comme un droit à n’importe quel prix, pour son propre accomplissement, l’adoption et le placement compris d’une juste manière constituent un aspect important de la parentalité et de la filiation. En effet, ils aident à reconnaître que les enfants, qu’ils soient naturels, adoptifs ou placés, sont des êtres autres que soi et qu’il convient de les accueillir, de les aimer, d’en prendre soin, et pas seulement de les mettre au monde. L’intérêt supérieur de l’enfant devrait toujours inspirer les décisions sur l’adoption et le placement. Comme l’a rappelé le pape François, « les enfants ont le droit de grandir dans une famille, avec un père et une mère » (Audience aux participants du Colloque international sur la complémentarité entre homme et femme, organisé par la Congrégation pour la doctrine de la foi, 17 novembre 2014). L’Église affirme néanmoins que, là où cela est possible, les enfants ont le droit de grandir dans leur famille d’origine avec tout le soutien possible.
L’éducation des enfants
66. Un des défis fondamentaux parmi ceux posés aux familles aujourd’hui est assurément celui de l’éducation, obligeant à une implication plus forte et rendue plus complexe par la réalité culturelle actuelle et par l’influence importante des médias. Il faut tenir pleinement compte des exigences et des attentes des familles capables d’être, dans la vie quotidienne, des lieux de croissance, de transmission concrète et fondamentale de la foi, de la spiritualité et des vertus qui donnent forme à l’existence. La famille d’origine est souvent le foyer de la vocation au sacerdoce et à la vie consacrée : c’est pourquoi nous exhortons les parents à demander au Seigneur le don inestimable de la vocation pour certains de leurs enfants. En matière éducative, il faut protéger le droit des parents à choisir librement le type d’éducation qu’ils veulent donner à leurs enfants selon leurs convictions, et dans des conditions accessibles et de qualité. Il faut aider à vivre l’affectivité, aussi dans les relations conjugales, comme un parcours de maturation, dans un accueil toujours plus profond de l’autre et un don toujours plus complet. On rappelle à ce sujet la nécessité d’offrir des parcours de formation qui nourrissent la vie conjugale, et l’importance de la présence de laïcs qui accompagnent les couples par un témoignage vivant. L’exemple d’un amour fidèle et profond est d’une grande aide. Il est fait de tendresse, de respect, est capable de grandir dans le temps et, par son ouverture concrète à la génération de la vie, fait l’expérience d’un mystère qui nous dépasse.
67. Dans toutes les cultures, les adultes d’une famille conservent leur irremplaçable fonction éducative. Cependant, dans de nombreux contextes, nous assistons à un affaiblissement progressif du rôle éducatif des parents, du fait d’une présence envahissante des médias au sein de la sphère familiale, ainsi que la tendance à déléguer ou à confier cette tâche à d’autres personnes. D’un autre côté, les médias (spécialement les médias sociaux) rapprochent les membres de la famille malgré les distances. L’utilisation des emails et des réseaux sociaux permet de maintenir dans le temps l’unité entre les membres d’une famille. Et par-dessus tout, les médias peuvent être une occasion pour l’évangélisation des jeunes. Il faut que l’Église encourage et soutienne les familles dans leur travail de participation vigilante et responsable sur les programmes scolaires et éducatifs qui concernent leurs enfants. Sur ce point, le consensus est unanime pour réaffirmer que la première école d’éducation est la famille, et que la communauté chrétienne veut jouer un rôle de soutien et d’intégration dans cette mission irremplaçable de formation. Il est nécessaire d’identifier des espaces et des moments de rencontre pour encourager la formation des parents et le partage d’expériences entre familles. Il est important que les parents soient impliqués activement dans les parcours de préparation aux sacrements de l’initiation chrétienne, en tant que premiers éducateurs et témoins de foi de leurs enfants.
68. Les écoles catholiques jouent un rôle vital pour aider les parents dans leur devoir d’éducation de leurs enfants. L’éducation catholique favorise le rôle de la famille : elle assure une bonne préparation, éduque aux vertus et aux valeurs, donne une instruction dans le respect des enseignements de l’Église. Les écoles catholiques devraient être encouragées dans leur mission d’aider les élèves à grandir comme des adultes mûrs, capables de voir le monde à travers le regard d’amour de Jésus et comprenant la vie comme un appel à servir Dieu. Les écoles catholiques se révèlent ainsi utiles pour la mission d’évangélisation de l’Église. Dans beaucoup d’endroits, les écoles catholiques sont les seules à constituer une véritable opportunité pour les enfants des familles pauvres, spécialement pour les jeunes, leur offrant une alternative à la pauvreté et une voie leur permettant de contribuer à la vie de la société. Les écoles catholiques devraient être encouragées à développer leur action envers les communautés les plus pauvres, en se mettant au service des membres moins fortunés et plus vulnérables de notre société.
