« Indigne, honteux, et complètement erroné » ; « » ; et d’en appeler publiquement au pape pour que « le Vicaire du Christ confirme les fidèles dans la foi et la pratique du mariage catholique ».
Pour une fois, de telles réactions n’émanent pas seulement de la Fraternité Saint-Pie X, mais du Cardinal Müller (préfet de la Doctrine de la Foi), de Mgr Gadecki (Président de la conférence épiscopale de la Pologne) et du cardinal Burke (préfet de la Signature Apostolique). C’est dire la gravité de la situation…
Il faut dire que le document intermédiaire du synode sur la famille, publié ce 13 octobre, n’y va pas par quatre chemins pour remettre en cause la doctrine et la pratique de l’Église. Forte de la pestilentielle théorie de la « gradualité », le mariage y est présenté non plus comme la norme, mais comme l’idéal de l’union d’amour humain, idéal vers lequel tendent par nature les autres types d’union libre, qu’elles soient hétérosexuelles ou même homosexuelles. Aussi le document invite-t-il à mettre en exergue les éléments positifs présents en ce type d’unions (n° 36- 39). Dès lors, « les personnes homosexuelles ont des dons et des qualités à offrir à la communauté chrétienne » (n° 50) et on reconnaît qu’en leur union bien souvent, « le soutien réciproque jusqu’au sacrifice constitue une aide précieuse pour la vie des partenaires » (n° 51). Nous sommes de même invités à « comprendre la réalité positive des mariages civils et, compte tenu des différences, des concubinages » (n° 36). L’Église est là pour accueillir ces éléments positifs, en prendre soin et les entourer de sa miséricorde affectueuse.
La subversion à l’œuvre
Et le pape, en tout cela ? Au matin de la publication de ce document, comme pour répondre par avance à l’inévitable levée de boucliers des cardinaux, il invitait en son sermon matinal à ne pas rester enfermé dans ses propres « idées » pour s’ouvrir aux « surprises » de Dieu. Il y dénonçait l’attitude des docteurs de loi qui « ne comprenaient pas les signes du temps parce qu’ils étaient trop enfermés dans un système […] Ils avaient très bien élaboré la loi, un chef-d’œuvre. Tous les juifs savaient ce qui pouvait se faire et ce qui ne pouvait se faire, jusqu’où on pouvait aller. Tout était prévu. » Mais, ajoutait le pape, pour ces mêmes docteurs de la loi, Jésus apparaissait comme « dangereux » parce que « la doctrine était en danger ». Ils étaient « fermés », oubliant que « Dieu est le Dieu de la loi mais aussi le Dieu des surprises ». Et le pape François de conclure en posant la question : « Suis-je attaché à mes idées, suis-je fermé ? Ou suis-je ouvert au Dieu des surprises ? ». Tout est dit : opposition factice entre la loi décrite comme statique et donc mauvaise au regard d’un Dieu qui est vie d’un peuple inéluctablement progressiste parce qu’en marche…
En tout cela, nous nous trouvons face à une méthode subversive, dénoncée comme telle par le cardinal Burke : « L’information du Synode est manipulée de manière à ne mettre en relief qu’une seule thèse, plutôt que de rapporter fidèlement les différentes positions. » Dès le début, cette méthode – déjà à l’œuvre au concile Vatican II et bien connue des récentes dictatures des pays de l’Est – a régulé l’organisation du synode sur la famille :
• ouverture donnée par le pape à un nouveau regard positif sur les homosexuels et à la possibilité de donner la communion aux divorcés remariés (interview du 28 juillet 2013) ;
• louanges appuyées du pape et répétées des mois durant de la figure de proue des nouvelles théories ruinant la famille, le cardinal Kasper ;
• convocation non pas d’un, mais de deux synodes sur le thème à un an d’intervalle, afin de laisser le débat « mûrir au sein du peuple de Dieu » : laisser le temps au temps, et à chacun la possibilité de s’adapter progressivement aux nouvelles thèses.
• questionnaire envoyé au monde entier, destiné à répandre la possibilité de ce nouveau questionnement. Certaines conférences épiscopales publieront leurs conclusions avant même le synode, celles qui sont en faveur des nouvelles thèses, bien sûr.
• nominations à la tête du synode de personnalités acquises aux nouvelles thèses, tel les cardinaux B. Forte et L. Baldisseri ;
• éviction du synode d’un maximum de voix discordantes ; ainsi, aucun professeur de l’Institut Pontifical Jean-Paul II n’est invité à y prendre part. Cet Institut, jusque-là considéré comme référence mondiale en matière familiale, ne partage pas les thèses nouvelles.
• nomination par le pape d’une commission de six personnes, toutes acquises aux nouvelles thèses, pour la rédaction de la Relatio du synode. Celle-ci ne représente donc pas comme à l’habitude l’avis du synode, réduit quant à lui au silence de par le huis clos imposé pour la circonstance. Suite au scandale provoqué par ce texte, la chose est même reconnue officiellement : « Ce document de travail ne présente pas l’opinion partagée par les pères synodaux. »
• appel à l’exception pour valider une pratique nouvelle : « Pour ce qui est de l’accès des divorcés remariés à la communion, on souhaite que la doctrine demeure ce qu’elle est, tout en envisageant des exceptions dans une perspective de compassion et de miséricorde. » etc.
Au vu de cette nouvelle révolution et quant au fond et quant à la forme, certains n’ont pu s’empêcher de se référer au concile Vatican II : « L’esprit du Concile souffle de nouveau », s’est réjoui le cardinal Luis Antonio G. Tagle. Et de fait ce synode, tout comme le Concile, se veut purement pastoral (Cal Erdö, rapporteur général). De plus, l’argument central avancé par les novateurs est puisé au cœur même de Vatican II, lorsqu’il s’était agi de justifier la nouvelle praxis œcuménique : la théorie de la gradualité.
