Deux questions se posent au sujet de la liberté religieuse : La liberté est-elle nécessaire pour embrasser la vraie religion ? L’homme a‑t-il le droit de choisir pour autant la religion qu’il veut ?
Peut-on obliger quelqu’un à se convertir à la foi catholique ?
Le Concile de Vatican I, après le quatrième de Tolède (can. 57) et celui de Trente (sess.VI, cap. 6) affirme la liberté de la foi et par conséquent de la conversion elle-même. Ni la grâce[1], ni la prédication, ni les raisons par lesquelles se démontre la vérité de la religion, n’exercent sur notre intelligence et notre volonté une action fatale et nécessitante : c’est librement que le païen, le protestant, l’incrédule ou l’apostat, se convertissent à la foi chrétienne. Une foi sans liberté ne serait plus du tout cette foi catholique, dont le salut tire son origine et qui est la racine première de la justification.
Si donc toute âme étrangère à la vraie foi est tenue de s’y convertir dès qu’elle la reconnaît clairement[2], elle ne doit pas y être contrainte par la violence ou amenée par la ruse et le mensonge[3], puisqu’elle manquerait de liberté dans sa croyance et ne ferait qu’une fausse et inutile conversion.
Aussi le droit canonique défend-il formellement de forcer les infidèles à embrasser le christianisme, lors même qu’on le leur aurait suffisamment prêché pour qu’ils en puissent saisir le caractère divin et obligatoire.
Ainsi encore, le pape Benoît XIV, en 1747, défend de baptiser les enfants des infidèles sans le consentement de ceux-ci, sauf dans le cas d’abandon de leur part, ou à l’article de la mort : ces enfants ont droit au moyen nécessaire de salut qu’est le baptême ; leur situation, du reste, les met très probablement à l’abri du péril d’apostasie.
Il fut un temps où l’Eglise reconnaissait au pouvoir civil le droit d’obliger ses sujets infidèles à écouter sa prédication. Ce même pouvoir civil pouvait s’opposer par la force aux païens qui voulaient entraver l’Eglise dans son ministère apostolique. Il est clair que les changements politiques ont rendu sans doute dangereux et même impossible l’exercice complet de ces droits, mais ces changements n’ont pu faire et ne feront jamais que cet exercice ait été illégitime dans le passé. Le pouvoir attribué à un gouvernement chrétien d’obliger ses sujets infidèles à écouter la prédication évangélique ne peut surprendre que ceux qui ne croient à aucune religion ou qui dispensent l’Etat de tout souci à ce sujet ! Que si parfois il a été mêlé d’exagérations et d’abus, la faute n’en est pas à la doctrine de l’Eglise, mais aux défaillances et aux passions des hommes, principalement des détenteurs de la puissance temporelle.
Penchons-nous quelque peu sur les objections les plus graves et les plus fréquemment formulées contre la réalité des conversions, collectives et individuelles, dont l’Eglise catholique se glorifie : la conversion des Francs sous Clovis, des saxons sous Charlemagne, des protestants sous Louis XIV et Louis XV. Quant à Saint Paul et Saint Augustin, s’ils se sont faits catholiques, il nous est fait remarquer que Luther et Calvin, eux, se sont faits protestants et que s’il y a eu Constantin, il y a eu aussi Julien l’Apostat : bref, « les parts sont égales, le pour et le contre ont les mêmes arguments ».
Avant de répondre, rappelons tout d’abord que ce n’est pas parce que quelques évêques et prêtres ont employé des moyens incompatibles avec la liberté de la foi et la sincérité de la conscience, qu’il s’agissait là de la doctrine et de la pratique constantes de l’Eglise, laquelle n’a jamais cessé de condamner ces abus. Ajoutons que ces abus sont quasi généraux dans les autres religions, où la persécution a été courante : Le paganisme, l’Islam (qui ne s’en prive pas encore de nos jours ! ), les albigeois, les vaudois, les hussites, les luthériens, les moscovites, les anglicans, les anabaptistes, les schismes et toutes les sectes se sont montrés persécuteurs dès qu’ils l’ont pu.