Chapitre III – Famille et accompagnement pastoral
Situations complexes
69. Le sacrement du mariage, en tant qu’union indissoluble dans la fidélité entre un homme et une femme appelés à se recevoir réciproquement et à accueillir la vie, est une grande grâce pour la famille humaine. L’Église a la joie et le devoir d’annoncer cette grâce à tous et partout. Elle ressent aujourd’hui de façon encore plus urgente la responsabilité de faire redécouvrir aux baptisés combien la grâce de Dieu est à l’œuvre dans leurs vies – même dans les situations les plus difficiles – pour les conduire à la plénitude du sacrement. Le Synode, tout en saluant et encourageant les familles qui vivent la beauté du mariage chrétien, entend promouvoir le discernement pastoral pour les situations dans lesquelles l’accueil de ce don peine à être reconnu, ou est, à des degrés divers, compromis. C’est une grande responsabilité que de maintenir vivant un dialogue pastoral avec ses fidèles, qui permettra une ouverture croissante et cohérente à l’évangile du mariage et de la famille dans sa plénitude. Les pasteurs doivent identifier les éléments qui peuvent favoriser l’évangélisation et la croissance humaine et spirituelle de ceux qui sont confiés à leurs soins par le Seigneur.
70. La pastorale doit proposer avec clarté le message évangélique et saisir les éléments positifs présents dans les situations qui ne correspondent pas encore, ou qui ne correspondent plus, à celui-ci. Dans beaucoup de pays, un nombre croissant de couples vit en concubinage, sans être mariés, ni religieusement ni civilement. Dans certains pays, une forme traditionnelle de mariage existe, arrangé entre familles et souvent célébré en différentes étapes. Dans d’autres pays au contraire, ils sont de plus en plus nombreux ceux qui, après avoir vécu ensemble pendant longtemps, demandent à célébrer leur mariage à l’église. La simple cohabitation est souvent choisie du fait de la mentalité dominante contraire aux institutions et aux engagements définitifs, mais aussi à cause de l’attente d’une certaine sécurité pour vivre (un travail et un salaire fixe). Dans d’autres pays enfin, les unions de fait sont de plus en plus nombreuses, non seulement à cause du rejet des valeurs de la famille et du mariage, mais également parce que se marier est perçu comme un luxe : des conditions sociales difficiles marquées par la misère matérielle poussent vers ces unions de fait. Toutes ces situations doivent être abordées de manière constructive, en cherchant à les transformer en opportunités de chemin de conversion vers la plénitude du mariage et de la famille à la lumière de l’Évangile.
71. Le choix du mariage civil ou parfois de la simple cohabitation, n’est dans la plupart des cas pas motivé par des préjugés ou des résistances vis-à-vis de l’union sacramentelle, mais par des raisons culturelles ou contingentes. Dans beaucoup de cas, la décision de vivre ensemble est le signe d’une relation qui se place vraiment dans une perspective de stabilité. Cette volonté, qui se traduit dans un lien durable, fiable et ouvert à la vie, peut être considérée comme un engagement sur lequel greffer un chemin vers le sacrement du mariage, découvert alors comme le dessein de Dieu sur sa vie. Le chemin de croissance qui peut conduire au mariage sacramentel sera encouragé par la reconnaissance des caractéristiques de l’amour généreux et durable : le désir de chercher le bien de l’autre avant le sien ; l’expérience du pardon demandé et accordé ; l’aspiration à construire une famille non refermée sur elle-même mais ouverte au bien de la communauté ecclésiale et de la société tout entière. Tout au long de ce parcours, on pourra valoriser ces signes d’amour qui correspondent justement à ce reflet de l’amour de Dieu dans un authentique projet conjugal.
72. Les problématiques relatives aux mariages mixtes requièrent une attention particulière. Les mariages entre des catholiques et d’autres baptisés « présentent, tout en ayant une physionomie particulière, de nombreux éléments qu’il est bon de valoriser et de développer, soit pour leur valeur intrinsèque, soit pour la contribution qu’ils peuvent apporter au mouvement oecuménique ». À cette fin, « on recherchera (…) une cordiale collaboration entre le ministre catholique et le ministre non catholique, dès le moment de la préparation au mariage et des noces » (FC, 78). Au sujet du partage eucharistique, on rappelle que « la décision d’admettre ou non la partie non-catholique du mariage à la communion eucharistique, est à prendre en accord avec les normes générales existant en la matière, tant pour les chrétiens orientaux que pour les autres chrétiens, et en tenant compte de cette situation particulière de la réception du sacrement de mariage chrétien par deux chrétiens baptisés. Bien que les époux d’un mariage mixte aient en commun les sacrements du baptême et du mariage, le partage eucharistique ne peut être qu’exceptionnel et l’on doit, en chaque cas, observer les normes rapportées ci-dessus (…) (Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, Directoire pour l’application des principes et des normes sur l’oecuménisme, 25 mars 1993, 159–160).