Le principe moderniste de gradualité
Présentée en trois parties, « écouter, regarder, confronter », la Relatio intermédiaire du synode débute par une écoute sociologique du monde présent, puis consacre sa deuxième partie à un regard sur le Christ. Or cette deuxième partie, malgré son titre, n’est que l’exposé du principe de gradualité, avec référence explicite à Vatican II qui en usa au sujet de l’Église.
De quoi s’agit-il ? Pour Vatican II, l’Église du Christ subsiste (« subsistit in ») dans l’Église catholique ; elle y est présente en plénitude déployée, pourrait- on dire : tous les éléments constitutifs de l’Église y sont en effet présents, et ce de façon inamissible. Mais, parallèlement à cette affirmation – et là commence le principe de gradualité – le même concile considère que les autres communautés chrétiennes, bien que séparées de l’Église catholique, possèdent également certains éléments de salut qui de soi appartiennent à l’Église catholique, et sont donc autant de part d’ecclésialité. En un mot, l’Église n’y est plus considérée comme un tout entitatif, mais simplement numérique.
Comprendre la différence fondamentale entre un tout numérique et un tout entitatif se fait aisément à l’aide d’un exemple. Un bras humain est certes un élément du corps humain ; si je découvre non seulement un bras mais également une jambe, je possède davantage d’éléments du corps humain. Mais la possession de ces seuls éléments, voire la reconstitution de tous les éléments du corps d’un homme, ne me permet pas de dire que ce rassemblement constitue un homme vivant. Je n’aurais alors qu’un cadavre reconstitué, qui jamais ne fera un homme vivant. Je n’aurais qu’un tout numérique (tous les éléments du corps), nullement un tout entitatif (un homme réel, vivant). Pourtant, c’est ainsi que le moderniste décrit l’Église, comme un tout numérique ; si bien que la possession matérielle par les hérétiques de certains éléments qui dans l’Église catholique sont moyens de salut suffit à dire qu’il y a réellement part d’Église, et donc de salut, chez les hérétiques. Le protestantisme par exemple, du fait qu’il n’a pas rejeté la Bible, participe à ce qu’est l’Église, même s’il rejette la foi de l’Église. Il est donc respectable en lui-même, et les enfants du protestantisme sont véritablement enfants de Dieu, tout comme les fils de l’Église catholique. D’où les « degrés de communion » à la base de l’œcuménisme moderne.
Il ne reste plus qu’à appliquer ce même principe à l’amour humain. Sa forme parfaite, explique la Relatio intermédiaire du synode, se trouve sans aucun doute dans le mariage chrétien. Mais les autres formes de l’amour humain, dans la mesure où y est vécu tel ou tel élément constitutif du mariage chrétien, est à regarder positivement comme une réalité sacrée. L’Église se doit donc de respecter cet amour humain et d’en prendre soin (le fameux care anglo-saxon) pour le faire progresser autant que possible sur le chemin de l’amour idéal qu’est le mariage vécu sacramentellement. Ces éléments d’amour humain présents dans le mariage civil par exemple, sont « comme un bourgeon à accompagner dans son développement vers le sacrement de mariage » (n° 22). Or (mineure non explicitée par le document, mais utilisée comme telle), le bourgeon a déjà en soi la vie. Pourquoi donc ne pas alimenter cette vie par l’Eucharistie, dans le cas par exemple des divorcés remariés ? L’Église n’en a‑t-elle pas le devoir, vu qu’elle doit prendre soin des éléments positifs présents dans l’union civile ?
Les enjeux du débat synodal
Les prises de position de la Relation intermédiaire, imposées subversivement aux membres du synode, ont fait réagir très fortement ces derniers, et c’est heureux. Sans doute ont-ils obtenu un document final moins scandaleux, mais qui ne ferme aucune porte aux nouvelles « aspirations », portes au contraire laissées grandes ouvertes.
Est-ce pour autant une victoire ? Je ne le crois pas. Car déjà le mal est fait, et c’est là toute la perversité de la méthode subversive utilisée. Aux yeux du monde, de par cette campagne savamment orchestrée, l’Église a déjà parlé. De plus, l’année qui va s’écouler avant la réunion du deuxième synode (octobre 2015) puis la nouvelle année nécessaire à la rédaction de la Lettre apostolique, seule décisionnaire, permettront à la praxis nouvelle de s’installer dans le peuple de Dieu, et le pape pourrait alors considérer que ce sont là des « signes des temps » venus avaliser son désir d’assouplissement. On aurait alors un beau rappel doctrinal des principes catholiques, mais avec une ouverture à une praxis différente, laissée à la conscience de chacun ou des Églises locales.
En quoi consisterait alors la véritable victoire ? Non pas à parer les effets tout en gardant intouchée la source de tous ces maux, mais à dénoncer – pour y renoncer – au principe de ces erreurs, le principe de gradualité. Alors pourra s’écrouler le château de cartes que le Concile a voulu bâtir en lieu et place de l’Église catholique. Le rejet du principe de gradualité entraînerait du même coup la mise à mort de la nouvelle ecclésiologie et de son œcuménisme délétère, mais aussi de la nouvelle théologie de la sacramentalité à la source de la nouvelle messe. Plus profondément, c’est la clé même du modernisme, l’immanence vitale, qui vacillerait : elle est au cœur du principe de gradualité.
De tout mal un bien peut donc sortir, dans la mesure où les instruments de Dieu se font dociles à toutes ses inspirations. C’est cela que nous attendons d’un cardinal Burke par exemple, et c’est à cette intention que nous prions pour lui.
Abbé Patrick de La Rocque
Extrait du Chardonnet n° 302 du mois de novembre 2014