Que les rudes compagnons de Clovis se soient contentés d’une démonstration sommaire de la foi chrétienne avant d’y adhérer, que les armées de Charlemagne aient traité sans ménagement les Saxons rebelles à la prédication évangélique, et plus encore aux notions élémentaires de justice et de religion naturelles, que les dragons de Louis XIV et même de Louis XV aient maltraité des huguenots, non moins dangereux pour l’Etat que pour l’Eglise, qu’est-ce que cela prouve contre la divinité de l’Eglise ? Certains affirment également que les peuples du Nord ont été convertis par force : quand cela serait vrai, disait Bergier, « nous aurions encore à nous féliciter de cette heureuse violence qui a délivré l’Europe entière de leurs incursions, et qui les a tirés eux-mêmes de la barbarie. Mais le fait est faux… Il est encore faux que les ordres militaires aient été fondés pour convertir les infidèles à coups d’épée : ils l’ont été pour repousser les infidèles qui attaquaient le christianisme à coups d’épée ; On a été forcé de le défendre de même ».
En outre, l’Eglise a toujours distingué les étranges mouvements de conversion (comme ceux de l’Armée du salut ou du Royaume universel de Dieu) des conversions véritables et durables. Et si elle a encouragé les admirables efforts d’apôtres ardents et populaires comme saint Dominique, saint Vincent Ferrier ou saint François-Xavier, elle a réprimé au XIIIème siècle les flagellants d’Italie, aux XIVème et XVème siècles ceux d’Allemagne, au XVIIIème les convulsionnaires du cimetière Saint-Médard…
S’il y a eu violence dans l’apostolat des missionnaires et des saints, c’est bien celle qu’ils se sont imposés à eux-mêmes, par leurs pénitences, leurs renoncements, leurs sacrifices pour le salut des âmes. Omnia sustineo propter electos ut et ipsi salutem consequantur, quae est in Christo Jesu[4], affirmait saint Paul. Ils ont été les instruments de la grâce, cette force supérieure, surnaturelle qui anime le converti, à la différence des adeptes gagnés par les fausses religions. Les changements de religion ne sont pas tous égaux devant l’apologétique : la conversion et la perversion, le retour à la foi et l’apostasie sont essentiellement différents et doivent provoquer des sentiments essentiellement différents aussi. D’autant plus que leurs résultats ne se ressemblent en rien : Saint Paul et Luther ne vivent pas de la même façon après qu’ils ont accompli leur grande évolution ; saint Augustin et Calvin n’arrivent pas, par leur transformation, au même régime de vie religieuse et morale. Il est facile, par les fruits qu’ils portent, de juger si ces arbres ont reçu une sève divine ou une sève empoisonnée. Au point de vue social, la conversion de Constantin et l’apostasie de Julien offrent les mêmes différences et conduisent à des résultats tout opposés ; le scepticisme absolu ou le vague panthéisme de la libre pensée peuvent seuls n’y voir que des nuances insignifiantes et des quantités négligeables. Mais telle n’est pas la réalité[5].
L’homme est-il libre de choisir la religion qu’il veut ?
Il n’y a qu’un seul Dieu ; il ne peut donc y avoir qu’une seule religion qui unisse l’homme à Dieu, celle fondée par Jésus-Christ, son Légat divin : la religion catholique. Il n’est donc pas dans la nature des choses qu’un homme ait un droit naturel de professer une autre religion. Dieu n’a pu établir comme un droit celui de l’offenser en pratiquant une religion qui Le nie.
Pourtant le Concile Vatican II, se fondant sur une sacrosainte conscience humaine, même erronée, affirme :
« Le Concile déclare que la personne humaine a un droit à la liberté religieuse. Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être à l’abri de toute coaction tant de la part des individus comme des groupes sociaux et de tout pouvoir humain quel qu’il soit, de telle manière qu’en matière religieuse personne ne soit forcé à agir contre sa conscience, ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou en groupe »[6].
Voici le commentaire qu’en donne M. l’abbé Matthias Gaudron[7] :
La déclaration ne dit pas seulement que personne ne peut être forcé à croire (ce que l’Eglise a toujours enseigné, comme il est démontré plus haut), mais aussi que personne ne peut être empêché de pratiquer le culte qu’il a choisi.
Il ne s’agit plus de tolérance mais de reconnaître aux adeptes de toutes les religions un véritable droit naturel de ne pas être empêché de pratiquer leur culte.
Ce droit ne concerne pas seulement l’exercice privé mais aussi l’exercice public et la propagande de la religion.
Le Concile Vatican II promeut ce que l’Eglise a toujours condamné. Il reconnaît le droit de ne pas être empêché d’agir selon sa conscience en matière religieuse comme un véritable droit naturel fondé sur la dignité même de la personne humaine ; ce droit doit être ensuite reconnu comme un droit civil.
Quanta cura[8] affirmait au contraire :
C’est une folie que d’affirmer que la liberté de conscience et de culte est un droit propre à chaque homme, que tout Etat doit proclamer et garantir comme loi fondamentale.