73. Les mariages avec une différence de culte constituent un lieu privilégié de dialogue interreligieux dans la vie quotidienne et peuvent être un signe d’espérance pour la communauté religieuse, spécialement là où existent des situations de tension. Les membres du couple partagent leurs différentes expériences spirituelles, ou une démarche de recherche religieuse si l’un des deux n’est pas croyant (cf. 1 Cor 7, 14). Les mariages avec une différence de culte comportent certaines difficultés particulières, que ce soit par rapport à l’identité chrétienne de la famille ou à l’éducation religieuse des enfants. Les époux sont appelés à transformer toujours davantage le sentiment initial d’attraction en un désir sincère du bien de l’autre. Cette ouverture transforme aussi l’appartenance religieuse différente en une opportunité d’enrichissement de la qualité spirituelle des relations. Le nombre de familles reposant sur des unions conjugales qui présentent une disparité de culte est de plus en plus important dans les pays de mission mais aussi dans les pays de tradition chrétienne plus ancienne ; cela amplifie l’urgence de proposer une approche pastorale différenciée selon les différents contextes sociaux et culturels. Dans certains pays, là où la liberté religieuse n’existe pas, l’époux chrétien est obligé de passer à une autre religion pour pouvoir se marier, et ne peut célébrer un mariage canonique avec différence de culte ni baptiser ses enfants. Nous devons néanmoins réaffirmer la nécessité que la liberté religieuse soit respectée pour tous.
74. Les mariages mixtes et les mariages avec une disparité de culte offrent des potentialités fécondes mais aussi de multiples situations critiques qui ne sont pas faciles à résoudre, davantage au niveau pastoral qu’au niveau normatif, telles que l’éducation religieuse des enfants, la participation à la vie liturgique du conjoint, ou le partage de l’expérience spirituelle. Pour affronter de façon constructive cette diversité en matière de foi, il faut porter une attention particulière aux personnes qui s’unissent dans de tels mariages, et pas uniquement avant le mariage. Les couples et les familles dans lesquels l’un des époux est catholique et l’autre est non-croyant affrontent des défis particuliers. Dans de tels cas, il faut témoigner de la capacité de l’Évangile à s’adapter à ces situations pour rendre possible l’éducation des enfants à la foi chrétienne.
75. Une difficulté particulière existe pour l’accès au baptême des personnes qui se trouvent dans une situation matrimoniale complexe. Il s’agit de personnes qui ont contracté une union matrimoniale stable à un moment où au moins l’un des deux ne connaissait pas la foi chrétienne. Les évêques sont appelés à exercer dans ces situations un discernement pastoral proportionné à leur bien spirituel.
76. L’Église calque son attitude sur celle du Seigneur Jésus qui, dans un amour sans limites, s’est offert pour toute personne sans exception (MV, 12). Au sujet des familles qui vivent l’expérience d’avoir en leur sein des personnes à tendance homosexuelle, l’Église réaffirme que toute personne, indépendamment de ses tendances sexuelles, doit être respectée dans sa dignité et écoutée avec respect, en prenant soin d’éviter « toute marque de discrimination injuste » (Congrégation pour la doctrine de la foi, Considérations à propos des projets de reconnaissance juridique des unions entre personnes homosexuelles. Une attention spéciale doit aussi être réservée à l’accompagnement des familles dans lesquelles vivent des personnes à tendance homosexuelle. Au sujet des projets visant à rendre équivalentes au mariage les unions entre personnes homosexuelles, « il n’y a aucun fondement pour assimiler ou établir des analogies, même lointaines, entre les unions homosexuelles et le dessein de Dieu sur le mariage et la famille » (ibid.). Le Synode considère quoi qu’il en soit comme inacceptable que les Églises locales subissent des pressions en la matière et que les organismes internationaux conditionnent leurs aides financières aux pays pauvres à l’introduction de lois qui instituent le « mariage » entre personnes de même sexe.
L’accompagnement dans diverses situations
77. L’Église fait siennes, dans un partage plein d’affection, les joies et les espérances, les douleurs et les angoisses de toutes les familles. Être proche des familles comme un compagnon de route signifie, pour l’Église, d’adopter une attitude savamment différenciée : parfois il est nécessaire de se tenir à côté et d’écouter en silence ; dans d’autres cas, il faut passer devant pour montrer la voie à parcourir ; dans d’autres encore, il faut suivre, soutenir et encourager. « L’Église devra initier ses membres – prêtres, personnes consacrées et laïcs – à cet « art de l’accompagnement », pour que tous apprennent toujours à ôter leurs sandales devant la terre sacrée de l’autre (cf. Ex 3, 5). Nous devons donner à notre chemin le rythme salutaire de la proximité, avec un regard respectueux et plein de compassion mais qui en même temps guérit, libère et encourage à mûrir dans la vie chrétienne » (EG, 169). C’est la paroisse qui offre la contribution principale à la pastorale familiale. Elle est une famille de familles, dans laquelle se crée une harmonie entre ce qu’apportent les apports de petites communautés, associations et mouvements ecclésiaux. L’accompagnement requiert des prêtres spécialement préparés, et la création de centres spécialisés où prêtres, religieux et laïcs apprennent à prendre soin de toutes les familles, avec une attention particulière envers celles qui sont en difficulté.
