Je suis l’Immaculée conception

L'annonciation, Matthias Stomer.

L’âme de Marie, dès sa concep­tion, est bien plus belle que celle d’un baptisé.

Le 11 février 1858, une fille de 14 ans appe­lée Bernadette ramasse du bois près d’une rivière, au pied des Pyrénées. Soudain, à 3m au-​dessus du sol, une mer­veilleuse jeune femme toute vêtue de blanc lui appa­raît. D’autres appa­ri­tions sui­vront. Bernadette ne connaît pas cette femme à la sil­houette enfan­tine. Un jour, la dame demande à l’enfant de trans­mettre une com­mis­sion à M. le curé. Bernadette tout inti­mi­dée va voir l’abbé Peyramale dans son pres­by­tère : Le curé lui demande : Tu dis que tu vois la sainte Vierge ? – Je n’ai pas dit que c’est la sainte Vierge, dit Bernadette – Alors, qu’est-ce que c’est que cette dame ? – Je ne sais pas, dit Bernadette – Ah, tu ne sais pas, men­teuse ! Alors, qu’est-ce que tu vois ? – je vois quelque chose qui res­semble à une dame – Eh bien, dit le prêtre, demande-​lui com­ment elle s’appelle ».

Lors de l’apparition sui­vante, la voyante demande à la belle dame son nom. Mais celle-​ci ne répond que par un sou­rire. De même la fois sui­vante. Le 25 mars, Bernadette renou­velle sa ques­tion. Le dia­logue se déroule en patois, mais voi­ci la tra­duc­tion fran­çaise : Mademoiselle, voulez-​vous avoir la bon­té de me dire qui vous êtes, s’il-vous-plaît ? La belle dame écarte ses mains, puis les joint à la hau­teur de la poi­trine, lève les yeux au ciel et dit : je suis l’Immaculée concep­tion. Puis elle disparaît.

Bernadette, qui était à genoux, se relève débor­dante de joie. Néanmoins, les mots mys­té­rieux qu’elle vient d’entendre sont com­pli­qués. Elle ne les a jamais enten­dus de sa vie. Et il va fal­loir les rete­nir pour les dire à M. le curé. Elle se met donc à cou­rir en direc­tion du pres­by­tère, tout en répé­tant les mots savants dans sa tête pour ne pas les oublier. Je suis l’immaculée concep­tion, je suis…

Elle arrive tout essouf­flée devant la mai­son de l’abbé Peyramale et lui jette presque à tue-​tête : je suis l’immaculée concep­tion ! Le prêtre vacille sous le choc. Tellement bou­le­ver­sé, il s’apprête à gron­der Bernadette et à lui dire : petite orgueilleuse, com­ment peux-​tu dire que tu es l’Immaculée conception !

Mais la jeune fille se res­sai­sit et reprend avec assu­rance : l’apparition a dit : je suis l’immaculée concep­tion. L’abbé réplique : une dame ne peut pas por­ter ce nom-​là. Tu sais ce que ça veut dire ? Bernadette remue la tête piteu­se­ment. Alors, dit le prêtre, com­ment peux-​tu dire, si tu n’as pas com­pris. Rentre chez toi.

Bernadette s’en retourne, pen­dant que le curé de Lourdes reste pen­sif. Il connaît sa théo­lo­gie. Il se sou­vient très bien que, il y a 4 ans, le pape Pie IX a défi­ni solen­nel­le­ment le dogme de l’immaculée concep­tion. Il se sou­vient des paroles du Souverain pon­tife : « Nous décla­rons que la doc­trine qui tient que la Bienheureuse Vierge Marie a été, au 1er ins­tant de sa concep­tion, pré­ser­vée intacte de toute souillure du péché ori­gi­nel, est une doc­trine révé­lée de Dieu ».

Le prêtre sait aus­si que Bernadette, qui ne connaît pas son caté­chisme et n’a pas reçu d’instruction, est inca­pable d’inventer une telle expression. 

Rentrée chez elle, Bernadette est décon­te­nan­cée. Qui peut bien être cette dame dont le nom est tel­le­ment com­pli­qué que même M. l’abbé semble ne pas le com­prendre ? Le prêtre, lui, sait qu’il s’agit de la mère de Dieu, mais il reste une dif­fi­cul­té de taille. Pourquoi Marie ne s’est-elle pas pré­sen­tée sim­ple­ment comme la Vierge imma­cu­lée ? Pourquoi a‑t-​elle dit : je suis l’immaculée concep­tion, et non j’ai été conçue sans péché, ou bien je suis imma­cu­lée dans ma concep­tion ? Marie est imma­cu­lée, certes, mais elle n’est pas une concep­tion. Une per­sonne n’est pas une concep­tion. La concep­tion imma­cu­lée, c’est le nom d’un mys­tère, d’un fait, d’un évé­ne­ment, d’un miracle, mais ce n’est pas le nom d’une per­sonne. Pourquoi la Vierge Marie s’est-elle don­né ce nom-là ?