Léon XIII, de même, dans son Encyclique Libertas, enseigne que la justice comme la raison prohibent l’athéisme d’Etat ou l’indifférentisme de l’Etat en matière religieuse, ce qui revient au même, ainsi que l’égalité juridique de toutes les religions.
Pie XII, le 6 octobre 1946, renchérit :
On ne peut reconnaître objectivement à l’erreur les mêmes droits qu’à la vérité.
Comment, dans la pratique, la libre propagande de toutes les religions pourrait-elle promouvoir la vérité catholique ? 98% des colombiens étaient catholiques et la religion catholique était la seule reconnue par la Constitution de leur pays. Le président céda à la pression exercée par le Vatican au nom du Concile Vatican II et la Constitution fut modifiée, le 12 juillet 1973, dans le sens de la liberté religieuse selon Dignitatis humanae. A la même époque, les sectes protestantes, soutenues financièrement par les Etats Unis, arrivèrent en Amérique latine. Aujourd’hui, le pays est envahi par les sectes et des villes comptent désormais plus de temples protestants que d’églises catholiques !
Du temps d’Antonio Oliveira Salazar, au Portugal, quand des témoins de Jéhovah et autres apôtres de perdition arrivaient des Etats Unis à l’aéroport de Lisbonne, ils recevaient aussitôt un billet de retour par le prochain avion. Ce président protégeait tout simplement son pays catholique.
L’erreur de la liberté religieuse repose sur une conception inadéquate et insuffisante de la dignité humaine. Certes tout homme a une dignité radicale, c’est-à-dire par le fait même d’être une créature douée de raison et de volonté libre. « Mais la dignité humaine adéquatement considérée, poursuit l’abbé Berto, exige que l’on tienne compte de ses actes. L’ignorant et l’homme cultivé n’ont pas la même dignité ; et surtout la dignité n’est pas égale chez celui qui adhère au vrai et celui qui adhère à l’erreur, chez celui qui veut le bien et chez celui qui veut le mal. Les rédacteurs, qui ont bâti tout leur schéma sur une notion inadéquate de la dignité de la personne humaine, ont de ce seul chef présenté un travail difforme d’une extraordinaire irréalité ; en effet, qu’on le veuille ou non, il y a, entre les personnes humaines adéquatement considérées, d’immenses différences de dignité. Et cela est d’autant plus vrai qu’il s’agit du schéma sur la liberté religieuse ; car de toute évidence la liberté religieuse convient à la personne non pas suivant sa dignité radicale, mais suivant sa dignité opérative, et ainsi la liberté ne peut pas être la même chez l’enfant et chez l’adulte, chez le sot et chez l’esprit pénétrant, chez l’ignorant et chez l’homme cultivé, chez un possédé du démon et chez celui que l’Esprit-Saint inspire, etc. Or cette dignité que nous appelons opérative, n’appartient pas à l’être physique, mais relève, c’est évident, de l’ordre intentionnel. La négligence de cet élément intentionnel, à savoir la science et la vertu, est dans le schéma une erreur très grave ». Mgr Lefebvre écrit donc :
« Dans la mesure où l’homme adhère à l’erreur ou s’attache au mal, il perd sa dignité opérative ou ne l’atteint pas, et on ne peut plus rien fonder sur elle ».
La liberté n’a pas été donnée à l’homme pour qu’il puisse choisir entre le bien et le mal, entre la vraie religion et une religion fausse, mais pour qu’il puisse librement se décider pour le bien : On ne peut forcer quelqu’un à se convertir mais tout homme est appelé à n’être sauvé que par la religion catholique.
Abbé Bertrand Labouche, prêtre de la Fratrenité Sacerdotale Saint-Pie X
Source : Hermine n° 46 de juin-juillet 2015
- . Comme celle reçue par Saul sur le chemin de Damas. [↩]
- . En effet, si l’on est persuadé de l’autorité de Dieu et de la réalité de la révélation : Dieu parle et révèle, Il a le droit rigoureux d’être cru et obéi.[↩]
- . C’est également le cas d’un mariage forcé : non contracté librement, il est invalide. [↩]
- . J’endure tout pour les élus, afin qu’ils obtiennent leur salut qui est dans le Christ Jésus – II Tim. 2, 10. [↩]
- . Plusieurs de ces considérations sont extraites du Dictionnaire d’Apologétique, au mot « conversion », p. 697 à 705. [↩]
- . Dignitatis humanae, déclaration sur la liberté religieuse du 7/12/1965. [↩]
- . Catéchisme de la crise dans l’Eglise.[↩]
- . Encyclique de Pie IX, du 8 décembre de 1864..[↩]