78. Il apparaît comme particulièrement urgent de mettre en place un ministère dédié à ceux dont la relation matrimoniale s’est brisée. Le drame de la séparation se produit souvent au terme de longues périodes de conflits, qui font retomber sur les enfants les plus grandes souffrances. La solitude du conjoint abandonné, ou qui a été contraint d’interrompre une vie commune marquée par de mauvais traitements de façon grave et continue, demande un soin particulier de la part de la communauté chrétienne. La prévention et le soin dans les cas de violence familiale requièrent une collaboration étroite avec la justice pour agir contre les personnes responsables et protéger comme il le faut les victimes. Il est en outre important de promouvoir la protection des mineurs contre les abus sexuels. Dans l’Église, sur ces sujets, c’est la tolérance zéro qui doit être maintenue, en plus de l’accompagnement des familles. Il semblerait en outre opportun de prendre en considération les familles dans lesquelles certains membres ont des activités comportant des exigences particulières, comme les militaires, qui se trouvent en situation de séparation matérielle et d’éloignement physique prolongé de leur famille, avec toutes les conséquences que cela comporte. Au retour de théâtres de conflits, il n’est pas rare qu’ils soient atteints par des syndromes posttraumatiques et touchés dans leur conscience, ce qui fait naître chez eux de graves questions morales. Une attention pastorale particulière est ici nécessaire.
79. L’expérience de l’échec du mariage est toujours douloureuse pour tous. Ce même échec peut d’un autre côté être une occasion de réflexion, de conversion, une occasion de se confier à Dieu : en prenant conscience de ses propres responsabilités, chacun peut retrouver en Dieu confiance et espérance. « Du cœur de la Trinité, du plus profond du mystère de Dieu, jaillit et coule sans cesse le grand fleuve de la miséricorde. Cette source ne sera jamais épuisée pour tous ceux qui s’en approcheront. Chaque fois qu’on en aura besoin, on pourra y accéder, parce que la miséricorde de Dieu est sans fin » (MV, 25). Le pardon face à l’injustice subie n’est pas facile, mais c’est un chemin que la grâce rend possible. D’où la nécessité d’une pastorale de la conversion et de la réconciliation au travers de centres d’écoute et de médiation dédiés à mettre en place dans les diocèses. Il faut quoi qu’il en soit promouvoir la justice envers toutes les parties touchées par l’échec du mariage (époux et enfants). La communauté chrétienne et ses pasteurs ont le devoir de demander aux époux séparés et divorcés de se traiter avec respect et miséricorde, en particulier pour le bien des enfants à qui il ne faut pas causer davantage de souffrances. Les enfants ne sauraient être objets de disputes et il faut rechercher les meilleurs moyens pour leur permettre de dépasser le traumatisme de la scission familiale et grandir de la façon la plus sereine possible. L’Église devra en tout cas toujours mettre en évidence l’injustice qui dérive si souvent des situations de divorce.
80. Les familles monoparentales ont des origines diverses : mères ou pères biologiques qui n’ont jamais voulu s’intégrer dans la vie familiale, situations de violence qu’un des parents a dû fuir avec ses enfants, mort de l’un des parents, abandon de la famille de la part d’un des parents, ou autres situations. Quelle que soit la cause, le parent qui habite avec les enfants doit trouver soutien et réconfort auprès des autres familles qui forment la communauté chrétienne, ainsi qu’auprès des organismes pastoraux de la paroisse. Ces familles sont souvent par la suite touchées par de graves problèmes économiques, par l’incertitude liée à un travail précaire, par la difficulté de subvenir aux besoins des enfants, par des problèmes de logement. La même sollicitude pastorale devra être manifestée envers les personnes veuves, les filles-mères et leurs enfants.