Voici la solu­tion de cette dif­fi­cul­té. Aucun être humain ne peut affir­mer : je suis la créa­tion, ni je suis l’humanité. Les autres êtres humains seraient en droit de pro­tes­ter devant une telle pré­somp­tion, et de se sen­tir exclus de l’humanité ou de la créa­tion par de tels pro­pos. Mais s’il n’existait qu’un seul être humain sur terre, n’aurait-il pas le droit de s’écrier : je suis l’humanité ? Et s’il était la seule créa­ture, n’aurait-il pas le droit de dire : je suis la création ?

Marie n’aurait sûre­ment pas le droit de dire : je suis la concep­tion. Mais quand elle répond à Bernadette : je suis l’immaculée concep­tion, la Vierge affirme deux choses : d’une part, j’ai été conçue imma­cu­lée, et d’autre part je suis la seule, l’unique à béné­fi­cier d’un tel pri­vi­lège. Ce qu’affirme la sainte Vierge est donc par­fai­te­ment juste. Non seule­ment elle a été pré­ser­vée du péché ori­gi­nel, mais en plus ce pri­vi­lège lui est propre. Elle est la seule créa­ture à avoir été conçue pleine de grâce, toute pure, sans tache. Ainsi, le mys­tère de la concep­tion imma­cu­lée est le nom de la sainte Vierge, son attri­but spé­cial et propre, celui qui la fait connaître, celui qui la fait dis­tin­guer de tous les hommes conçus dans le péché.

La sainte Vierge Marie est donc l’Immaculée concep­tion. Comment ce mys­tère s’est-il réa­li­sé ? Certains écri­vains peu fiables et peu cré­dibles ont pen­sé que Marie avait été conçue par l’opération du Saint Esprit, d’une mère vierge. C’est faux. C’est le pri­vi­lège du Fils de Dieu d’avoir été conçu de cette façon mira­cu­leuse. En revanche, d’autres auteurs plus sérieux et dignes de foi enseignent que les parents de Marie s’appelaient Anne et Joachim, qu’ils étaient sté­riles et qu’ils souf­fraient de cette sté­ri­li­té qui étaient consi­dé­rée, dans l’Ancien Testament, comme un signe de malé­dic­tion divine. Ce couple a donc mis toute sa confiance en Dieu. Sainte Anne et saint Joachim ont prié de toutes leurs forces et ont fina­le­ment été exau­cés : Anne a conçu, selon les lois ordi­naires de la nature, le 8 décembre de l’an 16 avant Jésus-​Christ envi­ron, et 9 mois plus tard, le 8 sep­tembre, elle a mis au monde une char­mante petite fille qui allait deve­nir la mère de Dieu.

La concep­tion de Marie, sur le plan de son corps, res­semble donc à toutes les autres concep­tions, tan­dis que sur le plan de son âme, elle est toute dif­fé­rente et unique. On pour­rait pen­ser que l’âme de Marie res­semble à l’âme d’un bébé juste après son bap­tême. Cette âme est en effet rem­plie de la grâce sanc­ti­fiante et puri­fiée du péché ori­gi­nel. En réa­li­té, l’âme de Marie, dès sa concep­tion, est bien plus belle que celle d’un bap­ti­sé. Parce que le bap­ti­sé garde dans son âme les tristes consé­quences du péché ori­gi­nel, spé­cia­le­ment la concu­pis­cence qui nous tire vers le bas et nous pousse chaque jour au péché. Alors que l’âme de Marie a été pré­ser­vée, non seule­ment du péché ori­gi­nel, mais aus­si de ses consé­quences, si bien qu’elle res­semble davan­tage à l’âme d’Adam et Eve au para­dis terrestre.

On pour­rait objec­ter que la sainte Vierge a connu la souf­france. Or la souf­france est une consé­quence du péché. Elle n’existait pas au para­dis ter­restre. Il sem­ble­rait donc que l’Immaculée concep­tion a connu les consé­quences de la faute ori­gi­nelle. Il faut répondre que, chez la mère de Dieu, la capa­ci­té de souf­frir n’était pas un effet ou une puni­tion du péché. Elle était, comme chez le Christ, une simple consé­quence et une néces­si­té phy­sique de la nature humaine. Certes, Dieu aurait pu accor­der à Marie, comme à Adam et Ève, le don pré­ter­na­tu­rel d’impassibilité. Il ne l’a pas vou­lu, afin qu’elle puisse souf­frir au pied de la croix et coopé­rer à l’œuvre de notre rédemption.

La sainte Vierge a donc, dès le 1er ins­tant de sa concep­tion, écra­sé la tête de l’ennemi, vain­cu Lucifer pour tou­jours. Dans la sainte âme de Marie, il n’existe pas la moindre com­plai­sance à l’égard du péché même véniel. Il y a dans cette âme lumi­neuse un tel amour de Dieu qu’il engendre la haine du mal.

O Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous !

FSSPX

M. l’ab­bé Bernard de Lacoste est direc­teur du Séminaire International Saint Pie X d’Écône (Suisse). Il est éga­le­ment le direc­teur du Courrier de Rome.