81. Quand les époux sont confrontés à des problèmes dans leurs relations, ils doivent pouvoir compter sur l’aide et l’accompagnement de l’Église. L’expérience montre que, avec une aide adaptée et avec l’action de réconciliation de la grâce de l’Esprit Saint, une part importante des crises de couple sont dépassées de façon satisfaisante. Savoir pardonner et se sentir pardonné est une expérience fondamentale dans la vie familiale. Le pardon entre les époux permet de redécouvrir la vérité d’un amour qui est pour toujours et ne passera jamais (cf. 1 Cor 13, 8). Dans le domaine des relations familiales, la nécessité de la réconciliation est quasi quotidienne. Les incompréhensions dues aux relations avec les familles d’origine, les conflits entre habitudes culturelles et religieuses différentes, les divergences concernant l’éducation des enfants, l’angoisse face aux difficultés économiques, la tension qui surgit suite à des situations de dépendance ou de perte d’un travail : ce sont quelques-uns des motifs récurrents de tensions et de conflits. L’art difficile de la réconciliation, qui nécessite le soutien de la grâce, a besoin de la collaboration généreuse de parents et d’amis, et parfois également d’une aide externe et professionnelle. Dans les cas les plus douloureux, comme celui de l’infidélité conjugale, une véritable œuvre de réparation est nécessaire, pour laquelle il faut se rendre disponible. Une alliance blessée peut être guérie : c’est à cette espérance qu’il faut se former, dès la préparation au mariage. L’action de l’Esprit Saint est fondamentale pour le soin des personnes et des familles blessées, ainsi que la réception du sacrement de la réconciliation et la nécessité de cheminements spirituels accompagnés par des ministres experts en la matière.
82. Pour beaucoup de fidèles qui ont vécu une expérience de mariage malheureuse, une voie possible est de vérifier la validité de leur mariage. Les récents Motu proprio Mitis Iudex Dominus Iesus et Misericors Iesus ont conduit à une simplification des procédures pour les éventuelles déclarations en nullité de mariage. Par ces textes, le Saint-Père a voulu également « mettre en évidence [le fait] que l’évêque lui-même dans son Église, dont il est constitué pasteur et chef, est par cela même, juge des fidèles qui lui sont confiés (MI, préambule, III). La publication de ces documents donne donc une grande responsabilité aux Ordinaires diocésains, qui sont appelés à juger eux-mêmes des causes et, de toute façon, à assurer aux fidèles un accès plus facile à la justice. Cela implique la préparation d’un personnel suffisant, composé de clercs et de laïcs, qui se consacrent de façon prioritaire à ce service ecclésial. Il sera cependant nécessaire de mettre à la disposition des personnes séparées ou des couples en difficulté un service d’information, de conseil et de médiation, lié à la pastorale familiale, qui pourra aussi accueillir les personnes en vue de l’enquête préliminaire au procès en nullité (cf. MI, Art. 2–3).
83. Le témoignage de ceux qui, malgré les conditions difficiles, n’entament pas une nouvelle union, restant fidèles au lien sacramentel, mérite reconnaissance et soutien de la part de l’Église. Celle-ci veut leur montrer le visage d’un Dieu fidèle à son amour et toujours capable de redonner force et espérance. Les personnes séparées ou divorcées mais non remariées, qui sont souvent des témoins de la fidélité matrimoniale, doivent être encouragées à trouver dans l’eucharistie la nourriture qui les soutiendra dans leur situation.
Discernement et intégration
84. Les baptisés qui sont divorcés et remariés civilement doivent être davantage intégrés à la communauté chrétienne selon les différentes façons possibles, en évitant toute occasion de scandale. La logique de l’intégration est la clé de leur accompagnement pastoral, afin qu’ils sachent non seulement qu’ils appartiennent au corps du Christ qu’est l’Église, mais qu’ils puissent aussi en avoir une joyeuse et féconde expérience. Ce sont des baptisés, ce sont des frères et des soeurs, l’Esprit Saint déverse en eux des dons et des charismes pour le bien de tous. Leur participation peut s’exprimer dans divers services ecclésiaux : il convient donc de discerner quelles sont, parmi les diverses formes d’exclusion actuellement pratiquées dans les domaines liturgique, pastoral, éducatif et institutionnel, celles qui peuvent être dépassées. Non seulement ils ne doivent pas se sentir excommuniés, mais ils doivent pouvoir vivre et grandir comme membres vivants de l’Église, sentant en elle une mère qui les accueille toujours, prend soin de leurs sentiments, et les encourage sur le chemin de la vie et de l’Évangile. Cette intégration est aussi nécessaire pour le soin et l’éducation chrétienne de leurs enfants, qui doivent être considérés comme les plus importants. Pour la communauté chrétienne, prendre soin de ces personnes ne constitue pas un affaiblissement de la foi et du témoignage sur l’indissolubilité du mariage : au contraire, par cette attention justement, l’Église exprime sa charité.
85. Saint Jean-Paul II nous a offert un critère général qui reste la base pour l’évaluation de ces situations : « Les pasteurs doivent savoir que, par amour de la vérité, ils ont l’obligation de bien discerner les diverses situations. Il y a en effet une différence entre ceux qui se sont efforcés avec sincérité de sauver un premier mariage et ont été injustement abandonnés, et ceux qui par une faute grave ont détruit un mariage canoniquement valide. Il y a enfin le cas de ceux qui ont contracté une seconde union en vue de l’éducation de leurs enfants, et qui ont parfois, en conscience, la certitude subjective que le mariage précédent, irrémédiablement détruit, n’avait jamais été valide » (FC, 84). Il est donc du devoir des prêtres d’accompagner les personnes concernées sur la voie du discernement selon l’enseignement de l’Église et les orientations de l’évêque. Dans ce processus, il sera utile de faire un examen de conscience, par des moments de réflexion et de pénitence. Les divorcés remariés devraient se demander comment ils se sont comportés vis-à-vis de leurs enfants quand leur union conjugale est entrée en crise ; s’il y a eu des tentatives de réconciliation ; quelle est la situation du conjoint abandonné ; quelles conséquences a la nouvelle relation sur le reste de la famille et la communauté des fidèles ; quel exemple elle offre aux jeunes qui doivent se préparer au mariage. Une réflexion sincère peut renforcer la confiance dans la miséricorde de Dieu qui ne doit être refusée à personne. En outre on ne peut nier que dans certaines circonstances « l’imputabilité et la responsabilité d’une action peuvent être diminuées voire supprimées » (CEC, 1735) du fait de divers conditionnements. En conséquence, le jugement sur une situation objective ne doit pas mener à un jugement sur « l’imputabilité subjective » (Conseil pontifical pour les textes législatifs, Déclaration du 24 juin 2000, 2a). Dans certaines circonstances, les personnes rencontrent de grandes difficultés à agir différemment. Tout en maintenant une norme générale, il est donc nécessaire de reconnaître que la responsabilité par rapport à certaines actions ou décisions n’est pas la même dans tous les cas. Le discernement pastoral, en tenant compte de la conscience de chacun formée de façon droite, doit prendre en charge ces situations. Il en est de même pour les conséquences des actes accomplis, qui ne sont pas nécessairement les mêmes dans tous les cas.
86. Le parcours d’accompagnement et de discernement oriente ces fidèles vers la prise de conscience de leur situation devant Dieu. La discussion avec le prêtre, dans le for interne, concourt à la formation d’un jugement correct sur ce qui fait obstacle à la possibilité d’une participation plus pleine à la vie de l’Église et sur les étapes qui peuvent la favoriser et la faire grandir. Dans la mesure où il n’y a pas de gradualité dans cette loi (cf. FC, 34), ce discernement ne pourra jamais faire abstraction des exigences de vérité et de charité de l’Évangile proposées par l’Église. Pour que cela se produise, il faut garantir les conditions nécessaires d’humilité, de discrétion, d’amour de l’Église et de son enseignement, dans la recherche sincère de la volonté de Dieu et dans le désir de lui répondre de façon plus parfaite.
Chapitre IV – Famille et évangélisation
La spiritualité familiale
87. La famille, dans sa vocation et sa mission, est vraiment un trésor de l’Église. Cependant, comme l’affirme saint Paul en parlant de l’Évangile, « nous portons ce trésor comme dans des vases d’argile ». Sur la porte d’entrée de la vie de la famille, affirme le pape François, « trois mots sont écrits (…) : « S’il te plaît », « merci », « pardon ». En effet, ces mots ouvrent la voie pour bien vivre en famille, pour vivre en paix. Ce sont des mots simples, mais pas si simples à mettre en pratique ! Ils contiennent une grande force : la force de protéger la maison, également à travers mille difficultés et épreuves ; en revanche leur absence, peu à peu, ouvre des failles qui peuvent aller jusqu’à son effondrement (François, audience générale, 13 mai 2015). L’enseignement des papes invite à approfondir la dimension spirituelle de la vie familiale à partir de la redécouverte de la prière en famille et de l’écoute en commun de la parole de Dieu, dont jaillit l’engagement de charité. L’eucharistie est la principale nourriture de la vie spirituelle de la famille, spécialement le jour du Seigneur ; c’est le signe de son profond enracinement dans la communauté ecclésiale (cf. Jean-Paul II, Dies Domini, 52 ; 66). La prière domestique, la participation à la liturgie et la pratique de la dévotion populaire et mariale sont des moyens efficaces de rencontre avec Jésus- Christ et d’évangélisation de la famille. Cela mettra en évidence la vocation spéciale des époux à réaliser, avec la grâce de l’Esprit Saint, leur sainteté à travers la vie matrimoniale, en participant aussi au mystère de la croix du Christ, qui transforme les difficultés et les souffrances en don d’amour.
88. En famille, la tendresse est le lien qui unit les parents entre eux et avec les enfants. Tendresse veut dire donner avec joie et susciter en l’autre la joie de se sentir aimé. Elle s’exprime en particulier en se tournant avec attention et délicatesse vers l’autre dans ses limites, en particulier quand elles apparaissent de manière évidente. Traiter avec délicatesse et respect signifie soigner les blessures et redonner l’espérance, afin de raviver en l’autre la confiance. La tendresse dans les rapports familiaux est la vertu quotidienne qui aide à dépasser les conflits intérieurs et relationnels. Le pape François nous invite à réfléchir là-dessus : « Avons-nous le courage d’accueillir avec tendresse les situations difficiles et les problèmes de celui qui est à côté de nous, ou bien préférons-nous les solutions impersonnelles, peut-être efficaces mais dépourvues de la chaleur de l’Évangile ? Combien le monde a besoin de tendresse aujourd’hui ! Patience de Dieu, proximité de Dieu, tendresse de Dieu » (Homélie à l’occasion de la messe de la nuit pour la solennité de la nativité du Seigneur, 24 décembre 2014).
La famille, sujet de la pastorale
89. Si la famille chrétienne veut être fidèle à sa mission, elle doit bien comprendre quelle est sa source : elle ne peut évangéliser sans être évangélisée. La mission de la famille recouvre l’union féconde des époux, l’éducation des enfants, le témoignage des sacrements, la préparation des autres couples au mariage et l’accompagnement amical de ces couples et familles qui rencontrent des difficultés. D’où l’importance d’un effort d’évangélisation et de catéchisme au sein de la famille. À ce sujet, il faut veiller à valoriser les couples, les mères et les pères en tant qu’acteurs actifs de la catéchèse, spécialement en ce qui concerne les enfants, en collaboration avec les prêtres, les diacres, les personnes consacrées et les catéchistes. Cet effort démarre dès les premières fréquentations du couple. La catéchèse familiale est d’une grande aide, elle est une méthode efficace pour former les jeunes parents et leur faire prendre conscience de leur mission en tant qu’évangélisateurs de leur propre famille. En outre, il est très important de souligner le lien entre expérience familiale et initiation chrétienne. Toute la communauté chrétienne doit devenir le lieu dans lequel les familles naissent, se rencontrent et confrontent leurs expériences, cheminant dans la foi et vivant ensemble des parcours de croissance et d’échange réciproque.
90. L’Église doit insuffler dans les familles un sens d’appartenance ecclésiale, un sens du « nous » dans lequel aucun membre n’est oublié. Tous doivent être encouragés à développer leurs propres capacités et à réaliser leur projet de vie au service du Royaume de Dieu. Chaque famille, insérée dans le cadre ecclésial, redécouvre la joie de la communion avec d’autres familles pour servir le bien commun de la société, en promouvant une politique, une économie et une culture au service de la famille, à travers aussi l’utilisation des réseaux sociaux et des médias. La création de petites communautés de familles est souhaitable, comme témoins vivants des valeurs évangéliques. On ressent le besoin de préparer, former et responsabiliser quelques familles qui puissent accompagner les autres à vivre chrétiennement. Il faut aussi rappeler l’action des familles qui se rendent disponibles pour vivre la mission ad gentes et les encourager. Enfin, il faut signaler l’importance de relier la pastorale des jeunes à la pastorale familiale.
Le rapport avec les cultures et les institutions
91. L’Église « qui a connu au cours des temps des conditions d’existence variées, a utilisé les ressources des diverses cultures pour répandre et exposer par sa prédication le message du Christ à toutes les nations, pour mieux le découvrir et mieux l’approfondir, pour l’exprimer plus parfaitement dans la célébration liturgique comme dans la vie multiforme de la communauté des fidèles » (GS, 58). Il est donc important de tenir compte de ces cultures et de respecter chacune d’elles dans ses particularités propres. Il faut aussi rappeler ce qu’écrivait le bienheureux Paul VI : « La rupture entre Évangile et culture est sans doute le drame de notre époque, comme ce fut aussi celui d’autres époques. Aussi faut-il faire tous les efforts en vue d’une généreuse évangélisation de la culture, plus exactement des cultures » (EN, 20). La pastorale du mariage et de la famille demande de reconnaître ces éléments positifs que l’on rencontre dans les différentes réalités religieuses et culturelles, qui représentent une praeparatio evangelica. Dans la rencontre avec les cultures cependant, une évangélisation attentive aux exigences de la promotion humaine de la famille ne pourra pas échapper à la dénonciation sans équivoque des conditionnements culturels, sociaux, politiques et économiques. L’hégémonie croissante de la logique de marché, qui affecte les lieux et le temps qui devraient être consacrés à une authentique vie familiale, concourt aussi à aggraver les discriminations, la pauvreté, l’exclusion, la violence. Parmi les différentes familles qui basculent dans l’indigence économique, à cause du chômage et du travail précaire ou à cause de l’absence d’une assistance sanitaire et sociale, il arrive souvent que certaines, ne pouvant accéder au crédit bancaire, se retrouvent victimes de taux d’intérêt usuriers, et se voient parfois obligées d’abandonner leurs maisons, et jusqu’à leurs enfants. Face à ces situations, nous suggérons que soient créées des structures économiques offrant un soutien adapté pour aider ces familles ou favorisant la solidarité familiale et sociale.
92. La famille est « la cellule première et vitale de la société » (AA, 11). Elle doit redécouvrir sa vocation qui est de soutenir la vie sociale dans toutes ses dimensions. Il est indispensable que les familles, en unissant leurs forces, trouvent les moyens d’interagir avec les institutions politiques, économiques et culturelles, afin d’édifier une société plus juste. C’est pour cela que doivent être développés le dialogue et la coopération avec les structures sociales, et que les laïcs qui s’engagent, en tant que chrétiens, dans les domaines culturels et socio-politiques doivent être encouragés et soutenus. La politique doit respecter de façon particulière le principe de subsidiarité et ne pas limiter les droits des familles. Il est important à ce sujet de se référer à la Charte des droits de la famille (cf. Conseil pontifical pour la famille, 22 octobre 1983) et la Déclaration universelle des droits de l’homme (10 décembre 1948). Pour les chrétiens qui agissent en politique, l’engagement pour la vie et la famille doit être une priorité, car une société qui néglige la famille a perdu son ouverture à l’avenir. Les associations familiales impliquées dans le travail commun avec des groupes d’autres traditions chrétiennes, ont parmi leurs objectifs principaux, entre autres, la promotion et la défense de la vie et de la famille, de la liberté d’éducation et de la liberté religieuse, d’un équilibre entretemps de travail et temps consacré à la famille, la défense des femmes dans le monde du travail, la protection du droit à l’objection de conscience.
L’ouverture à la mission
93. La famille des baptisés est par nature missionnaire et fait grandir sa foi en la donnant aux autres, et en premier lieu à ses enfants. Le simple fait de vivre la communion familiale constitue sa première forme d’annonce. En effet l’évangélisation commence par la famille, dans laquelle ne se transmet pas seulement la vie physique mais aussi la vie spirituelle. Le rôle des grands-parents dans la transmission de la foi et des pratiques religieuses ne doit pas être oublié : ils sont les témoins du lien entre les générations, les gardiens de traditions pétries de sagesse, de prière et d’exemplarité. La famille se constitue ainsi comme sujet de l’action pastorale à travers l’annonce explicite de l’Évangile et l’héritage de multiples formes de témoignages : la solidarité envers les pauvres ; l’ouverture à la diversité des personnes ; la protection de la création ; la solidarité morale et matérielle envers les autres familles, en particulier celles qui sont le plus dans le besoin ; enfin l’implication pour la promotion du bien commun via notamment la transformation de structures sociales injustes, tout cela à l’endroit où elle vit, par ses œuvres de miséricorde d’ordre corporel et spirituel.
Conclusion
94. Tout au long de cette assemblée, nous, les Pères synodaux, réunis autour du pape François, avons expérimenté la tendresse et la prière de toute l’Église, nous avons cheminé comme les disciples d’Emmaüs et reconnu la présence du Christ dans la fraction du pain à la table eucharistique, dans la communion fraternelle, dans le partage des expériences pastorales. Nous souhaitons que le fruit de ce travail, maintenant remis entre les mains du successeur de Pierre, donne espérance et joie à de nombreuses familles à travers le monde, qu’elle donne une direction aux pasteurs et aux acteurs de la pastorale, et un encouragement à l’œuvre d’évangélisation. En conclusion de ce Rapport, nous demandons humblement au Saint-Père qu’il réfléchisse à l’opportunité de publier un document sur la famille afin qu’en elle, cette Église domestique, resplendisse toujours davantage du Christ, lumière du monde.
Prière à la Sainte Famille
Jésus, Marie et Joseph en vous nous contemplons la splendeur de l’amour véritable, à vous nous nous adressons avec confiance. Sainte Famille de Nazareth, fais aussi de nos familles des lieux de communion et des cénacles de prière, des écoles authentiques de l’Évangile et des petites Églises domestiques. Sainte Famille de Nazareth, que jamais plus dans les familles on ne fasse l’expérience de la violence, de la fermeture et de la division : que quiconque a été blessé ou scandalisé connaisse rapidement consolation et guérison. Sainte Famille de Nazareth, réveille en tous la conscience du caractère sacré et inviolable de la famille, sa beauté dans le projet de Dieu. Jésus, Marie et Joseph écoutez-nous, exaucez notre prière. Amen.
Sources : Texte original italien/Traduction de Violaine Ricour-Dumas pour La Documentation catholique.